Catégories
Mondialisation

Sacs poubelle, centres d’appels et huile de palme

Il est le Président du Groupe Sphère, titulaire de la marque Alfapac (sacs poubelle, film plastique). Vêtu d’une marinière à la Montebourg et sur fond tricolore (tout comme son modèle), il prétend produire en France et préserver les emplois. Lorsqu’on lit plus avant sa profession de foi, on apprend que s’il a six usines en France, il a en a sept autres situées en union Européenne. De plus, parmi les six usines situées en France, trois d’entre elles sont des « usines relocalisées en France après avoir été achetées en Allemagne de l’Est, en République Tchèque et en Italie du Sud ». Outre le fait que nous ne savions pas que l’Allemagne de l’Est, comme l’Italie du Sud, étaient des pays à part entière, nous sommes heureux d’apprendre que des emplois existants dans des pays ou des régions qui en ont bien besoin ont été détruits pour le bénéfice de l’emploi en France !

Ce qui permet de considérer que la démarche de cette entreprise ne relève pas tant du « patriotisme économique », mais bien du « nationalisme économique ». La photographie décrite en préambule de ce post devrait être complétée par le béret et la baguette de pain, voire la « gauloise » au coin des lèvres. Il n’y a d’ailleurs pas que les chefs d’entreprise à pratiquer cette sorte de « nationalisme économique ». Lorsqu’un ministre déclare que les centres d’appel que les entreprises ont installés au Maroc ou dans d’autres pays du Maghreb doivent être rapatriés en France, il ne fait pas autre chose. Tout comme les usines rachetées par Sphère, ces centres d’appels n’ont pas à être « re-localisés » en France, puisqu’ils n’y ont jamais été localisés et qu’ils n’ont jamais été délocalisés. Ces centres d’appel, pour la plupart, ont été créés d’office dans les pays qui les abritent actuellement, en profitant de l’expansion rapide de la demande et de l’offre en matière de main d’œuvre.
Prendre argument sur le niveau peu élevé de compétence, les conditions de travail souvent difficiles et les salaires insuffisants ne doit pas justifier une « relocalisation » en France dont la première conséquence sera la suppression de centaines d’emplois dans des pays qui en ont besoin.
L’emploi ne peut être une « denrée », une « matière » ou une « variable d’ajustement » avec laquelle on peut faire tous les ajustements possibles dans le seul but de satisfaire les besoins du plus riche ou de l’occidental.

Avec les mêmes prétendues inquiétudes occidentales, ce genre de raisonnement parvient aux confins du « colonialisme ». C’est le cas dans l’affaire de l’huile de palme. Résumons la thématique de façon rapide. Voilà une huile « parfaite » en ce sens que ses coûts de production sont peu élevés et que ses propriétés organoleptiques sont très intéressantes: goût, tenue à la chaleur, aspect craquant, … toutes raisons qui en ont fait la favorite des industriels de l’alimentation, mais aussi des cosmétiques et (pour d’autres raisons) des « pétroliers » puisqu’elle sert de carburant végétal.
A contrario, cette huile est accusée d’être à l’origine d’une vaste déforestation des zones où elle est cultivée intensément, déforestation accompagnée d’une destruction des lieux d’accueil de la faune sauvage.
Tenant compte de ces reproches exprimés par des associations de défense de l’environnement qui ont pignon sur rue (WWF, Greenpeace, …), mais qui n’ont jamais sollicité de boycottage, des industriels malins ont imaginé qu’une campagne de boycott de cette huile de palme serait « porteuse » pour leurs propres produits et, ce faisant, ils ont accusé l’huile de palme de tous les méfaits sanitaires.
Or, l’huile de palme contient moins d’acides gras saturés que le beurre ou les graisses animales et la consommation annuelle d’huile de palme dans la nourriture du français moyen est très nettement inférieure à la consommation de beurre.
Par contre, l’exploitation des palmeraies représente une vraie richesse pour les pays qui s’y consacrent et les emplois créés (plusieurs centaines de milliers !) représentent un formidable gage de développement pour les populations concernées.

Plantation de palmiers (DR)

Pour résumer, l’huile de palme est un produit dont l’occidental doit apprendre à se servir. Les plantations de palmiers sont une opportunité dont les industriels, les élus des pays producteurs et les consommateurs de la planète doivent se saisir en réfléchissant à une culture gérée raisonnablement. Et cela est possible, comme Erik Orsenna se plait à le démontrer en ce qui concerne la culture de l’eucalyptus à des fins papetières (« Sur la route du papier »-2012).
Mais l’Occident, l’Europe, la France en particulier puisque cette campagne est typiquement française, n’ont pas à s’ériger en censeur des pays en voie de développement et à boycotter leurs productions. Ce n’est pas pour rien que la Malaisie, le Nigéria, la Cote d’Ivoire, se sont élevés contre cette campagne qu’ils ont accusée de relents « colonialistes » …

Pour en savoir davantage, une étude du WWF (http://awsassets.panda.org/downloads/developpmentpalmierhuilecameroun.pdf) et un article du « Monde » (http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/11/19/l-huile-de-palme-une-mefiance-tres-francaise_1792612_3244.html).

