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Atelier d’écriture V

12 janvier 2015

Nuit d’été

Les rayons du soleil tombaient sur le village perché tout en haut de la colline, presqu’en surplomb de la falaise. Il faisait chaud, très chaud. Nous n’avions aucun désir de nous lancer à pied dans la longue ascension de cette paroi blanchie et fumante de chaleur. Alors, nous prîmes un fiacre en espérant que la vitesse du déplacement impulsé par les deux chevaux nous aère quelque peu. Peine perdue, car les voiles de toile écrue qui fermaient la cabine de l’attelage empêchaient l’air de circuler. Et pour compléter notre déception, nous eûmes à constater que la rue du village n’était qu’une longue coursive commerçante vide, dans laquelle ne circulait aucun chaland. Sur notre ordre, le cocher prit la route du retour en direction de notre hôtel où nous attendait la piscine. C’est de nuit que nous irons visiter le village.

En fin d’après-midi, allongés sur nos transats, nous attendions que, peu à peu, la fournaise se dissipe et la fraîcheur s’installe. Au-dessus de nos têtes, les oiseaux, mouettes ou goélands, escaladaient le ciel, puis redescendaient, puis remontaient, comme si leurs ailes avaient pu l’effacer. Nous nous habillâmes silencieusement, robe de soirée, smoking et nœud papillon, en vue du repas qui nous était offert dans la salle de bal du Casino. C’est alors que nous la vîmes, accompagnée du même chevalier servant qu’il y a quelques années. Accompagnée, c’est beaucoup dire, car il était quelques pas en arrière, l’air triste, perplexe, incertain, hésitant.

A table, l’atmosphère se détendit rapidement et, au moment du dessert et du champagne, les plaisanteries fusaient autour de la salle. Elle, elle semblait ne manquer aucune occasion de rire, de s’amuser, de partager une joie assez exubérante. Elle riait aux éclats. Les cascades de rire s’écroulaient les unes sur les autres ; un rire fort, généreux, de ceux que l’on dit à gorge déployée. Dans le fracas de ces explosions, elle pencha la tête de côté jusqu’à effleurer l’épaule de son voisin de table, voire presque s’y appuyer. Il y avait dans cette attitude une forme de légèreté décontractée qui faisait que l’on pouvait aussi bien la comprendre comme un geste de camaraderie toute nouvelle ou comme une invitation à davantage de complicité. Quant à son voisin de table, un chauve dont les cheveux se limitaient à un poil dressé au milieu du crâne, il était totalement paralysé de stupeur et se raidissait progressivement. C’est alors qu’un coup de feu traversa les conversations et les rires. Un silence total s’installa quelques secondes avant que les convives ne se lèvent et partent en courant et en hurlant.

Elle seule était encore à table, la face dans son assiette.


23 février 2015

Rencontre

Je me souviens. C’était en 1960. Oh, je n’étais pas encore très vieux, mais l’échange, la rencontre, auxquels j’avais eu l’occasion d’assister me laissa songeur pendant de longues semaines.
C’était au café où les conscrits avaient leur point d’attache et la scène se déroula dans le poulailler, au fond du jardin. Il y avait là un gros canard de Barbarie que nous appelions Filosof parce qu’il passait sa journée en solitaire, secouant la tête, dodelinante au bout de son long cou. La compagnie des autres habitants de la basse-cour lui faisait visiblement peu d’effets, comme si tous n’étaient que des étrangers, des inconnus. Filosof se comportait un peu comme Diogène dans son tonneau, à la nuance près que son habitat à lui était un rouleau de cordages relié à une poulie grinçante.
Ce jour-là, après une froide pluie d’orage, le sol était détrempé. Une poule s’acharnait sur un ver de terre qu’elle ne parvenait pas à extraire de la glèbe boueuse. Et Filosof la regardait faire, penchant la tête tantôt à gauche, tantôt à droite, semblant lui prodiguer des conseils :
 »Tire donc un peu plus fort ! »
 »Coince bien le ver dans ton bec ! »
 »Fais attention à ne pas le casser ! »
 »Ne cherche pas à tout avoir, contente toi d’un morceau ! »
Pour sa part, la poule ne semblait guère l’écouter, toute à son affaire. Tant il est vrai que les conseils des autres, leurs expériences, ne valent rien tant que l’on n’a pas fait sa propre expérience. Alors, elle tirait, toutes plumes exacerbées, dressée sur ses ergots et ce qui devait arriver se produisit bientôt. Etiré et long de presque dix centimètres, le ver de terre cassa. Une partie, la plus petite, resta coincée dans le bec de la poule tandis que l’autre partie, libérée de toute contrainte, s’enfonça rapidement dans le sol.
Comme stupéfaite du tour que prenaient les choses, la poule lâcha le morceau. Et Filosof agita sa crête et lui tint un commentaire acerbe du genre
 »Je t’avais prévenue ! Je te l’avais bien dit ! »
Sans s’en laisser conter, la poule lui répondit de façon méchante et le menaça de quelques coups de bec et autres piailleries. Croyez-le ou non, une poule qui fait l’œuf, on le voit souvent, mais une poule qui philosophe, ça on ne l’a jamais vu !

