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Chronique du Bateau Ivre, de Saint-Marcellin. Chapitre deux

Fred Gelas

Avec Fred GELAS, c’est une troisième génération qui prend en mains le flambeau de la culture populaire, tout particulièrement à Saint- Marcellin. Mais qui est Fred Gelas, de son vrai prénom Alfred ?

Retraçant la lignée paternelle, nous trouvons son grand-père, Henri Honoré Gelas, né le 5 novembre 1857, au Grand-Serre (Drôme) et décédé en 1937 à Bourg-de-Péage (Drôme). Il épouse le 16 octobre 1886, au Grand-Serre, Marie Joséphine Eulalie Philomène Charvat, native du Grand-Serre. Le couple a trois enfants. Alfred Ernest, né en 1885, Emile Henri Honoré, né en 1887 et Eulalie Rachel, née en 1888.

Le père de notre Fred est Emile Henri Honoré. Il naît au Grand-Serre le 15 mai 1887 (1), se marie avec Marie-Antoinette Reynaud, native de Montchenu (Drôme), le 3 mai 1919, alors qu’il est chirurgien-dentiste à Bourg-de-Péage (2). Ils ont deux enfants : Alfred Jean Emile, né en 1921 et Renée Constance Marie, née en 1925. Emile Henri Honoré décède le 2 juillet 1977, à Saint-Marcellin où il est venu s’installer en tant que mécanicien-dentiste.

Alfred Jean Emile, Fred désormais pour la suite de notre chronique, naît à Saint-Marcellin, le 16 décembre 1921. Dès 1940 il fait ses études à Lyon, au sein de l’Ecole Dentaire. Le chant et la musique l’intéressent beaucoup. C’est ainsi qu’il étudie le violon, la contrebasse et fait des stages de formation et perfectionnement de chef de chœur. Il fait partie de la chorale du scoutisme de Lyon, dirigée par César Geoffray. Il fait partie de la psallette de Lyon, chorale rattachée à la primatiale. Et il crée une chorale à l’Ecole Dentaire. Le lien est noué avec César Geoffray.

En 1945, Fred Gelas revient à Saint-Marcellin, installe son cabinet rue du Dauphin, où exerce son père. Très rapidement, il fait partie de la Lyre Saint-Marcellinoise où il donne des cours de solfège et joue du saxophone.

En 1947, Fred Gelas crée une chorale nommée « Jeunesse et Joie » sur le modèle et les conceptions des chorales « A Cœur Joie » que vient d’initier César Geoffray. Un an plus tard, cette chorale sera officiellement rattachée au réseau des chorales « A Cœur Joie », même si sa déclaration officielle en tant qu’Association régie par la Loi de 1901 ne date que du 23 juin 1954 (3). Si Fred Gelas n’est peut-être pas le premier à suivre la voie tracée par son mentor, il est certainement l’un des premiers.

Cette chorale regroupe jusqu’à une cinquantaine de membres et se produit pendant une quinzaine d’années selon le rythme régulier d’un grand concert annuel à Saint-Marcellin et de participations dans de très nombreuses manifestations.

Chorale « A Cœur Joie » de Saint-Marcellin – Fred Gelas en haut à gauche, pardessus gris – Droits réservés
Chorale « A Cœur Joie » de Saint-Marcellin, dans les bras de Fred Gelas – Droits réservés

Le souffle créateur de Fred Gelas ne s’interrompt pas là puisqu’il initie également l’une des toutes premières sections du mouvement « Arc-en-Ciel » à Saint-Marcellin. C’est ainsi qu’en 1951, à la date du 4° concert annuel, est organisée une journée de diffusion artistique, sous le patronage du Syndicat d’Initiative. Cela se tient en Mairie de Saint-Marcellin, autour de l’exposition d’une vingtaine de toiles de peintres modernes parmi lesquels André Cottavoz (peut-être la seule fois où il fut publiquement exposé dans sa ville natale !), Albert Gleizes, André Lhote, Jean Couty, Pierre Tal Coat, Alfred Manessier…, une présentation des céramiques de Jean Austruy, de reliures d’art de Denise Bernard, ainsi que la reconstitution d’un intérieur dauphinois au 19° siècle à partir de meubles et d’objets provenant, en grande partie, de Beauvoir-en-Royans.(4)

Jardin avec linge qui sèche – Œuvre d’André Cottavoz liée à la maison du Bateau Ivre – Base Palissy – Droits réservés

