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La croisade anti-islamique, anti-islamiste du Monde

C’est un excellent article qu’a publié « Le Monde », ce mardi 23 juillet. Il s’agit d’analyser la lecture (ou les lectures) que l’on peut faire d’une image. Et l’image en question ( de Spencer Platt) se situe au Liban, à Beyrouth. L’on y découvre une automobile d’apparence sportive, occupée par des jeunes d’apparence bourgeoise et quelque peu friquée, qui font des photos d’un ensemble de logements bombardés. En fait, cette lecture biaisée se révèle totalement erronée à l’examen, et des faits et des intentions du photographe. La cause de la méprise est à rechercher dans une attitude ethnocentrique dont l’Occident a toutes les peines du monde à se débarrasser.
Ce même ethnocentrisme est également à l’origine de discours et d’interprétations des faits de la part du même « Monde », au sujet de ce qui se déroule depuis deux ans dans les pays arabes et du Proche-Orient.
Nous prenons nos précautions, car le quotidien accepte difficilement ce genre d’observations qu’il a l’habitude de classer dans la catégorie des propos de complotistes (de ceux qui voient des complots partout !).
Nous ne voyons pas de complots partout.

Mais l’histoire récente des évènements en Egypte s’est traduite par quelques exercices de funambulisme remarquables.

C’est ainsi que les 14-15 juillet, Christophe Ayad, dans un article intitulé « Climat de guerre civile en Egypte » a pu écrire:
« Pendant les dix-huit jours du soulèvement qui avait conduit à la chute d’Hosni Moubarak, la célèbre place du centre du Caire (Tahrir) avait offert un spectacle inédit en Egypte: islamistes, communistes, femmes, hommes, coptes, musulmans et athées, Egyptiens de toutes opinions et de toutes conditions, avaient uni leurs forces dans un but commun, mais aussi dans le respect de leur différences et la certitude de partager une humanité commune… »
« Les Frères musulmans ont conçu, pendant leur année au pouvoir, l’exercice démocratique comme un absolutisme de la majorité, refusant la moindre concession à leurs opposants, traités comme des perdants. A l’inverse, les jeunes révolutionnaires de Tamarrod ont une conception de la souveraineté populaire qui surpasse la légalité constitutionnelle. »
« Dans ces conditions, le retour aux urnes souhaité par la communauté internationale, n’est pas forcément le moyen le plus sûr pour apaiser les choses. Dans les démocraties naissantes, les élections creusent parfois les divisions de la société plus qu’elles ne les surmontent. »

Une première remarque s’impose. Tout comme pour le Mali, voilà encore des journalistes qui s’accommodent facilement des interventions militaires musclées et anti-démocratiques pour peu qu’elles rentrent dans leurs analyses. Mais revenons sur le fond du cas égyptien.
Voici deux ans, il y avait certes foule pour réclamer le départ de Moubarak. Il y avait certes des hommes et femmes égyptiens de toutes confessions et de toutes conditions. Leur but commun était le départ d’Hosni Moubarak dont ils étaient convaincus, à juste titre probablement, qu’il n’était devenu qu’un profiteur de la nation égyptienne, à la tête d’un petit clan de favorisés. Au-delà de ce « but commun », il n’y avait RIEN. Pas le moindre commencement d’une union politique permettant de prendre le pouvoir et de réorienter la société. La raison en était bien simple.

Contrairement à une idée largement répandue dans les médias occidentaux, (sous le nom de « Printemps arabe »), nous n’étions pas en face d’une révolution sociale, d’une exigence d’égalité, de justice, d’accession à un statut honorable pour tous.
Non, nous étions en face d’une « révolution » (sans doute) de caractère libéral. D’une « révolution » conduite par la classe moyenne, ses jeunes, ses forces vives, ceux qui voulaient et exigeaient un emploi, la liberté de circuler, la liberté de commercer, … Une même « révolution » que celle qu’a connue la Tunisie. Une même « révolution » que celles que l’on a vues naître et disparaître aux USA, en Israël, en Turquie, au Brésil, en Espagne … Des « révolutions » immanquablement conduites par la jeunesse des classes moyennes qui se mobilise sur des motifs parfois peu en rapport avec la force et la violence du mouvement: là le prix des yaourts, ici la destruction d’un jardin public, ailleurs le prix du billet de tram, … Et des « révolutionnaires » qui refusent de façon systématique de s’organiser, de devenir force de propositions, vecteur d’un changement sociétal.
Ce fut le cas en Egypte. Les dits-révolutionnaires ont systématiquement refusé de faire la moindre proposition constructive quant à l’avenir de leur pays, passant successivement des campagnes de boycott des Forces Armées aux actions violentes et anarchistes des « blocks ». Le but à atteindre était la chute du gouvernement Morsi. Ce but a été atteint !