Et pendant qu’elle s’époumonait, une colombe de la palombière voisine se précipita et ramassa prestement le petit vermisseau ou ce qu’il en restait.
L’histoire n’était pas finie. La colombe, fière de sa victoire, s’en alla parader, en triomphe, sur une vieille toupie déglinguée qui traînait dans un coin du poulailler. A peine posée, tapant du bec sur le morceau de ver afin de l’attendrir, un renard surgi d’on ne sait où emporta le tout, ver et colombe, et disparut rapidement dans le caniveau.
Interloqué, je rentrais au bistrot où les plus diserts s’étaient tus devant la cheminée. Et je cherchais morale à cette histoire. Il y a toujours plus rusé, qui n’écoute pas les discours et se satisfait de dérober ce dont il a envie.
Après avoir descendu une bonne bière pour la route, je repris le chemin sur le dos de mon âne dont les naseaux étaient blanchis par le gel.

Eclipse solaire du 20 mars 2015 (DR)


23 mars 2015

L’insurrection poétique

Allégresse, rêve, élan, création, liberté, éolien, évasion, indépendance, créativité, musicalité, liesse et beauté, diables et démons, lumière et vent, … légèreté, vérité … vous tous, les mots du poème, sortez des livres et des dictionnaires, levez-vous et marchez en troupe, abandonnez vos rimes et vos rythmes, partez à l’aventure, désarticulez vos slogans et vos mots d’ordre, entonnez les chants fédérateurs, laissez souffler le vent de l’évasion, proclamez l’insurrection, faites du monde un veste terreau d’anarchie et de fantaisie, déclarez la révolution poétique.

Sans cesse à mes côtés, elle est une femme belle dont la chevelure est irréelle. Noyé dans les fumées du vin et les vertiges des spiritueux, en moi s’agite le démon des débauchés et je fantasme de recréer à mon envie universelle sa coiffure faite de tresses et d’ondulations qui tombent sur sa riche encolure.

Comédien, sculpteur, metteur en scène, cinéaste, poète, philosophe, plasticien, photographe, dessinateur, architecte, graphiste, illustrateur, modiste, bijoutier, musicien, peintre, écrivain, décorateur, au masculin comme au féminin, toi qui écris ou traces des signes, des lettres, des coups de pinceau, toi qui inventes, organises et reconstruis, toi qui commentes et argumentes, oui, toi qui crées tous les jours … révolte-toi, prône l’insoumission, distribue le fruit défendu, partage les étoiles et les drogues divines, ose l’impertinence, reconstruis le monde, porte le sur tes ailes ! Telle est l’injonction.

Dans l’aube vermeille, je la retrouve et m’envole vers le soleil au risque de me brûler les ailes, d’oublier l’humanité et de retomber sans mes plumes. Mais auparavant, je veux en voir tous les feux et tous les panaches d’éruptions solaires.

Ils disent que je vais devenir aveugle ? Qu’importe, la poésie est intérieure.

