Ce n’est pas le propos de ce blog que d’expliquer ces divisions, il existe un bouquin qui tente une explication rationnelle. Il s’agit de « L’Islam contre l’Islam: L’interminable guerre des sunnites et des chiites », écrit par Antoine SFEIR. Ce livre a été publié en janvier 2013 et réédité en septembre 2013, malheureusement sans mise à jour, ce qui, compte tenu de la vitesse des évènements, le rendait déjà un peu dépassé. Notons bien que l’auteur parle de l’interminable guerre des sunnites et des chiites, et qu’il ne parle pas de la guerre des sunnites contre les chiites, ou de la guerre des chiites contre les sunnites. Les commentaires visant à rendre responsable de la situation actuelle en Irak, son Premier Ministre chiite, Nouri al-Maliki, en raison de son attitude discriminatoire à l’égard des sunnites, sont totalement irréalistes. Nouri al-Maliki n’a fait que mettre en œuvre une action de guerre d’un islam contre l’autre islam ! Tout comme Bachar el Assad mène le même « combat » dans son pays. Nouri al-Maliki n’est pas un « Chef d’Etat », il n’est qu’un militant d’une cause guerrière.
Les chiites ne représentent qu’une infime minorité des musulmans: sur 1 milliard 200 millions de musulmans dans le monde, ils ne sont que 105 à 110 millions, moins de 10 %. De façon générale dans le monde, ils se sentent opprimés parce que depuis le 7° siècle (depuis les tous débuts de l’Islam !), ils se sentent considérés comme des « hérétiques » ou des « mécréants ». Bien que globalement minoritaires, il est des zones du monde musulman dans lesquelles ils se retrouvent en majorité: c’est le cas de l’Iran où ils représentent 90% des musulmans, de Bahrein (70%), de l’Azerbaïdjan (75%), de l’Irak (60%), … Les chiites sont, à l’inverse, particulièrement minoritaires en Afghanistan (15%), en Turquie (25%), au Qatar (20%), au Koweït (25%), en Arabie Saoudite (15%), … en Egypte où ils seraient de 800000 à 1 million, en Tunisie où ils sont ultra-minoritaires. Au travers de cet affrontement entre chiites et sunnites, nous retrouvons toujours la lutte d’influence entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et/ou le Qatar, laquelle lutte d’influence explique beaucoup, beaucoup de choses.
Le 19 juin, Dominique de Villepin a publié dans « Le Monde » un point de vue (http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/19/le-triple-echec-du-recours-a-la-force_4441293_3232.html) en droite ligne de son intervention du 14 février 2003 devant le Conseil de Sécurité de l’ONU au cours de laquelle il a exprimé l’opposition de la France à une action militaire en Irak.Il y estime que depuis 2001 le recours à la force invoqué et mis en œuvre par l’Occident n’a systématiquement abouti qu’à une série d’échecs. Tout d’abord, échec de ce qui est appelé « guerre contre le terrorisme », celle-ci n’étant qu’un fantasme dangereux faisant le jeu des extrémistes. Ensuite, échec de cet objectif irraisonné: apporter la démocratie avec les chars et les avions ! Non seulement, chaque intervention ne laisse la place qu’à un pouvoir aussi sectaire que le précédent, si ce n’est pas davantage, mais les belles ambitions humanitaires ou civilisationnelles s’y embourbent totalement. Et enfin, échec de la construction d’un Etat-Nation au moyen de la force. Partout, on a vu s’ouvrir les vieilles divisions ethniques, culturelles, religieuses.
Ces trois échecs sont les fruits amers d’une idéologie douteuse; celle de l’interventionnisme occidental afin, dit-on, de rétablir l’ordre, protéger les faibles, apporter la démocratie, punir les terroristes, … ce ne sont pas les justifications qui manquent ! Au final, rien de tout cela n’est réalisé. Et ce qui se passe aujourd’hui en Irak, qui s’est passé hier en Libye, se passera demain au Mali. Pourtant, l’obsession de l’engagement armé est si forte que ceux qui refusent d’intervenir en Syrie ou en Irak passent pour des lâches.
Dominique de Villepin conclut qu’il est temps de mettre fin à la « guerre contre le terrorisme », au bénéfice d’une action internationale de lutte contre le terrorisme qui soit judiciaire, économique, financière, technologique et qui s’appuie sur la garantie des frontières et le dépassement du clivage sunnites-chiites (ou chiites-sunnites !).