Et c’est mensonge que d’écrire que les Frères musulmans se sont comportés de façon absolutiste, en traitant leurs opposants comme des perdants.
C’est mensonge parce que le gouvernement régulièrement et démocratiquement élu des Frères musulmans s’est trouvé confronté immédiatement à l’opposition des corps constitués que sont l’Armée, la Police, la Justice, les Administrations diverses. Le gouvernement s’est trouvé confronté à une opposition systématique des libéraux et des révolutionnaires, opposition caractérisée par le refus de participer à quoi que ce soit, y compris la rédaction de la nouvelle Constitution, freinée jusqu’à plus supportable. Certes oui, le gouvernement de Mohamed Morsi n’a pas réussi à briser cette opposition et il s’est parfois comporté de façon brutale.
Mais NON, le gouvernement de Mohamed Morsi n’a pas appliqué la charia, laquelle n’était pas inscrite dans la Constitution approuvée d’arrache-pieds.
NON, Mohamed Morsi n’a pas instauré la présence des Frères dans tous les rouages de l’Etat; il en aurait d’ailleurs bien été incapable, compte tenu du blocage de toutes les institutions par les libéraux et les partisans de l’ancien régime.
NON, Mohamed Morsi n’a pas favorisé les viols et agressions des femmes sur la Place Tahrir et en d’autres lieux du pays, et les observateurs impartiaux savent bien que ce problème égyptien est récurrent dans tout rassemblement de foules.
NON, le gouvernement de Mohamed Morsi, même s’il n’a pas été un foudre de guerre en matière économique, ne s’est pas comporté comme un incapable en la matière, tout autre gouvernement aurait été dans l’impossibilité de faire mieux. D’autant plus que l’Europe et le FMI n’ont jamais accordé les fonds promis, exigeant en retour des bouleversements économiques suicidaires pour l’Egypte (suppression du subventionnement du pain et de l’essence).
NON, le gouvernement de Morsi n’a pas envisagé de mettre en place une corruption, sans en avoir eu le temps, comme l’en a accusé le politologue Olivier Roy développant ainsi une fumeuse thèse basée sur le procès d’intention.

Le gouvernement des Frères musulmans est tombé sous les coups d’un conglomérat de libéraux et de révolutionnaires aveugles, financés et aidés par quelques majors de l’économie égyptienne, soutenus pas les revanchards de l’ère Moubarak et par l’armée !
Le peuple qui s’est exprimé majoritairement ? Des foules manipulées par des privations d’essence qui déséquilibraient toute l’économie, aussi bien l’industrie que l’agriculture (alimentation des tracteurs ou des moteurs de pompes d’irrigation), par des coupures quotidiennes d’électricité et par le chantage sur le prix du pain ou de la farine. Mais jamais, et en aucun cas, une révolte massive et sincère sans laquelle l’armée n’aurait rien pu faire (dixit Le Monde) !
Ils ont eu bon dos, les islamistes !
Comme par miracle, le carburant, le pain et l’électricité sont revenus au lendemain du putsch des militaires. Et les animateurs de Tamarrod de se mettre à rêver des prochaines élections présidentielles dans lesquelles ils pourraient jouer un rôle !

Et maintenant ?
Maintenant, chaque instant qui passe nous rapproche de la guerre civile. Parce que la coalition improbable des libéraux, des révolutionnaires, des revanchards et des opportunistes n’a pas tenue devant l’armée (normal, elle n’a d’autre programme que celui de l’ambition libérale !). Parce que les Frères musulmans n’acceptent pas le traitement qu’ils ont subi et persistent, contre toute vraisemblance, à croire au retour de Mohamed Morsi. Parce que les salafistes en profitent pour essayer de tirer les marrons du feu, jouant tantôt l’un, tantôt l’autre des camps en présence. Parce que l’armée, incapable de gérer quoi que ce soit en matière d’unité nationale, fera appel au peuple qu’elle sait si bien manipuler quand elle ne l’écrase pas et cherchera à le convaincre de chasser les « terroristes » !