Localement, Fred Gelas est convaincu que la chorale ne doit pas être uniquement une chorale ! Elle doit être une école de culture populaire et, pour cela, il crée une nouvelle association dénommée « Centre d’Information Populaire » (CIP) dont le lancement est assuré par la chorale le 4 octobre 1951. Le programme de ce Centre s’articule autour de la chorale, d’un atelier d’art plastique, de cours et conférences à thématiques musicale, artistique, sociale, économique …, d’une coopérative culturelle à laquelle participent nombre de choristes qui y reversent 2 % de leur salaire net. Dans le cadre des études sociales, les thématiques suivantes sont abordées avec le concours de militants ouvriers et politiques, de professeurs d’économie politique, de membres de la communauté Boimondeau (4bis) : syndicalisme, corporatisme, coopérative, planification, libéralisme, machinisme, prolétariat,… Permanences et réunions ont souvent lieu en soirée, dans le propre cabinet dentaire de Fred Gelas ou à son domicile Avenue du Vercors (devenue rue des Charbonnières), et l’on y parle aussi bien d’art moderne, de jazz, que de syndicalisme ou de graphisme et de réalisation d’affiches. Nombreux sont les membres de la chorale et du CIP qui ont marqué la vie sociale, associative et culturelle de Saint-Marcellin et qui la marquent encore aujourd’hui.

En 1959, Fred Gelas se retire du rôle de chef de chœur et cède la place, pour un an, à Pierre Monin. Mais il reste administrateur d’« A Cœur Joie ». A partir de 1960, la chorale perd de son importance et entre même en sommeil. En 1971, le flambeau est repris par Alain Chevillot qui fonde « Accroche-Cœur » mais quitte le mouvement « A Cœur Joie ». Cette chorale deviendra « Interlude » tandis qu’en 1986, le même Alain Chevillot crée le groupe vocal d’hommes « Entresol » et Suzanne Jouffre-Grillet anime « Tous Ensemble », la chorale des aînés.(4)

Et pendant ce temps, Monique Gelas ? Monique Gelas, telle qu’elle est nommée partout, a cependant un nom de jeune fille ! Monique Marie Louise DESCHAMP, née en Allemagne le 5 juillet 1926, épouse Fred Gelas le 6 novembre 1948, à Romans-sur-Isère. Le couple a six enfants : Claire en 1949 (décédée en 2019), Patrick, Pierre, Philippe, Florence et Marie-Ingrid. Monique Gelas, un peu après avoir élevé ses enfants, s’investit beaucoup auprès de Fred, notamment en ce qui concerne les pratiques pédagogiques applicables à l’enseignement de la musique aux enfants. En 1960, alors que Fred se retire de la direction de la chorale de Saint-Marcellin, lui et son épouse deviennent « animateurs nationaux » d’« A Cœur Joie ».

A partir de 1964 ou 1965, c’est elle qui assure la rédaction d’un périodique intitulé « Chante et ris » dans lequel on trouve dessins, jeux, chansons et comptines à l’usage des « enfants qui chantent ». Pour mémoire, le N° 12 a été publié en décembre 1966 et le N° 71 en mars 1979 : cela fait une longue période d’assiduité auprès de ce bimestriel.

En 1968, l’amitié que les Gelas ont avec l’éditeur Robert MOREL, né en 1922 et donc du quasi même âge que Fred, chrétien engagé dans la résistance lyonnaise, provoque l’édition du N°44 de la collection des « O », consacré à la présentation d’« A Cœur Joie ». Les « O » sont des petits livres ronds de six centimètres de diamètre, regroupant 96 pages sur un anneau de laiton de trois centimètres de diamètre. Comme la totalité des livres et collections publié par Robert Morel, les « O » sont conçus et dessinés par Odette Ducarre, son épouse.(5) Ce N° 44 a, avant tout, vocation à communiquer autour du mouvement « A Cœur Joie ».

« O » numéro 44 – Droits réservés – JB

En juillet 1986, Monique Gelas apportera encore sa contribution à la connaissance de César Geoffray en participant à l’ouvrage collectif « Une vie », sous-titré « César Geoffray, le renouveau du chant choral », ouvrage considéré comme les Actes du colloque de Vaison-la-Romaine.

