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Atelier d’écriture III

Le chœur des arts

24 mars 2014

Avec ses cheveux flottant au vent
et ses ballons roulant au sable,
le petit garçon est perdu au bas du tableau.
Toute la foule s’y répand
en un vaste enchevêtrement, un mélange, un brassage,
hommes et femmes, nus, se préparent à la baignade
par de longues reptations élastiques et animales.
Un doute nous assaille. Une vaste interrogation.
Pourquoi ce peintre du dimanche au coin droit de la plage ?
Pourquoi ce tableau au mépris des canons classiques ?
Pourquoi cette utopie chromatique, cette révolution esthétique ?
L’œuvre qu’il peint, cette forme rebelle au travail, est un collage de lignes qui se croisent régulièrement,
dont les couleurs complémentaire s’accordent et vibrent
sous son pinceau et ses brosses.
Un astre, tel une fleur dorée aux larges pétales s’y trouve.
Ce cœur battant irrigue toute la toile.
Comme des vagues de lumière rasante,
l’ensemble prend forme et les fleurs rêvent qu’il fait soleil.
Sur le fond du tableau, au sommet d’une courte falaise,
devant des collines crayeuses,
deux jeunes filles en amazone sur un cheval
dont la croupe s’orne d’une magnifique queue,
avancent en mesure.
Le ciel, en plein jour, s’illumine d’un cercle d’étoiles.
Nait alors une musique envoûtante, rythmée et primitive :
Celle du Sacre du Printemps.


Territoire sauvage

14 avril 2014

Il y avait bien dix minutes que le petit tas de poudre de cade avait été enflammé. La fumée s’échappait par les minuscules orifices du cône de terre cuite qui le recouvrait, et envahissait la pièce, totalement close, dans laquelle nous nous trouvions.

Sur le mur qui nous faisait face s’alignait une collection de masques africains. L’un d’eux, plus particulièrement, attira notre attention car il devenait vivant . Ses yeux mi-clos et sa bouche édentée nous appelaient vers lui, malgré son aspect mystérieux, énigmatique, un peu inquiétant aussi.

C’est alors, je crois, qu’il est descendu du mur après avoir pris corps. Sa parure de cauris s’était complétée d’un lourd pectoral de bronze sur lequel des rangées de coquillages formaient un décor géométrique. Plus bas, deux longues jambes athlétiques complétaient le personnage.

Il s’approcha de nous, se plaça entre nous deux et nous prit par la main. Il nous guida vers le fond de la pièce, au travers de la fumée, où une porte invisible s’ouvrit et nous laissa passer sans aucune intervention de quiconque.

Tous ensemble, nous fîmes notre entrée dans un territoire sauvage, sorte de lagune flottant dans les airs, un mélange de terre, de sables, de plantes évanescentes, de marais et marécages, de fleurs odorantes et entêtantes. Nous ne marchions pas vraiment, animés par un mouvement lent de déplacement auquel nous ne pouvions que souscrire.

Le ciel, d’un bleu rosé, était parcouru de nuages légers et éthérés qui se déplaçaient à vive allure en direction de l’horizon, comme des nappes colorées et silencieuses.
Après quelques instants de marche, nous arrivâmes sur les bords d’une vaste étendue d’eau, calme, à peine agitée de vaguelettes insonores, qui nous fit penser à la mer ou à un immense lac. Sa rive opposée était faite d’une haute falaise, à l’aspect rébarbatif et imprenable. Le sommet était cerné de nuages noirs d’où jaillissaient d’incessants éclairs. La quiétude du marais et de notre bord de lac tranchait singulièrement avec cette agitation tumultueuse. Entre la mer où notre esprit se coulait et la montagne où notre corps se serait épuisé, un étrange mariage se célébrait et nous invitait à entrer en communion avec les esprits.

Plantées dans le sable du rivage, des planchettes noircies se terminaient en statuettes africaines, ornées de ficelles et de cordes. A leur pied des volutes de fumée s’élevaient et s’éparpillaient dans un air étrangement odorant. Main dans la main, vêtus tous deux d’un rustique gilet en laine de mouton et dont l’odeur nous anesthésiait, nous nous élevâmes tout doucement, débutant une sorte de vol plané lent et presque immobile ….