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On a souvent besoin d’un fasciste sous la main

C’est un vocabulaire que l’on entend souvent ces derniers temps, à Sivens, à ND des Landes ou a Roybon. Les zadistes, occupants des lieux, attendent de pied ferme les « milices fascistes qui veulent les déloger ! »
Pour exemple, voici le discours tenu par une militante anti-Center Parcs. « Les opposants les plus déterminés au Center Parcs, opposants d’ici ou d’ailleurs, n’accepteront pas éternellement ce djihadisme brun. Ils peuvent eux aussi s’organiser. Est-ce ce que veulent les apprentis sorciers qui ont dressé les habitants les uns contre les autres ? Des batailles rangées ? »
 »Dans un petit livre « Matin Brun » – tiré à deux millions d’exemplaires ! – Frank Pavloff, qui vit actuellement en Isère, montre dans une fable, la montée du nazisme en Allemagne. Deux amis, nullement politisés, occupés de leur travail, de leur famille, heureux de se retrouver le soir autour d’une bière, discutent tranquillement. Ils ont accepté sans problèmes de se séparer de leur chien, puis de leur chat- à éliminer parce qu’ils ne sont pas bruns ! – D’acceptations en compromissions, ils se retrouvent dans un régime fasciste. Nous n’en sommes pas là. Mais quand une commune, et certains de ses habitants, s’autorisent à bloquer la circulation sans raison impérieuse et sans aucun contrôle, on a toutes les raisons de s’inquiéter. »

Ce n’est pas là discours isolé, c’est même le discours officiel des écologistes et des zadistes (ces derniers étant des écologistes). Hervé Kempf, animateur du quotidien web « Reporterre », l’exprime très clairement dans un de ses derniers éditoriaux, celui du 7 mars (http://www.reporterre.net/EDITO-MM-Hollande-et-Valls-ouvrent), lendemain de l’expulsion des occupants de Sivens.
Sous un dessin de Red « On était Charlie », illustrant un « milicien » de la FDSEA, il est écrit que « le Gouvernement a déployé une tactique de répression propre aux régimes fascistes ».
« La tactique de MM. Valls et Hollande est délibérée. Elle ouvre la porte à la répétition de ce type d’actes: des groupes sociaux savent maintenant que, pourvu qu’ils ciblent l’écologie et les jeunes alternatifs tout en glorifiant la police, ils ont le champ libre. Elle s’appuie sur les sentiments d’extrême-droite qui montent dans ce pays. Et suscitera en retour des réactions de même nature, impliquant une répression encore plus stricte. »
« Je ne sais la qualifier autrement que de pré-fasciste : utilisant les méthodes mêmes du fascisme (des milices supplétives d’un Etat autoritaire) et stimulant la xénophobie et la haine des alternatives. »
« Les choses sont claires : un projet coûteux, pourri de conflits d’intérêt, financé par le public pour des intérêts privés, détruisant l’environnement, c’est « le changement ». D’aucuns persistent encore à croire que le gouvernement de MM. Hollande et Valls est « de gauche ». Il ne l’est pas. C’est pire : il ouvre, à peine dissimulé, la voie au fascisme. »

Ce qui est intéressant dans la diatribe d’Hervé Kempf, c’est qu’elle est illustrée par une référence au mouvement « Je suis Charlie », sous la forme d’une inversion de cette déclaration de solidarité, laquelle se transforme en « On était Charlie ». Cela démontre, s’il en était besoin, que le slogan de janvier 2015 n’a pas beaucoup de contenu et que chacun peut le tirer à soi et l’adapter à sa cause. En effet, il n’est pas évident que ce slogan ait été porteur, à un moment ou à un autre, d’un contenu soit écologique, soit en faveur d’une société gratuite et solidaire comme la revendiquent les zadistes.

