Catégories
Culture Patrimoine

Les derniers écrits de Paul Berret (1)


Issu d’une famille de gens de robe établie à Saint-Marcellin, enseignant, écrivain, historien du Dauphiné, conférencier, Paul Berret est un spécialiste de Victor Hugo dont il connaît particulièrement La Légende des siècles et Les Châtiments, deux œuvres qui lui ont donné motif à d’importantes éditions critiques. Il a beaucoup écrit au sujet du Dauphiné, sa seconde passion, qu’il étudie en amateur, citant ainsi fréquemment Saint-Marcellin et sa région. Paul Berret est né le 12 avril 1861 à Paris. Il est décédé le 4 septembre 1943 à Saint-Vérand, où il est inhumé.

Quelles sont les références de ses travaux concernant le Dauphiné ?

Ouvrages

– 1903 Contes et légendes du Dauphiné

– 1904 Les Sept Merveilles du Dauphiné

– 1906 Au pays des brûleurs de loups, légendes et contes du Dauphiné

– 1937 Sous le signe des Dauphins

Articles

– « Le Dauphiné des Dauphins », Bulletin de la Société de géographie de Lille, février 1901.

– « Le Dauphiné inconnu », Bulletin de la société normande de géographie, 1er cahier de 1903.

– « Histoire administrative du Dauphiné sous les Dauphins », Le Bassin du Rhône, 1re année, n° 2, novembre 1909.

– « Victor Hugo et le Dauphiné, une source des Misérables », Les Humanités – classe de grammaire, 1937.

– « Victor Hugo dans les Alpes et en Dauphiné ‒ discours de réception à l’Académie Delphinale », Bulletin de l’Académie Delphinale, 6e série, t. 8, 1937.

– Plusieurs articles dans la revue (bimensuelle, mensuelle ou bimestrielle selon les époques) Les Alpes : industrie, tourisme, lettres, histoire, dont : « Brûleurs de loups », n° 7, avril 1925 ; « André, fils du Dauphin Humbert II, est-il tombé dans l’Isère du haut de la tour du château de Beauvoir ? », 1927 ; « Saint-Marcellin », 1928 ;  « Meubles dauphinois », n° 55, avril 1929 ; « Le Dauphiné » [compte rendu d’un ouvrage de Robert de la Sizeranne – 1866-1932], n° 56, mai 1929 ; « Le patois en Dauphiné », n° 72, septembre 1930 ; « Saint-Antoine », n° 74, novembre 1930 ; « La comtesse de Die », n° 79, avril-mai 1931 ; « Les femmes de Savoie », n° 83, septembre-octobre 1931.

– Articles dans la presse régionale dauphinoise (La Dépêche dauphinoise, Vie alpine) à la fin de sa vie.

Essai sur les églises de Saint-Véran et Quincivet : série d’articles parue dans l’Écho paroissial de Saint-Vérand en 1937-1938.

Textes littéraires

Le Dauphiné : choix de textes précédés d’une étude, Paris, Laurens, 1922.

Le Siège de Saint-Marcellin (1554-1908), Saint-Marcellin, Imprimerie du Mémorial, 1908 (pièce de vers éditée en brochure).

– 1902 : Le Pays saint-marcellinois : discours prononcé le 31 juillet 1902, Saint-Marcellin, Imprimerie Barbier-Durozier.

(Sources de cet inventaire : http://seebacher.lac.univ-paris-diderot.fr/repertoire/paul-berret

Michel Jolland, et son blog : http://www.masdubarret.com/ )

Paul Berret


Un premier point-de-vue sur Saint-Marcellin

Voici ce que Paul Berret disait de Saint-Marcellin lors d’une conférence publique faite à la Société Normande de Géographie le 30 novembre 1902. Cette conférence a été publiée dans le 1er Cahier de 1903 de cette Société. Les premières publications de Paul Berret, articles de revues ou ouvrages édités, consacrées au thème du Dauphiné datent de 1901 à 1903. Ce texte exprime donc l’un des plus anciens jugements de l’auteur sur la ville-centre de son Dauphiné.

« … Tous les voyageurs ont été frappés, et c’était réel il y a quelque cinquante ans, de l’aspect italien qu’offre Saint-Marcellin, avec ses toits plats de tuiles rouges, ses balcons à terrasse du coté du ravin de la Cumane et ses maisons souvent peintes en gris ou en rose. La ville, aujourd’hui moins bariolée, se présente encore fort avantageusement aux yeux du voyageur, claire, pittoresque et coquettement étagée, quand on l’aperçoit du haut du grand viaduc que traverse le chemin de fer pour y accéder.

