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Les manuscrits de Tombouctou et les cabrioles stylistiques du Monde

C’est un bon papier qu’a écrit Jean-Michel Djian dans le supplément « Culture et Idées » du « Monde » daté 9 février. Il y traite des manuscrits de Tombouctou.
Outre une longue et fructueuse explication de l’histoire de tous ces textes et de leurs copies conservées dans des malles ou des caisses en métal, on y apprend que les destructions qu’auraient infligées les djihadistes sont très minimes parce que ces documents de valeur avaient déjà été mis en sureté plus au Sud.
A vrai dire, on s’en doutait quelque peu, à voir LA misérable mise en scène de quelques papiers brulés et d’un petit tas de cendres ! Mais c’était important de le dire et de dissiper une affirmation largement répandue, comme beaucoup d’autres, dans les médias, selon laquelle les dégâts infligés au patrimoine étaient incommensurables.

En lisant ce papier tout chargé de notions d’histoire, nous vient à l’esprit un certain discours de Dakar et l’on se dit: « tu vas voir, il va finir par en parler ! » (Le-discours-de-Dakar,-le-discours-de-Benghazi). Gagné ! Certes, il faut attendre la dernière phrase que l’on ne peut pas éviter de citer en intégralité.
« Pour autant, les évènements en cours pourraient précipiter une prise de conscience salutaire, car la reconnaissance de la mémoire écrite est peut-être le meilleur moyen d’en finir avec ceux qui répètent que « l’Afrique n’a pas d’histoire ».

C’est dommage de gâcher un bel article, mais c’est presque une tradition de conclure les articles du « Monde » par une cabriole stylistique dans laquelle l’auteur veut donner en guise de conclusion un point de vue bien souvent très personnel. De façon générale, ce n’est pas ce que l’on attend d’un journaliste, à plus forte raison quand cette conclusion se révèle à coté de la plaque ou carrément hors sujet.
Dans le cas présent Jean-Michel Djian prouve qu’il n’a jamais lu et analysé le discours de Guaino-Sarkozy, en donne une retranscription erronée (mensongère ?) et conforte une interprétation tendancieuse de ce discours. En effet, le texte exact, après avoir parlé des « valeurs de la civilisation africaine », note que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».
Vous conviendrez que ce n’est pas la même chose et qu’il vaut mieux connaître un texte, ses forces (anti-racisme) et ses faiblesses ( paternalisme et néo-colonialisme) avant de le citer à tort et à travers. L’histoire dont il s’agit ici est une histoire beaucoup plus moderne, voire contemporaine: c’est davantage celle de la mondialisation que celle des XIII° au XVII° siècles.

Tombouctou – Livres brulés (C)AFP



En parlant de cabriole stylistique, il est un autre journaliste qui ne les déteste pas: c’est Stéphane Foucart. Dans le même numéro il nous livre un très long article sur l’effondrement de notre civilisation en raison de l’érosion de la biodiversité, de l’exploitation irraisonnée des océans, de la destruction accélérée des insectes pollinisateurs, de l’épuisement des sols et des eaux, du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources, de l’acidification des océans …
Comment cela va-t-il se finir ? Nul ne le sait, sauf Stéphane Foucart qui conclut son article par: « Mais le spectacle qu’offre un pays comme la Grèce n’incite guère à l’optimisme ».

Nous nous demandons encore quel est le lien entre l’effondrement qui guette notre planète et la situation de la Grèce ….

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Ecriture

Alexandrie – Bibliothèque

On appelle corde le segment de droite qui soutient un arc. Dans un cercle, le segment de droite qui rejoint deux points de la circonférence de celui-ci et qui délimite donc un arc de cercle.
La Bibliothèque d’Alexandrie est une symphonie de cordes, d’arcs et de diagonales. Quasi vaste cylindre enterré d’un tiers de sa hauteur totale, l’architecte norvégien l’a tronçonné par une coupe en diagonale. A la fois façade et toit. Façade parce qu’il s’agit d’un damier géant de métal et de verre, orienté sensiblement au nord, dont chaque case est diagonalement ouverte ou fermée par un arc de cercle. Les diagonales tracent une brassée de cordes parallèles. Les ouvertures laissent entrer la lumière de façon indirecte. Mais il s’agit d’un toit également puisque c’est le sommet du bâtiment et qu’ici la pluie, le vent, les embruns, le sable se retrouveront. Façade et toit confondus veulent symboliser un soleil se levant sur la mer.

