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Démocratie

Egypte, Tunisie, le retour du « religieux »

Le Caire, Egypte. Encore une fois des coptes meurent sous les coups et sous les balles de fanatiques et, cette fois-ci, de l’armée. Au départ, une nouvelle fois, une église incendiée, sans doute suspectée d’abriter une fictive femme musulmane convertie de force au christianisme. S’ensuivent l’absence de protection de cette partie de la population, ses protestations dans le vide, l’exaspération, et enfin la riposte des hommes les plus fanatisés.

Tunis. Encore une fois, une chaîne de télévision est attaquée et incendiée parce qu’elle a diffusé un film. Il s’agit cette fois de Persepolis (film de Marjane Satrapi, d’une très grande qualité) auquel il est reproché de présenter une image de Dieu (ou d’une représentation des pensées d’un enfant qui voit Dieu !), ce qui est considéré comme un blasphème par les islamistes radicaux. Mais quelques semaines auparavant, il s’agissait de s’opposer à un film traitant de la laïcité.

L’image de Dieu dans le film Persépolis de Marjane Strapi (C)

Plus nous approcherons des élections, pour une assemblée constituante en Tunisie le 23 octobre, pour l’assemblée et le sénat en Egypte le 28 novembre, plus ce genre d’affrontements va se produire. Ce n’est pas une simple hypothèse; il s’agit d’une certitude.
Parce que le « religieux » relève du blocage majeur de ces sociétés, celui sur lequel peuvent agir avec toutes les chances de réussite tous les manipulateurs et tous les provocateurs. Certes, il en est d’autres, comme la place des femmes ou la reconnaissance des différentes communautés, par exemple. Mais ce blocage-là permet de désigner sans coup férir les boucs émissaires de la société en crise: ceux qui ne croient pas comme il faut, ceux qui blasphèment, …

Encore une fois, les analystes et commentateurs qui ont vu, dans les évènements de Tunis ou de la Place Tahrir, des signes encourageants d’évolution dans ce domaine se sont lourdement trompés. Ils ont vu l’aspiration du peuple à vivre en paix, comme tous les peuples veulent vivre en paix. Mais ils n’ont pas vu le début d’un renoncement à des positions intenables en démocratie. Et ils n’ont pas vu les seules forces organisées, celles des Frères Musulmans et/ou des salafistes, ou celles d’Ennahda, se taire, garder le silence et se glisser dans tous les interstices de ces sociétés démantibulées.
Une amie écrit ce soir: « O Dieu Tout-Puissant dans les Cieux, s’il Vous plait, protégez l’Egypte et son peuple, musulmans et chrétiens… Faites que les regrets ne prennent pas la place de la fierté que nous ressentions tous en janvier et février. Laissez votre Soleil briller sur l’Egypte la Bien-Gardée ».

Oui, certes, sans doute faut-il prier le Dieu des musulmans et le Dieu des chrétiens (le même !), mais que faisons-nous des athées, des libre-penseurs, de tous ceux pour qui Dieu n’est pas une évidence ?

Dans son Rapport Stratégique Annuel, l’IISS ([Institut International d’Etudes Stratégiques (http://www.iiss.org/publications/strategic-survey/) estime que: « les transitions qui ont eu lieu jusqu’à présent restent à moitié achevées, et la promesse de résultats démocratiques reste liée aux risques que font peser les sectes, des institutions militaires ou d’autres groupes qui pourraient détourner le processus ».

Aucune révolution ne se parachève du jour au lendemain. Il en est même qui sombrent totalement sous la contre-révolution. Mais dans le cas présent, il ne s’agira d’une démarche révolutionnaire qu’à partir du jour où le peuple aura décidé de lever définitivement ce blocage de la religion. Celle-ci n’est qu’affaire individuelle, elle n’est pas affaire d’état. Celle-ci relève d’une croyance personnelle et, aussi respectable soit-elle, elle ne peut légitimer ou servir de base à une action sociale, politique et collective.

Point de vue d’un laïc français ? NON, ce sont les bases de la Constitution turque !

