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La faim dans le monde, le gourou et le G20

Cette image, trouvée quelque part sur le net et publiée sur la page d’un ami d’ami, interroge quant à l’état de notre monde.

One person dies … (DR)

A priori, la cause est bonne. Mais est-ce vraiment le cas ?
On peut discuter indéfiniment sur les chiffres (http://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-chiffres-de-la-faim-dans-le-monde_1040867.html): 850 millions, 950 millions, 1 milliard, plus d’un milliard, … cela ne change pas grand chose au fait qu’un humain sur sept, ou presque, ne mange pas à sa faim aujourd’hui. A de rares exceptions près (situation de guerre, maladie épidémique ou catastrophe naturelle), ce n’est pas l’insuffisance de nourriture produite par les pays concernés qui est en cause, mais d’une part la destination autre que locale des productions et, d’autre part, l’inexistence de moyens de transport adéquats pour alimenter des zones éloignées.
La destination autre concerne des productions alimentaires destinées à l’exportation et non à la satisfaction des besoins locaux. En « échange » seront importées, souvent à prix élevé, des nourritures de base qui ne seront pas correctement distribués par suite de déficiences structurelles du pays.

Alors, sensibiliser au problème de la faim dans le monde en évoquant l’émotion soulevée par la mort d’un gourou, est-ce vraiment une bonne idée ? Cet homme n’a jamais rien inventé, jamais. Son « génie » (si génie il y a) a été de savoir attraper au vol les tendances de fond d’une société de loisir et de consommation et de satisfaire celles-ci au travers d’un habillage, d’un design, approprié. Tout au long de sa fulgurante carrière, il aura jalousement veillé, par son système propriétaire et ses tarifs élevés, à ne satisfaire que le haut du panier de sa cible jeune et pourtant friquée. Il est le symbole même de la société occidentale qui, telle un eldorado, fait rêver les jeunesses du reste du monde.
Comme il est probable que les adorateurs de ce gourou ne seront probablement pas les plus aptes à comprendre les questions de la faim dans le monde, sinon en cliquant sur quelque site dit « humanitaire » (dont il reste encore à vérifier l’honnêteté) afin de lâcher un euro pour se donner bonne conscience, il est plausible de considérer que cette image n’est d’aucune utilité. Pas davantage, d’ailleurs, qu’une autre image qui montre des tas d’invendus d’un supermarché jetés aux déchets et, en regard, des enfants affamés …
Mais, au passage, on aura dénoncé un monde fait de profiteurs et de riches, de riches profiteurs, qui ignore et méprise un autre monde fait de pauvres et de crève-la-faim. A t-on pour autant apporté une réponse au problème ? En fait, cette image participe d’une tendance forte qui prévaut actuellement dans l’ensemble du débat politique et dans les médias (presse, internet, réseaux sociaux); celle de l’émotionnel.

Dans le même ordre d’idées, on peut ajouter les débats démagogiques autour du salaire du président, ou les affirmations tout aussi simplistes selon lesquelles « les riches n’ont qu’à payer » ou « les politiques: tous pourris ». Une petite liste comparée des salaires des uns et des autres est en train de se tailler un beau succès en France et en Italie, peut-être ailleurs en Europe.

 »Gardien de la paix: 1600 euros pour risquer sa vie »
 »Pompier professionnel: 1800 euros pour sauver une vie »
 »Instituteur: 1600 euros pour préparer à la vie »
 »Médecin: 5000 euros pour nous maintenir en vie »
 »Sénateur: 19000 euros pour profiter de la vie »
 »Ministre: 30000 euros pour nous pourrir la vie »

Et, dans sa version italienne:%%%

 »Poliziotto: 1600 euros per rischiare la vita »
 »Pompiere: 1800 euros per salvare la vita »
 »Maestro: 1400 euros per prepararti per la vita »
 »Dottore: 2200 euros per mantenere la vita »
 »Deputato: 30000 euro per fottere la vita degli altri »

Il faut le dire tout net. Ces petits manifestes relèvent d’une forme d’indignation (très à la mode) qui porte en elle de dangereuses graines.
Chacun est indigné de voir et de savoir que quelqu’un, au-dessus de lui, (parfois tout juste au-dessus de lui lorsque l’on voit certains proposer le blocage des salaires à 4000 € !) gagne davantage, est mieux logé, passe des vacances sous un soleil plus chaud, transmet davantage de biens à ses enfants, a une meilleure retraite, etc, etc …
Mais combien sont indignés des injustices que rencontrent ceux qui sont en-dessous, qui ont des problèmes de papiers ou de certificats de séjour, qui sont mal logés, qui ont faim, qui ont froid, qui sont exclus du travail, qui n’ont pas de vie sociale, etc, etc …

