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A Cœur Joie Patrimoine

La chorale « A Cœur Joie » de Saint-Marcellin, un laboratoire social encore vivant

Avant de découvrir ce qu’a été la chorale « A Cœur Joie » pour la ville de Saint-Marcellin (Isère), il n’est pas inutile de faire connaissance avec César Geoffray et son épouse Mido (de son vrai nom Marie Prudhon). César Geoffray est l’inventeur, puis le zélé promoteur, du chant choral avant la Seconde Guerre mondiale. Mais il est surtout connu et admiré pour avoir créé un mouvement international, toujours en activité, qui se nomme « A Cœur Joie ». Des centaines de chorales ont vu le jour, de par tout le monde francophone, tout de suite après la fin de la guerre. A Saint-Marcellin a fleuri l’une d’elles, parmi les toutes premières, sous l’impulsion d’Alfred Gelas et de son épouse, dès 1947.

Le couple Gelas vous est déjà connu puisque c’est lui qui est à l’origine de la maison du Bateau Ivre, réalisée par le collectif d’artistes Véra Szekely, Pierre Szekely et André Borderie, à Saint-Marcellin entre 1954 et 1956. Pour (re)découvrir l’histoire de cette maison, reportez-vous à la « Chronique du Bateau Ivre de Saint-Marcellin « . C’est sous le nom de « Jeunesse et Joie » que nait cette chorale constituée d’une douzaine de choristes en début d’année 1947, avant de rapidement s’étoffer. 1948 est son vrai début, avec des prises de rendez-vous régulières qui vont se perpétuer d’année en année: Gala annuel avec la Lyre de Saint-Marcellin, Concert Annuel, Rassemblements des chorales régionales, Coupe de la Joie, etc …

A partir de 1951, la Chorale se double d’un « Centre d’Information Populaire » qui propose des ateliers de réflexion et de sensibilisation sur des thèmes sociaux de grande importance à la sortie de la période douloureuse de la guerre. En avril est organisé à Saint-Marcellin un court festival nommé « Art et Chant » au cours duquel sont présentés une exposition d’art contemporain regroupant des œuvres d’artistes tels que Albert Gleizes, André Lhote, André Cottavoz, Alfred Manessier, …. les céramiques de Jean Austruy, les reliures de Denise Bernard et une collection d’objets traditionnels dauphinois. La chorale abandonne définitivement son nom de « Jeunesse et Joie » pour celui de « A Cœur Joie » à la toute fin de 1952.

La chorale « A Cœur Joie » dans les bras de Fred Gelas

En 1953 naissent les Choralies de Vaison-la-Romaine, des choralies qui existent encore, tous les trois ans, puisqu’elles ont tenu leur 25° édition au mois d’août 2025. Non seulement la chorale de Saint-Marcellin s’y investit par le chant, mais Fred Gelas y tient un atelier consacré à la « politique du chant choral » et Monique Gelas anime une garderie pour la petite enfance. Les années suivantes sont caractérisées par des échanges internationaux, puis par une participation régulière aux Journées Commerciales de Vienne, puis à c elles de Saint-Marcellin. Un bulletin interne est créé, fin 1955, qui porte le nom de « Scherzo » et qui ne durera que pendant sept numéros. La chorale poursuit sa vie sur ce rythme trépidant jusqu’en 1960, soit pendant près de quatorze ans, avant de s’endormir quelque peu. Elle reprend forme en 1969-70, avant de se diviser quelques années plus tard en différents chœurs plus ou moins spécialisés par âges, par sexes ou par répertoires, des chœurs qui prennent leur envol dans les années « 80 » et qui existent pratiquement tous encore aujourd’hui.

Outre « Scherzo », Fred et Monique Gelas (probablement surtout Monique !) ont été porteurs d’un journal national du mouvement « A Cœur Joie ». Il s’agit de « Chante et Ris, journal des enfants A Cœur Joie ». Le premier numéro parait en janvier 1964, il est destiné aux enfants des chanteries qui étaient proches d’une centaine en France et qui regroupaient près de 2500 enfants. Le dernier numéro (le N° 170 !) est publié fin 1998, après 35 ans de vie. Pendant ces 35 années, Fred et Monique Gelas en ont été les rédacteurs en chef, à de rares exceptions près, tandis que Pierre Ballouhey, illustrateur et caricaturiste de Saint-Marcellin, en a été longtemps le dessinateur.

