Afin de dissiper immédiatement tout malentendu, qu’il soit bien clair que nous parlons ici du Bateau Ivre de Saint-Marcellin, cette maison originale construite au mitan du siècle dernier et qui a bénéficié d’une juste reconnaissance en tant que monument historique appartenant au Patrimoine du XX° siècle.
Si nous prenons la peine de dire ceci, c’est parce qu’il sera souvent bien difficile à l’amateur de retrouver ce Bateau Ivre dans le foisonnement d’Internet,tant il y existe de bateaux plus ou moins ivres. Le nom lui-même favorise tous les rapprochements et innombrables sont les vignobles, les cuvées ou les vins qui se nomment « bateau ivre ». Il en est de même pour les bars à vin, les caves, les restaurants, les gîtes ou maisons d’hôte en pays de vignes, voire n’importe où. Pour le reste, nous nous retrouvons face à un véritable inventaire à la Prévert : une maison d’édition, une compagnie théâtrale, un bateau de croisière sur la Seine à Paris, un quintette instrumental, une salle de spectacles à Tours… Dans le domaine culturel, trois œuvres cinématographiques portent ce nom : un film américain de Jack Conway en 1927 (titre original « Twelve Miles Out »), un roman filmé de Charles Coulonges en 1929 et un film de Dominique Philippe sorti en 2017. L’édition n’est pas en reste puisque nous identifions un roman de Jean Dorsenne publié en 1930, un essai de Pierre Legrand publié en 2019 et dont le titre est utilisé pour qualifier 50 ans d’Education Nationale, enfin un roman de Pascal Boniface publié en 2021. Concurrence peut-être dommageable: il existe même un villa conceptuelle et très contemporaine, sise à l’Isle-sur-la-Sorgue, qui porte ce nom.
Lorsque Arthur Rimbaud a composé, à dix-sept ans, au cours de l’été 1871, le long poème foisonnant et quelque peu surréaliste auquel il a donné ce nom, il ne s’attendait certainement pas à ce que celui-ci trouve une telle célébrité et popularité.
A l’évidence, il conviendra de soigner la communication et de trouver des arguments solides et originaux s’il faut, un jour, faire connaître le Bateau Ivre de Saint-Marcellin et inviter un public à le visiter.
Cette maison n’est pas issue d’un caprice ou d’une lubie de ses parrains. Elle est le fruit d’une longue histoire née avant même la dernière guerre, formalisée dès les premiers instants de la Libération et patiemment construite pendant des décennies. Cette histoire, essentiellement sociale et culturelle, est celle de très nombreux saint-marcellinois et habitants de la région de Saint-Marcellin, dont beaucoup peuvent encore témoigner. Cette histoire a également laissé des traces quasi indélébiles dans le paysage architectural de Saint-Marcellin, de l’Isère, voire de Rhône-Alpes.
C’est cette histoire que nous avons choisi de vous raconter en remontant dans le temps d’au moins deux générations, avant de revenir progressivement au présent, d’où le titre de « chronique » que nous avons choisi. Nous vous en souhaitons bonne lecture et espérons vos commentaires apportant des précisions, commentaires qui seront les bienvenus.
Toute reproduction, même partielle, de cet article est soumise à l’accord préalable de l’auteur
Novembre n’est pas le meilleur des mois pour Barbara, ne serait-ce que parce que c’est en novembre, le 24, l’an 1997, qu’elle nous a quittés. Entre juillet 1943 et octobre 1945, Barbara a vécu à Saint-Marcellin, dans des conditions difficiles puisqu’elle et sa famille y étaient réfugiées afin d’échapper aux atrocités nazies et aux dénonciations.
Depuis 2019, la ville l’honore d’un Festival à son nom, Festival consacré à la chanson française et/ou francophone. Et depuis 2019, chaque édition de ce Festival est motif à ressortir LA chanson de Barbara dont il est évident qu’elle concerne Saint-Marcellin. Elle-même, d’ailleurs, a raconté qu’elle s’était arrêtée dans cette ville, de retour d’un concert dans le midi, afin de rechercher les traces de son enfance.
