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Immigration

Migrations Mali-France: le débat tourne à l’aigre

En début d’année, le Mali a refusé (ce n’était pas la première fois) de signer l' »Accord de gestion concertée des flux migratoires » que lui proposait la France. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts de Bamako comme sous ceux de Paris et il fort probable que les échanges et négociations se poursuivent.

D’un autre coté, le CIGEM (Centre d’Information et de Gestion des Migrants), organisme dirigé par le Ministère des Maliens de l’Extérieur et basé sur une politique de collaboration avec l’Europe dans le domaine des migrations, a récemment (12 juin) renforcé son action en signant un accord avec l’ANPE, le FAFPA, APEJ et les UFAE pour mettre en œuvre la « promotion de la migration légale de travail en faveur de l’emploi et de l’insertion professionnelle ».

Alors, l’Association des Maliens Expulsés (AME) prend peur. Lors de son 3° Forum des Journées Ouvertes sur l’Immigration (20 juin), cette Association et son Comité de soutien ont fait adopter par un petit public une “Déclaration de Bamako” qui recommande notamment la  »rupture d’avec la politique française de l’immigration dite “choisie” et “répressive”, voulue par le Président français et plusieurs pays européens ». Cette déclaration demande notamment que les ambassades maliennes mettent fin à la délivrance de laissez-passer qui favorise l’expulsion des maliens.

Avant cette réunion qui avait pour but, selon les organisateurs, de « monter la pression », un certain nombre de faits ou de discours étaient déjà symptomatiques d’un durcissement.

  • le 26 mars, l’Agence Temoust (agence de presse militante touarègue) annonçait que,  »selon ses sources », la France s’était donné pour objectif la reconduite volontaire ou forcée de … 2700 maliens en 2009 ! Pour information, il convient de savoir qu’aux dires même de l’AME, les reconduits étaient 479 entre le 01/01 et le 30/11/2007 et 351 entre le 01/01 et le 30/11/2008.
  • interpellation récente du Ministre des Maliens de l’Extérieur par un député d’opposition qui annonce le chiffre de 45 rapatriements forcés par mois en moyenne depuis le début de l’année, ce que le ministre conteste en parlant de 10 par mois (et de 21 par mois en 2008).
  • la presse d’opposition et la presse militante développent de plus en plus souvent des arguments simplistes à l’encontre de la France et parlent de “chasse aux immigrés”.
  • et très récemment, l’affaire des dix maliens dont Air France a refusé l’embarquement parce qu’ils n’étaient en possession que d’un récépissé de demande de titre de séjour, ce qui a entraîné une vive réaction du ministre des transports et une « interpellation » du responsable d’Air France, laquelle « interpellation » devenait dès le lendemain une « courtoise demande d’explications ».

Et en France ? En France, le débat est largement conduit par la CIMADE, ce qui explique un peu l’acharnement du Ministre de l’Immigration à ne pas vouloir la laisser seule sur le terrain. Elle s’attache avec excellence à son rôle de soutien, aide et compassion à tous ceux qui n’ont ni toit, ni travail et qui risquent l’expulsion. Mais a t-elle raison de refuser en bloc toute la politique européenne d’immigration en parlant de vision utilitariste et sécuritaire de l’immigration ? Ne peut-on distinguer fermement les deux volets et être intransigeant sur le volet humanitaire (centres de transit, liberté de circulation, droits élémentaires… ) afin d’être plus ouvert sur le volet “politique” ? Ne peut-on souhaiter un développement d’une immigration enrichissante pour l’un et pour l’autre, qu’elle soit professionnelle, scolaire, éducative ou familiale ? Pourquoi poser un a-priori selon lequel cette immigration ne saurait que favoriser la fuite des cerveaux ? Pourquoi affirmer (sans preuves convaincantes) que le développement d’un pays n’entraîne pas une diminution de ses migrants ? Pourquoi accuser les essais d’organisation et de facilitation des transferts financiers par les migrants, de tentatives de spoliation d’une manne alléchante ?

La Cimade a un discours humanitaire intéressant, elle prône ouvertement un monde sans frontières, mais fait-on une politique avec une espérance dont la réalisation n’est pas pour demain ?

Les migrants eux-mêmes affirment que « les gens ne quittent pas leur pays par plaisir, mais pour la plupart parce qu’ils y sont contraints pour vivre ou survivre ou faire survivre leurs proches ».

Alors que la crise fait déjà chuter dramatiquement les transferts de fonds vers les pays d’origine, alors que la crise entraîne la suppression des emplois par milliers, ne serait-il pas raisonnable d’aborder la question de l’immigration avec moins de parti pris mais plus de pédagogie et plus d’humanité de part et d’autre ?