Catégories
Mondialisation

Indignation et résistance: des mots attrape-tout

La méthode est connue qui consiste à regrouper des revendications proches les unes des autres sous forme de « convergence » pour, en principe, leur donner plus d’ampleur et d’efficacité. Bien souvent, elle ne réussit qu’à aboutir à un plus petit commun multiple dans lequel, à la fois, chacun croit se reconnaître, mais où personne ne se retrouve. Depuis plusieurs mois, à la suite du fascicule de Stéphane Hessel (2011-ou-la-tentation-totalitaire), c’est l’indignation et les « indignés » qui bénéficient de ce traitement.
Des « indignés », il y en a eu dans les pays du Maghreb et du Proche-Orient, quand bien même les situations de la Tunisie, de l’Egypte, de la Libye et de la Syrie n’ont pas grand-chose en commun (Révolution-arabe-ou-révolte-arabe).
Des « indignés », il y en a en Grèce, pays proche de la faillite et soumis à une redoutable cure d’austérité.
Des « indignés », il y en a en Espagne, où la situation économique fragile entraîne un taux de chômage exceptionnellement élevé parmi les jeunes.
Des « indignés », il y en a en Israël, pays dont l’économie est totalement phagocytée par les besoins de la « défense » contre les Palestiniens. Curieux paradoxe, ces indignés-là sont des sionistes qui attendent de meilleures conditions de vie de la part de leur gouvernement mais qui ne posent pas la question des coûts comparés de la guerre et de la paix, préférant parler des coûts du fromage blanc ou du loyer.

Et maintenant, des « indignés », il y en a en Grande-Bretagne. Ils n’en portent pas le nom (pas encore …), sont plus jeunes, et surtout n’appartiennent pas aux classes sociales qui manifestent à Athènes ou à Tel-Aviv. Leurs luttes rejoignent celles de nos cités et de nos banlieues en 2005.
Si les premiers parlent volontiers de « démocratie directe », les seconds pensent avant tout à casser et à se servir. Mais dans un cas comme dans l’autre, le moteur de leur indignation est bel et bien une fureur à l’encontre de l’étalage d’une richesse capitaliste inaccessible à cause du chômage, à cause de la ségrégation sociale, à cause des peurs de notre société.
Curieusement, tous ces indignés en appellent à cette fameuse convergence, synergie des luttes, comme une forme de mondialisation, alors qu’ils honnissent ce terme et ce concept lorsqu’il s’applique à l’économie, et singulièrement à l’économie financière. Les indignés n’en sont pas à une contradiction près !

Les espoirs de liberté des uns (Tunisie, Egypte, …) n’ont rien de commun avec les espérances économiques des autres (Grèce, Espagne, …). Quelques soupçons d’analyse politique permettraient même à ces derniers (en Israël notamment !) de comprendre que leurs espérances économiques se construisent sur le dos des espoirs de liberté des premiers !
Indignés et indignation ne sont que des mots attrape-tout dans lesquels on peut fourrer aussi bien la démondialisation, la dénonciation de l’euro et de l’Europe, que les migrations, la classe politique corrompue, les patrons-voleurs, le sionisme ou l’oligarchie régnante …. bref une forme de poujadisme à la sauce Internet.
Il est un autre mot attrape-tout qui rejoint celui des indignés. Il s’agit de la résistance ! D’autant plus que l’on résiste aux mêmes choses que celles contre lesquelles on s’indigne. On en arrive même à s’indigner et à résister, ici en France, contre la « barbarie » ! Oh, pas celle qui peut régner dans certain pays en voie de développement, soumis à un dictateur implacable ! Non ! La barbarie d’Hadopi et de Loppsi, symboles d’un état « totalitaire » !!!

Indignation et résistance, voilà encore des mots récupérés par l’extrême-droite qui n’en rate pas une, surtout quand le contexte flou et généraliste le lui permet. Déjà des tentatives d’entrisme ont eu lieu (Paris, Place de la Bastille). Mais l’amalgame se pratique quotidiennement, à la radio, sur les TV, sur Internet.

Indignés – Paris, le 29 mai 2011 (C)Ibuzzyou

Alors, que faire ?

  • Favoriser un meilleur partage des richesses en taxant les transactions financières (Tobin), en limitant les hauts revenus, en imposant lourdement les commissions des banquiers et traders … et en redistribuant pour …
  • Investir dans la formation et dans la création d’emplois verts, d’emplois technologiques, d’emplois d’innovation et d’avenir, dans nos villes et leurs banlieues, sans autre idée préconçue que celle d’économiser l’énergie et notre planète.
  • Changer progressivement notre personnel politique. La fonction d’élu (quel qu’il soit) ne doit plus appartenir à ceux qui ont les moyens de faire campagne en permanence. Le cumul des mandats et la réélection sont à proscrire. Le nombre d’élus (et donc celui des structures administratives) doit diminuer considérablement. L’âge moyen des élus doit s’abaisser.
  • Sortir de la crise par le haut, avec plus d’Europe, plus de fédéralisme, avec plus de solidarité entre continents, avec plus de liberté à nos frontières (pour des Maliens, comme pour des Roms, citoyens européens) …
  • Faire autre chose que s’indigner et/ou résister et mettre un contenu politique derrière ces mots attrape-tout …
Catégories
Mondialisation

Le type qui avait des frontières dans la tête

Dans un contexte international (et national à cause des prochaines élections) où l’on parle de plus en plus de démondialisation et de relocalisation, un livre vient de sortir qui impressionne par sa logique.