« Mon enfance », tel est le titre de cette chanson. Elle en a écrit les paroles. C’est, pour le moins, une chanson un peu triste. Elle y raconte qu’elle retrouve le coteau, l’arbre, la maison fleurie, les dahlias fauves dans l’allée, le puits … et les cris d’enfants en compagnie de Jean (frère ainé né en 1928), Régine, (sœur née en 1938) et Claude (frère né en 1942). Reste, dans l’énumération des enfants, un autre Jean. Qui est-il ?
Tout lui revient de ces années perdues de ses treize-quinze ans, les jeux et les noix fraîches de septembre, mais aussi le souvenir douloureux de sa mère Esther, qui vient de décéder alors qu’elle écrit cette chanson. Esther est décédée en 1967, la chanson date de 1968. La conclusion est mélancolique, qui affirme qu’il ne faut jamais revenir au temps caché des souvenirs, là où son passé la crucifie.
Il est une autre chanson qui parle également de Saint-Marcellin, chanson dont elle n’est pas la seule auteure des paroles, paroles qu’elle a très certainement inspirées. Il s’agit de « Il me revient », dont le texte a été écrit en collaboration avec Frédéric Botton, en 1996.
Il me revient en mémoire Il me revient en mémoire Il me revient des images Un village, mon village Il me revient en mémoire Je sais pas comme un songe cette histoire Et voilà qu’au loin s’avance Mon enfance, mon enfance C’était, je crois, un Dimanche C’était, je crois, en Novembre
Qu’importe, mais je revois l’usine Oui, l’usine se dessine Surgit du livre d’images Un ciel gris d’acier, une angoisse Et des pas lourds qui se traînent Et les ombres qui s’avancent C’était, j’en suis sûre, un Dimanche C’était, j’en suis sûre, en Novembre
Et se détache une image Un visage, ton visage Où allais-tu sur cette route Comme une armée en déroute Et tout devient transparence Et tu deviens une absence Tout me revient en mémoire Le ciel et Novembre et l’histoire Et les pas qui se rapprochent Et s’avancent en cadence Toi, où es-tu, je te cherche Où es-tu, je te cherche Toi, mon passé, ma mémoire Toi, ressorti de l’histoire Qui était, j’en suis sûre un Dimanche En Novembre
Ton visage Toi, sur cette route Figé Et les ombres qui se rapprochent Et les ombres qui te frappent Et t’emportent Il me revient des images Ce village, ton visage Toi, seul sur cette route Et les pas qui s’approchent En cadence, en cadence
En cadence (en cadence…) En cadence (en cadence…)
L’histoire est simple: il s’agit de l’arrestation d’un résistant ou sympathisant de la Résistance par des miliciens, plus probablement que par l’armée allemande. Le lieu est signifié, l’usine se dessine, donc à proximité de la Laiterie Brun et de la Fabrique d’Appareillages Electriques de la CGE. La date est celle de novembre, donc exclusivement novembre 1943 ou novembre 1944, les seuls novembre pendant lesquels Barbara vivait à Saint-Marcellin. Or, Saint-Marcellin ayant été libérée en août 1944, il ne peut s’agir que de novembre 1943.
Pour mémoire, le 29 novembre 1943, à Saint-Marcellin, le Docteur Victor Carrier est sommairement exécuté par la Milice, dans le contexte de ce qui a été désigné comme la « Saint-Barthélémy grenobloise ». Il était, avec son ami le Docteur Valois, le créateur du Secteur 3 de l’armée secrète de l’Isère et du Bataillon de Chambaran. (1)
PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN
Les Journées Européennes du Patrimoine et la réalisation de deux rencontres-présentation de cette « petite histoire » au public de Saint-Marcellin, les 18 et 19 septembre 2021, ont fait surgir avec une force certaine l’idée que la vocation littéraire de Françoise Sagan était née à Saint-Marcellin, à tout le moins dans le Dauphiné.
Nous avons déjà vu et lu, dans le chapitre précédent, comment elle raconte ses longues promenades dans la campagne sur le dos de son cheval Poulou. Et nous avons apprécié son écriture.
Au cours de l’année scolaire 1949-1950, elle passe les trois mois du second trimestre de l’année à Villard-de-Lans, dans l’établissement de La Clarté tenu par Madame et Monsieur Malbos. A l’issue de ces trois mois, son père écrit, depuis Rome, pour confirmer que sa fille ne fera pas le dernier trimestre dans cette école, mais travaillera à Saint-Marcellin, avec sa mère. Françoise Sagan écrit à son tour, donc courant mars 1950, la lettre suivante à l’attention du directeur de l’école, monsieur Malbos.