  • 1 – AD 26-2Mi-865-R3,feuillet 66
  • 2 – AD 26-4E-5485
  • 3 – JORF -N° de parution 19540168 – N° d’annonce 0017 – Siège rue du Dauphin à Saint-Marcellin
  • 4 – 1947-1960 Histoire de la première chorale de Saint-Marcellin – Renée de Taillandier
  • 4bis – BOItiers de MONtres du DAUphiné est une entreprise installée à Valence à partir de 1941. Transformée en communauté à partir de 1944, elle refuse la collaboration (STO) et rejoint les maquis du Vercors jusqu’à la Libération.
  • 5 – https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Morel

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Chronique du Bateau Ivre, de Saint-Marcellin. Chapitre un

Albert Gleizes, César Geoffray, Reine Bruppacher, …

Albert GLEIZES naît le 8 décembre 1881 à Paris. Il est peintre, philosophe et surtout l’un des fondateurs du cubisme, après Braque et Picasso, dont il rédige en 1912 le premier traité et en devient le théoricien avec Jean Metzinger. Ses amis peintres sont Fernand Léger, Jacques Villon, Robert Delaunay … (1)

Albert Gleizes,vers 1920 -Photo Pierre Choumoff -Droits réservés

En 1927, Albert Gleizes recherche un atelier près de Serrières (Ardèche) et arrête son choix sur une grande maison sise de l’autre coté du Rhône, à Sablons (Isère), un ancien couvent qu’il loue puis achète en 1938 et qui porte le nom de Moly-Sabata (2). Il décide d’en faire un centre artistique, une sorte de communauté un peu spartiate dans laquelle sont accueillis en résidence non seulement des peintres, mais aussi des poètes, des écrivains, des potiers, des sculpteurs, des danseurs et des musiciens.

Moly-Sabata – Fondation Albert Gleizes – Droits réservés

La vie de ces artistes s’appuie sur une démarche, définie par Albert Gleizes, visant à rechercher la simplicité dépouillée, la recherche de la perfection la plus simple, celle de l’art populaire, celui qui est issu des mains des paysans et artisans. Il s’agit de confondre progressivement l’art, la vie et la foi en Dieu.

Albert Gleizes décède le 23 juin 1953, mais cette communauté artistique existe encore de nos jours, sous le patronage du Ministère de la Culture, et se nomme Fondation Albert Gleizes (3). Elle est la plus ancienne résidence d’artistes de France.

Parmi les artistes en résidence à Moly-Sabata, il en est un qui nous concerne plus particulièrement puisqu’il nous introduit dans le processus de création du Bateau Ivre. Il s’agit de César GEOFFRAY(4).

César Geoffray est né le 20 février 1901 à Lyon. Après une enfance au Maroc, il entre à 13 ans au Conservatoire de Lyon et obtient à 21-22 ans les premiers prix d’harmonie et de contrepoint.En 1924, il épouse Marie Prudhon, 1er prix de piano du même Conservatoire. Au fil des années, Marie deviens Mido et, jusqu’en 1930, ils se produisent en concert piano-violon.

C’est en 1927 que César Geoffray rencontre Albert Gleizes. Celui-ci invite l’année suivante le couple César et Mido à le rejoindre dans « la maison que je viens d’ouvrir pour les artistes comme vous … les villages ne chantent plus, c’est vous qu’on attend pour animer musicalement la région ». C’est ainsi que les Geoffray séjournent à Moly-Sabata de 1931 à 1942, limitant cependant, à partir de 1936, leur séjour dans la communauté aux fins de semaine, car ils ont de multiples occupations d’animation à Lyon ainsi que deux enfants Gilka et Luc. En accord avec Albert Gleizes, ils quittent définitivement Moly-Sabata en 1942.

César Geoffray et Mido à Moly-Sabata -Droits réservés

En 1940, César Geoffray anime à Lyon une chorale improvisée de scouts, ce qui l’amène progressivement à devenir Maître National de chant des scouts à partir de 1942, à diriger la grande chorale des Scouts de France et à créer, en 1947, le mouvement « A Cœur Joie » (5), au sein du « Centre Culturel Lyonnais ».

« A Cœur Joie » prends son autonomie dès 1948, avant d’essaimer dans toute la francophonie jusqu’en 1965, au point de compter plus de 450 chorales en France, Belgique, Suisse, Canada, Liban, Afrique du Nord,… Le mouvement organise, du 17 au 23 septembre 1950, un premier rassemblement national de chorales à Chamarande, rassemblant plus de 750 chanteurs sous des tentes, dans le froid et .. la faim ! Dès 1953, le mouvement organise tous les trois ans les Choralies de Vaison-la-Romaine, une manifestation qui prépare sa 24ème édition en août 2022.