Carte des routes d’émigration africaine vers l’Europe (C)Frankfurter Allgemeine Zeitung

Une petite biblio pour conclure, qui s’ajoute à des références déjà citées ici (Les-migrations-du-Mali-vers-la-France) :

Le rapport de la CIMADE: (http://medias.lemonde.fr/mmpub/edt/doc/20090619/1208739_f01e_edl.pdf)

Le pacte européen sur l’immigration: (http://www.eu2008.fr/webdav/site/PFUE/shared/import/1015_conseil_europeen/Pacte_europeen_sur_l_immigration_et_l_asile_FR.pdf)

L’intégration économique des migrants: (http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000739/0000.pdf)

Et puis un site avec un point de vue intéressant à propos du “discours” sur et autour de la question de l’immigration: l’Institut Panos: (http://www.panosparis.org/fr/migrations.php)

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Mali

La pluie du 12 mai …

La lecture attentive des titres de la quasi vingtaine de quotidiens édités à Bamako réserve parfois des surprises. Voici un article publié dans “Le Soir de Bamako” en date du 14 mai. Il relate avec un certain humour (mais également quelques inquiétudes sanitaires) le comportement de la population qui se débarrasse de ses ordures en profitant du grand lavage qu’une violente pluie provoque inévitablement.

Tout est dit dans cet article: la pauvreté, l’absence d’une structure administrative minimale, l’absence de service d’assainissement, la débrouillardise des populations, les risques sanitaires et environnementaux, …je vous laisse lire et juger.

Dans la nuit du 12 Mai 2009, une forte pluie s’est abattue sur Bamako. Ce qui a mis certains quartiers en liesse. Les populations du quartier de Sokorodji, situé à l’Est de la Commune VI (un quartier à majorité pauvre) ne sont demeurées en reste, qui ont poussé un ouf de soulagement. Comme pour dire que la pluie a bien fait l’affaire des ordures ménagères. A ce sujet, la fête n’a pas été n’importe quelle fête : en effet, c’était une fête pour pouvoir déverser les ordures ménagères dans les fosses septiques, afin que l’eau les entraînent au loin. Mais pourquoi la venue de cette pluie a-t-elle été salutaire pour ce quartier, tout comme pour bien d’autres quartiers du genre, du reste ?
Dans un quartier à majorité pauvre comme Sokorodji, l’accès aux services d’assainissement des GIE (Groupements d’Intérêt Economique) n’est pas chose facile. Aussi, pour évacuer leurs ordures, certains familles ne voient d’autre solution que de les stocker devant leurs portes respectives et d’attendre… l’arrivée des pluies. Une arrivée de pluie qui a donc plongé les populations de Sokorodji comme dans une gourde de miel, cette nuit du 12 Mai.
Pourquoi un tel comportement? Ces ordures versées dans des fosses septiques n’ont elles pas des effets néfastes sur la santé des familles? En tout cas, tout a commencé dès que certaines familles ont pressenti l’arrivée des orages. Aussi se préparèrent-elles activement pour… la sale besogne. Et l’on entendait certaines femmes intimer à d’autres de ramasser leurs ordures et… les verser dans les fosses septiques, parce qu’on a annoncé l’arrivée des pluies ! Par contre, d’autres familles attendent l’arrivée des vraies pluies, c’est-à-dire les hivernales.
En fait, c’est aux environs de 21 heures, au moment où, dans certains quartiers de Bamako, les gens restent chez eux, que d’autres se donnent rendez-vous dans les fosses septiques. C’est ainsi qu’aux alentours du marché jusqu’au pont de Dougoutiguila, les fosses septiques étaient envahies par leurs propriétaires respectifs, devant les portes.
On y notait la présence de femmes, d’enfants, et même de vieillards, portant chacun un seau rempli d’ordures. et tous étaient si sales qu’on ne pouvait faire la différence. Certaines femmes s’activaient, presque nues, sous cette pluie battante. Personne ne se sentait gêné par l’autre, puisque chacun faisait la même chose. Bien au contraire, c’était une véritable solidarité active entre gens de Sokorodji.
Le plus étonnant dans tout cela, c’est que ce vieux quartier serait le quartier le plus musulman de la Commune VI. Il est pourtant dit, dans le Saint Coran, qu’un musulman ne doit pas déranger son prochain. Mais ces actes ne constituent-ils pas un vrai dérangement pour certains?
Tout laisse penser que ce quartier est victime de son propre destin. Car c’est le quartier qui inquiète le plus les dirigeants politiques au moment des élections, parce qu’à l’instar d’autres quartiers (il faut le reconnaître), tout y est évalué en argent, achat de conscience, fraude électorale ou autres.
Sokorodji et Djanéguéla sont surtout les seuls quartiers à ne pas disposer de Mairie, en Commune VI. Quand on n’a pas une administration propre à assurer la gestion communale, les conséquences vont au détriment de la population. Et la population de Sokorodji en est victime., parce qu’elle ignore les conséquences de ces ordures. Que fait donc le service de l’assainissement de la Commune VI ? Est-ce à dire qu’il n’est pas au courant de ses malveillances?
Ce matin (13 Mai), ces fosses septiques ont toutes stagné. Le plus alarmant, c’est l’inondation totale d’une famille voisine de l’endroit où sont déversées les ordures. Certains habitants (tout en désirant garder l’anonymat) sont allés jusqu’à déclarer que l’arrivée de cette pluie a été une aubaine, puisque beaucoup d’habitants ne disposent pas de moyens pour payer des charretiers ou les GIE. Quel est donc le rôle de la Mairie?…