« Cher monsieur,
« Après votre si gentil accueil de l’autre jour il me serait vraiment difficile sans remords de ne pas vous écrire. Comme de plus j’éprouve un réel plaisir à mettre ma conscience en paix, je vous envoie un échantillon de mon écriture.
« J’ai oublié de vous demander avant-hier si Paris était toujours aussi charmant et si vous vous étiez bien reposé. La plupart des gens cherche le repos et la tranquillité à la campagne et vous ne les trouvez que dans la ville la plus excitée et vivante de France et de Navarre. Madame Malbos m’a parue enchantée de son séjour à Paris. Je pense d’ailleurs y partir mardi ou jeudi. Si je peux vous rapporter quelque chose de là-bas que vous ne trouverez pas à Grenoble je le ferai avec plaisir. Je rentrerai ici le 17. Je ne crois pas que mes études en souffriront car je passe mon temps à remplir des formulaires compliqués que m’expédie gentiment le cours Hattemer. En attendant je lis beaucoup. Je pense commencer le Proust bientôt. J’ai lu l’étude de Dostoïevski par Gide (1) que j’ai trouvée très bien et pour le moment je lis « Siegfried et le Limousin » (2). Mais en roman. C’est extrêmement drôle mais vraiment du condensé de Giraudoux. Je ne pense pas venir à Villard avant le mois de juin. Mais j’espère que vous trouverez peut-être le temps entre deux copies de m’écrire un mot. J’ai oublié de vous demander si vous aviez lu mon Don Juan. Je me rappelle cette distribution : Anne-Marie le père de famille, A.M Giradeau, les jeunes premiers, M.C Choney la servante. Vous ne savez pas à quel point je regrette ce temps-là. Je crois que c’est ma faute, je ne suis pas très démonstratrice et n’ai peut-être pas su vous montrer à vous et madame Malbos combien je vous étais reconnaissante de votre intérêt et de votre gentillesse pour moi.
« Je m’excuse de finir sur cette note mélancolique et vous prie de transmettre à madame Malbos mon respectueux et reconnaissant souvenir. Désolée d’être votre ex-élève, mais contente de l’avoir été.
» Françoise – La Fusilière – Saint-Marcellin «
Afin de clairement situer cette lettre, il est important de rappeler que Françoise Sagan a 14 ans et demi lorsqu’elle la rédige. Elle parle de sa première pièce de théâtre, un « Don Juan » dont elle a imaginé la distribution des personnages en enrôlant les enseignants et personnels de l’école, selon le fils des Malbos. Quant à la conclusion, quelle magnifique et généreuse pirouette: » désolée d’être votre ex-élève, mais contente de l’avoir été « .
Françoise Sagan parle de ses lectures dans un autre texte extrait de « Avec mon meilleur souvenir », publié en 1984. Ce texte est intitulé « Lectures ».
» J’ai rempli, je l’avoue, dans ce domaine, le parcours le plus classique qui soit : Les Nourritures Terrestres (3) à treize ans, L’Homme révolté(4) à quatorze, Les Illuminations(5) à seize.(…)
» Les Nourritures terrestres fut la première de ces bibles écrites de toute évidence pour moi, presque par moi, le premier livre qui m’indiquât ce que j’étais profondément et ce que je voulais être : ce qu’il m’était possible d’être. Gide est un auteur, un parrain dont l’on ne se réclame plus très volontiers à présent, et il y a peut-être un certain ridicule à citer les Nourritures comme son premier bréviaire. En revanche, je sais très exactement dans quelle odeur d’acacia je découvris ses premières phrases, ses premiers ordres adressés à Nathanaël. Nous habitions le Dauphiné. Il avait beaucoup plu cet été là et je m’y étaisconsidérablement ennuyée, d’un de ces ennuis lyriques comme seuls peuvent en avoir les enfants derrière les vitres ruisselantes d’une maison de campagne. Ce fut le premier jour de beau temps, après toutes ces ondées, que je partis par ce chemin bordé d’acacias, mon livre sous le bras. Il y avait un peuplier immense à l’époque dans cette campagne (où, bien entendu, je suis revenu depuis et où, bien entendu, le peuplier