Malheureusement, l’aspect intérieur ne vaut pas ce premier panorama. On peut dire qu’il ne reste rien de Saint-Marcellin qui fut le cœur du Dauphiné. Cinq fois prise d’assaut, trois fois brûlée de fond en comble, ravagée par la peste et les démolitions, la ville ne conserve de son passé qu’un clocher de style roman. Mais l’ancien siège du Parlement delphinal n’est plus que l’ombre de lui-même. Qui se douterait à voir ses rues paisibles, à peine peuplées de 3000 habitants, qui se douterait de son ancienne gloire, et que ce fut là, sous Henri IV, que la noblesse de tout le Dauphiné discuta, dans ses Etats-Généraux, le problème de l’impôt individuel ou réel, et obtint du roi cette concession révolutionnaire, qu’il serait perçu sur les terres et non sur les personnes.

De tous ses sièges, Saint-Marcellin n’a gardé que la réputation d’être la ville du Dauphiné où l’on mange le mieux. … »


Paul Berret a-t-il modifié son jugement ?

Paul Berret a terminé sa vie à Saint-Vérand (Isère) où il était propriétaire d’une grosse maison dauphinoise, au Vernas. La dernière famille propriétaire de cette maison est celle de Yves Micheland, lequel nous a remis un texte de Paul Berret. Ce texte est un brouillon d’article consacré à Saint-Marcellin et ses environs. Il est rédigé à la plume, à l’encre violette, en majorité sur des pages volantes d’un carnet (17 X 22 cm). Ces pages sont classées par des lettres (A à Z) et le texte comporte divers renvois.

Nous ignorons si ces notes ont fait l’objet d’une publication, mais cela est peu probable, ainsi qu’en convient son biographe Michel Jolland (cité ci-dessus). Pour mémoire, la dernière apparition publique de Paul Berret date du 14 juillet 1940. Il faut noter que Paul Berret a nécessairement rédigé ce texte moins de huit mois avant son décès. En effet, certains feuillets sont écrits au verso d’un courrier originaire de la Société des Ecrivains Dauphinois, signé de Maurice Caillard, Trésorier, et daté du 10 janvier 1943.

En dernière extrémité de son texte, Paul Berret cite divers évènements dont la chronologie n’est pas respectée et dont l’importance est très variable, ce qui donne à l’ensemble un caractère d’inachevé. Il en est de même de la liste, à l’évidence provisoire, de personnalités dont Paul Berret envisageait de raconter le lien qui les rapprochait de Saint-Marcellin.

Ce texte est donc l’un des derniers, voire le dernier texte rédigé par Paul Berret. L’orthographe des noms propres a été respectée. Quelques vraies fautes (d’accord notamment) ont été corrigées : il s’agit d’un texte préparatoire ! Par contre, les noms de lieux qui, parfois, dissonent d’avec l’appellation actuelle, ont été conservés. Deux mots n’ont pas été transcrits à ce jour en raison de leur écriture difficilement lisible ; ils sont restés entre crochets [ ].

Voici ce texte.

(à suivre)

Catégories
Quartier Saint-Laurent-Saint-Marcellin

Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – VI

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert

V – Un hôtel inséré dans l’économie locale

Robert Faraboz est un éminent collectionneur de cartes postales anciennes et de vieux papiers. A ce titre, il a publié plusieurs ouvrages dont deux compilations de cartes postales anciennes concernant Saint-Marcellin et les environs. Il a cédé à la Ville de Saint-Marcellin de nombreux papiers, dont l’intérêt réel n’est pas toujours évident de prime abord. Il en est ainsi d’un lot de factures adressées par de nombreux commerçants saint-marcellinois à l’hôtel Guttin entre 1905 et 1939, soit depuis les débuts de l’hôtel jusqu’à l’entrée en guerre. Toutes ces factures permettent de témoigner des relations que les Guttin ont nouées avec les commerçants et artisans locaux.