« A Cœur Joie », sa chorale, son Centre d’Information Populaire, ont joué un rôle considérable sur la ville de Saint-Marcellin. Entre 1947 et 1960, ce sont plus de 150 personnes que l’on peut identifier comme ayant participé au chœur et à la vie de l’association, majoritairement des femmes, et qui ont laissé une trace dans la vie sociale, non seulement de Saint-Marcellin, mais également de Chatte, de Saint-Sauveur, de Saint-Vérand, .. Leurs noms se retrouvent en de très nombreuses circonstances lors d’actions culturelles, économiques, sociales, syndicales, municipales, ainsi que dans la vie de nombreuse autres associations.

Toute l’histoire de la chorale « A Cœur Joie » vous est proposée en téléchargement ici, et en version .pdf. Elle reprend le rapide résumé ci-avant, et le développe tant au point de vue du calendrier des évènements, qu’à celui des engagements de l’association, de ses choix culturels et de son rayonnement dans notre ville, le tout sous trente pages. Bonne lecture !

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Bateau Ivre

Chronique du Bateau Ivre, de Saint-Marcellin. Chapitre trois

La naissance du Bateau Ivre

Au cours de la première moitié des années 50, les Gelas envisagent de quitter la maison qu’ils habitent Avenue du Vercors (devenue récemment rue des Charbonnières) et, pour cela, acquièrent un terrain situé au nord de Saint-Marcellin, sur la route conduisant à Saint-Vérand et, au-delà, à Lyon par le Col de Toutes-Aures. Le quartier est pratiquement vide de construction. Le terrain choisi n’est pas du meilleur aloi, puisqu’il est en zone inondable, ce qui, à l’époque, ne devait pas être un argument majeur s’opposant à la construction. Aujourd’hui, ce quartier regroupe de nombreuses villas, ainsi que les établissements scolaires du secondaire, lycée et collège. L’avenue qui le parcourt se nomme avenue de la Saulaie.

La suite est racontée par Daniel Léger dans son précieux ouvrage « Vera Székely-Traces », publié en 2016 aux Editions Bernard Chauveau (1). Nous reprenons le mot-à-mot de l’auteur qui dit répéter ce que Monique et Fred Gelas lui ont conté. Nous confronterons ce récit à la réalité de certains documents, notamment des permis de construire et nous tenterons d’harmoniser les deux histoires.

« Je débute par l’historique du Bateau Ivre conté par les époux Gelas, Monique et Fred. Alfred consacre ses loisirs à sa chorale « A Cœur Joie » à Saint-Marcellin ; il en est le chef de chœur. Le premier rassemblement du mouvement « A Cœur Joie » se déroule en 1950 à Chamarande sous le nom de « Cham50 ». Devant son succès, les organisateurs cherchent un lieu permettant de rassembler tous les trois ans un nombre conséquent de choristes venus du monde entier. Ce sera à Vaison-la-Romaine dans le Vaucluse, en 1953, que naissent les Choralies. Et c’est précisément par cette naissance que va poindre le Bateau Ivre.

« Dès cette première édition, le fondateur-musicien César Geoffray, ayant vécu dix ans au sein de la communauté rurale et idéaliste « Moly-Sabata » d’Albert Gleizes et Anne Dangar, souhaite la présence de différents ateliers artistiques, et contrairement à de nos jours, non uniquement axés sur la musique. Il en est même sur la géographie, la nature, la langue d’Oc ; la liste est longue de quarante ateliers dirigés par quarante intervenants. Fred Gelas dirige le sien, « Politique du chant choral », pendant que son épouse, Monique, baby boom oblige, crée de toutes pièces une garderie petite enfance salutaire pour les participants, en majorité jeunes parents…