 »Merde ! Ça fait mal, je viens de tomber du lit … »

C’était le Couvent des Carmes (DR)

Une escapade au couvent

16 juin 2014

L’Irlande est un bien curieux pays, où les Orangistes défilent parmi les racines pierres et les chênes couverts de gui, où les catholiques s’affrontent aux tanks anglais et barbouillent les murs de slogans vengeurs.

Le Couvent des Carmélites y est un bien curieux couvent, qui abrite quelques centaines d’enfants abandonnés par leurs mères sous la pression de la morale. Que reste-t-il d’eux ?

La sœur portière y est une bien curieuse religieuse qui monte sur la poutre, en ligne avec la crémaillère, avant de tomber en quenouille, robe par-dessus tête.

L’abeille brune y est un bien curieux insecte, qui glane son miel dans les fleurs de paille afin d’en faire une mousseline de sirop.

Et quant à moi, je suis un bien curieux narrateur qui vient de manger deux cookies au cannabis, cette sorte de chanvre amélioré. L’inspiration m’habite, je suis prêt à décoller… Mais pour aller où ?

Les allées rectilignes du jardin se mettent à danser, les carrés de jardinier, fleurs soignantes ou plantes carnivores, s’arrondissent ou ondulent sous le vent. Un sapin de satin joue du soir au matin. En automatique, les plantes aromatiques écartent les orties qui chatouillent. Je suis le jardinier créateur.

Si l’on veut bien tout d’abord écouter, nous apprendrons toutes les histoires que l’on doit vivre ensemble et nous ferons de chaque matin une fête bleue, une fête sauvage. Nous ne saurons jamais tout, ni tout à fait. Alors, laissons à la poésie, à l’amour et à l’imagination le soin de nous consoler.

Et peut-être que les sœurs du couvent n’attendent que nous pour célébrer le monde et le ré-enfanter. Allez savoir …

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Le jour où j’ai failli devenir fils de vigneron (3)

 »Cette année-là, je devais être en classe de sixième au Lycée Champollion. Ma seconde année de sixième puisque j’avais redoublé. Champollion était un drôle de lycée classique dans lequel on rencontrait aussi bien des dizaines de petits gamins aussi peu expérimentés que moi et de vieux adultes qui préparaient les Grandes Ecoles. Ceux-ci avaient une cour qui leur était réservée et dans laquelle ils avaient le droit de fumer. Et ils fumaient tellement qu’aux heures de récréation ou lors des changements de salle, si l’on devait traverser cet espace, on ne pouvait le faire que sous un épais nuage de fumée. Jamais aucun d’entre nous ne s’est risqué à aller y fumer, ce qui n’empêchait pas que les toilettes des cours qui nous étaient attribuées sentaient parfois le tabac. »
 »Champollion était un lycée immense, avec ses huit cours intérieures de dimensions très inégales (la huitième est ridiculement petite) et fermées sur les quatre côtés, à l’exception de trois d’entre elles qui donnent sur le Cours Lesdiguières. C’est aussi un lycée triste dans lequel la verdure n’a pas sa place et où les arbres sont chichement comptés. Des litanies de salles d’enseignement se déploient sur deux étages, toutes les mêmes, reliées par des couloirs interminables et de larges escaliers que l’on devait parcourir à plusieurs reprises dans la journée. Construit à la fin du 19° siècle pour accueillir plus d’un millier d’élèves, ses murs de pierre de taille et ses parements de brique lui donnent un irrépressible air de caserne. »
 »J’y étais un très mauvais élève. Probablement pas par incapacité de travailler ou par insuffisance intellectuelle, non, mais à cause de la griserie de la liberté et de l’indépendance nouvellement acquises. Liberté et indépendance commençaient dès le matin à l’entrée dans le bus et ne prenaient fin que lors de mon retour à la maison, soit pour le repas de midi, soit après le dernier cours de la journée. Dès que je n’étais plus « à la maison », je n’avais plus à supporter l’autorité parentale, ni la succession de mes sœurs dans la fratrie. Alors, je n’étudiais absolument rien et passais mes dimanches à revenir au lycée pour faire des heures de « colle ». Quatre heures de « colle » par dimanche, deux heures le matin et deux heures l’après-midi ! »