Logo original « A Cœur Joie »

Le « Centre Culturel Lyonnais » est fondé en 1945 par Reine BRUPPACHER, alors secrétaire de César Geoffray. En 1947, elle met en œuvre une expérience parallèle à la création d’« A Cœur Joie », (elle en est la secrétaire en 1948 et jusqu’en 1962) en créant l’« Arc-en-Ciel », dont elle définit ainsi les objectifs : « Ce qu’« A Cœur Joie » fait pour les choristes par le moyen du chant, « Arc-en-Ciel » le fait par celui de la couleur, de la forme, de la ligne. Il n’est pas impossible de donner, par la pratique, à tous, une formation plastique en peinture, céramique, vitrail, etc … ou d’une façon moins manuelle, une connaissance des chefs-d’œuvre passés et présents ».(6)

César Geoffray décède le 24 décembre 1972, à Soucieu-en-Jarrest.

Reine Renée Irma Bruppacher, née le 20 septembre 1908 à Lyon 1°, décède le 20 mars 1993 à Saint-Cyr-au Mont-d’Or.

Une génération s’efface, mais les bases sont bien posées, l’héritage est bien transmis et la relève est assurée depuis 1947 !

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Chronique du Bateau Ivre, de Saint-Marcellin

Préambule

Afin de dissiper immédiatement tout malentendu, qu’il soit bien clair que nous parlons ici du Bateau Ivre de Saint-Marcellin, cette maison originale construite au mitan du siècle dernier et qui a bénéficié d’une juste reconnaissance en tant que monument historique appartenant au Patrimoine du XX° siècle.

Si nous prenons la peine de dire ceci, c’est parce qu’il sera souvent bien difficile à l’amateur de retrouver ce Bateau Ivre dans le foisonnement d’Internet,tant il y existe de bateaux plus ou moins ivres. Le nom lui-même favorise tous les rapprochements et innombrables sont les vignobles, les cuvées ou les vins qui se nomment « bateau ivre ». Il en est de même pour les bars à vin, les caves, les restaurants, les gîtes ou maisons d’hôte en pays de vignes, voire n’importe où. Pour le reste, nous nous retrouvons face à un véritable inventaire à la Prévert : une maison d’édition, une compagnie théâtrale, un bateau de croisière sur la Seine à Paris, un quintette instrumental, une salle de spectacles à Tours… Dans le domaine culturel, trois œuvres cinématographiques portent ce nom : un film américain de Jack Conway en 1927 (titre original « Twelve Miles Out »), un roman filmé de Charles Coulonges en 1929 et un film de Dominique Philippe sorti en 2017. L’édition n’est pas en reste puisque nous identifions un roman de Jean Dorsenne publié en 1930, un essai de Pierre Legrand publié en 2019 et dont le titre est utilisé pour qualifier 50 ans d’Education Nationale, enfin un roman de Pascal Boniface publié en 2021. Concurrence peut-être dommageable: il existe même un villa conceptuelle et très contemporaine, sise à l’Isle-sur-la-Sorgue, qui porte ce nom.

Lorsque Arthur Rimbaud a composé, à dix-sept ans, au cours de l’été 1871, le long poème foisonnant et quelque peu surréaliste auquel il a donné ce nom, il ne s’attendait certainement pas à ce que celui-ci trouve une telle célébrité et popularité.

A l’évidence, il conviendra de soigner la communication et de trouver des arguments solides et originaux s’il faut, un jour, faire connaître le Bateau Ivre de Saint-Marcellin et inviter un public à le visiter.

Le Bateau Ivre, par son chemin d’accès -Droits réservés – JB

Cette maison n’est pas issue d’un caprice ou d’une lubie de ses parrains. Elle est le fruit d’une longue histoire née avant même la dernière guerre, formalisée dès les premiers instants de la Libération et patiemment construite pendant des décennies. Cette histoire, essentiellement sociale et culturelle, est celle de très nombreux saint-marcellinois et habitants de la région de Saint-Marcellin, dont beaucoup peuvent encore témoigner. Cette histoire a également laissé des traces quasi indélébiles dans le paysage architectural de Saint-Marcellin, de l’Isère, voire de Rhône-Alpes.

C’est cette histoire que nous avons choisi de vous raconter en remontant dans le temps d’au moins deux générations, avant de revenir progressivement au présent, d’où le titre de « chronique » que nous avons choisi. Nous vous en souhaitons bonne lecture et espérons vos commentaires apportant des précisions, commentaires qui seront les bienvenus.