Ce rapprochement a cependant un sens, que vient brillamment d’illustrer Patrick Pelloux, chroniqueur et administrateur de Charlie Hebdo.
Abd Al Malik, artiste, musicien, écrivain, cinéaste, a récemment distribué son premier film « Qu’Allah bénisse la France » (décembre 2014) et surtout un petit livre intitulé « Place de la République, pour une spiritualité laïque ». Dans ce livre et dans les propos (http://www.telerama.fr/livre/abd-al-malik-l-islam-est-meconnu-par-les-musulmans-eux-memes-et-par-les-autres,123130.php) qu’il tient pour le présenter, Abd Al Malik aborde la question de « Charlie Hebdo ». Tout en affirmant fortement le droit à la caricature qui est « un acte démocratique par excellence », un « éclatant symbole de la liberté d’expression », il reproche à l’hebdomadaire « d’avoir contribué à la progression de l’islamophobie, du racisme et de la défiance envers tous les musulmans ». Il poursuit: « Pour moi, dans le contexte actuel de pression extrême sur les musulmans, dans ce climat de surenchère médiatique autour de l’islam, Charlie Hebdo a fait preuve d’irresponsabilité en multipliant ces caricatures. Même si le but était de montrer du doigt les intégristes, et même s’ils en avaient le droit au sens légal. »

Abd al Malik (DR)

Cela, Patrick Pelloux, non seulement ne l’accepte pas, déclare qu’il est « meurtri » par les propos de l’artiste qui sont qualifiés d' »odieux » , mais fait un rapprochement avec les terroristes qui « sont le nouveau nazisme et le nouveau fascisme ». Toute critique de « Charlie Hebdo » serait-elle assimilée à une complaisance à l’égard de ce « nouveau fascisme » ?

La simplification sémantique de ces propos devient inquiétante. L’ultra-gauche perdrait-elle la raison ?

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La sidération peut-elle déboucher sur une bonne idéologie ?

Voici presque deux mois nous avions soulevé ici-même la question de la signification dans le temps du mouvement « Charlie » et nous avions grandement douté qu’il puisse y avoir une perpétuation de celui-ci au cours des semaines ou des mois à venir. Notre analyse nous portait à croire qu’il s’agissait d’un mouvement de stress collectif, caractérisé par une sorte d’immobilisation mentale. Le phénomène « Charlie », un phénomène médiatique né de « communicants », et le discours officiel ont favorisé cette cristallisation. Il est évident aujourd’hui que ce mouvement d’unité nationale apparente ne s’est pas perpétué, tant sont nombreuses les divisions de la société et tant sont improbables toutes les tentatives faites pour y remédier si peu soit-il. Les résultats des prochaines élections départementales illustreront à merveille cette désaffection démocratique dont souffre notre pays, et que « Charlie », vide de sens, n’a fait que camoufler pendant quelques jours ou semaines.

S’il en fallait une preuve, il faut aller la chercher dans un sondage réalisé par le CEVIPOF, le Centre de Recherches Scientifiques de Sciences Po, un sondage annuel baptisé le Baromètre de la Confiance Politique. Un tel sondage est réalisé à peu près annuellement. cela a été le cas chaque année en décembre depuis 2009. En décembre 2014, soit un mois environ avant les douloureux évènements de janvier et la mobilisation « Charlie », s’est déroulée la 6° vague sondagière du CEVIPOF. Cet organisme a eu l’intelligente curiosité politique de renouveler exceptionnellement son enquête auprès des mêmes sondés fin janvier-début février 2015.
Les commentaires à propos de ces deux sondages ont été extrêmement discrets, et pour cause …

1864 personnes ont participé au premier sondage. 1524 personnes qui avaient toutes répondu au précédent sondage ont participé à la seconde vague. L’organisme de sondage précise que les résultats doivent être lus avec une incertitude de 1 point à 2,5 points au plus, compte tenu de la taille de l’échantillon.

Concernant l’état d’esprit général des français, il se traduisait en décembre 2014 par la lassitude (31%), la morosité (30%), la méfiance (26%), la sérénité (16%). Sept semaines plus tard, dominent la morosité (32%), la méfiance (32%), la lassitude (29%), avec un peu de sérénité (14%).
A l’affirmation selon laquelle « Les gens peuvent changer la société par leurs choix et leurs actions », 76% se déclaraient d’accord en décembre et 77% en février. A l’affirmation « J’ai une liberté et un contrôle total sur mon avenir », 51% étaient en accord en décembre et 52% en février.
Plus significatif est le jugement exprimé quant au fonctionnement de la démocratie. En décembre, il est « bien » pour 27% des sondés et « pas très bien » pour 73%. En février, les mêmes sondés se retrouvent 39% à estimer que la démocratie fonctionne bien et 61% qu’elle ne fonctionne pas très bien.
De même, s’ils étaient 72% en décembre à se déclarer fiers d’être français (26% pas fiers), les voilà 82% en février (17% pas fiers). On retrouve à l’évidence dans ces chiffres l’effet de coagulation causé par la mobilisation du Gouvernement, de la classe politique et des médias.