L’armée égyptienne appelle à manifester-19 juillet (C) Amr Abdallah Dalsh/Reuters


Les salafistes… Nous avions, ici, déjà souligné cette « nuance » dans le débat égyptien. L’opposition caricaturale aux Frères musulmans, telle que le conglomérat d’opposants à l’intérieur de l’Egypte l’a pratiquée, telle que « Le Monde » la pratique depuis deux ans, telle que l’Occident la pratique également, est très probablement improductive. Elle favorise l’émergence de la tendance salafiste, beaucoup plus radicale. Et cette tendance saura s’affirmer, comme elle vient encore de le faire en Tunisie (mais comme l’histoire se répète, là aussi, c’est Ennahda qui est accusé …)
Avant que de faire la leçon à l’Egypte, et au-delà à l’ensemble des peuples majoritairement musulmans, en affirmant que « l’islamisme n’est pas un projet de gouvernement » et que « le refus de séparer la Mosquée et l’Etat est, profondément, incompatible avec la liberté politique », peut-être aurait-il fallu aider Mohamed Morsi à évoluer sur un chemin qu’il n’a jamais refuser d’aborder, et où il aurait pu aller pour peu que son pays ait eu quelque chose à gagner: de la paix, du développement, … . Il est désormais trop tard.

Quand à la référence au sécularisme, ne vaudrait-il pas mieux commencer par balayer devant sa porte, en supprimant le « In God, we trust » des dollars US, le « Au nom de Dieu tout puissant » de la Constitution suisse et les nombreux crucifix encore accrochés ici ou là en Europe, sans parler du débat récurrent sur les origines chrétiennes de l’Europe.

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Quand l’Egypte se noie, l’Occident appuie sur la tête

C’est juste une sorte de suite au billet précédent.
Afin de préciser deux choses !

La première concerne les discussions du FMI avec l’Egypte afin de lui accorder une aide de 4,8 milliards de dollars. Ces discussions sont engagées depuis plus de deux ans ! Le FMI ayant annoncé en date du 12 mai 2011 avoir reçu une demande d’aide officielle de la part de l’Egypte !
Rien n’a été versé à ce jour. De plus, le FMI conditionne l’octroi de son aide à une baisse des subventions publiques accordées par le gouvernement égyptien tant sur les carburants que sur certaines denrées alimentaires, en particulier la farine et le pain.
Mohamed Morsi s’est toujours refusé à céder à ces demandes, certain qu’il était de soulever une violente colère populaire. Rappelez-vous des émeutes de la faim en 2008 !
Les caisses de l’Etat égyptien sont vides (http://www.rfi.fr/afrique/20130206-egypte-sous-le-coup-une-crise-financiere-plus-plus-marquee-fmi-economie). Avant d’accuser les « sortis » d’incompétence, encore faudrait-il avoir connaissance des chiffres réels et savoir que ni l’Europe, ni le FMI n’ont aidé ce pays, malgré leurs promesses.

La seconde précision concerne les incapacités des « Frères Musulmans » à organiser le pouvoir. Faut-il rappeler qu’à peine élus, régulièrement élus, ils ont été dans l’obligation de « composer » avec l’armée, avec la justice, avec la police, avec les journaux et stations de TV ou radio, avec l’administration au sens large, toutes structures qui, d’emblée, se sont comportées en opposants.

Ajoutons à cela les forces de gauche, les libéraux, les « ultras », les anarchistes …

Rien n’autorise à dire que cette opposition était coordonnée, bien au contraire. Les divisions, les intérêts particuliers, le poids de l’anarchie, étaient bien trop puissants pour qu’un semblant d’organisation puisse la structurer. Aujourd’hui encore, aucun facteur d’unité n’existe si ce n’est un Front de Salut National sans programme autre que « Dégage ». La seule différence entre il y a un an et maintenant, est que cette collusion d’opposants a bénéficié de la forte dégradation économique (cf point 1) pour rassembler le peuple en colère.
Bien entendu, face à ces opposants, le pouvoir s’est cabré, durci, raidi et a fait quelques bêtises, comme cette tentative de s’arroger les pleins pouvoirs ou cette constitution bâclée.
Cela n’autorise pas les forces armées à prendre la pouvoir par la force ! Cela autorise encore moins le Service Politique du « Monde » a exprimer quelque compréhension à l’égard de ce Coup d’Etat !!

