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Mali, les fables et les chèvres

Et se poursuit la guerre au Mali … tandis que s’élaborent chaque jour de nouvelles fables.
Curieuse guerre que cette guerre où il n’y a pas de victimes (en tout cas, on ne nous les montre pas!), pas de prisonniers (ah si, un, hier soir!), pas d’images à l’exception des images officielles servies complaisamment par la presse et la TV. Qu’est-ce qu’on aura pu le voir, ce ravitaillement en vol des Rafales. Avec ça, si on n’arrive pas à le vendre …
Plus sérieusement, voici près d’un mois on nous parlait de 5 à 6000 combattants djihadistes, prêts à fondre sur Bamako. Aujourd’hui, le chiffre est ramené, de façon plus réaliste, à 800 ou 1000.
On nous parlait de centaines de djihadistes venus du Proche-Orient, d’Afrique Occidentale, voire pour certains d’Europe. Désormais, il n’en est rien, à quelques dizaines d’individus près.
On nous parlait de centaines de combattants occupant les villes et les villages, 400 rien qu’à Diabali. Où sont-ils ? On nous parlait de colonnes de pick-up, plusieurs centaines, transportant ces troupes. Où sont-ils ? Les photos « autorisées » nous montre toujours le même 4X4 cramé sous la savane, le même dépôt de bus incendié et vide, le même poste de police bombardé et vide. Diabali était vide de combattants, Gao était vide de combattants, Tombouctou était vide de combattants, Kidal était vide de combattants. Où sont-ils ? Réfugiés dans le Massif des Ifoghas ? Peut-être, mais sans doute pas des milliers, ni des centaines, et quand l’armée y arrivera ils n’y seront plus ! Passés en Libye, en Algérie, plus loin encore …
Ce qui prouve bien que ce n’est pas la guerre qu’il convient de conduire là-bas. 3000 hommes, 4000 hommes ne feront rien de mieux qu’une opération de police qui aurait pu être rondement menée avec l’appui de l’ONU.
François Hollande s’est rendu sur place au meilleur moment. Le staff des faucons du gouvernement fait bien les choses. Il a prononcé un discours dans lequel l’émotion a pris le dessus, donc un discours décousu et peu élaboré, avant tout destiné à lancer les phrases et les mots susceptibles de galvaniser les foules françaises comme africaines et de maintenir leur adhésion. Comme le «  »plus beau jour de ma vie politique » », alors que nous, Français, croyions bêtement que ce jour était celui de son élection au poste de président. Ou comme la « guerre contre le terrorisme », figure de style généraliste épargnant toute réflexion, surtout quand 74% des Français considèrent les musulmans comme intolérants et 44% extrémistes. Ou encore comme le « juste rendu à l’Afrique de son aide lors des deux dernières guerres mondiales », une pensée un peu tardive et qui, de façon subliminale, voudrait faire passer la lutte contre le terrorisme à l’égal de la lutte contre le nazisme. Mais François Hollande s’est bien gardé d’aborder le fond des problèmes, la suite des événements, le rôle de la France, l’avenir du Mali.

Avant de parler de cet aspect, soulignons que les lignes évoluent quelque peu. Bien évidemment, les commentaires des lecteurs dans la presse et sur Internet restent majoritairement favorables à cette intervention, « parce qu’il fallait bien faire quelque chose contre ces terroristes qui violent les filles, coupent les pieds et les mains et détruisent le patrimoine historique et religieux ». Bien évidemment …
Citons Michel Onfray. Il reprend à son compte une analyse de Michel Collon, journaliste belge parfois contestable, mais en l’occurrence le jugement est lucide. Cacher les intérêts économiques derrière ce conflit, présenter l’intervention comme une réponse à un appel à l’aide, diaboliser l’adversaire, empêcher le débat ou ignorer les opinions contraires, voilà les caractères principaux d’une manipulation de l’information. Il est un fait que nul n’entend les opinions opposées à cette guerre. Par exemple, l’opinion d’Aminata Traoré, résolument contre l’intervention française et dont on a déjà parlé ici (Quand-parle-Aminata-Traoré-…).