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Mondialisation

Indignation et résistance: des mots attrape-tout

La méthode est connue qui consiste à regrouper des revendications proches les unes des autres sous forme de « convergence » pour, en principe, leur donner plus d’ampleur et d’efficacité. Bien souvent, elle ne réussit qu’à aboutir à un plus petit commun multiple dans lequel, à la fois, chacun croit se reconnaître, mais où personne ne se retrouve. Depuis plusieurs mois, à la suite du fascicule de Stéphane Hessel (2011-ou-la-tentation-totalitaire), c’est l’indignation et les « indignés » qui bénéficient de ce traitement.
Des « indignés », il y en a eu dans les pays du Maghreb et du Proche-Orient, quand bien même les situations de la Tunisie, de l’Egypte, de la Libye et de la Syrie n’ont pas grand-chose en commun (Révolution-arabe-ou-révolte-arabe).
Des « indignés », il y en a en Grèce, pays proche de la faillite et soumis à une redoutable cure d’austérité.
Des « indignés », il y en a en Espagne, où la situation économique fragile entraîne un taux de chômage exceptionnellement élevé parmi les jeunes.
Des « indignés », il y en a en Israël, pays dont l’économie est totalement phagocytée par les besoins de la « défense » contre les Palestiniens. Curieux paradoxe, ces indignés-là sont des sionistes qui attendent de meilleures conditions de vie de la part de leur gouvernement mais qui ne posent pas la question des coûts comparés de la guerre et de la paix, préférant parler des coûts du fromage blanc ou du loyer.

Et maintenant, des « indignés », il y en a en Grande-Bretagne. Ils n’en portent pas le nom (pas encore …), sont plus jeunes, et surtout n’appartiennent pas aux classes sociales qui manifestent à Athènes ou à Tel-Aviv. Leurs luttes rejoignent celles de nos cités et de nos banlieues en 2005.
Si les premiers parlent volontiers de « démocratie directe », les seconds pensent avant tout à casser et à se servir. Mais dans un cas comme dans l’autre, le moteur de leur indignation est bel et bien une fureur à l’encontre de l’étalage d’une richesse capitaliste inaccessible à cause du chômage, à cause de la ségrégation sociale, à cause des peurs de notre société.
Curieusement, tous ces indignés en appellent à cette fameuse convergence, synergie des luttes, comme une forme de mondialisation, alors qu’ils honnissent ce terme et ce concept lorsqu’il s’applique à l’économie, et singulièrement à l’économie financière. Les indignés n’en sont pas à une contradiction près !

Les espoirs de liberté des uns (Tunisie, Egypte, …) n’ont rien de commun avec les espérances économiques des autres (Grèce, Espagne, …). Quelques soupçons d’analyse politique permettraient même à ces derniers (en Israël notamment !) de comprendre que leurs espérances économiques se construisent sur le dos des espoirs de liberté des premiers !
Indignés et indignation ne sont que des mots attrape-tout dans lesquels on peut fourrer aussi bien la démondialisation, la dénonciation de l’euro et de l’Europe, que les migrations, la classe politique corrompue, les patrons-voleurs, le sionisme ou l’oligarchie régnante …. bref une forme de poujadisme à la sauce Internet.
Il est un autre mot attrape-tout qui rejoint celui des indignés. Il s’agit de la résistance ! D’autant plus que l’on résiste aux mêmes choses que celles contre lesquelles on s’indigne. On en arrive même à s’indigner et à résister, ici en France, contre la « barbarie » ! Oh, pas celle qui peut régner dans certain pays en voie de développement, soumis à un dictateur implacable ! Non ! La barbarie d’Hadopi et de Loppsi, symboles d’un état « totalitaire » !!!

Indignation et résistance, voilà encore des mots récupérés par l’extrême-droite qui n’en rate pas une, surtout quand le contexte flou et généraliste le lui permet. Déjà des tentatives d’entrisme ont eu lieu (Paris, Place de la Bastille). Mais l’amalgame se pratique quotidiennement, à la radio, sur les TV, sur Internet.

Indignés – Paris, le 29 mai 2011 (C)Ibuzzyou

Alors, que faire ?

  • Favoriser un meilleur partage des richesses en taxant les transactions financières (Tobin), en limitant les hauts revenus, en imposant lourdement les commissions des banquiers et traders … et en redistribuant pour …
  • Investir dans la formation et dans la création d’emplois verts, d’emplois technologiques, d’emplois d’innovation et d’avenir, dans nos villes et leurs banlieues, sans autre idée préconçue que celle d’économiser l’énergie et notre planète.
  • Changer progressivement notre personnel politique. La fonction d’élu (quel qu’il soit) ne doit plus appartenir à ceux qui ont les moyens de faire campagne en permanence. Le cumul des mandats et la réélection sont à proscrire. Le nombre d’élus (et donc celui des structures administratives) doit diminuer considérablement. L’âge moyen des élus doit s’abaisser.
  • Sortir de la crise par le haut, avec plus d’Europe, plus de fédéralisme, avec plus de solidarité entre continents, avec plus de liberté à nos frontières (pour des Maliens, comme pour des Roms, citoyens européens) …
  • Faire autre chose que s’indigner et/ou résister et mettre un contenu politique derrière ces mots attrape-tout …
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Droits de l'homme