L’armée égyptienne à Gizeh (C)TF1

A l’arrivée, c’est l’Egypte entière qui va payer très cher cette incapacité, des uns et des autres, à définir l’orientation du pays. Et, on peut en être certain, c’est la naissante démocratie égyptienne qui va en faire les frais !

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Démocratie

Mais où est passée la gauche anti-guerre ?

« Please don’t sink the country in a spiral of violence JUST BEFORE the Legislative Elections…Please let the people express their will even if it is distorted…Democracy is not an instant remedy, it needs time to mature…ENOUGH with the hysteria… Stop the violence because, in an armed conflict, the Jihadi Islamists (the likes of Zomor and his killer squads) will prevail…And then what? The Army AGAIN ???!!! »

Tel est le texte qu’une amie égyptienne nous fait parvenir. Un texte qui, non satisfait d’exprimer une grande lassitude, fait part d’une grande peur: celle de l’anarchie.

En ce qui concerne la situation en Egypte, mais aussi en Tunisie, au Mali maintenant, demain en Syrie à n’en pas douter, tous les médias et toutes les organisations politiques, depuis la gauche (hors PC et FG) jusqu’à la droite instruisent le procès de l’islamisme.

En Egypte, les Frères Musulmans, régulièrement élus, se voient contester en permanence leur légitimité. Ils sont accusés d’avoir volé la révolution, d’incapacité à gérer l’économie du pays, de soumission à la fraction activiste des islamistes, de manipulation de la justice, d’élaboration bâclée et imposée de force d’une Constitution conservatrice, d’organisation du viol en tant qu’arme politique, etc, etc … on en passe et des meilleurs.
Arrêtons nous un instant sur cette question du viol au sujet duquel Le Monde (par exemple, mais il n’est pas le seul, avec Claire Talon et maintenant Hélène Sallon) nous ressort régulièrement une explication en faveur d’une manipulation du pouvoir. Cette idée, elle est celle des « révolutionnaires » qui cherchent toutes les idées aptes à mobiliser leurs troupes, tout comme celle qui a fait long feu appelant à boycotter les activités civiles des Forces Armées. Or, c’est méconnaître totalement ce fléau qui, depuis des décennies, se développe dans la société égyptienne dès que l’impunité est assurée par la foule et la promiscuité: métro, tramway (dans les wagons mixtes), places publiques, manifestations, fêtes populaires comme Sham el Nessim (ce sera le 6 mai) et Place Tahrir ! D’ailleurs, « Le Monde » lui-même en administre la preuve dans un article de son « Académie » signé par Yitong Shen !

En Tunisie, la légitimité d’Ennahda, pourtant régulièrement appelé au pouvoir, est contestée parce que le Gouvernement est incapable d’assurer un décollage économique, parce qu’il est soumis aux fractions activistes des islamistes et parce qu’il traîne à rédiger et mettre en œuvre une nouvelle Constitution !
Dans ce pays, l’assassinat récent de l’opposant Chokri Belaïd soulève l’indignation à juste titre. Cela donne-t-il le droit à Manuel Valls de dénoncer ainsi, en distribuant les analyses et les sanctions qui vont avec, »un fascisme islamique qui monte un peu partout » et en affirmant qu' »il garde espoir dans le rendez-vous électoral pour que les forces démocrates et laïques, celles qui portent les valeurs de la révolution, demain, l’emportent ».

En fait, tout est dit (re-dit) là-dedans.

  • Globalement, toute expression de l’Islam relève du fascisme.
  • La preuve en est que les islamistes (régulièrement élus et portés au pouvoir) ne sont pas légitimes et qu’ils ne portent pas les valeurs de la révolution.
  • Et que doivent être préparés au plus vite le retrait de ces imposteurs et la réalisation d’un nouveau RV électoral.
  • Sur lequel il faudra bien veiller afin qu’il assure la victoire des forces démocrates et laïques qui doivent l’emporter. (Laïque, en Islam, ça veut pas dire grand-chose, sécularisé oui …).