avait été coupé et remplacé par des lotissements et où, bien entendu, j’eus le coeur brisé selon toutes les règles de notre époque). Toujours est-il que c’est à l’ombre de ce peuplier que je découvris, grâce à Gide, que la vie m’était offerte dans sa plénitude et ses extrêmes – ce que j’aurais dû soupçonner de moi-même, d’ailleurs, depuis ma naissance. Cette découverte me transporta. Les milliers de feuilles de peuplier, petites et serrées, d’un vert clair, tremblaient au-dessus de ma tête, très haut, et chacune d’elles me semblait un bonheur supplémentaire à venir, un bonheur formellement promis à présent par la grâce de la littérature. Avant d’arriver au faîte de l’arbre et de cueillir ses derniers violents moments de plaisir, j’avais tous ces millions de feuilles à arracher les unes après les autres au calendrier de mon existence. Comme je n’imaginais pas qu’on puisse vieillir, ni encore moins mûrir, c’étaient autant de plaisirs enfantins et romanesques qui s’accumulaient au-dessus de moi : des chevaux, des visages, des voitures, la gloire, des livres, des regards admiratifs, la mer, des bateaux, des baisers, des avions dans la nuit, que sais-je, tout ce que l’imagination à la fois barbare et sentimentale d’une adolescente de treize ans peut accumuler d’un coup. J’ai relu Gide par hasard l’autre année et si j’ai de nouveau cru sentir l’odeur de l’acacia et voir le peuplier, j’ai simplement pensé, presque distraitement, que c’était quand même fort bien écrit. La foudre, elle aussi, peut se tromper en distribuant ses coups ».
« Les Nourritures terrestres » est un bel ouvrage hédoniste appelant à vivre intensément le bonheur de toute chose, de tout être rencontré, de toute composante de la nature, la pluie, le soleil, les fleurs, les odeurs, … et d’en remercier un dieu assez aimable et généreux. Nous sommes plus proche du déisme que de la religion ! Bien des actes et des comportements de Françoise Sagan peuvent se comprendre à la lecture de cette œuvre … à treize ans !
Concernant « L’Homme révolté« , nous serons plus circonspect quant à la date de la lecture, puisque cet ouvrage a été publié en 1951, alors que Françoise Sagan avait seize ans. Mais qu’importe puisqu’il est, lui aussi, un texte fondateur de son état d’esprit.
Enfin, « Les Illuminations » ou la liberté faite écriture ! Bien avant l’heure, Arthur Rimbaud a inventé le surréalisme et l’écriture automatique ! Bientôt, il n’écrira plus un seul mot littéraire, mais qu’importe, l’essentiel est déjà là.
Treize ans, quatorze ans, quinze ans, seize ans, de 1948 à 1951, sans compter les années d’enfance, toutes ces années pendant lesquelles Françoise passait, selon ses propres dires, de quatre à cinq mois par an « dans le Dauphiné« , à Saint-Marcellin, et s’y préparait à vivre libre, amoureuse de la littérature, son plus grand rêve étant d’écrire un grand et beau livre, à la manière de Proust !
Dans les tous premiers jours d’octobre 2021, Françoise Sagan a publié un nouvel ouvrage ! Certes, avec la complicité de son fils Denis Westhoff et de Véronique Campion, ancienne camarade du Cours Maintenon et de la Sorbonne. Ce livre, intitulé « Ecris-moi vite et longuement », publié chez Stock, nous offre une moitié de la correspondance que Françoise et Véronique ont échangée entre novembre 1952 et mai 1959. La moitié parce qu’il ne s’y trouve malheureusement que les lettres écrites par Françoise Sagan à Véronique Campion et non les courriers de celle-ci qui, hélas, n’ont pas été conservés.
Ce livre est passionnant pour deux raisons. La première est relative à la personnalité de Françoise. Dans ses premiers courriers, il est surtout question d’amitié entre filles. Françoise accueille généreusement son amie et l’intègre à sa famille vivant Boulevard Malesherbes. On y retrouve oncle, tante, Suzanne la grande sœur et Jacques, le frère et quelques copines, dont Florence Malraux.