Le ministre de l’Environnement et de l’Assainissement est donc interpellé, car le cas de Sokorodji ne doit en aucune façon se répercuter dans les autres quartiers.“

Adégné Dolo (Stagiaire)
Daoudabougou, la collecte des ordures … par temps sec
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Mali

Sumaya

Sumaya, en bambara, c’est le paludisme (Le-Mali-enregistre-un-taux-d-incidence-de-paludisme-de-191-pour-1000). Le Mali a ceci de bien et de fort honnête, c’est qu’il n’hésite pas à publier les statistiques les plus précises. Encore aujourd’hui, c’est le paludisme qui en est l’objet. Le Ministre malien de la santé nous informe que les cas de paludisme recensés en 2008 ont été au nombre de 1.012.730, représentant quelques 37,5% des motifs de consultation dans les centres de santé et, malheureusement, la première cause de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans.

Le paludisme au Mali a tué 227 fois en 2008.

Pour mémoire, en 2005, 962.706 cas avaient été comptabilisés (36% des consultations).

Tanzanie 2006-Contrôle des moustiquaires (C)John Stanmeyer

“Combattre le sida, le paludisme et d’autres maladies”, cela constitue le 6° des Objectifs du Millénaire pour le Développement, plus précisément la Cible 10: « d’ici à 2015, enrayer la progression du paludisme ».

Dans son rapport de mars 2009, le PNUD Mali (Programme des Nations-Unies pour le Développement) estime que la diminution du nombre de cas de paludisme fait partie des “scénarios tendanciels très pessimistes à l’horizon 2015″.

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Développement solidaire

Faut-il mettre un terme à l’aide à l’Afrique ?

Illustrant un récent supplément du Monde consacré à la “Consommation durable”, ce beau dessin de Cagnat cherche à illustrer une thèse récente développée par les décroissants: il nous faut consommer local.

(C) Cagnat

C’est ainsi que le premier maraîcher illustré est originaire de la Sarthe et nous propose des panais et des topinambours, alors que ses voisins offrent à la vente des ananas de Côte d’Ivoire, des pamplemousses des Bahamas, des mangues du Pérou, des bananes de Martinique, du raisin de Sicile, …

Même si cette théorie semble positive du point de vue de l’impact carbone que nos consommations peuvent engendrer, elle n’en demeure pas moins difficile à manier, voire dangereuse. Tout d’abord, rappelons que la Martinique est un département français et que ne plus consommer ses bananes, c’est probablement la priver de revenus non négligeables. Dire cela, c’est cependant accepter qu’il peut en aller différemment avec les productions agricoles des pays étrangers à la France. Cela n’est qu’une forme de protectionnisme.

Et d’ailleurs, pourquoi s’arrêter à nos consommations de fruits et légumes ? Le même raisonnement peut s’appliquer à d’autres ressources. Pourquoi importer du coton du Mali ou d’Egypte alors que l’on peut développer la culture du lin dans les plaines du nord ?