Mon père m’avait rejoint, au bout de quelques instants, et nous avions repris la route du retour.
 » »On rentre » », m’avait-t-il dit.
Ce ne devait pas être très tard dans l’après-midi, car nous avions bien trois bonnes heures de route devant nous. Tiens, je ne me souviens même pas où l’on a mangé ce jour-là, au restaurant, chez le propriétaire, peut-être tout simplement, sur le bord de la route, un sandwich ou une petite collation que ma mère aurait préparé avant le départ, je n’en sais rien.
Les premiers kilomètres se sont déroulés avec pour seul fond sonore celui du moteur de la voiture. Nous reprenions en sens inverse le même trajet que celui effectué le matin, avec les mêmes paysages, les mêmes groupes de maisons toutes semblables, les mêmes collines sèches. Mes découvertes de la journée faisaient que je remarquais davantage les vignes et constatais qu’il y en avait de partout. Elles escaladaient la moindre pente de colline. Je ne comprenais toujours pas le sens de cette visite, bien que certains indices me laissaient quand même penser que nous étions appelés à venir vivre ici. Et ce n’est qu’après de très longs moments de silence que mon père s’était enfin lancé à m’apporter quelques explications. Pas très nombreuses. Il m’avait brièvement expliqué que cette maison, ces vignes, il avait pris la décision de les acheter et que, bientôt, c’est là que nous allions venir habiter. Ce n’était pas un projet, ce n’était pas une hypothèse ou une éventualité. Je ne sais plus s’il m’a demandé ce que cela me faisait, ou bien à quoi cela me faisait penser. Je pense n’avoir répondu que par de courtes phrases, très courtes phrases, car j’étais incapable de me prononcer et de dire si cela me plaisait ou me déplaisait. Je m’étais contenté de lui soumettre deux ou trois questions d’ordre technique.
« On va déménager ? »
« La vigne, c’est pour faire du vin ? »
« Pour aller au lycée, j’irai où ? »
« Quand est-ce que l’on va venir ici ? »
Ses réponses s’étaient révélées être encore pleines d’incertitude, les dates n’étaient pas arrêtées, quant au collège ou au lycée pour mes études, il fallait d’abord rechercher un établissement.
Alors, je crois bien que je n’avais plus rien dit jusqu’à la fin du trajet de retour, et lui non plus. Il y avait à peine deux ans que nous avions emménagé dans notre maison de la banlieue de Grenoble et je commençais à m’habituer à celle-ci, même si je n’y étais pas spécialement heureux. J’avais des copains et ma vie, turbulente, était faite de rencontres et de découvertes. Au fond, ce n’est pas le déplacement qui me déplaisait, je crois que j’aurais été volontaire pour un nouveau départ s’il avait fallu, mais venir ici, dans ce coin perdu de Provence, où il n’y avait presque personne, pour cultiver de la vigne alors que nous venions d’immeubles du sud de Grenoble et lui de son bureau de comptable chez Neyrpic, non, cela ne m’attirait pas du tout. Et puis, lui, il aurait cultivé la vigne, mais moi qu’est-ce que j’allais faire de mes mercredis, de mes jours de congé, de mes vacances ? Il me fallait cultiver la vigne, moi aussi ?
C’est dans le silence réciproque que nous sommes rentrés à la maison.

Je n’entendrai jamais plus parler de cette maison de Barroux, proche de Vaison la Romaine, ni des vignes que nous devions y acheter et cultiver. Et surtout pas par mon père. Au hasard des repas et des échanges entre mes parents, j’ai parfois entendu parler de notaire, puis d’avocat et j’ai appris, par bribes, que les relations avec le vendeur avaient pris le tour d’un affrontement devant le tribunal, car il y avait eu tromperie sur les terres vendues, je n’ai jamais bien su s’il s’agissait de leur surface, deux hectares, ou de leur affectation, certaines terres étant vendues comme vignes alors qu’il ne s’agissait que de vulgaire garrigue. Quand et comment les choses se sont-elles réglées ? Je ne sais pas vraiment, sauf qu’elles se sont éternisées pendant près d’une douzaine d’année et que, je crois bien, mon père y a laissé quelques plumes.

