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Quatrième chapitre: Françoise Sagan et La Fusilière

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

La Fusilière (La Fuzilière, La Fusillère, La Fusillière, …) est le nom de la grande maison louée par Pierre Quoirez lors de son séjour à Saint-Marcellin, entre 1940 et 1950 (et peut-être davantage).

C’est autour de cette maison que viennent se greffer la plupart des rêves et souvenirs d’enfance de Françoise Sagan. Et justement parce que ce sont des souvenirs d’enfant, ils sont souvent imprécis et déformés par une vision soit enjolivée, soit dramatisée. Il est bien regrettable que pratiquement aucun des nombreux biographes qui ont écrit sur la vie de Françoise Sagan ne soit venu à Saint-Marcellin afin d’examiner sérieusement les lieux et les faits.

1942 – Françoise Sagan – Collection privée -Tous droits réservés

« Au cœur du Vercors« , « adossée au Vercors« , est-il souvent dit à propos de cette maison. Rien n’est plus faux ! Saint-Marcellin se trouve au pied du Vercors, sur la rive droite de l’Isère qui la sépare du massif montagneux, à mi-chemin entre Grenoble et Valence. Saint-Marcellin n’est pas un « village » comme la qualifie certains biographes. C’est une petite ville d’environ 4 300 habitants en 1940. Ancienne sous-préfecture jusqu’en 1926, elle conserve sa poste, son hôpital, son tribunal (dont la dernière audience s’est tenue le 9 novembre 2009), ses établissements scolaires du secondaire, ses marchés et sa vie commerciale et industrielle intense… Quant à La Fusilière, elle est face au Vercors, Massif des Coulmes très exactement, et non adossée à celui-ci.

Il s’agit d’une grande et belle maison très horizontale, avec huit fenêtres de front, construite au XVIII° siècle sur deux niveaux principaux auxquels s’ajoutent des combles aménagés. Un immense parc magnifiquement arboré, dont des sequoias, lui offre un cadre naturel de haut niveau. Elle est accompagnée d’un autre corps de bâtiment, appelé « la ferme », parce que sa vocation était beaucoup plus rurale. Un beau pigeonnier et un mur équipé d’un portail séparent les deux bâtiments. Sur le mur, s’appuie une fontaine de style « Renaissance » dont il est dit qu’elle est « rapportée ».

La Fusilière en 2021 – Droits réservés
La Fusilière en 2021, depuis le jardin – Droits réservés

D’où vient le nom de Fusilière ? Tous les biographes, sans exception, et Françoise Sagan elle-même, racontent la même histoire. Lors de la guerre de 1870, des gens auraient été fusillés dans cette maison et des traces de balles seraient encore visibles sur les murs. Qui seraient ces gens ? Et qui a bien pu inventer cette histoire ? Aucun de ces commentaires ne relève de la vérité. Et l’histoire locale de Saint-Marcellin n’a aucun souvenir d’un pareil événement. Pour la simple et bonne raison que le nom de La Fusilière est bien antérieur à 1870 !

La première trace que l’on peut invoquer se trouve dans la cartographie. Les Cartes de Cassini, réalisées dans la seconde moitié du XVIII° siècle, ne mentionne pas le nom de Fusilière, alors que celui du Mollard l’est, ainsi que celui de l’ancienne communauté de Plan-les-Saint-Marcellin. Il faut se référer à la Carte de l’état-major, dont les relevés ont été effectués entre 1820 et 1866 pour trouver le nom de La Fusilière attribué à un lieu-dit (1).

Carte d’état-major – Source Géoportail

Le cadastre napoléonien, dont le relevé a été effectué en 1830 à Saint-Marcellin, cite également la Fusilière. La feuille de la section D, dite du Mollard, présente le quartier de La Fusilière, ainsi que le hameau de La Fusilière dont la silhouette architecturale est identique à celle du cadastre actuel (1bis). Cela prouve s’il en est besoin, que le nom et les bâtiments de La Fusilière sont bien antérieurs à 1870.

Cadastre napoléonien – Ville de Saint-Marcellin -Archives (détail feuille de recollement)
Cadastre napoléonien – Ville de Saint-Marcellin -Archives (détail feuille de la section D)

L’histoire et la généalogie nous aident également, quand bien même les recherches s’avèrent difficiles. Jean Sorrel, historiographe de Saint-Marcellin, est bien le seul à avoir retrouvé et cité la famille à l’origine du nom de la Fusilière (2). Bernard Giroud (3) reprend cette information, ainsi que le Groupe R.E.M.P.A.R.T. dans une publication relative aux origines des noms des rues de Saint-Marcellin (4).

La Fusilière, immense domaine, appartient aux GROUSSIN depuis la première moité du XVIIe siècle. Le membre le plus connu en est Guilhaume Groussin (1613-1693), à la tête de quelques générations qui ont laissé une faible trace dans l’histoire de Saint-Marcellin.

Guilhaume Groussin nous vient de Chartres, fils de Jean Groussin et de Marie Legoux. C’est cependant à Saint-Marcellin que vient s’installer ce Guilhaume, en tant que Receveur des tailles, activité qu’il exercera entre 1638 et 1646 (4bis). Les tailles sont des impôts directs dont les bourgeois, les membres du clergé et ceux de la noblesse sont exemptés. Et c’est également à Saint-Marcellin qu’il trouve épouse en la personne de Jehanne PACHOT. Le mariage a lieu en octobre 1641 (5) et les enfants naissent au nombre de six ; Etienne en 1642, mais baptisé en février 1643 (6), Anthoine en 1645, dont le parrain est apothicaire (7), Guillaume en 1646, qui deviendra Garde du Corps et portera, dès 1676, le titre de « Groussin de la Fusilière » (8), Marguerite en 1647 (9), Jean-Baptiste en 1649 (10) et François en 1652, baptisé seulement en 1659 (11).

De ces six enfants, nous ne traiterons de l’avenir que d’un seul d’entre eux. Il s’agit d’Etienne, le fils aîné, qui deviendra avocat à la Cour et au bailliage de Saint-Marcellin et qui épousera Marie PAIN, laquelle lui donnera quatre enfants. L’aîné est Etienne, né en 1667, qui deviendra avocat au Parlement, héritera du titre de « Groussin de la Fusilière », ce qui est attesté en 1708. Le parcellaire de Plan-lès-Saint-Marcellin, rédigé entre 1718 et 1728, précise la teneur des propriétés de maître Etienne Groussin, avocat, « maison, jardin, pré à la Fusilière, qui conjointe le chemin de Chatte à Saint-Vérand ou le ruisseau de Savourel« . Plan-lès-Saint-Marcellin est une communauté rattachée à Saint-Marcellin en 1790 (11bis). Etienne Groussin mourra en 1733 et sera inhumé dans l’église de Saint-Vérand (12). La seconde est Marianne, née en 1671, qui mourra en 1739 et sera inhumée dans la chapelle du Rosaire en l’église de Saint-Vérand (13). La troisième est Jeanne, née en 1673 et, elle aussi, inhumée dans l’église paroissiale en 1710, âgée tout juste de 37 ans (14). Enfin, le quatrième est Guillaume, né en 1676, qui deviendra prêtre et curé de Saint-Vérand et qui mourra en 1758 et sera inhumé dans le chœur de l’église de Saint-Vérand (15). Toutes les traces de ces sépultures ont été effacées en 1836-1837 lorsque l’actuelle église du village a été édifiée à la place de celle qui la précédait (15bis).