Parmi plus d’une cinquantaine de fournisseurs, Emile Monnet se charge de la Mousseline des Alpes en 1924 et du Pernod et du Cointreau en 1937 ; Henri Buisson Fils prend à son compte la livraison de bière et de pommes de terre ; Léon Picot, négociant en vins en gros, briques, tuiles, bois de construction, chaux, ciments, charbon et engrais, fournit le vin rouge de table en 1924 et un Côtes-du-Rhône à 9° en 1932 ; G. Giroud, 2 rue de Chevrières, se charge des oignons, des tomates, et autres légumes en 1925 et 1926 ; l’Etablissement d’Horticulture Guillot Fils livre les fleurs d’ornement pour les jardinières et pour les chemins de table, chaque année entre 1925 et 1933 ; la laiterie Guille, devenue Guille et Vincent, entre 1927 et 1939 est un fournisseur fidèle de lait (330 litres en juillet 1938, 305 litres en mai 1939), de crème et de beurre. Pour sa part, le garage Gsegner, ancienne maison Mandier, agent Renault, de 1926 à 1936, prend en charge l’essence, l’huile, les pneumatiques et toutes les révisions des véhicules de l’hôtel, tout en changeant régulièrement d’exploitant : Edouard Laye, puis M. Vinay. De 1933 à 1938, c’est Jean Rojat, Nouveautés et Confection, à l’angle de la rue de Beauvoir et de la Grande-Rue, qui fournit draps, stores, toile à matelas et laine. En 1936, la quincaillerie Mandier et Rodet assure les recharges de gaz.

Outre ces très nombreuses factures, se trouvent également des reçus justifiant de tel ou tel abonnement, par exemple au « Journal de Saint-Marcellin » pour sept francs entre le 1er mars 1921 et le 28 février 1922, et dix francs entre le 1er mars 1927 et le 28 février 1928. L’adhésion à la Chambre Syndicale de l’Hôtellerie de Grenoble et du département de l’Isère, en 1923, est de quinze francs. La cotisation à la Compagnie des sapeurs-pompiers de Saint-Marcellin est de dix francs en 1924. Le 17 juillet 1931, c’est au Cercle Littéraire que Monsieur Guttin règle la cotisation du second semestre 1931 pour un montant de soixante francs. Le 5 mars 1932, Madame Vve Guttin et son fils cotisent en tant que Membres Honoraires à la Lyre Saint-Marcellinoise pour un somme de quinze francs.

En guise de conclusion du chapitre consacré à l’
« Hôtel de France », et pour souligner l’engagement des Guttin dans la vie sociale de Saint-Marcellin, voici la photographie de la carte d’adhérent de René Guttin à l’association sportive de la Jeanne d’Arc, en 1911, il n’a que 12 ans, mais il fait déjà partie de la communauté saint-marcellinoise.

Carte d’adhérent Jeanne d’Arc – Guttin René – 1909

VI – Hôtel Thomé

Mais qui est Joseph Eloi Thomé , patron de cet hôtel qui s’installe rue Saint-Laurent à une centaine de mètres de l’actuelle place Lacombe-Maloc ? Né à Crépol, dans la Drôme, de Joseph-François Thomé, cultivateur, et de Philomène Anaïsse Finot, le 29 novembre 1880, Joseph Thomé se consacre à la cuisine puisque lors de l’établissement de sa fiche matricule militaire, à l’âge de 20 ans, il est cuisinier à l’Hôtel de l’Europe, à Romans-sur-Isère.

Il est incorporé le 16 novembre 1901 dans le 30° Régiment de Chasseurs à pied, puis le 14° Escadron du Train et renvoyé dans la disponibilité le 5 octobre 1904.

Début 1906, Joseph Thomé est cuisinier de l’« Hôtel de France », mais à Tunis ! Sa fiche matricule le signale à Crépol à la fin de cette même année, mais est-ce que cela signifie qu’il a quitté définitivement la Tunisie ? Ce n’est que le 4 septembre 1909 qu’il est noté comme étant domicilié à l’« Hôtel de France » de Saint-Marcellin, domiciliation confirmée le 19 juillet 1912.

Le 29 mai 1911, il épouse, à Saint-Marcellin, Adeline Pélagie Roche. Il restera encore deux ans à l’« Hôtel de France » puisque la première guerre entraîne sa re-mobilisation à dater du 5 août 1914, immédiatement après le décret de mobilisation générale en date du 1er août 1914. Blessé à deux reprises à Sainte-Marie-aux-Mines et à Bischwiller (Bas-Rhin), toujours demeuré simple soldat, il est démobilisé le 23 février 1919 et se retire à Saint-Marcellin. Sept ans et demi de sa vie auront été consacrés à la défense de notre pays.

A dater de février 1919, Joseph Thomé reprend sa place comme cuisinier de l’« Hôtel de France », et ne la quitte qu’après la démobilisation et le retour à Saint-Marcellin de René Guttin, en novembre 1922.

