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Développement solidaire

Faut-il mettre un terme à l’aide à l’Afrique ?

Illustrant un récent supplément du Monde consacré à la “Consommation durable”, ce beau dessin de Cagnat cherche à illustrer une thèse récente développée par les décroissants: il nous faut consommer local.

(C) Cagnat

C’est ainsi que le premier maraîcher illustré est originaire de la Sarthe et nous propose des panais et des topinambours, alors que ses voisins offrent à la vente des ananas de Côte d’Ivoire, des pamplemousses des Bahamas, des mangues du Pérou, des bananes de Martinique, du raisin de Sicile, …

Même si cette théorie semble positive du point de vue de l’impact carbone que nos consommations peuvent engendrer, elle n’en demeure pas moins difficile à manier, voire dangereuse. Tout d’abord, rappelons que la Martinique est un département français et que ne plus consommer ses bananes, c’est probablement la priver de revenus non négligeables. Dire cela, c’est cependant accepter qu’il peut en aller différemment avec les productions agricoles des pays étrangers à la France. Cela n’est qu’une forme de protectionnisme.

Et d’ailleurs, pourquoi s’arrêter à nos consommations de fruits et légumes ? Le même raisonnement peut s’appliquer à d’autres ressources. Pourquoi importer du coton du Mali ou d’Egypte alors que l’on peut développer la culture du lin dans les plaines du nord ?

Dans des pays qui ont des économies difficiles, nous ne ferons qu’introduire un peu plus d’instabilité. D’autant plus qu’à l’inverse nous continuerons de leur vendre nos productions, voire même nos produits agricoles. Encore une fois, la décroissance ne saurait se résumer à une somme de comportements individuels totalement déconnectés d’une démarche politique et économique globale. Sur le point précis de la consommation alimentaire, il serait déjà bien de n’acheter que les produits régionaux quand des productions identiques parviennent du bout du monde. En clair, privilégier les fraises de France aux fraises d’Espagne, les poires de France aux poires d’Argentine, l’agneau de France à l’agneau de Nouvelle-Zélande. Mais, de grâce, continuons à manger des oranges, des pamplemousses, des mangues et des papayes, à boire thé et café, …

Revenons à l’Afrique qui fait l’objet de notre titre. La crise engendre une multitude de réflexions et d’analyses. Mais le G20 a t-il abordé les questions de la croissance des pays pauvres et de la lutte contre la pauvreté ?

Dans un livre passionnant “Le Monde d’après. Une crise sans précédent” (Ed. Plon), Mathieu Pigasse et Gilles Finchelstein s’essaient à dessiner ce que sera le nouveau monde. Les BRICO’s (Brésil, Russie, Inde, Chine et Other’s) y joueront un rôle premier. Les Other’s sont la Turquie, le Mexique, l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’Indonésie, le Vietnam. Ils joueront un rôle premier parce que dès cette année, ce n’est que chez eux que se concentrera la croissance économique. Parce que d’ici 2025, ce n’est que chez eux que se concentrera la croissance de la population. Et parce que dès à présent, ils acquièrent la technologie. A l’exception du Nigeria (et de l’Afrique du Sud, cas plus particulier), nous n’y voyons pas l’Afrique Noire.

Plus récemment, le 16 avril, Le Monde (toujours) a organisé une confrontation entre Thérèse Delpech, Directrice des Affaires Economiques au CEA, et François Heisbourg, Directeur de l’International Institute for Strategic Studies of London, sur la thématique suivante: “Penser le monde de l’après-crise“. A la question “Quels sont les perdants évidents de la crise ?”, François Heisbourg cite une première catégorie de petits pays très exposés qui ont joué un grand rôle dans la mondialisation: Singapour, Taïwan, Dubaï, Irlande, les petits pays de la nouvelle Europe, … Puis un second groupe des grands monoproducteurs peuplés: Russie, Iran, Venezuela (on retrouve là ce que certains ont appelé les “pétro-oligarches”). Enfin, la troisième catégorie est celle des grands pays très peuplés et, déjà auparavant, très vulnérables: Egypte, Algérie, … Là encore, nous n’y voyons pas l’Afrique Noire.

Alors débattre d’un certain discours qui ne mérite ni éloges, ni opprobre, est vraiment à coté de la plaque ! Il y a longtemps que l’Afrique Noire est mal partie (René Dumont 1962) et il est certain aujourd’hui qu’elle n’est pas entrée dans l’histoire moderne, qu’elle est la laissée-pour-compte d’une économie mondialisée, d’un monde dont tous les liens s’interpénètrent. En voulez-vous la preuve ?

L’école d’engineering suisse ZHAW a réalisé une animation représentant tous les vols aériens internationaux de notre planète au cours d’une journée de 24 heures. Même si l’on peut débattre de l’intérêt de chacun de ces vols, il n’en demeure pas moins qu’ils représentent des échanges de personnes, managers ou touristes, des échanges d’idées, des échanges de marchandises. Force est de constater que l’Afrique Noire en est exclue.

Une preuve encore ? Cette carte représente la capacité des câbles sous-marins installés sur la planète à usage des télécommunications.

Carte des câbles sous-marins

C’est incroyable comme ces deux cartes sont superposables !! Là encore, l’Afrique noire est exclue.

Alors quand une économiste publie un livre intitulé “Dead Aid: Why Aid Is Not Working and How There Is a Better Way for Africa » que l’on peut traduire par “Pourquoi l’aide n’est pas opérante et comment y a t-il une meilleure voie”, on dresse l’oreille. Quand cette économiste de Goldman Sachs, ancienne consultante de la Banque Mondiale, née en Tanzanie, diplômée d’Oxford et d’Harvard, soutient que l’aide alimente la corruption et empêche le tissu économique de se développer et qu’il faut couper radicalement l’aide d’ici à cinq ans, on en reste le souffle court. Dambisa Moyo développe une argumentation solide prenant pour exemple deux pays (les seuls) à ne pas ou ne plus dépendre exclusivement de l’aide: Afrique du Sud et Botswana. Mais pour cela, il faut mettre en place une administration démocratique, créer des institutions solides, encourager le commerce, l’investissement et la création d’emplois, …

Attendons une traduction française, mais il est curieux de constater que les premiers adversaires de ces thèses soient des “professionnels” de l’aide et notamment Bono (U2).

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