De cette fratrie, nous ne retiendrons, encore une fois, qu’un seul enfant : Etienne, l’aîné. Etienne épousera, le 11 octobre 1701, Jeanne REYNAUD, fille de l’avocat André Reynaud, dont il aura quatre enfants (16) : Antoine (1705-1725) (17), Etienne (1706-1790) (18), Jean-Pierre (1708-?) (19) et Madeleine (1709-1763) (20). Etienne sera prêtre à son tour, curé de Saint-Vérand, de Quincivet, archiprêtre de Saint-Marcellin. C’est lui qui héritera du domaine Reynaud, à Chatte, et de La Fusilière. Madeleine, par son mariage à l’âge de 16 ans, en 1725, se liera à la grande famille des VALLIER, puisqu’elle épousera Pierre Vallier-Colombier.

En 1785, cinq ans avant son décès, Etienne lègue ses biens aux Vallier, biens qu’ils conserveront jusqu’au cours du XIX° siècle avant de vendre La Fusilière à la famille CLERC. Cette famille donna un maire à la Ville de Saint-Marcellin en la personne de Jean-François Clerc (1779-1863), de décembre 1840 à avril 1844 et de septembre 1845 à mars 1848. Jean-François Clerc épousa Antoinette Herminie Sablière de la Condamine, née à Saint-Romans le 11 mai 1792 et décédée à Saint-Marcellin le 8 avril 1836. L’acte de décès précise que la défunte est décédée dans la « maison d’habitation de son mari sise au hameau de la Fusillière« , ce qui donne très approximativement la période d’acquisition de La Fusilière par les Clerc, soit avant 1836. (21)

Ajoutons que, le 20 septembre 1899, la famille Clerc, en la personne de Jean-Alphonse Clerc (1855-1816), petit-fils de Jean-François Clerc, fit l’acquisition du domaine voisin, celui du château du Mollard, auprès de Raymond-Ismidon de Béranger, dernier représentant d’une des plus anciennes familles du Dauphiné.

En ce qui concerne La Fusilière, son dernier propriétaire rattaché à la famille Clerc semble être Anne-Marie VALLON, dite « Annie », petite-fille d’un frère de Jean-Alphonse Clerc, née le 23 mars 1917 et décédée, sans héritier, le 16 juillet 2005.

Nous conclurons de tout ceci que La Fusilière est bien un nom qui date de près de quatre siècles et que la guerre de 1870 et d’éventuels fusillés, dont aucune trace n’est retrouvée, n’ont aucun lien avec cette dénomination. Incidemment, nous regretterons que la famille Groussin, qui a joué un rôle important sur notre territoire (Saint-Marcellin, Saint-Vérand, …), qui s’est consacrée au service du Roi d’une part, à la prêtrise d’autre part, qui a donné son nom à un quartier de notre ville de Saint-Marcellin, ait visiblement « disparue » à la fin du XVIII° siècle et qu’elle soit restée grandement méconnue.(22)

Concernant La Fusilière, arrêtons-nous quelques instants sur une anecdote relative aux nombreux souterrains qui, à partir de la maison, permettraient de rejoindre la campagne au bout d’un parcours de plusieurs centaines de mètres, anecdote relatée par certains biographes. Les souvenirs d’enfance enjolivent toujours la réalité et lorsqu’il s’agit de caves, de greniers ou de souterrains les enfants ont souvent l’envie ou le besoin de rendre ces lieux plus dramatiques qu’ils ne sont, histoire de se faire peur … Le souterrain de La Fusilière existe bien ! Il s’agit d’un conduit creusé à l’arrière de la maison, la parcourant dans toute sa longueur, traversant la vaste cour en façade et débouchant en contrebas, le tout sur environ soixante-dix à quatre-vingt mètres. Ce souterrain est praticable pour des personnes ni trop grandes, ni trop corpulentes. Il était praticable, car actuellement, une partie quasi-centrale s’est effondrée sur quatre à cinq mètres. Dans un premier temps, il semble que ce souterrain ait été conçu afin de capter les eaux de ruissellement du coteau contre lequel s’appuie la maison, dans le simple but de l’assécher. Mais une seconde utilisation en a été faite. En date de 1878, la société LUIZET Père et Fils, horticulteurs-architectes à Ecully, dans le Rhône, a présenté à Monsieur Clerc, propriétaire, un projet de jardin. Ce projet consiste en l’aménagement d’une grande pelouse arborée, traversée de cheminements tout en rondeurs, l’ensemble étant bordé en sa partie inférieure par une vaste et sinueuse pièce d’eau. L’alimentation de cette pièce d’eau se faisait par une « source » naissant exactement là où se trouve l’orifice de sortie du souterrain. Ce jardin a, très probablement, été réalisé en tout ou partie. Il existe encore aujourd’hui, dans le parc, les traces d’un très grand bassin dont le fond, cimenté, est devenu incapable de retenir de l’eau. Nous aurons l’occasion de reparler de ce qui fut une pièce d’eau ou un « étang ».

D’autres souterrains existent, qui ont leur orifice d’entrée à proximité du bâtiment dit « de la ferme ». Ils pénètrent horizontalement sur quelques dizaines de mètres dans le coteau sur lequel s’appuie La Fusilière: caves?, champignonnière?, plus probablement conduits de drainage des eaux de la colline afin de leur permettre de contourner les bâtiments.