A quelle date Joseph Thomé ouvre-t-il son hôtel rue Saint-Laurent ? Sans plus de précision, cela se passe entre 1922 et 1926 puisque le recensement de 1926, ainsi que la « liste électorale » de 1931, signalent dans cette rue Saint-Laurent, la présence de Joseph Thomé, hôtelier, de Pélagie Thomé, son épouse et de Pierre Thomé, leur fils unique âgé de 14 ans, car né en 1912. Joseph décède le 6 octobre 1938, il n’a que 57 ans. Son épouse, Pélagie, décède quatre ans plus tard, le 11 octobre 1942, à 53 ans. Ce n’est pas leur fils Pierre qui prend la suite de ses parents à leurs décès puisqu’il est successivement clerc de notaire, assureur et banquier. Par contre, Catherine Vanzo, qu’il a épousé le 26 juin 1936, à Saint-Marcellin, travaille à l’hôtel mais bien peu de temps puisqu’elle décède en 1947, à l’âge de 36 ans.

Elle est la fille de Jean Vanzo et de Margherite Tomasi, tous deux probables immigrés italiens, lui étant employé de la Manufacture de poils pour la chapellerie à Saint-Marcellin. Sur son acte de mariage, Catherine Vanzo est née le 25 juillet 1910 à Gottschee, en Yougoslavie. Gottschee est le nom allemand de la ville de Kočevje, dans l’actuelle Slovénie, car en 1910, la ville à dominante germanophone fait partie de l’Empire austro-hongrois. Ce n’est qu’en 1918 qu’elle est rattachée au Royaume slave de Yougoslavie.

En outre, sur son acte de mariage, Catherine Vanzo est dite domiciliée à Saint-Marcellin et à Solagna, en Italie.

Sur la droite, Joseph Thomé

Cet hôtel se distingue des autres hôtels saint-marcellinois par son parc, largement valorisé par une carte postale de l’époque, un parc situé entre la rue Saint-Laurent et le cours Vallier, ouvert sur les jardins des pépinières Guillot. C’est là que la famille Serf s’installe en juillet 1943, après un bref arrêt à l’« Hôtel de France ». Elle n’y reste pas longtemps puisque la famille Cattot lui loue une villa au 9 de la rue du Mollard, villa qu’elle occupe jusqu’à son retour à Paris, en octobre 1945, avant que leur fille Monique devienne Barbara. (http://francois.faurant.free.fr/biographie/barbara_biographie.htm).

L’hôtel-café-restaurant à l’enseigne « Nouvel Hôtel », ou « Hôtel Thomé » est vendu à René Enfantin, originaire de Saint-Lattier, le 1er juin 1962 (BODACC-16/06/1962-page 11539). Deux ans plus tard, le 1er mai 1964, l’enseigne de l’hôtel est modifiée pour devenir « Hôtel du Parc » (BODACC 1964-page 7663). Ce changement de nom se veut une référence à Vichy, la ville de naissance de l’épouse de René Enfantin. C’est d’ailleurs dans cette ville que René Enfantin décède en décembre 2009. Quant à l’hôtel, il est vendu à la SARL « Hôtel du Parc » le 1er juin 1974.

Contributions et sources

Les références relatives aux informations émises par ce travail sont généralement insérées au fur et à mesure dans le texte.

Les Archives Départementales de l’Isère et les Archives Municipales de Saint-Marcellin (Etat-civil et Cadastre Napoléonien 4P4-411) ont été abondamment mises à contribution.

Une mention très exceptionnelle doit être réservée à Simone Guttin, dernière représentante de la lignée des Guttin, restaurateurs et hôteliers propriétaires de l’« Hôtel de France », laquelle a suivi avec attention et critique l’avancée de notre travail.

Sont à citer également : Catherine Guerry, Marguerite Tomasi, « Gilou » Marchand,

Les membres de Groupe Rempart, association patrimoniale de Saint-Marcellin, sont remerciés des précisions et renseignements apportés lors des interrogations de l’auteur, notamment Marina Bertrand et Marc Ellenberger.

Il est possible de télécharger ici l’ensemble des articles relatifs à cette histoire du quartier Saint-Laurent. Merci de veiller à citer toutes les sources lors de vos travaux.

Jean BRISELET, membre de Groupe Rempart

15 novembre 2024

Catégories
Quartier Saint-Laurent-Saint-Marcellin

Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – V

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

Toujours en 1934, est organisé un « Voyage Printanier d’Information Touristique en Dauphiné ». Sans que l’on sache qui en est l’organisateur initial, il est acquis de les « voyageurs » bénéficient d’un déjeuner offert par la Municipalité et le Syndicat d’Initiative de saint-Marcellin, le 12 juin 1934, à l’Hôtel de France.