Il s’intitule « Un autre monde. Protectionnisme contre prédation » et a été écrit par Alain Chauvet, professeur à l’Ecole Centrale de Paris et à l’ESSEC.

(DR)

Dès le titre, déjà, les dés sont jetés. La mondialisation des échanges est un synonyme de l’exploitation et de la « prédation ». Ce rapprochement sémantique que personne ne débat est un postulat généralement bien accepté parmi tous les altermondialistes. Un exemple ? Le Collectif des Associations de Développement en Rhône-Alpes (CADR) écrit dans son dernier bulletin: « quand le commissaire au développement de la commission européenne affirme qu’il est « nécessaire d’investir dans la croissance pour lutter contre la pauvreté », cela veut dire confier au seul marché la politique de solidarité ». Si vous ressentez le besoin de vous en assurer, faites le test suivant: sur Google, tapez « démondialisation » et « protectionnisme ». Le mot associé qui apparaîtra le plus fréquemment dans les propositions sera le mot « prédation » ou « prédateur », deux mots dont est accusé le capitalisme mondial.

Alors, que propose Alain Chauvet ? Diviser le monde en 10 zones de tailles différentes, totalement protectionnistes, l’Afrique noire, le Maghreb et le Proche et Moyen-Orient, l’Inde, la Chine, le Japon et l’Océanie, l’Europe de l’Ouest, l’Europe de l’Est, l’Amérique du Nord, L’Amérique du Sud, l’Australie. Le découpage est censé être lié à une notion de foyers civilisationnels dont on peut cependant s’interroger sur le bien-fondé et sur la pertinence contemporaine. Le Japon et l’Indonésie ne sont pas nés d’une seule et même civilisation, ni l’Amérique Latine et l’Amérique Centrale, ni le Maghreb et les pays musulmans de l’ex-empire soviétique. On constatera d’ailleurs le rattachement de la Turquie à ce bloc. Les civilisations invoquées semblent bien davantage un prétexte « historique » lorsqu’on constate que le ciment des dix grandes zones proposées s’apparente avant tout à des critères économiques. Pour que ces sous-planètes soient viables, au moins sur le papier, il fallait leur donner les moyens de constituer un « marché » puisqu’il leur sera demandé de vivre en large autonomie, voire en quasi autarcie.

Mais peut-on démondialiser ? Et qu’entend-on par démondialisation ? La mondialisation des échanges humains, culturels, cultuels, commerciaux et maintenant financiers date de plusieurs siècles. Depuis Marco Polo, les relations entre les peuples du monde n’ont fait que se multiplier et se complexifier.
Le 21° siècle est d’ores et déjà le siècle de la mondialisation des communications. Le réveil arabe, avec le rôle joué par les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, en est non seulement l’illustration, mais la preuve.
Les idées, comme la demande de libertés individuelles, l’autonomie féminine, la laïcité, se développent mondialement grâce aux structures en réseaux.
Il en est de même des transports et de toutes les connexions nationales et internationales, les échanges de marchandises et les déplacements de populations travailleuses ou touristes.
Il en sera bientôt de même pour l’énergie (et la France centralisatrice part à contresens), car viendra le temps où la production électrique solaire et/ou éolienne d’un continent éclairé alimentera un continent dans l’ombre.

Les chantres de la démondialisation et du protectionnisme nous trompent, car ils ne visent en fait que la mondialisation financière, la dernière en date des mondialisations, la plus sournoise certes. Mais faut-il cependant favoriser et défendre le protectionnisme au motif que le monde globalisé est le terrain de chasse du capitalisme ?
Comment dix zones quasi indépendantes peuvent-elles se développer ?
Comment accepter (et l’auteur le dit lui-même) que l’Europe de l’Ouest soit probablement la première zone à s’en sortir ? Et les autres ? Quel sera leur avenir ? Comment empêcher (interdire ?) les besoins et les envies de développement, de croissance, de liberté individuelle ? Comment contrôler les migrations ? Comment limiter les populations ? Quel type de développement est-il réservé à l’Afrique Noire ? Comment l’agriculture pourra t-elle assurer l’indépendance alimentaire de chaque zone ? Comment empêcher (interdire ?) les transferts de connaissances et de technologies d’une zone à l’autre ?
Malgré les apparences, l’auteur ne se préoccupe pas prioritairement du développement de chacune des zones qu’il a initiées. Non, il cherche à éviter un effondrement de la civilisation occidentale, une civilisation chrétienne, social-démocrate qui cherche avant tout à tracer et à défendre ses frontières … les plus étroites possibles.