1878 – Plan du jardin de La Fusilière
1878 – Signature du plan ci-dessus

  • 1- https://www.geoportail.gouv.fr/carte – lieu : Saint-Marcellin, fond de carte : carte de l’état-major
  • 1bis- Ville de Saint-Marcellin – Service Archives
  • 2- Histoire de Saint-Marcellin- Jean SORREL -Vol 2 Les temps nouveaux-1979
  • 3- Le Pays de Saint-Marcellin – N° 12 – Décembre 2004 – Bernard Giroud, page 4 – op. déjà cité
  • 4- Les rues racontent notre histoire – Ville de Saint-Marcellin – Groupe R.E.M.P.A.R.T.
  • 4bis- Archives de Saint-Marcellin. Document en cours de classification.
  • 5- 1641- Acte de mariage Groussin-Pachot – AD38-9NUM-AC416A-3-p.43
  • 6- 1643 – Acte de baptême Etienne Groussin – AD38-9NUM-AC416A-2
  • 7- 1645 – Acte de baptême Anthoine Groussin – AD38-9NUM-AC416A-4-p.5
  • 8- 1646 – Acte de baptême Guillaume Groussin – AD38-9NUM-AC416A-4-p.15
  • 9- 1647 – Acte de baptême Marguerite Groussin – AD38-9NUM-AC416A-4-p.26
  • 10- 1649 – Acte de baptême Jean-Baptiste Groussin – AD38-9NUM-AC416A-4-p.39
  • 11- 1659 – Acte de baptême François Groussin – AD38-9NUM-AC416A-1-p.78-79
  • 11bis – 1718 – Archives de Saint-Marcellin – Parcellaire de Plan-lès-Saint-Marcellin – CC 12
  • 12- 1667 – Acte de baptême Etienne Groussin – AD38-9NUM-AC416A-4-p.127
  • 13- 1671 – Acte de baptême Marianne Groussin – AD38-9NUM-AC416A-7-p.25
  • 14- 1673 – Acte de baptême Jeanne Groussin – AD38-9NUM1- 5E417-1-p.78
  • 15- 1676 – Acte de baptême Guillaume Groussin – AD38-9NUM-AC416A-7-p.117
  • 15bis – http://www.saint.verand.fr/4839-l-eglise-et-la-cene.htm
  • 16- 1701- Acte de mariage Etienne Groussin-Jeanne Reynaud – AD38-9NUM-AC416A-8-p.191
  • 17- 1705 – Acte de baptême Antoine Groussin – AD38-9NUM-AC416A-8
  • 18- 1706 – Acte de baptême Etienne Groussin – AD38- 9NUM-AC416A-8-p.281
  • 19- 1708 – Acte de baptême Jean-Pierre Groussin – AD38–9NUM-AC416A-8-p.303
  • 20- 1709 – Acte de baptême Madelaine Groussin – AD38-9NUM-AC416A-8-p.329
  • 21- 1836 – Acte de décès Antoinette Sablière de la Condamine- AD38–9NUM-SE417-13-p.71
  • 22- Notes généalogiques sur les familles Groussin et Clerc réalisées par Marc Ellenberger – Groupe R.E.M.P.A.R.T.

Toute reproduction, même partielle, de cet article est soumise à l’accord préalable de l’auteur

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Troisième chapitre: Françoise Sagan et sa scolarité

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Pierre Quoirez et sa famille sont arrivés à Saint-Marcellin au début du second semestre 1940 (cf précédemment). Rapidement, le chef de famille a trouvé à louer une vaste villa, la Fusilière, située en pied de coteau à quelques centaines de mètres du centre ville. Nous reparlerons de La Fusilière.

Cependant, dès la rentrée de septembre, Pierre Quoirez a logé sa famille dans un vaste appartement du Cours Morand, à Lyon où ont été scolarisés les enfants. Le cours Morand a été rebaptisé cours Franklin Roosevelt voici près de soixante-dix ans. La maison de La Fusilière avait, pour sa part, vocation d’offrir un toit quotidien à Pierre Quoirez après ses journées de directeur des usines de la FAE et d’accueillir la famille pendant les fins de semaine et les vacances.

Carte Postale Ancienne – Cours Morand à Lyon

Aborder la question de la scolarité de Françoise Sagan, c’est se lancer dans une aventure. Les sources ne sont pas très nombreuses. Les biographes qui s’y sont risqués (Lamy, Delassein, Louvrier) ne racontent pas deux parcours qui soient identiques. Les différentes écoles et institutions que cette élève a fréquentées ne se présentent jamais dans un même ordre, leur chronologie diffère et la correspondance entre âge de Françoise et année scolaire est souvent sujette à caution. Françoise Sagan elle-même ajoute à la confusion dans certaines de ses déclarations. Ainsi lorsqu’elle raconte à son interviewer, dans « Je ne renie rien », qu’elle est entrée à l’Ecole Louise-de-Bettignies, à Paris, en 8° ou en 9°, cela est parfaitement improbable !

Partant du principe que l’entrée en 9ème (ce qui correspond au Cours Préparatoire) se fait généralement vers l’âge de 7 ans et que l’entrée en 8ème (Cours Moyen 1ère année) se fait vers l’âge de 8 ans, cela nous amène à la voir entrer dans cette école entre 1942 et 1944, années pendant lesquelles Françoise Sagan vivait entre Lyon et Saint-Marcellin, guerre de 1939-1945 oblige.

1940 – Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés

D’autres obstacles rendent les recherches particulièrement difficiles. Les écoles et institutions privées dont nous allons dresser un inventaire et dans lesquelles Françoise Sagan a été scolarisée n’ont pas d’archives vieilles de près de 75 ans. Les associations d’anciennes élèves sont trop récentes pour traiter de cette période. Par ailleurs, Françoise Sagan a eu une scolarité un peu agitée ce qui a contraint sa famille à la changer assez fréquemment d’établissement. Les structures qui ont exclu Françoise Sagan en cours de scolarité ne s’en vantent pas aujourd’hui ! Et, dernier contretemps, ces écoles souvent religieuses n’ont pas le réflexe d’utiliser les noms de leurs anciennes élèves pour favoriser leur promotion, surtout si celles-ci sont affublées d’une réputation sulfureuse !

Entre octobre 1940 et l’été 1945, Françoise Sagan a été scolarisée en école élémentaire privée, l’école Saint-Nizier – Tour Pitrat, une école appartenant aux Lazaristes et située au cœur de la Presqu’île lyonnaise. Elle en garde un souvenir « délicieux » : « il y avait tout le temps des alertes, alors on nous ramenait tout le temps chez nous. On travaillait peu. On chantait comme tout le monde « Maréchal, nous voilà, devant toi le sauveur de la France… ». Il n’y avait pas moyen d’y couper. On nous distribuait des biscuits vitaminés et des petits chocolats roses. » (1). « Maréchal, nous voilà », était l’hymne pétainiste coexistant avec la « Marseillaise » dans la zone sud dès 1941..