    Au Mali, dont on a déjà beaucoup parlé, les choses sont encore plus simples. Il y a des « terroristes islamistes » qu’il convient impérativement de « détruire » ! Et s’appuyant sur l' »appel » d’un Président non légitime (cette fois-ci pour de bon !), la France, ses forces politiques, ses médias, son peuple à 75% ont choisi d’aller faire la guerre. Sans anticiper beaucoup de choses, au point que les Maliens poursuivent leurs divisions en refusant que les Casques Bleus prennent le relais des forces françaises, en agitant le spectre d’un affrontement entre Africains noirs et MNLA, en désignant le capitaine putschiste à la tête d’un comité de réforme de l’armée ! Et par qui, on vous le demande ? Par le Président intérimaire qui ne doit sa place qu’à la « bienveillance » du capitaine putschiste, le même Président intérimaire auquel la France a vaillamment répondu « Présent ! ».

    La France est devenue un pays va-t-en-guerre, singulièrement sur sa gauche. La gauche française est qualifiée par certains de gauche anti – anti-guerre. Mais où sont passés les anti-guerre d’antan ? Où sont passés les opposants à l’ingérence dans les « affaires » des autres pays ?
    Le seul droit d’ingérence que s’était attribué l’Occident et, avec lui, la gauche française, concernait l’humanitaire. Ce temps-là est bien loin, désormais la gauche française s’autorise le droit d’ingérence politique et militaire. Elle s’autorise la croisade anti-islamique avec l’appui de ses médias et de 75% de son peuple.
    Des preuves ? Il fut un temps où le « Mouvement de la Paix » savait réagir avec promptitude et énergie aux atteintes aux droits des peuples, en faveur de la paix et de la négociation. Le « Mouvement de la Paix » a publié le 13 janvier 2013, soit 48 heures après le début de l’intervention au Mali, un communiqué condamnant « l’état de guerre ». Depuis, plus rien, pas une pétition, pas un mot, pas de nouveau communiqué …
    Il y a également une pétition pour la paix (http://www.petitions24.net/stop_guerre_au_mali_-_des_choix_pour_la_paix), très peu remarquée, à coté d’autres pétitions soutenues par des partisans de la remise en ordre du Nord-Mali. Peut-on dire que son succès est très mitigé ?

    Gageons que dans les semaines, les mois à venir, le retour de bâton sera douloureux et que l’incompréhension et l’hostilité ne feront que grandir entre les deux rives de la Méditerranée et entre l’Europe et le Sud-Sahel.
    Car enfin, la situation qui prévaut dans tous ces pays n’est pas celle d’un affrontement simpliste entre le bien et le mal, entre le tout noir et le tout blanc, entre le révolutionnaire et le conservateur, entre l’islamiste et le laïque.
    D’un coté, il n’y a pas les « islamistes », mais DES islamistes travaillés par des tensions énormes entretenues par certaines puissances, allant d’islamistes modérés favorables à la sécularisation et au développement libéral de la société jusqu’à des partisans acharnés de l’ordre et de la charia.
    En face d’eux, il n’y a pas les « révolutionnaires », mais des forces travaillées, elles aussi, par de puissants courants allant jusqu’à l’anarchisme.
    Et d’abord, quelle révolution ? Y a t-il eu, parmi les militants du « Printemps », des théoriciens d’un nouveau gouvernement arabe ? Non, et le mot « révolution » est repris aussi bien par le Mouvement du 6 avril que par les Frères Musulmans.
Affiche révolutionnaire d’Egypte (DR)

Car le « Printemps arabe » est avant tout une « révolution consumériste ». Le mot n’est pas péjoratif. Il signifie que la révolution n’est pas « sociale » avant tout (revendication de la place des travailleurs dans la production, de la garantie de revenus, de l’accession à de nouveaux droits ou de la reconnaissance de droits maltraités, …), mais « libérale ».
Il s’agit de revendiquer un emploi pour les milliers de chômeurs formés par le système éducatif, un niveau de revenus pour accéder à la liberté de consommation telle qu’étalée par l’Occident, la liberté de circulation dans et hors le pays et la liberté d’expression. Evidemment que ces revendications peuvent déboucher sur des revendications plus sociales ! Evidemment qu’il s’agit là de droits fondamentaux ! Mais, malheureusement, personne n’a été capable de passer au-dessus des divisions, des combinaisons, des actions ponctuelles et partielles. Alors, la situation devient ingérable, en raison surtout de la montée en puissance des anarchistes, ces « Black Blocks » pour lesquels le pouvoir actuel doit disparaître et « peu importe par qui il sera remplacé ». Le prochain pouvoir sait déjà qu’il est condamné avant même d’être désigné.
L’anarchisme a pris une telle importance dans le débat que des leaders comme Mohamed el Baradei ont cessé d’appeler à la cohésion nationale et au dialogue: personne ne les entend, car personne ne les écoute.