Le monde n’est pas fait de vases communicants. Et il y a une grande différence à revendiquer une meilleure justice sociale, une meilleure répartition des revenus, une meilleure politique fiscale, plutôt que de désigner du doigt celui qui est au-dessus et d’en faire un bouc émissaire. C’est la porte ouverte à la délation, à la dénonciation, à la vengeance, au règlement de compte, à la xénophobie, au racisme, au poujadisme politique, à l’extrême-droite la plus réactionnaire qu’il soit possible d’imaginer.

Et l’on s’éloigne de notre sujet: la faim dans le monde ! Existe t-il des solutions ? Sans doute. Sans doute également difficiles à mettre en œuvre, ce qui n’est pas une raison pour ne rien faire. Le récent G20 avait été saisi de cette question (http://www.jean-jaures.org/Publications/Les-notes/Le-G20-et-la-faim-dans-le-monde) par de nombreuses ONG qui, entre autres, proposaient (demandaient) que les pays riches s’engagent auprès des pays en développement et participent à:

  • l’accroissement des productions existantes, notamment celles d’une agriculture d’autosubsistance,
  • l’amélioration du droit de propriété (réalisation de registres cadastraux), ne serait-ce que pour interdire aux états de céder des parcelles conséquentes de leurs territoires à d’autres pays pour des productions intensives non alimentaires,
  • la régulation des cours (Main-basse-sur-le-riz-des-questions) des matières premières agricoles, en sachant bien qu’en la matière, la spéculation n’est pas l’apanage exclusif de la finance mondiale !!
  • la création de stocks régionaux, ou de fonds de régulation des matières premières agricoles.
    Le G20 a pris position de façon timide. Les réponses existent. Sont-elles à la hauteur de l’enjeu (http://fr.wfp.org/nouvelles/nouvelles-release/le-pam-salue-les-actions-du-sommet-du-g20) ?

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Main-basse sur le riz: des questions

Il s’agit d’un film de Jean Crépu et d’un livre réalisé par Jean-Pierre Boris qui vont bénéficier dans les jours à venir d’une large exposition médiatique. Le sujet en est intéressant, quand bien même on regrettera la présentation qui satisfait un peu trop au spectaculaire, surtout sur le DVD.

(C) Fayard-ARTE

« Spéculations-pénuries-corruptions ». Avec un tel sous-titre, ne laisse t-on pas entendre que les spéculateurs ont encore frappé ? Tout d’abord les spéculateurs en question sont loin d’être ceux des places de marché, les traders de Chicago ou d’ailleurs. Ensuite, si les spéculateurs, les corrompus et les corrupteurs peuvent agir à leur guise, c’est avant tout parce que les conditions du marché le permettent. Avant de gesticuler contre les spéculateurs, ne vaudrait-il pas mieux agir sur le marché ?

« La nourriture d’un humain sur deux est en danger ». Autre sous-titre erroné. La production mondiale de riz est de 700 millions de tonnes par an. Pour 96%, cette production est destinée au marché intérieur des pays producteurs. Le commerce trans-frontière (import-export) du riz ne représente qu’environ 30 millions de tonnes. La part des importations africaines est de 10 millions de tonnes. La crise de 2008 dont il est question ayant duré environ six mois, ce sont 10 à 15 millions de tonnes, soit de 1,5 à 2 % de la production mondiale de riz, qui sont en cause. Comment peut-on en déduire que la nourriture d’un humain sur deux est en danger ?

« S’il y a crise en Afrique, c’est parce que les organisations internationales (FMI, Banque Mondiale) ont poussé à la réduction des cultures vivrières ». C’est possible, mais insuffisant. Le niveau de vie africain s’élevant, même faiblement, les phénomènes d’acculturation (avec deux C) et l’évolution des goûts culinaires font que l’usage des céréales traditionnelles exigeantes en main-d’œuvre et difficiles à préparer devient minoritaire devant une céréale comme le riz. Au Mali, le fonio devient produit de luxe. Cela a été pareil en Europe lorsque blé noir et seigle ont été abandonnés.