A dater de l’automne 1945, Françoise Sagan et sa famille rejoignent leur appartement parisien du 167 boulevard Malesherbes, dans le 17ème arrondissement. Seul, Pierre Quoirez reste à Saint-Marcellin. C’est l’occasion pour Françoise de faire son entrée en classe de sixième au sein du Cours Louise-de-Bettignies, une école tenue par des religieuses ursulines située dans le même arrondissement, à moins de deux cents mètres de chez elle , « l’école en face », comme elle dit (2). Elle restera dans cette école jusqu’au printemps 1949, quelques trois mois avant la fin de l’année scolaire. Elle est alors exclue de l’école ! Laissons-là raconter elle-même les causes de cette exclusion. « J’avais pendu un buste de Molière par le cou avec une ficelle à une porte parce que nous avions eu un cours particulièrement ennuyeux sur lui ». (3)

1941 – Françoise Sagan et son frère Jacques -Collection privée – Tous droits réservés

Cette exclusion met fin à la seconde période de la scolarité de Françoise Sagan et ouvre une phase moins calme. Pendant les trois derniers mois de l’année scolaire 1948-1949, classe de troisième, Françoise, âgée de quatorze ans, n’informe pas ses parents de cette exclusion, ayant réussi à subtiliser l’avis de renvoi. Levée à l’heure le matin, équipée de son cartable, elle part à la découverte de Paris à pied ou en autobus. Bien évidemment, à la rentrée de septembre 1949, la vérité est apparue.

Les écoles se succèdent. Geneviève Moll (4) parle du Cours des Champs-Elysées : elle est la seule et ce Cours n’a laissé aucune trace ! En septembre 1949, Pierre Quoirez réussit à placer sa fille au « Couvent des Oiseaux » d’où elle ne tarde pas à être invitée à partir « en raison d’un manque de haute spiritualité » caractérisé notamment par la déclamation de textes de Jacques Prévert « Notre père qui êtes aux cieux, restez-y et nous, nous resterons sur la terre qui est si jolie »(5). Ce fut ensuite un retour en Dauphiné, Pierre Quoirez souhaitant probablement reprendre quelque peu la main sur l’éducation de sa fille. Pendant trois mois, c’est le « Sacré-Coeur de Bois-Fleury », à La Tronche qui héberge Françoise. Cette école existe toujours sous le nom de l’Ecole Philippine Duchesne et se trouve désormais à Corenc. Notre étudiante y laisse une très mauvaise impression ! Enfin, « La Clarté », une école privée catholique de Villard-de-Lans reçoit Françoise Sagan pendant les trois derniers mois de l’année scolaire, présence attestée par les documents produits lors d’une exposition relative à l’histoire du climatisme sur le Plateau du Vercors (5bis). La discipline y est moins sévère et Françoise y laisse un bon souvenir, même si ses résultats sont jugés « passables, faibles et fantaisistes » (carnet de notes du second trimestre). Pendant ces six derniers mois de vie scolaire, à La Tronche comme à Villard-de-Lans, Pierre Quoirez prend en charge sa fille pendant toutes les fins de semaine et les petites vacances. Il l’accompagne à Grenoble afin qu’elle puisse faire des achats de librairie. Quant au dernier trimestre de l’année scolaire, Pierre Quoirez propose qu’il se passe à La Fusilière, là « où elle est assez grande pour travailler par elle-même et où sa femme sera beaucoup moins seule, dans cette grande maison de campagne où elle s’ennuierait beaucoup sans sa fille » (5ter) .

1941 – Françoise Sagan et sa sœur Suzanne – Collection privée -Tous droits réservés – Photo prise à Saint-Marcellin

La légende de Françoise Sagan veut qu’elle ait été une élève très indisciplinée, présentée comme hostile à l’obéissance, peu respectueuse de l’ordre établi dans les différents établissements scolaires fréquentés et, parfois, mauvaise élève. A part, peut-être, l’année 1949-1950, l’année de ses quinze ans, que nous venons de décrire, ce tableau ne correspond guère à la réalité. Et les frasques qui lui sont reprochées ne sont que des réactions de vive adolescente, éprise de liberté de geste, de parole et de pensée.

A la rentrée de septembre 1950, Françoise Sagan entre au Cours Hattemer, à Paris. Elle y suivra les classes de première et de terminale, sans que ses résultats soient exceptionnels, sauf en français : elle aime écrire et disserter, y compris, parfois, en lieu et place de ses camarades ! Elle échoue à son premier baccalauréat en juin 1951 et le réussit en octobre grâce à des cours spéciaux, un bachotage délivré par le Cours Maintenon. La même chose se reproduit en 1952 pour son second baccalauréat. Cela lui permet de s’inscrire en propédeutique, classe préparatoire aux études littéraires, en Sorbonne en octobre 1952. Françoise Sagan n’a pas dix-sept ans et demi ! Elle n’a pas à avoir honte de son parcours scolaire, même si ses études n’iront guère plus loin. Notons que le Cours Hattemer est la seule structure citant Françoise Sagan parmi ses anciennes élèves (6)

  • 1- Je ne renie rien – Françoise Sagan – 2014
  • 2- Je ne renie rien – op. déjà cité
  • 3- Je ne renie rien – op. déjà cité
  • 4- Françoise Sagan racontée par Geneviève Moll – 2010
  • 5- Je ne renie rien – op. déjà cité
  • 5bis- Dauphiné Libéré – 19/03/2015 – Rubrique Villard-de-Lans
  • 5ter – Lettre de Pierre Quoirez, en date du 2 avril 1950, copie transmise par Maison du Patrimoine, Villard-de-Lans et par Monsieur Malbos, le fils des directeurs de La Clarté
  • 6- https://hattemer-academy.com/notre-ecole/anciens-eleves/

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Second chapitre: Françoise Sagan et la carrière de son père, Pierre Quoirez

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Il est important de consacrer un chapitre complet à l’examen de la carrière militaire, puis professionnelle, de Pierre Quoirez, car elle rejaillit de façon significative sur la vie de cet homme et sur son engagement dans l’activité économique de Saint-Marcellin et, plus généralement, du Sud-Grésivaudan.

Pierre Quoirez est né à Béthune, dans le Pas-de-Calais, le 25 juin 1900. Ses études le conduisent au Collège Stanislas à Paris, puis à l’Institut Industriel du Nord (IDN), à Lille, d’où il sort ingénieur en électromécanique, promotion 1921 (1). Son père, Nestor Quoirez, était déjà sorti de cette grande école avec le titre d’ingénieur lors de la promotion 1891. Pour la curiosité, signalons que Paul LAUBARD est également sorti de cette école dans la promotion suivante, celle de 1922. Or, Paul Laubard est le frère de Marie LAUBARD qui deviendra l’épouse de Pierre Quoirez le 3 avril 1923. L’histoire raconte que les futurs époux se sont rencontrés lors d’un mariage d’amis en région parisienne. Peut-on supposer que Paul Laubard fut pour quelque chose dans cette rencontre ?