Révolution arabe ou révolte arabe

« Les coptes décident une trêve ». Tel est le titre d’Al-Ahram Hebdo (http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2011/5/25/egypt1.htm) que l’on pouvait lire fin mai. Nous ne savions pas les coptes en guerre au point de décider d’une trêve ! Il s’agissait en fait de la suspension jusqu’au 13 juin (qu’en est-il à ce jour ?) d’un sit-in organisé au Caire afin d’obtenir des engagements de la part du Gouvernement sur la réouverture des églises fermées, l’arrestation des provocateurs et incendiaires de l’église d’Imbaba, la promulgation d’une loi concernant la construction des lieux de culte et la promulgation d’une autre loi contre les discriminations envers les coptes. Bien des commentateurs ont voulu voir un signe de cohésion nationale dans le fait que la question copte n’a pas fait l’objet de tensions lors des évènements de la Place Tahrir et d’ailleurs.

Il n’en est probablement rien. Cette question, tout comme la question juive et les relations avec Israël, est restée une question non abordée, donc non réglée. Ce n’est pas un signe favorable. Tout comme en France le fait que la question de la guerre d’Algérie et de l’indépendance de ce pays ne soit jamais abordée, ne signifie aucunement qu’il n’y a aucun problème.
En Egypte, les élections législatives auront lieu en septembre. D’aucuns réclament déjà leur report au motif que les organisations porteuses du mouvement ne sont pas prêtes à affronter un tel scrutin qui verra la victoire probable des Frères Musulmans. Ils voudraient qu’auparavant soit décidé d’une nouvelle Constitution. Il y a fort à parier que cette situation débouche sur une impasse, car les formations jeunes, libérales ou plus ou moins révolutionnaires ne pourront acquérir l’expérience souhaitée qu’au travers d’affrontements, lesquels, malheureusement, sont grandement joués d’avance.
Les mêmes journalistes et commentateurs répètent à l’envie que les Frères Musulmans ne « veulent pas du pouvoir, qu’ils limiteront le nombre de leurs candidats aux Législatives, qu’il ne présenteront pas de candidat à la future Présidentielle » … Qui peut croire cela ? A t-on déjà vu un groupe politique, quelle que soit sa nature, renoncer délibérément à son pouvoir ? Si les Frères Musulmans limitent volontairement leur représentation, il faut se demander en échange de quoi ils feraient cela. Quelle promesse ont-ils déjà obtenue ? Quels engagements leur ont déjà été donnés ?

La Tunisie, de son coté, suit le même itinéraire et l’on voit le parti islamique Ennahda prendre une importance au moins médiatique de plus en plus grande, profitant de l’émiettement des nouveaux parti politiques (près d’une centaine !). Des affrontements tribaux ont désormais lieu entre diverses couches de la population. La situation économique en est souvent la cause. Le pouvoir chassé est considéré comme menant une contre-révolution. Mais est-il vraiment besoin de cela ? Ou est-ce simplement l’effet des tendances naturelles de la société qui reprend le dessus, masquées qu’elles étaient par un pouvoir fort et centralisateur ?

Libye, Yémen, Syrie, partout ailleurs et même si cela reste incompris de l’occident, il s’agit avant tout de conflits entre tribus, entre communautés. En Libye, certains partisans de Kadhafi sont considérés comme des mercenaires: ils ne sont que les membres de tribus qui ont fait depuis toujours (ou presque) allégeance à la tribu détentrice du pouvoir. Ne pas comprendre ceci, c’est ne pas comprendre le conflit, lequel, comme il était prévu, s’éternise et s’enlise et ne s’achèvera qu’avec des négociations (et des soumissions !) qui auraient du le sanctionner depuis longtemps si l’orgueil occidental ne s’en était pas mêlé.

Alors, révolution ou révolte ?
Dans la mesure où le motif essentiel est celui de la revendication d’une autonomie économique (avoir un emploi, être libre de circuler, pouvoir consommer, …) et que l’élimination des « despotes » est surtout l’élimination de ceux qui interdisent cette autonomie et qui, au contraire, se servent bien, on ne peut parler que de révolte.
Et des révoltes, il y en aura d’autres puisque les évènements, élections ou pas, ne traduiront pas, ou si peu, cette revendication. Dans le même temps, les nouvelles couches sociales feront leur apprentissage politique. La Turquie est citée, bien souvent, comme modèle d’une société musulmane moderne. A vrai dire, les pays arabes du Maghreb ou du Proche-Orient sont loin, très loin de ce modèle.
Il leur reste à apprendre ce qu’est une société mixte, dans laquelle la femme dispose des mêmes droits et devoirs que l’homme, à commencer par celui de circuler librement et de converser dans la rue ou ailleurs avec qui bon lui semble.
Il leur reste à apprendre ce qu’est une société laïque, dans laquelle le Coran, la Bible ou le Tanakh (Torah) ne sont que les livres saints de ceux qui veulent les reconnaître comme tels. Ils ne sont pas les fondements d’une société, d’une constitution, d’un pays …
Enfin, il leur reste à apprendre (aux Turcs également !) ce qu’est une société de tolérance traversée par plusieurs ethnies, plusieurs tribus, plusieurs courants culturels, que l’origine en soit historique ou religieuse. Les intolérances entre tribus libyennes, tunisiennes, yéménites …, les rivalités entre chiites et sunnites, les conflits avec les Kurdes ou les divisions de Chypre, tout cela devra être abordé et surmonté.