Vignoble du Barroux. En fond, le Mont Ventoux (DR)


Toujours est-il que, soixante ans plus tard, on ne peut que constater que mon père n’est jamais devenu viticulteur au pays du Vacqueyras, du Rasteau, du Beaumes de Venise, du Gigondas ou du Côtes du Ventoux.
Et que, par la même occasion, je ne suis jamais devenu le fils du vigneron.

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Le jour où j’ai failli devenir fils de vigneron (2)


Je n’avais pas encore vraiment compris ce que nous étions venus faire dans ce coin de campagne venté. D’autres pensées m’assaillaient, qui n’avaient rien à voir avec cette journée de découverte de la Provence ! »
 »La semaine qui venait de s’écouler avait été bien agitée et elle me laissait un souvenir mitigé. Voici quelques mois, quand j’étais entré en sixième au Lycée Champollion, j’avais fait la connaissance de celle qui restera ma première petite amie. Jusqu’à ce jour, les filles ne m’avaient guère intéressé ! Evelyne, tel était son prénom. Nous nous retrouvions tous les matins, dans le bus qui nous conduisait au centre-ville de Grenoble. Elle allait au lycée de filles, le lycée Stendhal. Elle montait dans le bus au moins un quart d’heure après que j’y ai pris place, puisqu’elle habitait dans une toute nouvelle zone d’HLM en bordure de Grenoble, le quartier Malherbe. »
 »Et nous nous retrouvions au fond du car, l’un près de l’autre et la main dans la main. Mais les mains dans le dos, pour ne pas les laisser voir ! »
 »Cela n’avait pas duré très longtemps. Bientôt Evelyne avait reporté son attention sur un plus grand et plus âgé que moi, par ailleurs un peu « blouson noir », et elle m’avait laissé tomber. Sans doute un peu jaloux et surtout terriblement vexé, j’avais cru très malin de provoquer ce rival par l’intermédiaire d’un de copains de son groupe. Il y avait un peu de « lutte des classes » dans cet affrontement. J’habitais en banlieue de Grenoble et j’étais au Lycée Champollion, un établissement classique où l’on apprenait le latin. Mon concurrent de la semaine passée vivait dans une zone d’habitat social et allait au Collège, de culture moderne et sensiblement plus populaire. Il y avait des différences sociales et culturelles entre les élèves des deux établissements qui se font face et ces différences se traduisaient par de petits affrontements quotidiens. Alors, si en plus, il devait y avoir des motifs de jalousie et de vexation … »
 »Voici trois jours, il m’avait attendu à l’arrêt d’arrivée du bus et la bagarre avait presqu’immédiatement débuté. Nous nous étions battus sur le trottoir, sous les cris de quelques passants et la surprise des autres camarades qui, bien entendu, n’avaient rien vu venir. Cela s’était terminé, pour moi, sur le capot d’une voiture en stationnement. Lui, il était parti de son côté. »
 »Ce jour-là, j’étais arrivé au lycée un peu meurtri, mais surtout humilié d’avoir été dominé et d’avoir perdu Evelyne que, depuis, je ne faisais qu’apercevoir à l’autre extrémité du bus. »

Vignes (DR)