Le 5 juillet 1934, presqu’un mois plus tard, le Chicago Daily Tribune publie un reportage consacré au tourisme en France et notamment dans les Alpes, le Dauphiné et la Côte d’Azur. La mention est modeste ; « At the Hôtel de France, at St-Marcellin, René Guttin, the chef de cuisine, prepares a number of delicious dishes, among which is foie gras à la gelée, truite à la Hussarde and fraises Chantilly are worthy of the highest praise », mais elle atteste que le restaurant n’a rien perdu de sa grandeur et que la carte des menus conserve des valeurs sûres.

Le tramway qui faisait halte en face de l’hôtel cesse de fonctionner en 1935. Mis en service le 6 avril 1908 et inauguré presque six mois plus tard, il n’aura rempli son office qu’un peu moins de 27 années. René Guttin est classé dans le Guide Michelin de 1937 avec deux étoiles (« vaut le détour ») pour sa gastronomie.

Le tramway TOD-TDI place Lacombe Maloc. En arrière-plan, ce qui fut l’Hôtel du Palais Royal

Le déclenchement de la guerre 1939-1945 entraîne une nouvelle mobilisation de René Guttin, âgé de 40 ans. Sa fiche matricule ne consacre qu’une ligne mentionnant sa
présence au Dépôt d’Infanterie 143 (T-M-55G/EMA), le 8 janvier 1940. Le 143° est un ancien régiment de réserve dissous en 1924, réactivé à Narbonne le 2 septembre 1939.
La fiche matricule de René Guttin ne fait état d’aucun mouvement, ce qui ne permet pas de dire pendant combien de temps il a du abandonner l’hôtel. Cependant, il semble qu’il n’ait jamais quitté Grenoble avant d’être démobilisé.

René Guttin en 1940 (à droite) – DR

Le 1er juillet 1940, un détachement motorisé allemand s’installe à Saint-Marcellin. Cette occupation est de faible durée puisque de trois jours. Sur réquisition du maire de Saint-Marcellin, Georges Dorly, le commandant et son état-major s’installent à l’« Hôtel de France » pendant que la troupe, quelques 300 hommes, se répartit chez l’habitant. Durant ces trois jours, René Guttin étant encore mobilisé, les officiers vident la cave du champagne et boivent un peu trop de vin, ce qui les conduit à quelques altercations et menaces envers Hortense Guttin. Ils sont heureusement rapidement recadrés par l’Oberleutnant.

1er juillet 1940 – Affichette de l’occupant

Pendant la guerre 1939-1945, quelques citations de l’Hôtel ont été retrouvées dans la presse locale. En septembre 1940, René Guttin fait partie des délégués régionaux du Comité de Ravitaillement des hôteliers et restaurateurs. Le 1er mars 1941, le « Journal de Saint-Marcellin » publie un long article, sur deux colonnes, relatif à la prestation de serment des légionnaires du canton de Saint-Marcellin, réunion qui a eu lieu le dimanche 23 février après un vin d’honneur et un déjeuner à l’Hôtel Guttin.

Entre mars et août 1944, plusieurs centaines de réfugiés en provenance de la région de Toulon sont hébergés dans notre région. Un document manuscrit établi après le 29 novembre 1946 fait le recensement des hébergeurs en ce qui concerne la ville de Saint-Marcellin. L’Hôtel de France, tout comme l’hôtel Thomé, fait partie de cette liste. (Archives municipales 6W31)

A la Libération, c’est le « Cri de la Vallée » qui, à deux reprises, nous fait part de repas organisés à l’Hôtel Guttin ; le 28 décembre 1944, par le Comité de Libération qui y organise un arbre de Noël et un goûter pour les enfants des FFI, des prisonniers, des sinistrés du bombardement, des fusillés du Vercors, et le 5 janvier 1946, par la section des Prisonniers de Saint-Marcellin et Saint-Sauveur qui y organise un arbre de Noël.

Entre 1944 et 1952, Pierre Quoirez, directeur de la CGE-FAE (Fabrique d’Appareillages Electriques) et père de la future Françoise Sagan, prend pension à l’hôtel et mange même à la table familiale lorsque sa famille n’est pas à la Fusilière. Anecdotiquement, Françoise Quoirez-Sagan et Monique Serf-Barbara ont toutes deux fréquenté l’« Hôtel de France » de façon minimale, alors qu’elles vivaient à Saint-Marcellin, mais sans jamais faire connaissance l’une de l’autre.

La fin de la guerre n’apporte pas la reprise attendue, les restrictions alimentaires qui se poursuivent pendant encore de longues années, une grave pneumonie que contracte en 1947 René Guttin sauvé par la toute nouvelle pénicilline, tout cela n’est pas facile à vivre.