Mixité à la Faculté d’Istanbul – 30 mai 2011

Ce n’est qu’à ce prix que la vraie révolution se fera.

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Culture numérique

Gay girl: de la boue !

Depuis 48 heures,la blogosphère s’agite autour de l’imposture de Tom MacMaster qui a créé le personnage de la jeune Amina Abdallah, jeune syrienne homosexuelle, engagée dans les luttes de son pays et ayant récemment été enlevée.

Ce n’est pas Amina Abdallah: photo volée !

Quotidiens, magazines, agences de presse, radios (http://www.europe1.fr/International/Mobilis-tion-pour-une-bloggeuse-syrienne-578511/) et TV ont accordé du crédit à cette histoire et lui ont fait de la place dans leurs colonnes ou sur leurs ondes. (Faites une recherche Google sur « Amina Abdallah » et vous serez édifiés ! N’oubliez pas la requête « images »). Aujourd’hui qu’elle est démasquée comme manipulation, combien d’entre eux se sont excusés d’avoir transmis ou utilisé de fausses nouvelles ?

La communauté internet dans son ensemble est mise en cause par ce « faux » qui lui cause le plus grand tort.
Les militants et résistants de Syrie, également, ont tout lieu d’être mécontents de cet usage inconsidéré de leur cause.
Enfin, la communauté homosexuelle a été moquée et dangereusement exposée en servant d’appât pour le « roman » d’un imbécile.

Même si elle revêt, cette fois-ci, une importance exceptionnelle, cette affaire n’est pas la première. Elle n’est pas la dernière non plus.
Et il est curieux que la presse (qui la condamne) ne s’interroge pas davantage quant à son comportement et son utilisation de l’internet et des réseaux sociaux. Les difficultés de diffusion de la presse écrite sont dues, pour une part, au développement de l’information instantanée. Pour contrer cette désaffection, la presse a, dans un premier temps, créé des doublures internet. Celle-ci n’ont rien changé aux difficultés. Désormais, la mode et la tendance sont à la fusion des rédactions (et des moyens) entre l’écrit et le web.
Cela se traduit par:

  • une soumission à l’urgence, dictée par l’évènement, au risque de l’erreur.
  • une référence constante à ce qui se dit sur Facebook, Tweeter et autres, au point de considérer que ces outils sont des « faciliteurs » de démocratie (Démocratie-et-réseaux-sociaux) et que certains de leurs « leaders » sont les vrais initiateurs de mouvements de protestation. Hors du web, point d’info !
  • un mélange des genres entre articles traitant d’un fait et blog dissertant sur les conséquences de ce fait, le tout signé d’un seul et même journaliste.
  • la rédaction de papiers entièrement construits à partir d’informations glanées sur le net.
  • l’absence quasi totale de recul et de réflexion par rapport aux évènements. Le summum en la matière étant atteint lors des opérations de « Direct Live » qui ressemblent à un gigantesque jeu vidéo en temps réel.

    L’internet, les blogs, les réseaux sociaux ne sont que des moyens de communication. On y trouve le meilleur comme le pire, l’Université comme le Café du Commerce, des militants sincères comme des manipulateurs, des passionnés altruistes comme des allumés de l’apocalypse 2012 …

    L’anonymat et le déversement d’infos sans contrôle (y compris WikiLeaks (Les-mémos-de-WikiLeaks) ne sont aucunement des garanties de liberté et/ou de démocratie. Bien au contraire, ils sont les vecteurs de l’ignorance, de la manipulation et du totalitarisme. Et un « Internet fantôme » n’y changera rien.
    Nos journalistes et leurs organes de presse seraient bien inspirés de réfléchir un peu sur leurs relations avec l’internet. Cela semble plus urgent que de traquer et dénoncer les déviations sexuelles de nos élites ! En 1989, la manipulation de Timisoara (Roumanie) avait fait s’interroger la presse sur ses pratiques. Il n’est pas sur que cette sordide affaire de la Gay Girl en fasse autant en 2011 ..;

    Sur un mode humoristique, mais non dénué de justesse et d’efficacité, voici un avis recueilli sur ..le web. (http://www.lejournalinutile.com/we-love-it/article/vie-et-mort-d-amina-abdallah-arraf)