Devant moi, au fond de cette cour sèche et gravillonneuse, il y avait une maison basse. Des murs blancs, des fenêtres peu nombreuses avec des volets bleu pâle, encore plus pâle que les fleurs de lavande présentes un peu partout. Un seul étage, tout est de plain-pied, sous un toit de tuiles provençales; c’était une maison comme tout le village en était fait, comme toutes celles que l’on voyait dans chaque village, dans chaque hameau depuis bien avant Vaison la Romaine. Ici, toutes les maisons se ressemblaient. A droite et à gauche de la partie d’habitation, en angle droit, comme pour refermer la cour, se trouvaient des bâtiments dont j’ai supposé que la vocation était agricole. Ils n’avaient pas d’autre ouverture qu’une large porte à deux battants, arrondie sur le haut. Les portes étaient fermées.
Je n’ai pas vraiment souvenir de ce qu’était la distribution des pièces de cette maison et je ne crois pas que nous l’ayons visitée. Ce qui est certain, c’est que je l’ai trouvée petite par rapport à notre maison de Grenoble et à ses grandes et nombreuses pièces. L’intérieur de la seule pièce que j’ai pu voir était blanc, les murs étaient blancs, les portes et fenêtres également blanches, les meubles rares en bois clair. Il n’y avait pas de décoration aux murs. L’évier, un buffet, une table et quelques chaises tenaient lieu de cuisine. Malgré toute cette blancheur, la maison n’était pas très lumineuse, à cause des ouvertures peu nombreuses et petites et des volets à moitié fermés. Il y faisait frais. Je ne comprenais pas ce que nous faisions ici, dans cette maison qui ne m’attirait pas.
Mon père a parlé quelques minutes avec l’homme qui nous avait accueillis. J’étais à l’écart et je n’ai rien entendu de leurs échanges. Et puis, nous sommes ressortis, aveuglés par la lumière et par le vent. Poursuivant à pied la route par laquelle nous étions arrivés, nous sommes allés jusqu’à un petit chemin qui pénétrait dans des vignes, à droite et à gauche. Le sol était caillouteux, sec et blanc, calcaire. Les pieds de vigne bien alignés, les ceps déjà anciens, noueux, épais, présentaient des feuillages qui arrivaient à ma hauteur.
Nous avons marché de longues minutes dans cette plantation, bien maladroitement en raison du sol très inégal, fait de terre blanche et sèche et de cailloux ronds de toutes tailles. Selon l’alignement des vignes et l’épaisseur de leurs ramures, nous étions parfois à l’abri du vent. Alors, il faisait chaud, très chaud. Et la poussière fine emplissait l’air et rendait difficile la respiration; Mon père a posé quelques questions à celui que je pensais être le propriétaire de cette terre. Il a parlé de l’âge de ce vignoble, de sa productivité, des travaux à y faire, de l’existence d’une coopérative à proximité. L’idée qu’il voulait venir y travailler commençait à se faire jour dans mon esprit. Jamais il n’a parlé de valeur du terrain, de surface à cultiver, de valeur des vignes ou de vente de la production.
Après la visite des vignes, nous avons parcouru une parcelle qui m’a semblé assez petite, comportant plusieurs cerisiers bien plus bas que les deux qui étaient dans notre jardin de la banlieue grenobloise. Une herbe rare et rase occupait le terrain de cette parcelle. Au-delà, s’ouvrait une garrigue touffue, épineuse, sèche qui descendait en pente douce et dans laquelle nous ne nous sommes pas aventurés. Tout au fond, au loin, un vieux mur de pierres formait ce qui pouvait être la limite de propriété.
La visite des terres était terminée et nous sommes remontés doucement vers la maison. Mon père et le propriétaire des lieux se sont retirés dans une petite pièce adjacente à la pièce commune. J’ai attendu un peu, j’ai tourné en rond, je suis sorti dans la cour où j’ai retrouvé lumière et vent. Arrivé au portail ouvert de la cour, j’ai regardé la rue que nous venions de parcourir, notre voiture stationnée juste en face. Il ne passait personne, il n’y avait personne. Que faisais-je ici ?