Afin de dire l’essentiel à propos de ce beau-frère, Paul Laubard, signalons qu’après son diplôme, il a travaillé sept ans chez Citroën en tant qu’ingénieur. En 1934, il crée sa propre entreprise, les Messageries Routières Paris-Lille, ce qui l’amène à devenir vice-président de la Fédération des Transports Routiers en 1947, puis vice-président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris en 1966, et enfin président de cette dernière en janvier 1971.(2)

Concernant la carrière militaire de Pierre Quoirez (3), celui-ci bénéficia d’un sursis d’incorporation, en tant qu’étudiant, jusqu’au 1er octobre 1920. Engagé volontaire pour quatre ans, Pierre Quoirez est immédiatement incorporé successivement au 56° RAC (régiment d’artillerie de campagne), puis au 22° régiment d’artillerie le 15 juin 1921.

  • Il est nommé brigadier le 1er août 1921 et intègre, le 10 octobre 1921, l’école militaire d’artillerie de Fontainebleau en tant qu’élève officier de réserve (4). Nommé aspirant, il est affecté au 16° régiment d’artillerie d’Issoire.
  • En septembre 1922, il est nommé au grade de sous-lieutenant de réserve d’artillerie, pour prendre rang le 8 avril 1922.(5)
  • Par décision ministérielle du 16 décembre 1923, ayant terminé son service actif, il est maintenu dans son affectation au 10° régiment d’artillerie (6). Affecté ensuite au 16° régiment d’artillerie d’Issoire, il est ré-incorporé au 10° d’artillerie de Clermont-Ferrand, le 12 février 1924 (7).
  • Le 17 mars 1925, il est affecté à l’artillerie de la 5° division de cavalerie. Par décision ministérielle du 21 avril 1926, il y est promu au garde de lieutenant, pour prendre rang au 21 mars 1925 (8).
  • Pierre Quoirez effectue une période d’exercice de 28 jours, du 6 au 30 septembre 1927.
  • Le 1er mars 1928, il est affecté au centre de mobilisation N° 71, puis muté au centre de mobilisation N° 41, le 5 mai 1929.
  • Il est libéré du service actif le 28 avril 1923 et se retire 53 rue de Poissy à Saint-Germain-en-Laye.
  • Le 31 juillet 1930, il est affecté au centre de mobilisation d’artillerie N° 421, puis le 15 mars 1933 au centre de mobilisation d’artillerie N° 414.
  • Il effectue une période d’exercice du 7 au 16 juin 1937, puis une autre du 30 septembre au 3 octobre 1938, à l’issue de laquelle il est maintenu au corps jusqu’au 6 octobre 1938, avant d’être renvoyé dans ses foyers. Sa vie militaire ne s’interrompt cependant pas à cette date.

Sa carrière professionnelle a déjà débuté en 1924, puisque nous trouvons dans « La technique moderne » un article daté du 15 novembre 1924, dans lequel Pierre Quoirez, ingénieur aux Ateliers de Delle, signale un nouveau système pour l’isolement automatique des défauts sur les lignes de traction (9). Notons qu’un personnage que nous aurons l’occasion de revoir souvent et dont nous reparlerons, Henri de RAEMY, sera administrateur des Ateliers de Constructions Electriques de Delle en 1927. Ces Ateliers font partie du consortium d’entreprises dont la Compagnie Générale d’Electricité a pris le contrôle en 1912.

1929

Le 25 mai 1929, une délégation d’une centaine d’ingénieurs des Ecoles Centrales de Lyon est reçue aux Ateliers de Constructions Electriques de Delle, à Lyon. Les visiteurs sont accueillis par six ingénieurs et directeurs de service dont Mr Quoirez, chef des services de publicité. A l’issue de la rencontre, le directeur technique, Mr ROTH, prend la parole au nom de Mr Raemy, administrateur, et fait l’éloge « des ingénieurs qu’il désire de plus en plus nombreux à devenir des collaborateurs et des clients des Ateliers de Constructions Electriques de Delle ».(10) De 1930 à 1940, il est certain que Pierre Quoirez a des responsabilités au sein de la Compagnie Générale d’Electricité dans laquelle il est intégré, mais il n’a pas été possible de les déterminer.

Début 1940, intervient un nouvel épisode militaire dans la vie de Pierre Quoirez. Sa fiche matricule précise qu’en date du 18 janvier 1940, il est affecté spécialement (AS) auprès de la CGE (Compagnie Générale d’Electricité). Selon certains biographes (Gohier et Marvier, Delassein), il est appelé sur le front de la Ligne Maginot pour une période de dix mois. Cela n’est pas mentionné sur sa fiche matricule. Quoi qu’il en soit, il est manifestement difficile qu’il ait pu faire dix mois de service actif à dater de janvier. En effet, en juin 1940, la France « perd une bataille », la bataille de France, entre le 10 mai et le 22 juin 1940. A la suite de l’effondrement de notre armée, entre le 11 et le 22 juin, marqué par la mort de 90 % des effectifs français engagés sur le front afin de résister à l’invasion allemande (soit de 60 000 à 90 000 hommes), auxquels s’ajoutent quelques 21 000 victimes civiles, le maréchal Pétain exige de cesser le combat le 17 juin 1940. L’ennemi allemand contraint notre pays, lors de l’armistice signé le 22 juin, à démobiliser et désarmer son armée. Pendant que se développe ce que l’on a nommé l’exode, les troupes allemandes capturent 1 850 000 militaires français qu’elles font prisonniers, d’abord internés dans les Frontstalag situés sur le territoire français, puis transférés dans des camps allemands. Parmi eux, il y a environ 30 000 officiers. Environ 70 000 prisonniers parviendront à s’échapper dès les premiers jours (11 – Archives de l’Etablissement de Communication et de Production de la Défense – ECPAD). Pierre Quoirez n’ayant pas été fait prisonnier en juin 1940, il a donc été inévitablement démobilisé. Et c’est en juin-juillet 1940 qu’une nouvelle période professionnelle s’ouvre pour lui.

A sa démobilisation, au début du second semestre 1940, Henri de Raemy, administrateur et directeur général adjoint de la CGE, le nomme directeur des établissements de la Fabrique d’Appareillages Electriques (FAE, Groupe CGE) de Pont- en-Royans et de Saint-Marcellin. Nous ne savons pas exactement quand Pierre Quoirez a pris ses fonctions en Dauphiné, les biographes parlent de juillet ou d’octobre 1940. Les vacances scolaires débutant au 15 juillet pour s’achever au 1er septembre, c’est probablement dans cette période qu’il faut placer l’arrivée de la famille Quoirez à Saint-Marcellin et Lyon. Des écrits signés de sa plume de directeur sont datés du 21 avril 1941 et sont relatifs à un Centre d’Apprentissage dont nous reparlerons. Cette date est importante car elle pose un point de départ certain à la présence à Saint-Marcellin de Pierre Quoirez et de sa famille.