A propos de l’Egypte, comme à propos de la Tunisie, comme à propos du Mali, la question qui se pose aujourd’hui est celle-ci: qu’est-ce qui peut réveiller la gauche française et la sortir de son engourdissement guerrier et de ses analyses impérialistes ?

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Syrie, Egypte, Tunisie, Mali … ou les méfaits de l’ethnocentrisme politique

Monsieur Sikorski est le chef de la diplomatie polonaise. Il vient de s’exprimer (Le Monde du 19/12/2012) au sujet du rôle de l’Union Européenne face à la crise syrienne. Et, en substance, il a dit que ce rôle avait des limites et que si la Fondation Européenne pour la Démocratie qu’il a aidé à créer, avait des millions à donner pour aider la société civile dans les pays arabes, ce devait être pour « soutenir ouvertement ceux qui sont proches des valeurs européennes, car nous voulons que nos voisins se rapprochent de nous ».
Voilà un exemple parfait d’ethnocentrisme politique qui veut que le modèle occidental, européen en l’occurrence, soit la référence absolue de toute évolution et de tout progrès. Lévi-Strauss nous le dirait: il est difficile, voire impossible, de juger l’attitude ou le comportement de son voisin sans faire comparaison avec ce qui est sa propre culture. Mais dans le cas présent, il ne s’agit même plus de comparaison, mais de demande d’assimilation du modèle européen. Nous doutons fort que ce langage puisse être entendu, quelle que soit la tendance de l’interlocuteur arabe: islamiste, gauchiste ou libéral. Une telle attitude de la part d’un diplomate européen est donc totalement vide de sens … et d’intérêt.

Ce diplomate n’est pourtant pas seul à resservir inlassablement le même discours. En Egypte (et nous en avons déjà parlé) (Journaliste-ou-militant-deux-exemples-récents-les-riches-et-l-islamisme), l’envoyé spécial du Monde, « spécialiste du Proche-Orient », poursuit ses analyses personnalisées par un point de vue subjectif souvent insupportable. C’est ainsi qu’on le lit dans une « analyse » du vote des femmes au Caire contre la nouvelle constitution, vote d' »une partie des citadines éduquées » qui votent « non parce que les droits des femmes ne sont pas mentionnés en tant que tels dans la nouvelle constitution, non parce le droit à l’éducation des filles a été effacé, non parce que j’ai peur que l’article qui fait des femmes les « garantes de la famille » serve à me mettre au chômage ou à m’obliger à travailler moins d’heures ».
Aujourd’hui, nouvelle diatribe contre la constitution au motif qu’un copte militant des nouveaux droits civiques risquera une peine plus sévère si la nouvelle constitution est adoptée, puisqu’il est accusé d' »insulte au prophète ». Amalgame facile puisque sa première condamnation porte sur le « dénigrement des religions ».

Alors, puisqu’il le faut, parlons de cette constitution. Non sans avoir souligné qu’en Egypte, comme en France, le texte d’une Constitution est toujours à relativiser quelque peu. Notre Constitution est-elle appliquée à la lettre ? Et parlons de ce que personne ne dit. Tous les commentateurs relèvent à l’envie les formulations ambiguës au sujet des « traditions égyptiennes » et en concluent que pourraient en faire partie l’excision et les mutilations génitales féminines (Alexandrie-Excision) ! Tous les commentateurs relèvent l’absence de droits spécifiques pour les femmes et en concluent que leur serait interdit le droit d’ester en justice.
Mais combien de commentateurs soulignent les avancées de ce texte ?