Ce qui est dramatique dans cette histoire, c’est justement comment une insignifiante partie (en valeur absolue) d’un produit mondialement consommé peut entraîner une situation aussi brutalement catastrophique

Enfin, l’histoire que racontent livre et film n’est pas une découverte. Elle a même été racontée en temps réel par celui qui est l’un des principaux contributeurs à ce travail: Patricio Mendèz del Villar. Il est l’un des spécialistes mondiaux (LE spécialiste mondial ?) du marché du riz et il publie tous les mois un rapport mensuel du marché du riz. Lisons-le. Les parties soulignées le sont par moi.

Septembre 2007 :  »En septembre, les cours mondiaux ont été orientés à la hausse en raison d’une forte demande d’importation, en particulier pour les riz de basse qualité à destination de l’Asie du Sud Est et d’Afrique Subsaharienne. Outre-Atlantique aussi, les cours ont connu une forte reprise grâce à une réactivation des ventes vers l’Amérique centrale ». La valeur de référence passant de 141.6 à 144.2.

Octobre 2007 :  »En octobre, les cours mondiaux sont restés fermes une nouvelle fois en raison des faibles disponibilités exportables et de la demande d’importation toujours soutenue, notamment de l’Asie du Sud Est et l’Afrique Subsaharienne. Aux Etats-Unis, les cours poursuivent aussi leur remontée stimulés par la reprise de la demande de ses principaux partenaires commerciaux. La tendance haussière mondiale devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année 2007 ». La valeur de référence passe à 148.2.

Novembre 2007 :  »En novembre, les cours mondiaux ont connu une forte hausse en raison d’une demande d’importation très soutenue et des défaillances de certains pays exportateurs où les disponibilités exportables restent très réduites, notamment au Vietnam et en Inde. Seuls la Thaïlande et les Etats-Unis disposent de disponibilités et les acheteurs se tournent en priorité vers ces exportateurs pour s’approvisionner. La tendance haussière mondiale devrait se poursuivre au moins jusqu’à la fin de l’année 2007 ». La valeur de référence passe à 154.5.

Décembre 2007 :  »En décembre, es cours mondiaux ont connu une très forte hausse. Les disponibilités exportables demeurent extrêmement réduites tandis que la demande d’importation des pays africains, du Sud-est asiatique et du Moyen Orient reste soutenue en particulier pour les riz de basse qualité. La pression sur l’offre et les prix mondiaux pourrait cependant se relâcher avec l’arrivée progressive de la nouvelle récolte asiatique ». La valeur de référence passe à 163.7.

Janvier 2008 :  »En janvier, la hausse des cours mondiaux ne s’est pas relâchée. Elle s’est même amplifiée fin janvier en raison de la demande d’importation soutenue des pays asiatiques, notamment des Philippines et de l’Indonésie. En 2008, l’offre d’exportation devrait rester tendue, ce qui ne manquera pas de peser, une fois encore, sur les prix mondiaux ». La valeur de référence passe à 172.8.

Février 2008 :  »En février, les cours mondiaux ont connu des hausses record traduisant la fébrilité des marchés internationaux. Tous les opérateurs craignent une pénurie de riz en 2008. Du coup, les importateurs tentent d’anticiper leurs commandes tandis que du coté des fournisseurs, personne ne cherche à vendre, ce qui a pour effet d’amplifier anormalement le mouvement haussier. Face à cette situation, des gouvernements de pays importateurs envisagent d’abaisser les taxes à l’importation afin d’atténuer l’impact sur les prix à la consommation ». La valeur de référence s’élève à 206.1.

Mars 2008 :  »C’est du jamais vu ! En mars, les cours mondiaux ont fait un bond de presque 60% par rapport au mois précédent. La rareté du produit et la spéculation ambiante expliquent en grande partie cette hausse historique. Le marché réagit fortement aux annonces de nouveaux achats tels que des Philippines (700 000 t de riz vietnamien) et du Bangladesh (400 000 t indien). Les dépenses alimentaires croissantes dans les pays déficitaires risquent d’augmenter les tensions sociales. Aussi, voit-on réapparaitre des mesures d’ajustement telles que la réduction des taxes aux importations et la subvention aux prix à la consommation ». La valeur de référence saute à 262.7 !!