Cependant, allons plus loin.
A l’affirmation « Il y a trop d’immigrés en France », 67% se déclaraient d’accord en décembre. Ils deviennent 69% en février.
A l’affirmation « Il faudrait rétablir la peine de mort » », 47% se déclaraient d’accord. En février, ils sont 50%, pour la première fois.
« Les français musulmans sont des français comme les autres », 68% déclarent leur accord à cette formulation. « L’islam représente une menace pour la république Française », ils sont 56% à être d’accord !!
Il a été demandé aux sondés de la seconde vague (février 2015) s’ils avaient participé aux mobilisations des 10 et 11 janvier. A 73% leur réponse a été négative et à 26% positive. On n’épiloguera pas sur le fait que 25% de réponse positive à un sondage représentatif devrait entraîner des foules autres que celles qui ont participé aux manifestations ! Là encore, en février, l’effet mobilisateur se fait encore sentir.
Mais alors, quelles ont été les sentiments des sondés face aux attentats ? De l’indignation pour 90%, de la colère pour 82%, de la compassion pour 74%, de la peur pour 52%, de la haine pour 39%.
Et quand vous pensez aux marches des 10 et 11 janvier, qu’est-ce que vous éprouvez ? De la fraternité pour 75%, de l’espoir pour 69%, de la fierté pour 66%, de la méfiance pour 35%, de la peur pour 22% et de l’indifférence pour 13%.
Mis bout à bout, tous ces sentiments ne feront jamais une « politique ». Après « Charlie », les français se méfient encore un peu plus de la politique, encore davantage de l’islam, ils se replient sur eux et attendent un homme fort en guise de messie. Rendez-vous en décembre 2015 pour la prochaine vague du sondage.

Solidarité (C)Keith Haring

Cela n’a rien à voir avec les évènements de janvier 2015 (encore que …), mais il existe dans le « Baromètre » quelques questions récurrentes dont les réponses méritent d’être analysées et comparées.
Il en est ainsi de la vie démocratique: comment jugez-vous cette façon de gouverner le pays « Avoir à sa tête un homme fort qui n’a pas à se préoccuper du Parlement ou des élections ». 48% des sondés trouvaient « bonne » cette affirmation en décembre, ils étaient 51% en février !
Enfin « Quelles sont les chances des jeunes de réussir aujourd’hui par rapport à leurs parents ? ». Pour 3% des sondés de décembre, ils ont plus de chances, pour 24% autant de chances et pour 72% moins de chances.

L’intégralité de ces sondages se trouve sur le site du CEVIPOF (http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/). Bonne lecture.

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Les (Charlie) sont-ils tous égaux ?

La douloureuse période que traverse la France, marquée par les attaques sauvages de Charlie Hebdo, de policiers, de clients juifs d’un supermarché casher et la riposte républicaine qu’ont constitué les nombreuses marches de solidarité, nous interrogent sur plusieurs points.

Sur la signification du rassemblement Charlie.
La première explication de ces innombrables regroupements est celle d’une volonté de combattre la peur : il y a une sorte d’affolement à considérer que ces choses puissent se produire chez nous, et que si elles se produisent à Paris et en banlieue, alors elles peuvent se produire partout en France, y compris dans le plus petit village.
Il y a ensuite une volonté de réaction, de se prouver que tous ensemble, réunis, nous pouvons rejeter ces agresseurs et qu’ils ne vaincront pas. Cette volonté de l’union, du « tous ensemble », de l’absence des divisions politiques (à l’exception du FN) a été traduite par un logo simple qui a fait florès mais qui, en lui-même ne véhicule strictement aucun message politique. D’où l’irruption de nombreuses autres variantes qui vont du « je suis flic », au « je suis juif », en passant par certaines affirmations bien plus complexes comme celle de l’illustration ci-après. L’unité n’est pourtant qu’un rêve et chacun sait bien qu’elle ne durera pas, ne serait-ce que parce que chacun lui fait déjà subir quotidiennement de multiples accrocs. Pourquoi cela devrait-il cesser après « Charlie » ?
L’exemple allemand des manifestants anti-islamistes démontre que l’on peut être « Charlie » et souhaiter le départ des musulmans, dans le même temps que d’autres sont « Charlie » et plaident pour une société multiculturelle. Il ne s’agit, ni pour les uns, ni pour les autres, d’une récupération ou d’une instrumentalisation. Il s’agit en fait de la démonstration du vide politique de ce slogan.