Puis survient la célébrité, en 1954, avec la publication de « Bonjour tristesse ». Avec cette célébrité, Françoise parle désormais des voyages (Jérusalem, New-York, Las Végas, …), des voitures (Jaguar) et des rencontres de célébrités. Méthodiquement, elle construit le mythe qui l’accompagnera, pour le meilleur et, peut-être, pour le pire tout au long de sa vie: l’argent, la nuit, la vitesse, la liberté, l’alcool, le bronzage nu sur la terrasse ou les criques de Saint-Tropez, Annabel Buffet, Guy Schoeller … En 1959, déjà, elle écrit « je suis complètement fauchée », tant l’argent lui file entre les doigts.
L’autre motif d’aimer ce livre est un tant soit peu égoïste, en ce sens qu’il vient parfaitement s’inscrire dans la continuité des dix chapitres de cette « Petite histoire … ». 1952, c’est l’entrée de Françoise Sagan en Sorbonne où elle ne s’attardera pas, et c’est la suite de notre description de sa scolarité. Ensuite, nous retrouvons dans ce livre nombre de situations abordées à un moment ou à un autre de notre narration. Il y est mentionné, souvent, Bruno Morel et parfois son père, Charlie Morel qui vient rejoindre la bande de Françoise Sagan à Cannes, et nous avons la confirmation que Pierre Quoirez travaille à Argenteuil !
Bref, ce petit livre léger et un peu déjanté est très agréable à lire et, sans vouloir nous l’approprier, constitue un estimable onzième chapitre pour notre histoire de l’enfance et l’adolescence de Françoise Sagan. Un seul regret: il n’y est jamais question du Dauphiné ou de Saint-Marcellin.
1 – André Gide – Dostoïevski – Plon 1923
2 – Jean Giraudoux – Siegfried et le Limousin -Grasset 1922
3 – André Gide – Les Nourritures Terrestres – 1897
4 – Albert Camus – L’Homme révolté – 1951
5 – Arthur Rimbaud – Les Illuminations -1886
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PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN
Ce qui est une évidence pour certains, ne l’est pas pour d’autres ! Entre 1940 et 1945, la ville de Saint-Marcellin a accueilli deux familles dont les filles sont devenues célèbres. La famille Quoirez, ce qui nous a permis de parler longuement de Françoise Sagan, et la famille SERF, dont est issue la chanteuse BARBARA.
Françoise Sagan est arrivée à Saint-Marcellin à l’été 1940. Elle y a passé toutes ses vacances et nombre de congés de fin de semaine. Elle a quitté cette ville en octobre 1945, mais y est souvent revenue, en 1946 lors du mariage de sa sœur, en 1949 lorsqu’elle était interne à Grenoble ou Villard-de-Lans, plus tard encore afin de rejoindre ses amis et faire étape sur la route du midi.
Monique Serf, Barbara, née le 9 juin 1930, est arrivée à Saint-Marcellin en juin 1943. Elle a quitté la ville en octobre 1945. C’est alors que se posent deux questions. La première: Françoise Sagan et Barbara se sont-elles rencontrées à Saint-Marcellin? Et la seconde: pourquoi la ville de Saint-Marcellin et ses habitants accordent-t-ils une reconnaissance à Barbara qu’ils n’accordent pas à Françoise Sagan ?
Afin de répondre à la première question, précisons qu’en 1943, quand arrive Barbara, elle a treize ans, tandis que Françoise Sagan n’a que huit ans. L’une est une pré-adolescente, l’autre n’est encore qu’une fillette. Le temps pendant lequel elles vivront à proximité l’une de l’autre se limite à deux années et trois mois, uniquement pendant les vacances, petites ou grandes. L’une est juive, elle et sa famille, réfugiée, doivent redoubler de prudence, d’autant que les évènements brutaux se profilent. Elle est scolarisée en établissement public à Saint-Marcellin. L’autre est catholique et sa famille veille à ne placer ses enfants que dans des écoles privées et catholiques. L’une ne vit, économiquement et socialement, qu’avec d’infinies précautions, tandis que l’autre vit dans une famille d’industriels qui ont les moyens de leur autonomie, quand bien même les temps de guerre rendraient cette autonomie plus fragile.