Cependant arrivent les années 50 au cours desquelles l’hôtel se refait une façade élégante et assez graphique, proposée par l’architecte de la CGE, comme en témoigne cette carte postale qui a circulé en 1951. Probablement parce qu’elle est jugée trop vétuste, la tour des remparts qui subsistait à l’angle des places Déagent et Lacombe-Maloc est détruite par la municipalité en cette même année 1951, faisant ainsi disparaître l’une des dernières constructions éminemment visibles des remparts de la ville.

Carte postale ayant circulé en 1951

La tour d’angle des remparts, détruite en 1951

Le guide touristique de la MAAIF, Mutuelle Assurance Automobile des Instituteurs de France, une institution qui, à cette époque, dépassait largement le cercle des enseignants, édition de 1955, ne signale pas l’« Hôtel de France » à Saint-Marcellin dans le cadre de ses fiches départementales recensant une sélection des bonnes adresses d’hôtels et de garages. Dans notre région, seul l’hôtel Bonnard, de Pont-en-Royans, est cité.

Et notre histoire a de nouveau rendez-vous avec la tragédie. René Guttin est victime d’un accident de la route en revenant de Valence où il est allé rencontrer son ami Pic, le restaurateur. Les blessures sont légères, mais une crise d’urémie entraîne son décès le 6 juin 1956, âgé seulement de 57 ans et quelques mois. Son épouse Hortense assure la relève, avec sa fille Simone, toutes deux aidées par Simon Ferrier, cuisinier. L’hôtel a gardé son attractivité, mais tout est difficile, à commencer par l’indispensable modernisation de l’établissement dans lequel s’arrêtent Fernandel, Line Renaud, … à la fin des années 50.

Les archives de Saint-Marcellin possèdent une déclaration de mutation du débit de boissons de l’« Hôtel de France », datée du 27 septembre 1963, soit tout de même sept ans après le décès de René, et conclue entre Madame Veuve Guttin Hortense, hôtelière, propriétaire déclarée depuis le 25 juillet 1956, soit immédiatement après le décès de René, et Monique Coppens, née en 1942, et Henriette Coppens veuve Louis, née en 1892 (une tante de Monique), lesquelles assureront l’exploitation de ce débit de boissons à partir du 15 octobre 1963. Cette mutation du débit de boissons peut être étendue à une mutation plus globale de l’ensemble de l’« Hôtel de France », dans la mesure où l’acte de transfert du fonds hôtelier doit se trouver plus vraisemblablement en étude notariale. L’hôtel garde son nom et les nouveaux propriétaires, pour quelques années, sont les Coppens. Puis, il reste longtemps endormi, inutilisé, fermé …

Déclaration de mutation Guttin – Coppens

La place Lacombe-Maloc subit une nouvelle transformation, puisque le bâtiment qui jouxtait et abritait partiellement la distillerie Dutruc, puis l’imprimerie Gillet et Rodon, est détruit en 1971 afin de laisser place à la déviation de la Grande-Rue (RN 92) et à la création du boulevard Beyle-Stendhal. Avant sa destruction, cet immeuble fut la « Villa Bonne » qui abritait le Docteur Louis (Camille) Bonne (né en 1879), son épouse et ses sept enfants dont Louis (Marie Ernest), médecin très connu à Saint-Marcellin où il décède en 1981 (Archives Municipales-Recensement de 1931). Plus tard, entre 1967 et 1970, les appartements de cet immeuble sont transformés en dortoirs de 5-6 lits pour la trentaine d’internes des classes de 6° et 5° du Collège de garçons. Le matin, ainsi qu’aux heures de pause, les « pions » prenaient le café ou se restauraient en face, « chez Guttin » – bien que, on l’a vu, « Guttin » n’était plus « Guttin » depuis 1963.

Bâtiment démoli en 1971 – La porte « Romain Dutruc » se devine

L’Hôtel de France après 1963

A suivre !

Catégories
Quartier Saint-Laurent-Saint-Marcellin

Le faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – IV

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, …ou le gîte et le couvert.

En 1905, selon une carte postale affranchie cette année-là, la devanture de l’hôtel n’a pas changée, par contre l’auvent de toile protégeant la terrasse a été supprimé, les arbustes sont toujours dans les mêmes bacs de bois et le cheval, de blanc, est devenu sombre.

Carte affranchie en 1905

En 1906 (Archives Municipales 1F14), Jules Pierre, patron maître d’hôtel, et Léonie sont recensés, ainsi que René, leur fils, Marguerite Magnan et Marie Mayet, femmes de chambre, et Jean Vicat, cuisinier.