Enfin, les médias comme les hommes politiques ont usé et abusé de ce moment de communion nationale pour en faire une vision universelle et l’imposer à la conscience de tous. Nous sommes en pleine démonstration d’un aspect de la « Société du spectacle » telle que l’a décortiquée Guy Debord.
Il est donc grand temps d’abandonner cette thématique et de passer à autre chose.

Rejeter les amalgames.
Le premier, le principal, le pire des amalgames est celui qui consiste à faire injonction aux musulmans de se désolidariser des terroristes. Sur le Net circule une double image représentant le Ku Klux Klan et les combattants de l’Etat Islamique. Sous le premier est posée la question de savoir si il a été considéré que ces gens représentaient la chrétienté et sous les seconds cette autre question : « Alors pourquoi ceux-ci doivent-ils représenter les musulmans ? ». Rien n’interdit de poser la même première question sous une photo d’Anders Breivik qui a assassiné soixante-dix-sept personnes près d’Oslo le 22 juillet 2011, en se réclamant de la culture occidentale et de ses racines chrétiennes. Y a-t-il des gens, des commentateurs, des hommes politiques qui ont demandé aux chrétiens de se désolidariser de ces actes odieux et de les condamner ? Non, parce que personne n’a imaginé que cet assassin pouvait les représenter.
Il doit en être strictement de même avec les musulmans, d’autant plus que de nombreux facteurs s’opposent à un tel amalgame. Tout d’abord, il n’y a pas UN islam, mais DES islams rapidement regroupés sous les appellations de chiites et de sunnites, chaque obédience disposant de ses nombreuses tendances. Ensuite, que veut bien signifier le mot « musulman » dans la bouche des Français, si ce n’est le quasi-synonyme de maghrébin et, peut-être, de noir africain ? Alors qu’il existe un islam de Turquie, un islam du Proche-Orient, un islam du Yémen et plusieurs islam(s) de Syrie, Iran ou Irak, un islam d’Asie, de l’Inde et de la Malaisie, est-ce à chacun d’entre eux que s’adresse l’injonction de désavouer le terrorisme ? Enfin, qui doit désavouer ? Chaque musulman ? Faut-il rappeler que l’islam est une religion qui n’a pas de clergé, donc pas de prêtres, pas d’évêques, pas de pape. Il n’y a pas de liens pyramidaux, nés de la désignation des uns par les autres. Chaque fidèle est en relation directe avec son Dieu et les imams ne sont que désignés par des autorités plus ou moins politiques ou autoproclamés.
On ne peut attendre des musulmans de France qu’une seule chose : qu’ils soient des citoyens français comme les autres et qu’ils se comportent en citoyens français comme les autres. Il est évident que les injonctions à caractère religieux ne sauraient les aider à se considérer comme des citoyens comme les autres. Il est évident, aussi, que si l’on désire qu’ils se comportent en tant que citoyens comme les autres, il faut aussi que nous les considérions comme tels.