Cela ne demande que la détermination de quelques hommes et femmes de bonne volonté.
Effectivement, François Hollande a, avant même son accession au pouvoir et depuis celle-ci, tenu un discours d’une tonalité différente que celle que tous ses prédécesseurs, de droite comme de gauche, François Mitterrand inclus, ont tenu. « La Françafrique, c’est à dire le contrôle post-colonial des intérêts français sur ce continent, c’est fini ». Mais au-delà des mots, qu’en est-il exactement ? Rappelons tout de même que l’intervention au Mali, longuement préparée à l’avance, s’est déroulée dans l’irrespect des résolutions de l’ONU, sur appel d’un gouvernement provisoire issu d’un coup d’Etat. Les choses ont certes changé d’aspect depuis, mais seulement d’aspect. Il n’est guère possible de parler de victoire: la preuve en est que tout retrait des forces françaises se traduira immédiatement par une résurgence des activistes djihadistes, lesquels sont cachés à peu de distance et susceptibles de déséquilibrer d’autres pays (Niger, Burkina, ..). Par ailleurs, la situation géo-politique n’est pas réglée, loin s’en faut. Kidal reste une épine dans le pied et de la France et du pouvoir malien d’IBK. Les Touaregs n’ont pas renoncé à leurs revendications d’une certaine autonomie. En République Centrafricaine, il est certainement trop tôt pour prédire ce que peut être l’évolution de la situation. Tout au plus peut-on constater que la France est intervenue toute seule et qu’aujourd’hui elle est mise en cause, que son impartialité est contestée et que les forces locales qui s’opposent (et se déguisent derrière des considérations religieuses) ne sont pas enclines à laisser agir un quelconque intermédiaire.
François Hollande, Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian (Jean-Yves Le Drian surtout !) répètent à l’envie que la France joue son rôle en étant présente en Afrique, que sa place y est légitime en raison de son histoire et des liens étroits qui ont été tissés entre le continent noir et la France. La gauche ne peut-elle pas se poser la question de savoir en quoi l’histoire passée et coloniale de la France en Afrique pourrait apporter une forme de légitimité à ses interventions actuelles ? Jean-Yves Le Drian ne cesse d’aller en répétant que l’action de la France en Afrique est justifiée par la défense de sa sécurité mise en cause par le terrorisme international issu du djihadisme. Combattre le terrorisme en Afrique serait combattre le terrorisme en France et assurer la protection du pays, telle est la rhétorique habituelle. La gauche ne peut-elle pas comprendre que ce n’est pas la France que semble viser l’islamisme radical, mais bien l’occident, les « blancs » ? Le dernier otage libéré, le père Georges Vandenbeusch , de façon très naïve, a exprimé ceci en disant « ce n’est pas un prêtre qu’ils voulaient enlever, ils ne savaient même pas ce que c’est, mais ils voulaient enlever un blanc, un occidental ». Alors, si l’islamisme vise l’Occident et non la France, en quoi la position interventionniste de la France est-elle justifiée ?
La réponse à ces deux questions fondamentales que ne se pose pas la gauche française, (que ne se pose pas, non plus, « Le Monde » !) est tellement négative que toutes les interventions françaises débouchent sur un incompris, un inachevé, quand ce n’est pas un gâchis. L’ONU est plus que réticente à intervenir dans des pays que la France considère comme son territoire préservé, son glacis. Alors, dans le meilleur des cas, elle vote une résolution à peu près favorable, comme en République Centrafricaine, satisfaisant en cela l’esprit de la demande française d’intervention et elle laisse faire. Quand à l’Europe, comme nous l’avions déjà constaté lors de l’intervention malienne, il lui est insupportable de se voir demander de l’aide, des armes, des soldats, des fonds (une «caisse de guerre»), alors même que la France ne l’a jamais associée à la préparation de ses interventions, voire même qu’elle lui a menti, dans le cas du Mali, en soutenant que « jamais la France n’interviendrait seule ».