Carte Postale Ancienne-Les usines de la FAE à Saint-Marcellin

Largement huit ou neuf ans plus tard, Pierre Quoirez est toujours directeur de la FAE. Louis Bouteille raconte comment il a été embauché comme ingénieur dans l’établissement de Saint-Marcellin, en septembre 1948, après des entretiens avec Paul Sandell, chef du bureau d’études, et Pierre Quoirez, directeur (12).

Le « Dauphiné Libéré » daté du 27 avril 1949 publie le compte-rendu d’un déplacement effectué par le Préfet de l’Isère, sous le titre « Après s’être entretenu avec les maires du canton, le Préfet visite les usines de Saint-Marcellin ». La journée débute par une réception et des discours en mairie de Saint-Marcellin, à laquelle participent, outre le Préfet Roger RICARD, Mr Joseph RUBICHON, chargé de mission en préfecture, Mr Ferdinand DIDIER (DIT PONTAIS), conseiller général, le maire de Saint-Marcellin, Ferdinand BRUN et son conseil municipal, les maires du canton et de nombreuse personnalités de la ville. La délégation se rend ensuite au monument aux morts puis à la stèle en hommage à Victor Carrier afin d’y déposer des gerbes. Sont alors visités les Ets BOUYOUD,  » aux rouelles dauphinoises », puis, après le repas, la FAE de la CGE, sous la conduite éclairée de Mr Quoirez, enfin les Ets MOREL à La Sône. Le retour se fait après un détour à Chatte

Les Anciens d’Arnould (successeur de la FAE) possèdent une photographie de la visite des ateliers, la propre fille de Ferdinand Brun nous communique également une série de photos illustrant cette visite conduite par Pierre Quoirez. Enfin, Patrick Morel nous confie quelques photos de l’étape à La Sône (13).

Avril 1949-Visite de la FAE de Saint-Marcellin-Photo Faurie-Droits réservés-AAA
Avril 1949-Visite de la FAE de Saint-Marcellin-De G à D, au 1er plan: Ferdinand Brun, Maire de Saint-Marcellin, Mr Joseph Rubichon, Mr le Préfet Roger Ricard, Pierre Quoirez-Photo Faurie-Droits réservés Liliane Brun-Austruy

Cécile DEFFOREY, fille de Suzanne Quoirez, nous dit se souvenir de rencontres avec Françoise Sagan, à Saint-Marcellin, en 1949.

Quand Pierre Quoirez quitte-t-il la FAE ? Nous n’avons aucune indication précise mais il signe, le 17 avril 1950, une lettre de félicitations concernant l’élève Michel LAURENT, au second semestre de la deuxième année d’Ecole d’Apprentissage (13bis). Enfin, dans sa biographie « Sagan, un chagrin immobile », Pascal Louvrier raconte qu’en octobre 1951, Françoise Sagan et son amie Véronique Campion allaient se promener le dimanche, du côté d’Argenteuil, non loin de l’usine de Pierre Quoirez.

Ultérieurement, Paris-Presse-L’Intransigeant, dans son numéro du 28 mars 1958, publie un article de François Brigneau et de Victor Franco concernant Pierre Quoirez, avec ces mots : « Pierre Quoirez est originaire du Nord. Il dirige à Argenteuil une usine de meules où 800 ouvriers sont employés ». Recherches faites, cette usine est l’usine des « Fours Rousseau et des meules REX », usine installée depuis le dernier tiers du XIX° siècle et faisant partie du consortium initial de la CGE. Denis Westhoff nous confirme que son grand-père dirigeait une usine fabricant du Carborundum, un abrasif artificiel constitué de carbure de silicium, un produit possiblement fabriqué par les « Meules Rex ».

Jean-Pierre HOSS, dans un ouvrage intitulé « Communes en banlieue : Argenteuil et Bezons » et publié en 1969, cite les usines des Meules Rex, des Fours Rousseau, de la SECPIA, etc … comme ayant participé à la croissance de la population de ces deux villes.

Les établissements « Fours Rousseau » et « Meules Rex » n’ont fait qu’un qu’à partir de 1925. Cette usine, ainsi qu’un patrimoine privé, ont subi des dommages, sinistrés et spoliés, lors de la guerre de 1939-1945 (14-15). Actuellement, elle n’existe plus et sa cheminée, visible sur une photographie de 2016, a été abattue en 2018. Les recherches sont à poursuivre afin de confirmer que Pierre Quoirez s’y est retrouvé directeur après son départ de Saint-Marcellin, avec mission de sauvegarder l’usine ou … de la fermer. Ni la ville d’Argenteuil, ni l’association patrimoniale locale (SHAAP), ni la Chambre de Commerce et d’Industrie, ne disposent d’archives à caractère industriel.(16-17)

2016-Cheminée de l’usine des Fours Rousseau-Droits réservés-Collection SHAAP

Nous reviendrons ultérieurement sur différents aspects du rôle de chef d’entreprise de Pierre Quoirez, notamment pendant la période de la présence allemande dans notre région, ainsi qu’à propos d’un projet de voiture électrique.

Il est désormais temps de parler d’Henri de RAEMY, dont on a vu qu’il a accompagné la carrière de Pierre Quoirez. Il fut en effet son mentor, le protecteur de sa carrière et également son ami. Henri Léon Marie de Raemy est suisse d’origine, et il a acquis la nationalité française. Il est né le 10 juillet 1889 à Fribourg, il avait donc onze ans de plus que Pierre Quoirez. Il a été diplômé (1907-1911) ingénieur électricien par l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (EPFZ), en allemand : Eidgenössische Technische Hochschule Zürich (ETHZ). A Fribourg, il épouse les 27 et 29 janvier 1923, Yvonne Marie Pauline de CHOLLET, née à Charnoz (Ain) le 6 septembre 1899 (18). De cette union naquirent Jean Jacques Marie Joseph le 10 janvier 1924, Marguerite Marie Clothilde le 6 novembre 1926 et Bruno Pierre Marie Laurent. Henri de Raemy est fait officier de la Légion d’Honneur le 2 août 1949, à peine un mois avant sa « tragique disparition » le 6 septembre 1949 à Ambronay (Ain). Son épouse décédera le 16 août 1989 à Lagnieu (Ain).