Avril 2008 :  »En avril, les cours mondiaux ont poursuivi leur ascension dépassant pour les catégories de riz haut de gamme le seuil historique des 1000 US$/t FOB. L’offre des exportateurs reste encore faible, mais elle devrait s’améliorer avec l’arrivée progressive de la deuxième récolte asiatique entre mai et juin. Début mai, on observait déjà une relative stabilité, voire une baisse des prix à l’exportation, notamment en Thaïlande. Cette dernière tente de rassurer les importateurs qu’ils pourront acheter du riz à des prix raisonnables, tandis que d’autres pays exportateurs maintiennent les restrictions aux exportations jusqu’en juillet 2008 » . La valeur de référence passe à 370.6 !!

Mai 2008 :  »In May, the world prices remained globally high, but stabilization, and even a decrease by the end of the month, is confirmed. The arrival of the Asian harvest tends to soft sales restrictions imposed in some exporting countries. By the buyers’ side, flatter prices are also expected. However, some traders suggest that they will avoid massive sales in order to prevent from sharp drops in export prices. There is a risk of stronger speculation on both sides. Therefore, prices can be very volatile in the following months ». La valeur de référence passe à 433.7.

Juin 2008 :  »In June, world prices fell by 15% in average, due to the arrival of the new Asian harvest and the lack of new large export contracts. Large importers are already supplied or they are expecting lower prices to come back to the market. In 2008, the prices of high quality rice may get steady between US$ 650 and $ 800/ton FOB, while low quality rice may stabilize between $ 450 and $ 600/ton, which is the double of the level observed in 2007 » . La valeur de référence redescend à 366.5. La crise s’achève.

Alors maintenant quelques questions. Quatre seulement pour être bref.

1°) Pourquoi les pays de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest n’étaient-ils pas équipés d’un stockage suffisant (et non soumis à corruption !) de riz ? Vont-ils le faire à présent ?

2°) Pourquoi des pays comme le Bangladesh ou les Philippines ont effectué des achats au paroxysme de la crise ?

3°) Il paraît que le Japon stocke à des fins purement financières deux millions de tonnes de riz qui ne sont jamais utilisés pour l’alimentation humaine. Quant à la Chine, elle disposerait de stocks faramineux de l’ordre de plus de … 40 millions de tonnes. On le comprend bien compte tenu de sa population et de son histoire, bien que l’Inde, pour sa part, ne stocke que 13 à 15 millions de tonnes. Mais est-il vraiment impossible que ce pays “en développement” ne puisse céder temporairement quelques millions de tonnes à l’Afrique pour dégonfler la spéculation ? Quand existera t-il une régulation mondiale de ce marché ?

4°) Enfin, question d’avenir. Le succès mondial du riz est lié à sa facilité de culture. Mais il est très exigeant en main d’œuvre. Quel est l’avenir de ce produit alors que les coûts de MO vont nécessairement augmenter au pro-rata du développement économique des principaux pays producteurs ?

Pour tout savoir sur le riz, c’est ici (http://www.infoarroz.org/portal/uploadfiles/20081113191015_9_situation_du_marche_mondial_du_riz_et_perspectives__seminaire_filiere_riz_au_tchad__patricio_mendez_del_villar.pdf) .

Ajout effectué le 25 mars, à 22 h 00.

Après publication de ce post, il m’est venu à l’esprit une cinquième question qui pourrait cependant se classer au premier rang. La voici:

Puisque des experts ont analysé cette crise du riz en “direct live” et ont publié leurs analyses, comment se fait-il que PERSONNE, ni à l’ONU, ni à la FAO, ni au PAM, ni à la BANQUE MONDIALE, ni au FMI, ni nulle part ailleurs, n’est intervenu pour faire débloquer les quelques millions de tonnes de riz qui auraient suffi à “détendre l’atmosphère” ?

Taper sur les spéculateurs, c’est bien mais comme l’homme restera … l’homme, il vaudrait mieux taper sur tous nos élus pour qu’ils mettent en place une gouvernance mondiale au travers de tous ces organismes.

Commentaire inséré le 18 novembre 2010

Lors de la publication de ce post, je l’avais signalé sur le blog de Jean-Pierre Boris. Patricio Mendèz del Villar (http://www.infoarroz.org/) avait pris la peine de répondre à mes cinq questions de façon très complète. Comme il n’a pas répondu sur ce blog et qu’il n’y a pas inséré de trackback, je veux aujourd’hui (et avec retard) citer le lien permettant de connaître ses réponses.

(http://jpboris.wordpress.com/2010/03/24/main-basse-sur-le-riz-on-en-parle/|http://jpboris.wordpress.com/2010/03/24/main-basse-sur-le-riz-on-en-parle/)