« Il est un atelier isolé sur un quai désaffecté de la gare que Monique suit assidûment. Sous le vocable de « Forme », André Borderie y expose les principes d’une architecture nouvelle.(…) Subjuguée par ses théories avancées, Monique lui propose d’aller examiner un terrain, alors en pleine campagne, à Saint-Marcellin, sur lequel son mari et elle souhaitent faire construire leur maison, sans avoir trouvé aucun projet les satisfaisant. Inutile de préciser que leurs aspirations allaient sans hésitation vers la modernité, à l’époque baptisée « étrangeté » par beaucoup. André Borderie ayant vu le terrain en question, les époux Gelas se rendent à Bures-sur-Yvette où Pierre et Vera Székely les reçoivent ».

Avant de découvrir qui sont André Borderie, Vera et Pierre Székely, jetons un regard sur la naissance d’« une » maison pour les Gelas.

Le 22 janvier 1954 (soit postérieurement aux premières Choralies de Vaison-la-Romaine), Alfred Gelas dépose une demande de permis de construire auprès de la Ville de Saint-Marcellin, portant sur une maison dont les plans dessinés par Jean-Marc Grange, architecte à Tassin-la-Demi-Lune (Rhône), sont datés du 19 janvier 1954. Il s’agit d’une maison d’allure hyper-classique, constituée d’un rez-de-chaussée surélevé (trois-cinq marches) sans doute en raison du risque d’inondation et d’un étage couvert d’un toit à double pente. La base de la maison est un rectangle de 11,40 m X 9,50 m (2).


Plan de situation du 1er projet de construction d’une maison d’habitation – Janvier 1954 Archives Municipales Saint-Marcellin – Droits réservés
Dessins des façades du 1er projet de 1954 – Archives Municipales de Saint-Marcellin – Droits réservés

Un second permis de construire, relatif au projet proposé par André Borderie, Vera et Pierre Székely, signé par Louis Babinet, architecte, est déposé le 23 mars 1955, soit près de deux ans après la première rencontre entre Monique Gelas et André Borderie. De nature totalement différente du précédent, il est accordé par la Ville de Saint-Marcellin le 29 avril 1955, sous le N° 13342 (2). Le chantier est déclaré ouvert le 24 mai 1955 et achevé le 16 août 1955. Le certificat de conformité n’est délivré que le 11 décembre 1956. Sauf à considérer qu’entre le premier permis de construire et le second permis de construire, le chantier ait déjà été ouvert, nous pouvons noter d’une part l’extrême célérité de la construction (moins de trois mois!), et d’autre part le long délai imparti avant que soit délivrée l’attestation de conformité (plus d’un an!) (2). La maison du Bateau Ivre est née.

Façade sud du second projet, celui du Bateau Ivre – Archives Municipales de Saint-Marcellin – Droits réservés
Plan de la maison du Bateau Ivre – Droits réservés

Pour l’anecdote, le couple Gelas a fait, plus de dix ans plus tard, une autre demande de permis de construire pour une extension située sur le toit de la maison, afin d’en faire un bureau. Le dossier, instruit par l’architecte Henri Mouette, associé aux Székely, déposé le 6 mai 1967, a reçu un avis favorable du maire le 9 mai 1967. Il a été transmis à l’architecte des Bâtiments de France, par la DDE, le 5 juillet 1967, et a reçu un avis défavorable le 7 juillet 1967 « considérant que les travaux envisagés sont de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants ». En conséquence, la DDE refuse le permis de construire le 26 juillet 1967, et le maire, Paul Picard, rejette la demande de permis de construire le 1er août 1967 (3). Il est permis de s’interroger sur « l’atteinte au caractère des lieux avoisinants », surtout de la part d’un architecte des Bâtiments de France.

Projet d’extension sur le toit (refusé) – Mai 1967 – Archives Municipales de Saint-Marcellin – Droits réservés

  • 1 – Daniel Léger – Vera Székely-Traces – Ed. Bernard Chauveau 2016
  • 2 – Archives Municipales de Saint-Marcellin – Permis de construire – 41W472
  • 3 – Archives Municipales de Saint-Marcellin – Permis de construire – 41W472

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