Bibliothèque d’Alexandrie

Ou couchant mais il est sans doute plus positif de dire levant. Cependant le soleil, le vrai, donne à cette structure ses meilleures et plus chaudes couleurs cuivrées, métallisées, moirées lors de son coucher. Le toit s’appuie sur cent quatre vingt degrés à un mur aveugle fermant la face sud du bâtiment. Aveugle à l’exception d’un découpe rectangulaire, plus haute que large, qui laisse passer une passerelle métallique. Celle-ci devait relier la Faculté de Commerce à la Corniche en passant au travers de la Bibliothèque et en surplombant l’avenue de bord de mer. Elle part bien du trottoir de la Faculté de Commerce. Elle parvient à la corniche, mais ne l’atteint pas, restant suspendue au-dessus du vide. Le mur est recouvert de plaques de garnit gris de deux formats, carré et rectangle du double de ce carré. Toutes les plaques se joignent en laissant déborder leurs angles, ce qui apporte un désordre salutaire à la surface du mur. Les plaques de granit sont disposées en lignes horizontales très nettes. Au sein des lignes, les plaques sont toujours les mêmes, soit des carrés, soit des rectangles verticaux, très rarement des rectangles horizontaux.
Comme une page d’écriture universelle, toutes ces plaques sont calligraphiées des signes, lettres, chiffres, idéogrammes, de tous les langages de toutes les cultures et civilisations. La gravure de ces signes se poursuit de plaque en plaque sans se soucier des limites de celles-ci. Le haut du mur, arc de cercle gagné sur le ciel, est conquis par les choucas locaux qui y ont élu domicile. Au nord, le toit est fermé par un mur identique de quelques mètres de hauteur et dont l’intérieur reprend le motif des signes et caractères des langues de la terre. Une pièce d’eau symbolise la mer entre ce mur et la limite du site.

Bibliothèque d’Alexandrie

A l’intérieur de la Bibliothèque, une forêt de piliers achevés en fleur de lotus, soutient le toit. La lumière, grandement naturelle tombe indirectement des ouvertures. Un filigrane bleu et vert borde ces découpes. Des spots sont logés au plafond. Les planchers ouverts au public suivent la même diagonale que celle du toit, sous la forme d’un amphithéâtre géant de plus d’une dizaine de marches. Un escalier bordé de marbre noir de Nubie parcourt en ligne droite tous les niveaux de la bibliothèque. Des bureaux, salons de lecture, ont la particularité de s’ouvrir sur certaines des loggias délimitées par le toit façade. Tables, bureaux, rayonnages, étagères font harmonieusement appel au bois blond, au cuir, à l’acier, dans des formes sobres et excessivement géométriques.
Plus question de cordes et d’arcs.
Sur l’esplanade accueillant la bibliothèque, deux autres bâtiments. L’un, massif, sorte de gros cube, déjà ancien et quelque peu réhabilité, a pour fonction d’être un auditorium. Sur l’une de ses faces, les diagonales murales reprennent l’idée des trois pyramides. Ce n’est pas l’idée la plus originale et cette construction est mal venue sur l’esplanade. L’autre est un planétarium. Boule noire découpée en huit bandes parallèles, plus les pôles. Les bandes sont d’un noir mat, caoutchouteux. Les césures sont en acier blanc poli. Comme un miracle, la sphère est suspendu au-dessus d’une fosse cubique. Elle ne repose légèrement que dans quatre berceaux proéminents sur les faces intérieures du cube. Geste architectural en totale harmonie avec la bibliothèque. Sombre astre lunaire (voué à être planétarium), sans lumière propre, éclairé par la proximité, le rayonnement, les dimensions du soleil se levant à ses abords immédiats. Si cette bibliothèque possède une dimension pharaonique, c’est bien davantage en raison de la force symbolique de ses murs qu’à cause de la difficulté matérielle de l’entreprise.

Planétarium de la Bibliothèque

La Bibliothèque d’Alexandrie vise à terme les cinq millions de références. Qui les lui confiera, au siècle de l’informatique et de la numérisation?