Henri de Raemy a été :

  • Administrateur des Ateliers de Constructions Electriques de Delle, en 1927,
  • Directeur Général Adjoint de la CGE en 1932 (consortium créé en 1898),
  • Directeur Général branches et filiales de fabrication de la CGE en 1935,
  • Administrateur de 1936 à 1948 d’Electro-Cable, (18bis)
  • Administrateur de la Compagnie Parisienne de Distribution d’Electricité en 1945,
  • Administrateur de la Société Minière et d’Extraction de Pennaroya entre 1940 et 1948,
  • Administrateur de Minerais et Métaux de 1945 à 1948,
  • Administrateur de la CGE de 1945 à 1948,
  • Directeur Général de la CGE en 1945,
  • Administrateur de la Compagnie Générale de Télégraphie sans Fil en 1948,
  • Président de la Société des Accumulateurs Fixes et de Traction en 1948,
  • Directeur Général de la CGE en 1949. (19)

Nous aurons encore l’occasion de parler d’Henri de Raemy, à l’occasion d’aspects plus personnels de l’amitié qui le liait à Pierre Quoirez.

1939-Françoise Sagan-Collection privée-Droits réservés

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Premier chapitre: Françoise Sagan et l’origine de ses parents

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Commençons par la mère de Françoise Sagan : Marie, née LAUBARD.

Les Laubard sont issus du département du Lot, dans un périmètre assez restreint constitué par la petite ville de Cajarc (1100 habitants) et les villages ou hameaux de Larnagol, Seuzac, Calvignac …, au sud-est du département, sur les bords de la rivière Lot et à mi-chemin entre Figeac et Cahors.

L’arrière-grand-père de Marie Laubard se dénommait Pierre ( ?–17 avril 1852 à Calvignac) et était cultivateur dans le hameau de Labruyère. (1)

Son fils, Pierre, le grand-père de Marie, (02 février 1836 à Calvignac-?) était considéré comme cultivateur au hameau de Labruyère en 1863, puis comme propriétaire sur la commune de Larnagol en 1895.(2)

Son fils, Pierre Edouard, (08 juin 1863 à Calvignac-22 mars 1937 à Cajarc) (3) a épousé le 30 novembre 1895, à Cajarc, Joséphine, Urbainie, Magdeleine DUFFOUR (4). Dans l’acte de mariage, acte très élaboré par suite d’un conseil de famille motivé par le fait que la mariée était à la fois mineure et orpheline de père et de mère, Pierre Edouard est noté comme « propriétaire sans profession » (5). Une mention identique de « propriétaire » est notée sur les recensements de 1911 (6) et 1921 (7). Sur le recensement de 1926, la mention « cult. » est biffée d’une croix. (8) C’est à dire que le rapport de ses propriétés lui permettait de vivre sans avoir jamais travaillé. Notons également que le père de la mariée (décédé) était notaire de profession. Ce recensement de 1926 nous précise que les parents, Edouard et Madeleine, la fille, Marie, épouse Quoirez, et la petite fille, Suzanne, sont présents à Cajarc. Pierre Quoirez n’est pas recensé.

Edouard et Madeleine, comme ils sont couramment dénommés, auront quatre enfants :

  • Maurice Elie Léopold François, né en 1896 et Mort pour la France en 1917, (9)
  • Paul Pierre François Léopold, né en 1899 et décédé en 1987, ingénieur, dont nous aurons l’occasion de reparler,(10)
  • Marie Françoise Eugénie, née le 5 septembre 1903, décédée le 23 octobre 1989, la mère de Françoise Sagan,(11)
  • et Pierre Edouard Urbain Edmond, né le 4 août 1906 et décédé le 11 avril 1978, ingénieur.(12)

Pour l’anecdote, Marie Françoise Eugénie a été déclarée de « sexe masculin » ainsi qu’il ressort sur son acte de naissance, et cette erreur n’a jamais été corrigée en marge.

La maison familiale, maison du XIX° siècle, issue de la famille Duffour, sur le boulevard du « Tour de Ville » restera en indivision après le décès de Madeleine. Suzanne, la sœur aînée de Françoise Sagan, rachètera les parts de tout le monde dans les années 1980. Cécile Defforey, sa fille, en a hérité. Dans son « circuit patrimonial », la ville de Cajarc la nomme curieusement « Maison Quoirez, maison natale de Françoise Sagan», alors qu’il eut été plus logique de la surnommer « Maison Laubard ».

Maison natale de Françoise Sagan, à Cajarc – Droits réservés – Google Street View
Maison natale de Françoise Sagan, à Cajarc – Droits réservés – Patrick Morel

Au tour, maintenant des QUOIREZ. Le père de Françoise Sagan est Pierre Quoirez.

Le pays de la famille Quoirez est le pays minier, à cheval sur les départements du Nord et du Pas-de-Calais, un pays de terrils qui va de Valenciennes à Béthune en passant par Bruay, Henin-Beaumont, Noeux-les-Mines, Raismes, …

L’arrière-arrière-grand-père de Pierre Quoirez se nomme Augustin Joseph QUAREZ. Il est né en 1775 à Anzin, dans le Nord. Mineur de son métier, il est décédé le 23 juillet 1814, à Valenciennes, à l’âge de 39 ans (13). Veuf d’un premier mariage, il s’est remarié et a eu un fils Célestin Joseph. Sur l’acte de naissance de ce fils, l’officier d’état-civil a noté que « le père ne sait pas signer ». Lors du décès d’Augustin Joseph, il est noté qu’il est domicilié à Valenciennes, à l’Ecorchoir, hors la Porte de Lille.

Célestin Joseph est donc l’arrière-grand-père. Il est né le 21 mai 1814, à Valenciennes (14), deux mois avant le décès de son père. Il porte encore le nom de Quarez, lequel deviendra Quoirés, mineur, lors de son mariage, le 27 novembre 1838, avec Catherine Joseph CARREZ (15). Il deviendra Quoirez lors de la naissance de son fils Théophile. En 1845, il n’est toujours que mineur, ouvrier à la mine. Mais lors de son décès, le 8 juin 1877, à Noeux-les-Mines (Pas-de-Calais), il sera qualifié de maître-soudeur. Son nom redeviendra celui de Quarez et c’est sous ce nom que ses deux fils signeront l’acte de décès.(16)

Son fils, Théophile Quoirez, est né le 6 août 1845 à Raismes (Nord) (17) et est décédé le 12 décembre 1898 à Bully-les-Mines (Pas-de-Calais) (18). Il est le grand-père de Pierre Quoirez. Il épouse Dolomie MIA le 24 février 1868, dont il a un fils, Nestor. Employé des Mines, il devient sous-directeur des mines de Bully, avec le titre d’ingénieur, et reçoit le 16 juillet 1886, la médaille d’honneur pour 30 années de services à la Compagnie des Mines de Béthune, à Mazingarde. Outre Nestor, le couple aura deux autres garçons ; Théophile vers 1868 et Jules, le 14 avril 1872, lequel décédera le 14 février 1915, à Meschede, en Allemagne, Mort pour la France.