Le 19 mars 1907, Jules Guttin propose un menu toujours fidèle à son savoir-faire. Le carton ne précise pas quelle en est l’occasion, mais … Bouchées à la Reine, Truite du Lac sauce Mousseline, Filet de Bœuf aux Morilles, Poularde de Bresse Périgueux, Cuissot de Chevreuil St-Hubert, Pâté de Lièvre à la Gelée, Asperges en branche, Faisans rôtis à la Broche, Jambon d’York, Glace vanillée, Pièce montée, Dessert varié, le tout accompagné de Chablis, Hermitage, Champagne, Café et Fine Champagne font appel à votre gourmandise. En 1910, le papier à en-tête est au nom de l’Hôtel de France (nouveauté!). Il vante la situation de l’hôtel en face des Postes et Télégraphes et de la station du Tramway. Chauffage central, éclairage électrique, garage, voitures à volonté, omnibus à tous les trains, complètent la description de l’hôtel. Pour réserver ? Téléphone 38 !

Menu du 19 mars 1907

Dans son numéro daté du 1er octobre 1908, la revue bi-mensuelle « Les Alpes Pittoresques » consacre sa couverture et près de six pages à l’inauguration de la section Roybon-Saint-Marcellin du tramway enfin achevé et en service depuis six mois. Est-ce souci d’équilibre, est-ce publicité déguisé, toujours est-il que le journaliste à l’œuvre fait la promotion du restaurant de l’« Hôtel du Petit Paris » ! « Or, voilà l’heure du banquet.(…) Quelques apéritifs à travers les principaux cafés de Saint-Marcellin – au Café Teste (vin blanc supérieur), au Café de la Terrasse, par exemple, etc, etc. – nous ont insensiblement conduits à la salle du banquet, – au rez-de-chaussée de la nouvelle mairie en construction -, où sont dressés plus de 400 couverts. Pendant que les convives souscripteurs prennent place aux longues tables, les autres, les promeneurs, les musiciens, etc, se répandent dans les nombreux restaurants de la ville. Il est certain que ceux qui déjeunent à l’« Hôtel du Petit Paris », entre autres, seront les mieux hébergés, à cause de la réputation culinaire bien justifiée, dont le nom de M. Bonnet, vatel émérite, jouit dans toute la contrée. » Ce n’est que plus d’une page plus loin que nous apprenons, au sujet du banquet officiel, que « Le menu, irréprochable, était servi par l’« Hôtel de France », Guttin propriétaire, et tous les appétits n’ont eu qu’à s’en féliciter. » Le menu était à la hauteur de la réputation de Jules Guttin, et c’est avec satisfaction que l’on note (ce qui est très rare dans ces menus) la présence du fromage de Saint-Marcellin, ainsi que l’offre d’un verre d’Alpine (après le café et le cognac !) par les distilleries Romain Dutruc.

Au cours des années suivantes, après 1908 puisque le Tramway y est suggéré pour se rendre à Saint-Antoine, le Syndicat d’Initiative de Saint-Marcellin édite un livret-guide qui propose au touriste quelques promenades vers les ruines de Beauvoir, les gorges du Nan, les Ecouges, les Grands Goulets et Saint-Antoine. En ce qui concerne l’hébergement hôtelier à Saint-Marcellin, deux hôtels sont recommandés : l’« Hôtel de France » et l’« Hôtel du Petit-Paris ».

1911, peu de changements dans l’aspect de l’hôtel, sinon celui du retour d’un store de terrasse, sur une photographie qui montre les clients et le personnel faisant la pose. Le cheval attend ses passagers et deux voyageurs exhibent leur décapotable. Nombreuses sont les photographies mettant en évidence la présence d’un cheval tirant une berline en vue du transport des clients de l’hôtel vers ou venant de la gare. L’« Hôtel de France » n’a jamais eu de chevaux ; un certain Gratien Marmier était le loueur des voitures à cheval et son écurie se trouvait sur la place Déagent, le recensement de 1901 en fait foi. Lorsque les clients étaient attendus en gare ou devaient s’y rendre, c’est un cocher indépendant qui enfilait la tenue, se coiffait de la casquette « Guttin – Hôtel de France » et se munissait du fouet.

Carte affranchie en 1911

En cette même année 1911, Jules et Léonie sont à nouveau recensés en compagnie de leur fils René, aux cotés de Joseph Thomé, cuisinier, de Marie Chabert et Marie Bérard, femmes de chambre, et de Laurent Pascal, garçon d’hôtel. Joseph Thomé a donc fait ses classes de cuisinier à l’« Hôtel de France » avant d’ouvrir son propre hôtel, à quelques pas, 12 rue Saint-Laurent.