Contrairement à ce qu’affirme l’éditorial du « Monde », la France n’était pas la mieux placée pour intervenir en Centrafrique (où est la légitimité de cette intervention?) et elle pouvait ne pas le faire. Elle pouvait, par une intense action diplomatique, au sujet du Mali comme pour le Centrafrique, mobiliser l’Europe, mobiliser les Nations Unies et mettre sur pied une véritable force d’intervention à la fois européenne, internationale et africaine. Elle pouvait tenter de le faire, elle ne l’a pas fait, elle s’est refusée à le faire. Non seulement, la France ne peut pas rester seule, mais elle ne devait pas partir seule ! Et si elle est partie seule, sachons le bien, ce n’est pas en raison d’histoire à la « Bisounours » selon lesquelles la situation était urgente et qu’il fallait agir vite (« Je n’ai pas eu le temps de vous en parler » a, en substance, dit François Hollande à Angela Merkel qui lui reprochait d’être intervenu seul en Centrafrique !!). Non, l’explication est à rechercher dans cette volonté française de ne pas renoncer aux liens particuliers noués entre la France et l’Afrique, de ne pas renoncer à son potentiel économique qui est si important (dixit « Le Monde »). Ce n’est plus la Françafrique, mais Dieu que ça lui ressemble !
Alors allons encore plus loin dans notre choix d’une force internationale, européenne et africaine pour ramener l’ordre en Afrique. Après l’ordre ; le développement ! Et pas le développement dont rêvent nos stratèges français, celui qui consiste pour nos entreprises à rapatrier largement leurs bénéfices. Les entreprise françaises qui œuvrent réellement pour le développement du continent, qui embauchent du personnel africain, qui réinvestissent leurs profits sur place, se comptent à peine sur les doigts des deux mains. Le cas du Niger et d’AREVA est exemplaire de cette situation. La lutte de « bras de force » qui est engagée et dont l’issue reste incertaine est une illustration de ce que devrait pouvoir défendre un pouvoir de gauche: une meilleure répartition des ressources nées de l’exploitation du sous-sol ou du sol d’un pays, et, dans tous les cas, une répartition qui favorise le pays « producteur ». cf Libé (http://www.liberation.fr/monde/2014/01/06/les-mines-d-areva-au-niger-provisoirement-fermees_970942).
Alors oui, une force d’intervention, mais selon un tout nouveau schéma et pour un tout nouvel objectif, tant il est certain que les interventions militaires occidentales en Afrique, comme au Proche-Orient, comme en Afghanistan, n’ont jamais rien produit de positif. Mais pour cela, encore faut-il changer de discours et ne pas se contenter de rhabiller l’ancien discours avec des habits neufs, n’est-ce pas « Le Monde » !
Comment faut-il interpréter ces infos ? L’Aide Française au Développement est recentrée (http://www.slateafrique.com/335018/cooperation-france-afrique-renctrage-aide-au-developpement) afin que 85% de celle-ci soient orientés vers les pays africains que sont le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, Djibouti, les Comores, le Ghana, la Guinée, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, la République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, le Tchad, le Togo et le Sénégal.
Inutile de faire un long discours. Deux hommes de foi viennent de s’en charger (« Le Monde » du 28/12/2013). Il s’agit de Monseigneur Dieudonné Nzapalainga, l’archevêque de Bangui, et de l’imam Omar Kobine Layama, président de la communauté islamique de la République Centrafricaine.
« Alors que nous sommes en pleines fêtes de fin d’année, notre pays, la République centrafricaine (RCA) reste au bord d’une guerre aux aspects religieux. Plus de deux millions de personnes, soit près de la moitié de la population du pays, ont désespérément besoin d’aide. A l’heure où nous écrivons, près de 40 000 personnes sont entassées dans l’enceinte de l’aéroport de Bangui, la capitale, sans abri ni toilettes. Des centaines de personnes ont été tuées, certains d’entre elles sont des patients qu’on a fait sortir de force des hôpitaux pour les exécuter. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est dit « gravement préoccupé par le danger imminent d’atrocités de masse« . Nous craignons que faute d’une réponse internationale plus importante, notre pays ne soit condamné aux ténèbres. En tant que principaux dirigeants religieux des communautés chrétienne et musulmane de notre pays, nous avons conscience qu’il nous incombe de montrer un chemin loin des violences communautaires. Certains de nos confrères, qu’ils soient prêtres ou imams, ont payé le prix ultime pour assumer cette responsabilité, et nous craignons que le pire ne reste encore à venir. C’est en mars 2013 que les violences ont éclaté, lorsque la Séléka, une coalition de groupes armés peu structurée et composée majoritairement de musulmans, s’est emparée du pouvoir après un coup d’Etat. La Séléka a pillé et tué, déclenchant des attaques de représailles par des groupes d’autodéfense civile, chrétiens pour la plupart. Lorsque les troupes françaises sont arrivées pour tenter de rétablir la sécurité et désarmer tous les groupes armés, l’ancienne milice Séléka s’est mise à fuir vers le Nord, ses membres se déguisant en civils. Il existe aujourd’hui un danger d’effroyables représailles contre des musulmans qui se retrouvent dans une situation précaire et sont susceptibles d’être visés par des actes de vengeance. En réponse à cette crise, nous avons créé une plate-forme interconfessionnelle dont l’objectif est d’apaiser les tensions et empêcher l’aggravation des divisions et du chaos. Ce conflit n’est pas en soi un conflit entre musulmans et chrétiens, c’est une crise humanitaire grave provoquée par une instabilité politique et militaire chronique. Mais, si rien n’est fait, la crise pourrait enclencher sa propre dynamique irrépressible et dangereuse. Nous nous sommes rendus aux quatre coins du pays pour transmettre aux Centrafricains un message de paix et de réconciliation qui leur offre une vision alternative au carnage. Lors de nos déplacements, qui n’ont été possibles que grâce à la protection de soldats africains, nous avons été témoins de la peur omniprésente que ressent tout un chacun. On retrouve chaque jour des corps sans vie le long des routes. Nous avons rencontré des personnes si pressées de fuir qu’elles ne pouvaient même pas enterrer leurs enfants. L’ONU DOIT ENVOYER DES FORCES Si les forces françaises et africaines ont donné à notre pays la possibilité d’amorcer un nouveau départ, les progrès réalisés sont fragiles, et les troupes ne sauraient porter ce fardeau à elles seules. En autorisant le déploiement de troupes supplémentaires en RCA, la résolution du Conseil de sécurité a redonné espoir. Cependant, seule une force onusienne de maintien de la paix disposera des ressources nécessaires pour protéger nos civils de manière satisfaisante. L’ONU devrait de toute urgence convenir d’envoyer sur place une telle force. Lors de nos rencontres avec le président François Hollande, son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius et l’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power, nous avons expliqué que la sécurité que conférerait une force de maintien de la paix onusienne permettrait de sauvegarder l’avenir du pays. Grâce à l’aide des casques bleus de l’ONU pour sécuriser nos routes et nos habitations, l’acheminement d’une aide et de vaccins éliminerait le sentiment de peur en le remplaçant par un espoir, et s’avérerait un véritable dividende de la paix propre à unir notre peuple. Un engagement de l’ONU à l’égard de notre pays permettra de nous concentrer sur le rétablissement d’une coexistence entre nos communautés. La réconciliation et la paix sont possibles. Nous sommes tous les deux nés dans un climat de tolérance. Nous avons toujours eu pour habitude de célébrer et de respecter les différentes religions. Noël et le Ramadan sont des jours fériés. Il nous faut reconstruire aussi bien notre pays que notre tissu social, et nous comptons sur l’ONU pour nous en donner la possibilité. La paix n’a pas de prix. Nous espérons que la communauté internationale nous aidera à l’obtenir.
C’est nous qui avons souligné en caractères gras les nombreux appels de ces deux personnalités à une intervention internationale, sous l’égide de l’ONU. Car, là encore, et comme pour le Mali, nous disons que la France seule n’a « rien à foutre militairement en République Centrafricaine« .
Et, comme pour le Mali, François Hollande court désespérément après un soutien européen qu’il n’aura pas, qu’il ne peut pas avoir, pour l’unique et simple raison qu’il a décidé seul d’intervenir, sans consultation aucune de ses voisins européens. Il n’est absolument pas en position de réclamer un financement européen, ce que les allemands appellent une « kriegkasse » et Angela Merkel lui en a fait vertement le reproche: « Nous ne pouvons pas cofinancer une mission que nous n’avons pas co-décidée !«