Il est largement improbable qu’une vraie rencontre ait pu se produire. Peut-être se sont-elles croisées, entre La Fusilière et le quartier du Mollard, près du logement de la famille Serf, ou sur la Place d’Armes, dans un commerce … et encore … ce ne pouvait qu’être simplement le hasard, un moment fortuit … Elles racontent qu’elles ne se sont connues qu’après leur accès à la célébrité et c’est alors qu’elles ont découvert qu’une partie de leur enfance s’était déroulée dans la même petite ville du Dauphiné.
La réponse à la seconde question est beaucoup plus difficile et plus délicate. En 1945, quand l’une et l’autre quittent Saint-Marcellin, il n’est personne qui fasse attention à leur départ et formule des hypothèses sur leur avenir. Barbara est bien allée chanter une fois ou deux dans les salons d’un hôtel local et Françoise Sagan était bien une cliente assidue de la librairie locale, ce n’est pas pour cela que l’on devinait en elles une future chanteuse et une future auteure. La guerre était finie et chacun repartait chez soi.
La première à connaître la célébrité fut Françoise Sagan, lors de la publication de « Bonjour tristesse », sorti en mars 1954, soit quatorze ans après son arrivée à Saint-Marcellin et neuf après son départ. « Bonjour tristesse » fut un véritable scandale. Comment une jeune fille mineure peut-elle faire l’amour avec un garçon, en être heureuse et ne pas subir le châtiment de la grossesse ? Comment une jeune fille de dix-huit ans peut-elle écrire des horreurs pareilles et oser les présenter à un éditeur ? Rappelons-nous que l’âge légal de la majorité était celui de 21 ans, que les femmes françaises ne disposaient du droit de vote que depuis le 21 avril 1944. Et souvenons-nous qu’elles ne pourront acquérir leur indépendance économique, disposer d’un compte bancaire qu’en 1965. Quant à leur autonomie sentimentale, il faudra encore attendre …
Un autre aspect de la vie de Françoise Sagan a compté également dans cette méfiance: c’était la « fille du patron de la Cégé », la plus grande entreprise de la région, et ce que les habitants de Saint-Marcellin savaient d’elle se résumait à un caractère bien trempé, un esprit libre et aventurier, des sorties à cheval et des visites au château de La Sône, bref, une vie de fille un peu gâtée par son milieu social. Mauriac venait de la qualifier de « charmant petit monstre », certains n’étaient pas loin de penser que c’était un monstre, tout court.
Barbara, pour sa part, a connu le succès entre 1958 et 1960. Ce que l’on savait alors de sa vie a constitué autant d’éléments en sa faveur et elle a été acceptée bien plus rapidement.
Michel Jarrié (†), un passionné de culture, de lecture, de cinéma, de peinture, de photographie, arrivé à Saint-Marcellin en 1958, n’a pas connu Françoise Sagan. Il l’a cependant bien aimée et cela l’autorise à faire ce reproche à ses concitoyens: « Si je vous disais que ce pays, par pudibonderie, n’a jamais honoré sa mémoire contrairement à Barbara qui passa également une partie de sa jeunesse dans les mêmes lieux ! » Tout est résumé là … Ce qui est certain, c’est qu’à l’issue de l’épreuve de la guerre, toutes deux gagneront un grand désir de vivre et une soif d’indépendance.
Afin de conclure cette « histoire », laissons la parole à Françoise Sagan elle-même. Dans « Chroniques 1954-2003 », elle raconte sa passion pour le cheval. Mais elle raconte également le Dauphiné, Saint-Marcellin, La Fusilière, son cheval Poulou, son enfance … Elle était alors une petite fille un peu survoltée, toujours en mouvement, parfois autoritaire et surtout sensible à l’amitié des garçons et à leur compagnie (témoignage).