Nestor, le père de Pierre Quoirez est né le 25 avril 1870 à Bully-les-Mines (19). Il se mariera le 18 juin 1898 avec Henriette Joséphine DEGRAND, issue d’une famille d’horlogers parisiens, dont il aura quatre enfants, Hélène Hermance Henriette en 1899 (20), Pierre Henri Théophile en 1900 (le père de Françoise Sagan), né à Béthune (21), Madeleine en 1905 (22) et Hélène Blanche en 1916 (23)(24)(24bis). Avec la promotion 1891, il sortira ingénieur de l’Institut Industriel du Nord (IDN) à Lille. Il décédera le 31 juillet 1931 à Bougival (Yvelines). Les déménagements sont nombreux au cours de sa vie puisqu’on le retrouve, au gré des recensements, à Bruay (Nord) en 1894, à Mazingarde (Pas-de-Calais) en 1895, à Béthune (Nord) en 1900, à Douai (Nord) en 1903, à Raismes (Nord) en 1906, à Nogent-sur-Marne en 1916 , 7 rue de la Gare, à Saint-Germain-en-Laye en 1921, rue de Poissy.

Ce sont donc Marie Françoise Eugénie Laubard, née en 1903, et Pierre Henri Théophile Quoirez, né en 1900, qui se marieront le 3 avril 1923 (25) et auront quatre enfants, tous nés dans la maison maternelle de Cajarc, ainsi que le « demandait » leur grand-mère Madeleine :

  • Suzanne Henriette Madeleine, l’aînée, le 6 janvier 1924, (26)
  • Maurice, le 20 mars 1926, qui décédera cinq mois plus tard, le 31 août 1926, (27)
  • Jacques Maurice Pierre, le 20 août 1927, (28)
  • et Françoise Marie Anne, le 21 juin 1935, la future Françoise Sagan. (29)

A l’issue du tour d’horizon de ces deux familles, il nous est possible de mettre en évidence quelques points communs dans leurs trajectoires respectives. De la fin du XVIII° siècle au début du XX° siècle, la progression sociale a été spectaculaire pour les Laubard et pour les Quoirez. Les uns étaient des cultivateurs, les autres des mineurs, et cependant les derniers-nés se retrouvent cote-à-cote en tant qu’ingénieurs et chefs d’entreprises, de plain-pied avec une bourgeoisie industrielle. Outre « l’ascenseur social » propre à cette période de notre histoire industrielle, il faut y ajouter l’effet des unions conclues d’un coté avec une fille de notaire, et de l’autre coté avec une fille d’horlogers. Nous noterons également que les deux familles ont donné leur part à la défense de la France puisque chacune a eu, malheureusement, son Mort pour la France. Enfin, nous verrons que l’accord semble s’être fait entre les deux familles pour que l’éducation des enfants soit confiée à des établissements privés, voire confessionnels (catholiques).

Arbre généalogique ascendant de Françoise Sagan
  • 1- 1852 – Acte de décès Pierre Laubard – AD46 – 4 E 822 0337
  • 2- 1836 – Acte de naissance Pierre Laubard – AD46 – 4 E 821
  • 3- 1863 – Acte de naissance Pierre Edouard Laubard – AD46 – 4E 822
  • 4- 1876 – Acte de naissance Joséphine Urbainie Magdeleine Duffour – AD46 – 4 E 808
  • 5- 1895 – Acte de mariage Pierre Edouard Laubard-Joséphine Urbainie Duffour – AD46 – 4 E 810
  • 6- 1911 – Recensement Cajarc – AD46 – 6 M 224 0194
  • 7- 1921 – Recensement Cajarc – AD46 – 6 M 251 0026
  • 8- 1926 – Recensement Cajarc – AD46 – 6 M 278
  • 9- 1917 – Notice Mort pour la France Maurice Elie Léopold Laubard- Memoire des Hommes
  • 10- 1899 – Acte de naissance Paul Pierre François Léopold Laubard – AD46 – 4 E 810
  • 11- 1903 – Acte de naissance Marie Françoise Eugénie Laubard – AD46 – 4E 3519
  • 12- 1906 – Acte de naissance Pierre Edouard Urbain Laubard – AD46 – 4 E 3519
  • 13- 1814 – Acte de décès Augustin Joseph Quarez – AD59 – 5 Mi 055 R 045
  • 14- 1814 – Acte de naissance Célestin Joseph Quarez – AD59 – 5 Mi 055 R 045
  • 15- 1838 -Acte de mariage Célestin Joseph Quoirès-Catherine Joseph Carrez – AD59–5 MiR 582
  • 16- 1877 – Acte de décès Célestin Joseph Quarez – AD62 – 5 MiR 617-5
  • 17- 1845 – Acte de naissance Théophile Quoirez- AD59 – 5 Mi 053 R 045
  • 18- 1898 – Acte de décès Théophile Quoirez – AD62 – 3 E 186
  • 19- 1870 – Acte de naissance Nestor Quoirez – AD62 – 5 MiR 186
  • 20- 1899 – Acte de naissance Hélène Hermance Henriette Quoirez – AD62 – 3 E 119-128
  • 21- 1900 – Acte de naissance Pierre Henri Théophile Quoirez – AD62
  • 22- 1905 – Acte de naissance Madeleine Quoirez – AD59 – 1 Mi EC 491R 003
  • 23- 1916 – Acte de naissance Hélène Blanche Quoirez – AD75 12N 276
  • 24- 1944 – Acte de décès d’Hélène Blanche Quoirez – AD75 – 16D 172
  • 24bis- 1944 – Inhumation Hélène Blanche Quoirez – 12 décembre 1944
  • 25- 1923 – Acte de mariage Marie Françoise Laubard-Pierre Henri Théophile Quoirez – Etat-civil de la ville de Cajarc
  • 26- 1924 – Acte de naissance Suzanne Henriette Madeleine Quoirez – Etat-civil de la ville de Cajarc
  • 27- 1926 – Acte de naissance Maurice Quoirez, avec mention en marges du décès – Etat-civil de la ville de Cajarc
  • 28- 1927 – Acte de naissance Jacques Maurice Pierre – Etat-civil de la ville de Cajarc
  • 29- 1935 – Extrait d’acte de naissance Françoise Marie Anne Quoirez – Etat civil de la ville de Cajarc

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