Est-ce la guerre ?
Le mot de guerre est désormais employé à toutes occasions. La guerre des civilisations est dans toutes les bouches et les concepts de Samuel Huntington rencontrent une audience nouvelle. Très certainement il y a guerre et très certainement des enjeux civilisationnels alimentent cette guerre. Mais il y a plusieurs guerres. Tout d’abord une guerre entre les deux principaux courants de l’islam dont nous parlions précédemment, chacun de ces courants étant soutenu et financé par son lot de pays musulmans. Ensuite, une guerre que l’un de ces courants tente de transposer en Occident afin de gagner la reconnaissance des peuples (et des fidèles) auprès de l’autre courant, soit par le moyen de l’admiration, soit par le moyen de la peur et du terrorisme. Sunnites contre chiites ! Djihadistes sunnites contre l’Occident !
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la seule, l’unique réponse que l’Occident a su apporter à cette (ces) guerre(s) a été … la guerre. La guerre en Afghanistan, la guerre en Irak, la guerre au Mali, demain la guerre en Libye, … Et pour quel résultat ? Un résultat nul ! Prenez l’exemple du Mali où les forces françaises sont engagées depuis 2012 et dont nous avons beaucoup parlé dans ce blog. Certes, les villages et contrées du Nord Mali ne sont plus soumis à la loi des salafistes, mais ceux-ci n’ont pas disparu. Ils se sont retirés dans le Nord Niger ou dans le sud de la Libye, où ils attendent des jours meilleurs en organisant des attentats et des affrontements ici où là. Des projets se dessinent pour intervenir militairement en Libye. Cela ne changera rien à la présence d’AQMI dans cette région, voire bientôt à l’arrivée de suppôts de l’EI. La guerre ajoutée à la guerre ne fait que poursuivre et étendre la guerre. En Afrique, au Proche-Orient, en Asie, l’adversaire se déplace sur un échiquier grand comme le monde et poursuit ses attaques avec toujours plus d’audace, toujours plus de violence. La guerre que nous conduisons contre lui n’est que le résultat de ses provocations : elle n’est que ce qu’il désire au plus fort.
Sans doute est-il temps de se poser la question suivante : « Alors, si la guerre ne résout rien, que faut-il faire ? » Est-il possible d’imaginer une réponse plus pacifique, centrée sur le développement économique et l’abandon de nos positions de leaders d’un monde dit « libre », d’un monde qu’ils honnissent ?

Des rassemblements en Occident
Des millions de personnes se sont mobilisées, en France et dans le monde essentiellement de culture occidentale, en Russie, au Canada, aux USA, en Australie, en Europe bien sûr. Plus d’une cinquantaine de chefs d’Etat ou de Gouvernement ont fait le déplacement à Paris, mais peu en fait de la part des pays musulmans et notamment des Etats africains (alors qu’ils étaient attendus nombreux !). La Société du Spectacle dont nous parlions en début de post a joué son rôle et tous les présidents qui sont plus ou moins redevables de leur poste à l’Occident en général, voire à Paris en particulier, ont jugé utile faire le voyage en France.
Singulièrement, cette idée de manifestation mondiale, énorme, retentissante, rassemblant des foules innombrables sur place à Lagos, n’est jamais venue à l’idée de personne lorsque Boko Aram, groupe sunnite pour la prédication et le djihad, a enlevé 237 jeunes filles à Chibok, au Nigéria, le 14 avril 2014 et les a transformées en esclaves.
La même idée de protestation ne se fait pas davantage entendre alors que le même Boko Aram massacre actuellement les villages du nord-est du Nigéria, faisant plusieurs centaines (milliers?) de morts.
Il n’y a pas eu davantage de réactions au niveau mondial lors du massacre au Pakistan de 132 écoliers par les Talibans du Pakistan (proches d’Al Qaida).
Lors de tous ces exemples, les grandes personnalités mondiales n’ont jamais envisagé de se déplacer et de se retrouver sur place afin de manifester leur opposition au terrorisme. Jamais personne n’a imaginé un slogan unificateur, digne de la Société du Spectacle. Les Nigérians qui ont réalisé quelques pancartes exigeant le retour de leurs filles, « Bring back our girls » n’ont pas beaucoup vu ce slogan dans nos rues, nos journaux et nos écrans. Les grands chefs d’Etat ont fait des mots, certes, exprimé qui son dégoût, qui son horreur ou sa volonté de voir les assassins châtiés. Mais d’actes concrets, point ! Seule leur importe la sécurité de l’Occident !

Bring back our girls (C)AFP

Et jamais personne, non plus, n’est allé exiger des musulmans massacrés qu’ils se désolidarisent des musulmans qui les attaquent !