(à suivre)

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Le jour où j’ai failli devenir fils de vigneron (1)

Nous étions partis tôt le matin et je m’étais levé bien avant l’heure habituelle. La chose n’avait été décidée que la veille au soir, c’est à dire que l’on ne m’avait annoncé ce départ matinal qu’au cours du repas du soir. Mais où allions-nous ? Je n’en savais rien et mon père, au volant, ne m’en parlait pas.
« Tu verras bien … »
Il faisait beau, un vrai beau temps de grand soleil. Ce devait être un samedi. Parce que samedi et dimanche étaient les seuls jours de congé de mon père. Et que le dimanche était traditionnellement réservé à la sortie familiale. Il ne pouvait être question de la supprimer et d’en priver mes sœurs.
Au début, j’ai bien reconnu la route. Partis de la banlieue de Grenoble, nous avions pris la « rive gauche ». Une Nationale que je connaissais parfaitement pour aller souvent à Saint-Marcellin où habitait ma grand-mère. Mais aujourd’hui, la « traction avant » Citroën, une voiture grise, (tiens, je me souviens de l’immatriculation: 333 CV 38) poursuivait son chemin: Chabeuil, Crest et puis je ne sais plus. J’ai dû m’endormir un peu. Il n’est pas facile de rester les yeux ouverts pendant de longues heures, si l’on n’a rien d’autre à faire que de regarder le paysage. Et par ailleurs, mon père ne parlait pas beaucoup. Pas uniquement parce qu’il était absorbé par la conduite de la voiture, mais surtout parce qu’il n’était pas bavard. Jamais …
Tout au plus, j’ai pu remarquer que le paysage devenait toujours plus sec, moins vert et que les montagnes du départ laissaient la place à des collines couvertes de forêts discontinues, entrecoupées de larges saignées blanches et lumineuses.

 »Curieusement, des pensées m’assaillaient, qui tournaient autour de ma vie quotidienne à la maison. Nous vivions depuis peu de temps, un an ou deux, dans une nouvelle grande maison achetée par mes parents dans la banlieue sud de Grenoble. Une maison qui devait bien avoir une centaine d’années, construite au milieu du dix-neuvième siècle. La maison avait deux étages et ses balcons ouvragés en planches de bois découpé lui donnaient un peu l’air d’un chalet égaré dans le village qu’était encore notre commune. La maison avait été un peu saccagée, mal partagée, pour y faire vivre deux familles qui se répartissaient les pièces du rez de chaussée et du premier étage, mais qui se partageaient aussi un escalier commun pour passer d’un étage à l’autre. Les exigences d’une relative intimité réciproque avaient obligé au percement de portes de communication en des endroits un peu improbables. Il restait encore à aménager, nettoyer, repeindre, tapisser tout ceci et je cherchais à donner souvent le coup de main à mon père qui réalisait l’essentiel de tous ces travaux. En hiver, l’absence de chauffage dans les chambres faisait que les vitres s’engivraient pendant la nuit. Les chambres étaient nombreuses, j’avais la mienne, pas très grande mais bien agréable pour y faire un peu ce que je souhaitais, et mes sœurs se partageaient les autres en fonction de leurs âges. J’avais six sœurs, toutes plus jeunes que moi puisque j’étais l’aîné. J’avais aussi un petit frère, de onze ans plus jeune que moi. Il avait donc un, voire deux ans. »
 »Un grand jardin de près de huit cents mètres carrés éloignait la maison de la route. Il était richement arboré d’arbres déjà anciens: deux cerisiers, deux pruniers, des pommiers et surtout beaucoup de terrain pour y cultiver des légumes, ce que mon père avait entrepris dès la prise de possession des lieux. Enfin, au fond du jardin, à proximité du portail d’entrée qui permettait d’accéder chez nous depuis la rue, un grand poulailler avec des grillages surélevés et un clapier avaient été montés. Les scènes d’exécution des animaux de la basse-cour m’impressionnaient, qu’il s’agisse du canard à qui l’on coupe la tête et qui se relève et ne tombe pas pendant quelques secondes, ou bien du lapin que l’on pèle de haut en bas en retournant sa peau comme l’on retourne un gant. »
 »Dans ce village du sud de Grenoble, je n’ai fait qu’une seule année scolaire, celle du cours moyen deuxième année, dans un groupe scolaire où garçons et filles étaient séparés. Peu importait, notre grand jeu était de jouer aux billes sur de longs tracés, un peu comme des circuits automobiles, que l’on dessinait dans le sable de la cour. J’ai un très mauvais souvenir de cette unique année scolaire. Sous un vaste préau couvert, avaient été empilés de vieux bureaux et bancs condamnés en raison de leur grand âge et par l’arrivée de matériel plus moderne, en particulier des bureaux individuels. Lors d’une récréation, échappant à toute surveillance, un ou plusieurs camarades s’étaient lancés à la conquête de cet empilement de mobilier qu’ils avaient escaladé. Parvenus presqu’au sommet, la pile de tables, chaises, bureaux s’est effondrée et eux avec. Victime d’un grave traumatisme crânien, l’un des élèves s’était tué. J’ai aussi un bon souvenir de ce groupe scolaire. Le vendredi après-midi, pour terminer en beauté la semaine, nous avions droit à une séance de cinéma en noir et blanc. C’est là que j’ai découvert Laurel et Hardy et mes premiers Charlot. Toutes les classes des « grands » s’y retrouvaient, garçons et filles. Et puis, je suis entré au lycée. »
 »Sincèrement, je n’ai pas le souvenir d’avoir été très heureux dans cette maison, surtout parce que son ambiance ne me plaisait pas. Je l’ai dit, j’étais l’aîné de six sœurs et frère. Depuis des années, en fait depuis toujours, je voyais presque chaque année un autre bébé prendre place dans la famille et me repousser un peu plus loin de mes parents, de ma mère comme de mon père. Non, je ne peux pas dire que je n’ai pas été aimé, mais j’ai le sentiment d’un petit manque d’affection. Il y avait l’essentiel mais surtout beaucoup d’exigences; je devais être le modèle, celui qui doit réussir, qui doit donner l’exemple. »