  • la limitation de durée du mandat présidentiel,
  • la création d’un régime semi-présidentiel. Si le président y reste fort, son pouvoir est rééquilibré par l’Assemblée du Peuple qui contrôle la nomination du gouvernement et peut le renverser. Le président ne peut dissoudre cette Assemblée du Peuple que par référendum.
  • l’égalité des hommes et des femmes y a été supprimée au bénéfice d’un article stipulant que tous les égyptiens sont égaux,
  • la liberté d’expression et de presse est garantie (art 45),
  • la détention arbitraire est interdite (art 35),
  • la torture et les traitements inhumains sont interdits (art 36),
  • l’espionnage des communications privées est interdit (art 38),
  • la liberté religieuse est garantie (art 43),
    De façon parfois regrettable, le texte s’entoure de considérations susceptibles de limiter l’effet de ces réelles avancées. C’est ainsi qu’un art 44 interdit l’injure au prophète et un art 31 l’injure aux individus. Voilà bien des procès en perspective !
    La liberté religieuse ne s’applique qu’à trois religions: celles du Livre, les autres sont oubliées.
    Enfin, la charia y est déclarée « source principale de la législation » et non « source unique du droit ». Cette formulation est en elle-même porteuse de modération et le fait d’avoir confié à l’université Al Azhar le soin de préciser ces principes de la législation est tout à la fois inquiétant parce qu’intervient une structure religieuse non élue, et positif en ce sens que l’université Al Azhar se caractérise souvent par des positions progressistes.

    Et là est la vraie question à laquelle l’ethnocentrisme occidental n’aide pas à apporter une réponse. En Egypte, les « révolutionnaires » et les libéraux se plaisent à accuser Morsi de faire double jeu et de tenir double langage. Il ferait mine de développer des positions à minima réformistes et, par derrière, il laisserait agir les salafistes en vue de la création d’un état intégriste.
    Cette analyse ne tient pas debout. Mohamed Morsi a besoin de développer son pays, sous peine d’être renversé par la colère du peuple qui a faim et qui veut du travail. Mohamed Morsi a besoin de l’appui occidental, de l’argent de la Banque Mondiale, de celui des USA. Mohamed Morsi a besoin de jouer un rôle actif dans toute la région proche-orientale, afin que son pays conserve, si possible, les positions et la stature acquises au cours des dernières décennies.
    Au contraire d’un double jeu, on assiste à une lutte fratricide et implacable entre les fractions islamiques, la « plus ou moins progressiste » et la « radicale » ! Et l’Occident serait bien inspiré de le comprendre rapidement afin d’aider Morsi, ne serait-ce que temporairement et dans le respect des formes démocratiques, à neutraliser les plus radicaux afin que le pays se redresse.
Pro et anti-Morsi face à face (C)Maya Alleruzzo/AP-SIPA

Un ethnocentrisme comparable préside aux jugements relatifs à l’évolution de la Tunisie où Ennahda est, de façon comparable, soupçonné de « double jeu ».

Raisonnement déjà identique au Mali. La France vient d’obtenir une résolution auprès des Nations Unies, laquelle résolution autorise une éventuelle intervention militaire dans le Nord-Mali, limitée dans sa durée à un an, et n’ayant pas lieu avant septembre 2013. D’ici là, l’ONU renouvelle la nécessité de tout faire pour régler le problème par la négociation. Cette résolution a été obtenue de justesse, tant les USA sont réticents à l’égard de ce projet militariste. L’ambassadrice US à l’ONU a été jusqu’à qualifier le projet français de « merde » (http://www.slateafrique.com/100157/mali-quand-washinton-critique-plan-de-la-france).
Ansar Eddine et le MNLA viennent de renouveler leur engagement à cesser le combat et à négocier, voire à prendre en charge la question de l’AQMI.
Qui les écoute ?
Pas la France, pas l’Europe qui préfèrent s’engager dans la voie militaire et passer sous silence l’ardente « obligation de négocier ».
Pas l’Afrique de la CEDEAO, pas le Mali où se préparent des milices qui veulent aller « chasser le touareg ».
Et puis, avec qui peuvent-ils négocier ?
Il n’y a plus de pouvoir au Mali ! Et le capitaine Sanogo tire toujours les ficelles ! (http://www.rfi.fr/afrique/20121212-mali-reperes-principaux-acteurs-crise).

Il y a urgence à intervenir, non pour la guerre, mais pour la négociation, pour la reconnaissance du fait touareg, pour la recherche d’une entente sur un territoire immense, pour l’aide à un développement commun dans lequel pays et populations ne seront pas « oubliés ».
Pour cela, sans doute faut-il que l’Europe et ses diplomates (dont la France) réfléchissent avec d’autres arguments que leur paresse ethnocentrique.