Et puis survient le drame, le 17 février 1913, Jules Pierre Guttin décède de maladie. Il n’a pas 46 ans, il laisse seule son épouse Léonie. Leur fils, René Joseph, vient tout juste d’avoir 13 ans ; il n’est donc pas question qu’il puisse aider sa mère dans l’exploitation de l’hôtel : elle est seule. Et reste seule à diriger l’hôtel pendant près de dix ans, attendant que son fils prenne de l’âge, remplisse ses obligations militaires et lui revienne. Pendant ces dix années de gestion de l’hôtel, Joseph Thomé ne peut guère participer longtemps en cuisine puisqu’il est rappelé au front entre 1914 et 1919. Le temps manque à Léonie pour assurer une promotion de l’hôtel dans les médias de l’époque, d’autant plus que la guerre ne s’y prête pas trop.

Le personnel en novembre 1913 – Joseph Thomé 3° à partir de la gauche – DR

Le recensement de 1921 (Archives Municipales 1F21) note la présence de Léonie, hôtelière patronne, de Léa Fayard et Louise Borgy, domestiques, de Régis Convert, cocher, de Gaston Bagriot, apprenti cuisinier et de deux pensionnaires, Léa Vicat et Jean Scince, receveur des finances. René est absent de l’inventaire, car sous les drapeaux. Son matricule (1165, centre de Bourgoin) précise qu’il est en campagne en Allemagne d’avril 1918 à octobre 1919, puis en Algérie jusqu’en février 1921. En mars, René ne revient pas immédiatement à Saint-Marcellin. On le note à Paris en mai-juin 1922 où il fait un stage au Ritz, puis à Saint-Brice, en Ille et Vilaine, en septembre 1922, et n’est pointé à Saint-Marcellin que le 26 novembre 1922.

Dès son retour à Saint-Marcellin, René Joseph prend la place qui lui revient dans l’exploitation de l’hôtel et en défend l’excellence gastronomique. Le 25 février 1925 est créée une Société en nom collectif par Léonie Michel, veuve de Jules Pierre Guttin, et Joseph René Guttin. A la lecture de l’acte de constitution, il apparaît que René apporte le fonds d’hôtel-restaurant, la clientèle et l’achalandage, le nom commercial et le droit au bail. Quant à sa mère, elle est porteuse des marchandises garnissant le dit fonds. Il est raisonnable de penser que, depuis le décès de son père, René était héritier du fonds tandis que sa mère en était demeurée gérante, bénéficiant de l’usufruit. En 1926 (Archives Municipales 1F21), le recensement note Léonie, patronne, et René, son fils, ainsi que Louise Borgy, Irma Ceyte et Joseph Cohet, employés, tandis que sont mentionnés deux pensionnaires, Louis Olivier et Jean Chatelain. La Société initiée l’année précédente n’est pas prise en compte dans le descriptif des fonctions respectives de Léonie et de René.

Enfin, en 1931, dernier recensement consultable (Archives Municipales 1F20), Léonie est référencée comme hôtelière patronne et son fils René, hôtelier patron. Suivent neuf (!) employés, Georges Guillot, Eugénie Guillot, Louise Borgy, Irma Ceyte, fille de salle, Pierre Beau, garçon de courses, Marie-Louise Martin, lingère, Paul Borel, cuisinier, Jean Luthaud et Jean Genthon, apprentis cuisiniers.

René se marie, en secondes noces, le 11 avril 1931, à Colombes (Seine) avec Hortense Joséphine Guttin, une lointaine cousine, née le 17 juin 1899. Les grand-pères de René et Hortense sont deux frères (Antoine et Pierre, nés en 1820 et 1821). Ils sont nés de Pierre Guttin et Thérèse Guttin, déjà issus de deux branches différentes des Guttin, l’une de La Batie-Divisin et l’autre des Abrets.

En 1934, deux ou trois cartes postales reprennent le thème de l’hôtel devenu officiellement « Hôtel de France » en lieu et place de « Grand Hôtel de France ». Le store a été changé, la graphie du nom est assez originale et audacieuse, les plantes de la terrasse sont regroupées dans de grands bacs qui semblent être de ciment moulé. Une autre carte postale nous permet de découvrir la grande salle du restaurant, héritée du couvent des Carmes. Ce sont de vastes travaux engagés en 1932 qui ont permis la réalisation de la cheminée monumentale succédant à l’ancienne cheminée des moines. Selon Paul Berret, romancier, spécialiste de Victor Hugo et chroniqueur du Dauphiné, cette salle a obtenu la première médaille au concours des salles à manger d’hôtels.

Le personnel, après 1913, avant 1934

Carte ayant circulé en 1934

La salle à manger en 1934


A suivre !