» Et moi aussi, cette passion me vient de loin. Quand j’avais huit ans, nous habitions, l’été, en famille, une maison perdue, à la campagne. Mon père y ramena un jour un cheval, qu’il venait d’arracher à la boucherie, sans doute, qui s’appelait Poulou et que j’aimai aussitôt passionnément. Poulou était vieux, grand et blond. Il était aussi maigre et fainéant. Je le menais par le licol, sans selle ni mors, et nous nous promenions dans les prés des jours entiers. Pour l’enfourcher, vu sa taille et la mienne – je devais, en plus, peser vingt-cinq kilos , j’avais mis au point une technique qui consistait à m’asseoir sur ses oreilles pendant qu’il broutait – et il ne faisait que ça – et à m’agiter jusqu’au moment où, excédé, il relevait le cou et me faisait glisser tout au long, jusqu’à son dos, où je me retrouvais assise dans le mauvais sens. Une fois perchée, je me retournais, je prenais le licol, je lui donnais des coups de talon et poussais des cris de paon jusqu’à ce que, par gentillesse, il partît dans la direction qui lui plaisait. Nous en avons parcouru des kilomètres dans le Dauphiné, Poulou et moi, baguenaudant, errant – parfois trottant quand il voyait un champ de trèfle qui lui plaisait ou un ruisseau. Il était, autant que moi, insensible au soleil. Tête nue, nous montions et descendions les collines, traversions des prés, en biais, interminablement. Et puis des bois. Des bois qui avaient une odeur d’acacia et où il écrasait des champignons de ses gros fers, cliquetant sur les cailloux. A la fin du jour, souvent, je n’avais plus de force. Le soir baissait. L’herbe prenait une couleur gris fer, inquiétante, qui le faisait galoper tout à coup vers son fourrage, vers la maison, à l’abri. Il galopait et, penchée à l’avant, je sentais son rythme dans mes jambes, dans mon dos. J’étais au comble de l’enfance, du bonheur, de l’exultation. Je revois la maison au bout du chemin, la grille au bout, le peuplier ondoyant à gauche. Je sens les odeurs de là-bas, je revois la lumière du soir. Arrivée, je me laissais glisser de côté, je tapotais la tête de Poulou avec la condescendance, l’assurance, que me donnait la terre ferme sous mon pied, je le menais dans sa remise ; et là, tout affligée, je le laissais devant son fameux fourrage, plus attentif à son menu qu’à mes baisers. »
REMERCIEMENTS
Mention très spéciale à Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan, et à son Association Françoise Sagan – https://www.francoisesagan.fr/
Mention très spéciale à Cécile Defforey, la fille de Suzanne, sœur aînée de Françoise, et donc sa nièce
R.E.M.P.A.R.T., Groupe Patrimonial de Saint-Marcellin, dont Henri Inard (†), Denise Hebert, Marina Bertrand, Maurice Hendboëg et Marc Ellenberger, archiviste honoraire et remarquable initiateur en matière de recherches généalogiques dans les Archives Départementales
Mairie de Saint-Marcellin, service état-civil et service technique
Archives Départementales de l’Isère, de la Drôme, du Lot, du Nord, du Pas-de-Calais, de Paris, …
Gilles Meeus, association « Si Pont m’était conté … »
Michel Jolland, association « Saint-Vérand hier et aujourd’hui »
Gérard Micoud, Gérard Rousseau, Amicale des Anciens d’Arnoud, AAA
Jean Petinot, ancien directeur de Legrand, ex FAE
Clotilde Vermont, propriétaire du Château de La Sône
Jean-Luc Graven, association « Ensemble pour l’Hors du Temps »
Jean-Michel Revol, ancien maire de Saint-Marcellin
Dominique Odoit, préfacier de « Souvenirs d’un chattois », mémoires de son père
Daniel Benacchio
Patrick Morel, fils de Charles Morel et frère de Bruno Morel
Bernard Giroud, historiographe, pour ses contributions relatives à la FAE et aux Ets Morel dans « Fabriques », ouvrage réalisé par l’AISG
Jacques-André Clerc, de l’historique famille des Clerc …
Gérard Ducoeur, président de la SHAAP
Jean Sorrel (†), auteur de l' »Histoire de Saint-Marcellin » en deux volumes
Ville d’Argenteuil, Services Archives
Ecoles Polytechniques de Lausanne et de Zurich
Mairie de Cajarc, Service état-civil
Liliane Austruy, fille de Ferdinand Brun, ancien maire de Saint-Marcellin
Charlotte Carra
Michel Jarrié (†)
Madame Dachis-Chapoutier
Henri Perret
Madame Da Fonseca et Monsieur Amblard
Docteur Jean-Jacques Mathieu
Michel Laurent
Ville de Villard-de-Lans (38), Service Archives Etat-Civil
Maison du Patrimoine de Villard-de-Lans
Ville de Lagnieu (01), Service Archives Etat-Civil
Mr Malbos
ainsi qu’à toutes celles et tous ceux que j’ai pu oublier …
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