Après des heures interminables, nous étions parvenus à Vaison la Romaine. Je le sais pour avoir lu le panneau Michelin à l’entrée de la commune. Mais ce nom ne me disait rien du tout, je ne connaissais pas cette petite ville qui me sembla bien calme. Sur une colline proche, il y avait un château qui me paraissait en ruines. Il y avait aussi une rivière bien basse qui serpentait parmi les lits de gravier et les cailloux. Un pont en arche l’enjambait C’est bien plus tard que je saurai qu’il s’agissait de l’Ouvèze.

Vaison la Romaine (DR)


Ce n’était pas encore le but ultime de notre déplacement, mon père me le confirma. Mais il me précisa cependant que nous étions arrivés, que nous étions dans le cœur du territoire où nous conduisait notre sortie. Je trouvais la petite ville jolie si l’on peut dire, mais bien silencieuse, un peu comme endormie. C’était tellement différent de mon village de la banlieue de Grenoble. Chez nous, il suffisait de prendre le bus, de faire un quart d’heure de route et nous étions dans la ville, avec ses immeubles, ses rues et avenues, ses commerces, son animation, ses gens qui se déplacent sans interruption, son bruit, sa circulation automobile. Ici, nous nous retrouvions au centre d’un village, après avoir fait plusieurs centaines de kilomètres dans des campagnes diverses. Encore cinq minutes et nous allions ressortir du village.
D’ailleurs, c’est ce que nous avions fait, en poursuivant notre route pendant encore une quinzaine de kilomètres, une petite demi-heure. Nous voici dans un village, si on peut appeler ça un village, nommé Le Barroux. Et nous nous sommes arrêtés dans une rue intitulée route de Saint-Jean. Au-dessus de ce village, il y avait également un château, partiellement en ruines. Mais à bien y regarder, ce sont presque tous les villages qui possèdent une colline ou un promontoire couronné par un château ou une petite forteresse. Ce doit être une caractéristique de la région.
La voiture était stationnée dans cette petite rue bordée de murs et de haies épaisses. Le vent, le mistral, soufflait si fort que l’on avait l’impression qu’il faisait froid, bien que brillait un grand soleil. De l’autre côté de la rue, une maison basse précédée d’une grande cour dont le portail était totalement ouvert. C’est là que nous entrâmes. Un homme nous attendait sur le pas de la porte. Il était vêtu d’un pantalon de velours et d’une large chemise qui flottait sur celui-ci. Ses traits étaient burinés, secs et lui-même n’était pas forcément très accueillant.


(à suivre)