Encore une fois, il nous faut revenir sur le thème de la guerre et de ses justifications puisque la France vient d’obtenir une résolution à l’ONU afin de préparer une intervention en République Centrafricaine. Comme de bien entendu, nos ministres de la Défense et des Affaires Etrangères se sont empressés de déclarer qu’il était hors de question que la France intervienne seule dans ce pays, que le Centrafrique n’est pas le Mali, etc … etc … Attendons de voir la conformité des promesses avec la mise en œuvre des décisions. Si nous reparlons de ce sujet, c’est parce que notre Ministre des Armées, Jean-Yves Le Drian, se répand dans la presse et sur les tribunes (à Blois récemment) et développe une théorie contestable en ce qui concerne la guerre et le rôle de la France. Faisons tout d’abord justice d’une affirmation répétée tant par François Hollande que par son Ministre des Armées, selon laquelle la France aurait gagné une guerre au Mali. La France n’a rien gagné du tout au Mali ! Qu’il soit bien clair que les 500000 personnes déplacées par ce conflit le sont toujours et vivent dans des conditions misérables, soit dans leur propre pays, plus au sud dans la région de Bamako notamment, ou dans des camps de Mauritanie ou du Burkina Faso. Qu’il soit bien clair que les combattants djihadistes n’ont pas été neutralisés, mais qu’ils ont simplement été repoussés plus ou moins loin, pas toujours hors des frontières du pays, d’où ils reviendront, d’où ils reviennent déjà pour fomenter troubles et attentats dans tout le nord du pays (attentats à Gao, destruction d’un pont sur le Niger, …). Qu’il soit bien clair que les revendications des touaregs (justifiées ou non, là n’est pas aujourd’hui la question !) en faveur d’une autonomie de leur région n’ont pas obtenu le moindre début de réponse. Qu’ils soit bien clair que cette insuffisance de réponse entraîne des affrontements ethniques qui ne demandent qu’à se développer au fur et à mesure que la situation se dégradera. Enfin, qu’il soit bien clair que l’armée française, loin de se retirer, reste en place à l’échelle de plus de 3000 combattants sur place dont certains qui étaient rentrés en France sont déjà repartis. Si c’est cela que l’on appelle « gagner la guerre » !
Alors, que nous dit Jean-Yves Le Drian ? Deux choses. La France ne fait la guerre que « si la sécurité de la France, de la nation, du pays, est mise en danger ». La France ne fait la guerre que « pour défendre des valeurs dont elle est héritière depuis la Révolution Française ». Associant quasi indissolublement les deux affirmations, Jean-Yves Le Drian en vient à affirmer que « la guerre et la République sont concomitantes ». On aurait pu penser qu’étaient concomitantes la guerre et la naissance de la République. On verra qu’il n’en est rien: il s’agit bien de la guerre et de la République aujourd’hui.
La guerre, la sécurité et la défense des valeurs lui sont indissociables: le terrorisme est explicitement visé. Il reste cependant à expliquer en quoi « laisser les djihadistes mener leurs opérations pour s’emparer de l’Etat malien touche à notre propre sécurité ». Outre qu’il n’a jamais été démontré que l’Etat malien était visé par les djihadistes, alors même qu’il était totalement déliquescent par les fautes d’un Capitaine putschiste (depuis nommé général !), il est difficilement compréhensible que notre sécurité ait été en jeu. Sauf à considérer que ce sont nos intérêts qui aient été en danger, ce qui n’est, on l’admettra, pas tout à fait la même chose. Par ailleurs, comment imaginer que la sécurité de la seule France ait été compromise par l’action des djihadistes au Mali ? Parce que nous sommes l’ancien colonisateur ? C’est difficile à admettre, ce qui signifie que l’éventuel danger concerne tout autant la France que ses voisins européens. Alors pourquoi se sentir concerné au point d’intervenir seul au Mali, après avoir saboté des négociations, après avoir snobé la Communauté Européenne (avant de lui demander sa participation !)?
Le raisonnement est aussi contestable en ce qui concerne le volet des « valeurs ». « Les images des victimes des tribunaux islamiques, les actes commis, nous amènent à défendre une certaine conception du droit ». Le propos va encore plus loin lorsqu’il est question de la Syrie. « Nous assistons à des atrocités et l’arme chimique remet en cause des traités qui traduisent les fondamentaux universels auxquels la France est très attachée. S’ils ne sont pas respectés, elle doit jouer le rôle de gardienne des valeurs collectives du monde. Son histoire porte la France à dire, à interdire ».
Il y a quelque chose de fabuleusement hégémonique dans cette affirmation ! Les valeurs sont jugées universelles et c’est la France qui se donne le droit de dire, d’interdire et… de punir ! Au nom de quoi ? Au nom de Valmy (bataille fondatrice de la République), au nom de 1940 (qui exige le ressaisissement de la France), au nom sans doute de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (à la rédaction de laquelle la France a participé), enfin au nom de traités comme l’interdiction des gaz de combat … Tout cela est bien vrai, mais sont-ce là des justifications suffisantes ?