Dans des pays qui ont des économies difficiles, nous ne ferons qu’introduire un peu plus d’instabilité. D’autant plus qu’à l’inverse nous continuerons de leur vendre nos productions, voire même nos produits agricoles. Encore une fois, la décroissance ne saurait se résumer à une somme de comportements individuels totalement déconnectés d’une démarche politique et économique globale. Sur le point précis de la consommation alimentaire, il serait déjà bien de n’acheter que les produits régionaux quand des productions identiques parviennent du bout du monde. En clair, privilégier les fraises de France aux fraises d’Espagne, les poires de France aux poires d’Argentine, l’agneau de France à l’agneau de Nouvelle-Zélande. Mais, de grâce, continuons à manger des oranges, des pamplemousses, des mangues et des papayes, à boire thé et café, …

Revenons à l’Afrique qui fait l’objet de notre titre. La crise engendre une multitude de réflexions et d’analyses. Mais le G20 a t-il abordé les questions de la croissance des pays pauvres et de la lutte contre la pauvreté ?

Dans un livre passionnant “Le Monde d’après. Une crise sans précédent” (Ed. Plon), Mathieu Pigasse et Gilles Finchelstein s’essaient à dessiner ce que sera le nouveau monde. Les BRICO’s (Brésil, Russie, Inde, Chine et Other’s) y joueront un rôle premier. Les Other’s sont la Turquie, le Mexique, l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Indonésie, le Vietnam. Ils joueront un rôle premier parce que dès cette année, ce n’est que chez eux que se concentrera la croissance économique. Parce que d’ici 2025, ce n’est que chez eux que se concentrera la croissance de la population. Et parce que dès à présent, ils acquièrent la technologie. A l’exception du Nigeria (et de l’Afrique du Sud, cas plus particulier), nous n’y voyons pas l’Afrique Noire.

Plus récemment, le 16 avril, Le Monde (toujours) a organisé une confrontation entre Thérèse Delpech, Directrice des Affaires Economiques au CEA, et François Heisbourg, Directeur de l’International Institute for Strategic Studies of London, sur la thématique suivante: “Penser le monde de l’après-crise“. A la question “Quels sont les perdants évidents de la crise ?”, François Heisbourg cite une première catégorie de petits pays très exposés qui ont joué un grand rôle dans la mondialisation: Singapour, Taïwan, Dubaï, Irlande, les petits pays de la nouvelle Europe, … Puis un second groupe des grands monoproducteurs peuplés: Russie, Iran, Venezuela (on retrouve là ce que certains ont appelé les “pétro-oligarches”). Enfin, la troisième catégorie est celle des grands pays très peuplés et, déjà auparavant, très vulnérables: Egypte, Algérie, … Là encore, nous n’y voyons pas l’Afrique Noire.

Alors débattre d’un certain discours qui ne mérite ni éloges, ni opprobre, est vraiment à coté de la plaque ! Il y a longtemps que l’Afrique Noire est mal partie (René Dumont 1962) et il est certain aujourd’hui qu’elle n’est pas entrée dans l’histoire moderne, qu’elle est la laissée-pour-compte d’une économie mondialisée, d’un monde dont tous les liens s’interpénètrent. En voulez-vous la preuve ?

L’école d’engineering suisse ZHAW a réalisé une animation représentant tous les vols aériens internationaux de notre planète au cours d’une journée de 24 heures. Même si l’on peut débattre de l’intérêt de chacun de ces vols, il n’en demeure pas moins qu’ils représentent des échanges de personnes, managers ou touristes, des échanges d’idées, des échanges de marchandises. Force est de constater que l’Afrique Noire en est exclue.

Une preuve encore ? Cette carte représente la capacité des câbles sous-marins installés sur la planète à usage des télécommunications.

Carte des câbles sous-marins

C’est incroyable comme ces deux cartes sont superposables !! Là encore, l’Afrique noire est exclue.

Alors quand une économiste publie un livre intitulé “Dead Aid: Why Aid Is Not Working and How There Is a Better Way for Africa » que l’on peut traduire par “Pourquoi l’aide n’est pas opérante et comment y a t-il une meilleure voie”, on dresse l’oreille. Quand cette économiste de Goldman Sachs, ancienne consultante de la Banque Mondiale, née en Tanzanie, diplômée d’Oxford et d’Harvard, soutient que l’aide alimente la corruption et empêche le tissu économique de se développer et qu’il faut couper radicalement l’aide d’ici à cinq ans, on en reste le souffle court. Dambisa Moyo développe une argumentation solide prenant pour exemple deux pays (les seuls) à ne pas ou ne plus dépendre exclusivement de l’aide: Afrique du Sud et Botswana. Mais pour cela, il faut mettre en place une administration démocratique, créer des institutions solides, encourager le commerce, l’investissement et la création d’emplois, …

Attendons une traduction française, mais il est curieux de constater que les premiers adversaires de ces thèses soient des “professionnels” de l’aide et notamment Bono (U2).