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Culture

en novembre, Barbara

Novembre n’est pas le meilleur des mois pour Barbara, ne serait-ce que parce que c’est en novembre, le 24, l’an 1997, qu’elle nous a quittés. Entre juillet 1943 et octobre 1945, Barbara a vécu à Saint-Marcellin, dans des conditions difficiles puisqu’elle et sa famille y étaient réfugiées afin d’échapper aux atrocités nazies et aux dénonciations.

Depuis 2019, la ville l’honore d’un Festival à son nom, Festival consacré à la chanson française et/ou francophone. Et depuis 2019, chaque édition de ce Festival est motif à ressortir LA chanson de Barbara dont il est évident qu’elle concerne Saint-Marcellin. Elle-même, d’ailleurs, a raconté qu’elle s’était arrêtée dans cette ville, de retour d’un concert dans le midi, afin de rechercher les traces de son enfance.

« Mon enfance », tel est le titre de cette chanson. Elle en a écrit les paroles. C’est, pour le moins, une chanson un peu triste. Elle y raconte qu’elle retrouve le coteau, l’arbre, la maison fleurie, les dahlias fauves dans l’allée, le puits … et les cris d’enfants en compagnie de Jean (frère ainé né en 1928), Régine, (sœur née en 1938) et Claude (frère né en 1942). Reste, dans l’énumération des enfants, un autre Jean. Qui est-il ?

Tout lui revient de ces années perdues de ses treize-quinze ans, les jeux et les noix fraîches de septembre, mais aussi le souvenir douloureux de sa mère Esther, qui vient de décéder alors qu’elle écrit cette chanson. Esther est décédée en 1967, la chanson date de 1968. La conclusion est mélancolique, qui affirme qu’il ne faut jamais revenir au temps caché des souvenirs, là où son passé la crucifie.

Barbara, 1965

Il est une autre chanson qui parle également de Saint-Marcellin, chanson dont elle n’est pas la seule auteure des paroles, paroles qu’elle a très certainement inspirées. Il s’agit de « Il me revient », dont le texte a été écrit en collaboration avec Frédéric Botton, en 1996.

Il me revient en mémoire
Il me revient en mémoire
Il me revient des images
Un village, mon village
Il me revient en mémoire
Je sais pas comme un songe cette histoire
Et voilà qu’au loin s’avance
Mon enfance, mon enfance
C’était, je crois, un Dimanche
C’était, je crois, en Novembre

Qu’importe, mais je revois l’usine
Oui, l’usine se dessine
Surgit du livre d’images
Un ciel gris d’acier, une angoisse
Et des pas lourds qui se traînent
Et les ombres qui s’avancent
C’était, j’en suis sûre, un Dimanche
C’était, j’en suis sûre, en Novembre

Et se détache une image
Un visage, ton visage
Où allais-tu sur cette route
Comme une armée en déroute
Et tout devient transparence
Et tu deviens une absence
Tout me revient en mémoire
Le ciel et Novembre et l’histoire
Et les pas qui se rapprochent
Et s’avancent en cadence
Toi, où es-tu, je te cherche
Où es-tu, je te cherche
Toi, mon passé, ma mémoire
Toi, ressorti de l’histoire
Qui était, j’en suis sûre un Dimanche
En Novembre

Ton visage
Toi, sur cette route
Figé
Et les ombres qui se rapprochent
Et les ombres qui te frappent
Et t’emportent
Il me revient des images
Ce village, ton visage
Toi, seul sur cette route
Et les pas qui s’approchent
En cadence, en cadence

En cadence (en cadence…)
En cadence (en cadence…)

L’histoire est simple: il s’agit de l’arrestation d’un résistant ou sympathisant de la Résistance par des miliciens, plus probablement que par l’armée allemande. Le lieu est signifié, l’usine se dessine, donc à proximité de la Laiterie Brun et de la Fabrique d’Appareillages Electriques de la CGE. La date est celle de novembre, donc exclusivement novembre 1943 ou novembre 1944, les seuls novembre pendant lesquels Barbara vivait à Saint-Marcellin. Or, Saint-Marcellin ayant été libérée en août 1944, il ne peut s’agir que de novembre 1943.

Pour mémoire, le 29 novembre 1943, à Saint-Marcellin, le Docteur Victor Carrier est sommairement exécuté par la Milice, dans le contexte de ce qui a été désigné comme la « Saint-Barthélémy grenobloise ». Il était, avec son ami le Docteur Valois, le créateur du Secteur 3 de l’armée secrète de l’Isère et du Bataillon de Chambaran. (1)

1 – https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article183667