NON, et pour deux raisons. La première est que les dites valeurs universelles ne le sont pas tant que ça. Notre ethnocentrisme les appelle ainsi, mais elles sont quotidiennement contestées par de très, très, nombreux pays d’Asie, d’Afrique, d’Océanie, voire d’Amérique Latine. Le fait de les avoir souvent rédigées après la seconde guerre mondiale, laquelle ne faisait que reconduire la première avec encore plus d’horreur et d’impérialisme, ne suffit pas, aux yeux des peuples et des dirigeants des pays en développement, pour qu’elles soient qualifiées d’universelles. Notre effroi d’alors et notre honte n’étaient pas les leurs !
La seconde est que si nous voulons tant leur attribuer un statut d’universalité, encore faudrait-il se mettre à plusieurs. Les temps ont changé, la France n’a plus rien à exprimer à titre personnel en ce domaine. Elle a sans doute à sensibiliser ses voisins européens, ses amis d’outre Atlantique, pour que tous ensemble, sous l’égide des grands organismes que sont l’ONU et tous ses satellites (UNICEF, UNESCO, PAM, HCR, …) les valeurs dites universelles le deviennent réellement et pour que le reste du monde commence à y croire.
Ajoutons qu’il existe une troisième raison pour que les belles valeurs universelles ne soient pas la « propriété » d’un seul pays: elles sont trop souvent bafouées !Le dramatique problème des immigrants qui traversent (qui ne traversent pas !) la Méditerranée vient à point pour rappeler que la guerre ne sert qu’à produire des victimes et des misères. Et que si les négociations venaient à bout des conflits et permettaient que s’installent les conditions d’un développement économique réel, il y aurait moins de réfugiés. Les populations du Nord-Mali attendent, malgré la « fin » de la guerre que l’on vienne un tant soit peu les aider. Elles attendront longtemps encore et cela fera le lit de nouveaux djihadistes.
Les négociations ! Sur ce blog, on a un tout petit peu de fierté à s’être opposé à une intervention en Syrie et à prôner des négociations. La France, sur cette question, a été particulièrement mise en minorité et nous n’irons pas plus loin dans les qualificatifs. Les explications sont tout simplement à rechercher dans cette volonté de nos ministres à vouloir que la France dise, interdise et … punisse, au risque de se retrouver toute seule ! Et qu’on ne nous ressorte pas que sa détermination a vouloir faire des « frappes » a pesé dans la décision de Poutine. Ou alors, ce n’est pas pour le motif invoqué ! Les troupes de Bachar El Assad sont probablement allées « trop loin ». Les « renseignements » allemands ont parlé d’erreur de dosage ! Une frappe française, européenne, ou américaine aurait probablement entraîné des ripostes incontrôlables du dictateur syrien, ajoutant la guerre à la guerre. Si les menaces de frappes ont eu un effet, c’est bien à leur corps défendant ! Rien n’est acquis, rien n’est définitif, mais les gaz de combat sont en cours de destruction, la structure chargée de ce travail, l’OIAC, reçoit le Nobel de la Paix. Il faut désormais que toutes les parties se mettent autour de la table et discutent à minima d’un cessez-le-feu. Pour cela, nos ministres, Jean-Yves Le Drian et Laurent Fabius auraient mieux à faire que de donner des leçons en Centrafrique ou au Mali, ou de construire la « première armée d’Europe, celle qui demain sera à même de mener deux opérations comme le Mali en même temps ». Ils doivent exiger du Conseil National Syrien, comme de la Coalition Nationale des Forces de l’Opposition et de la Révolution qu’il s’assoient à la table de négociations. le but n’étant pas de reconnaître quelque droit à Bachar El Assad, mais de mettre en place un cessez-le-feu.
Dans le tout dernier Hors-Série du « Monde », « 1914-2014: un siècle de guerre », où nous avons lu les déclarations contestables de Jean-Yves Le Drian, se trouve également une analyse des différentes écoles de pensée en matière de guerre et de sécurité. Il y a les « réalistes », les « idéalistes », les « transnationalistes », les « constructivistes » et les « critiques ». Il en ressort que le ministre des Armées est un « réaliste », lui qui privilégie la sécurité nationale et se porte garant de la sécurité internationale !! Thermopyles se verrait plutôt « transnationaliste », dans un système où les Etats et les sociétés civiles cohabitent dans le système mondial, au nom d’une sécurité globale. L’Etat n’a plus le monopole des affaires diplomatiques dans un monde interdépendant. (Descriptions extraites de ce N° Hors Série) Avec la faiblesse de croire que cette attitude est plus conforme et plus progressiste pour un homme de gauche ! Et qu’il est temps de repenser ce que signifie l’universalité des valeurs et la façon de les défendre.
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