Aminata Traoré (DR)


Citons, dans Le Monde daté de ce jour, la libre opinion d’Olivier Roy, Directeur d’Etudes à l’EHESS, qui considère que la stratégie française est «  »vaine et absurde » ».
A l’inverse, notre classe politique reste toujours aussi bornée et soumise. Sans doute les leaders de la droite et de la gauche « classique » attendent-ils que des événements moins fastes se produisent et leur permettent de libérer leur parole.
Mais enfin, quand on entend dire que la critique de l’intervention n’est pas à l’ordre du jour parce que nos forces armées sont engagées, c’est pousser un peu loin la soumission !
Nos forces armées sont engagées parce que le Chef des Armées l’a décidé. Sans débat démocratique. Les forces armées exécutent le travail qui leur est prescrit et elles doivent le faire de la meilleure façon, dans le respect des droits de l’homme et des lois de la guerre. Point.
Mais critiquer les choix politiques qui ont conduit à cet engagement, ce n’est pas critiquer les forces armées, c’est critiquer les hommes politiques qui nous conduisent. Le débat démocratique devrait avoir lieu. Si la durée de l’intervention armée excède quatre mois, soit après le 10 mai, le Parlement devra être saisi pour en autoriser la prolongation. Souhaitons qu’à l’occasion le jugement de notre classe politique soit plus varié, plus critique, plus constructif aussi.
A ce propos, il existe une pétition en ligne (http://www.petitions24.net/stop_guerre_au_mali_-_des_choix_pour_la_paix), généreuse pétition qui reçoit bien peu de signatures. Ses motivations sont un peu trop vagues puisque les auteurs se satisfont de ne réclamer que la paix, ce qui ne suffit pas. Cependant, une récente évolution dans les propos aborde le sujet de ce prochain débat parlementaire.

Etre constructif ? C’est mettre en place, au Mali, les conditions d’un vrai dialogue. Et ce ne sera pas facile. Le Président intérimaire du Mali refuse ce dialogue avec les Touaregs tout comme il refuse une éventuelle relève par des Casques Bleus. Mohamadou Issoufou, Président du Niger, prend déjà ses marques et refuse un dialogue avec le MNLA parce qu’il n’est « pas représentatif des Touaregs ». Peut-on choisir ses interlocuteurs lorsque l’on doit négocier ? Ou bien doit-on négocier avec tous ceux qui le veulent bien, qui le demandent ?
La question touarègue sera très rapidement au cœur de la question malienne, puisque les islamistes radicaux auront disparu dans les sables, ceci même si Bamako ne veut pas en entendre parler.
Il faudra bien l’aborder dans un sens démocratique et laïc. Il faudra bien dissiper toutes les illusions dangereuses de séparatisme et de tri ethnique. Il faudra bien réaliser que l’autodétermination des Touaregs n’a aucun sens dans une région où ils ne sont pas majoritaires. Il faudra bien qu’une police et une administration non corrompues se mettent en place. Il faudra bien que des représentants élus de toutes les communautés : Peuls, Songhaïs, Touaregs, Arabes .. apprennent à travailler ensemble et incitent les populations à vivre ensemble.

Voilà quel est l’enjeu et ce n’est pas la multitude militaire française et africaine qui fera cela.
Non, ce sont les Maliens seuls, tous les Maliens.

« Que les chèvres se battent entre elles dans l’enclos est préférable à l’intermédiation de l’hyène« .

Proverbe bamanan.

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Au Mali, chronique d’une guerre annoncée

Les dirigeants africains de la CEDEAO se sont mis d’accord, hier 11 novembre, pour l’envoi d’une troupe de 3300 hommes dans le Nord-Mali, afin d’en chasser les islamistes radicaux qui y appliquent la charia et surtout y implantent les bases arrières d’un « biosystème » à leur façon: trafics, drogue, enlèvements …
Il reste encore à obtenir le feu vert de l’ONU pour cette intervention qui ne pourrait guère avoir lieu avant plusieurs mois. De plus, la fenêtre de tir sera exceptionnellement courte puisque les fortes chaleurs rendront invivable aux combattants le désert.

Abuja-Les dirigeants de la CEDEAO décident la guerre (C)Pius Utomi Ekpei/AFP


Ceci dit, les objections à la réalisation de cette campagne militaire se font de plus en plus nombreuses.
Passons en revue les dernières déclarations et objections.
L’Algérie, tout d’abord, que d’aucuns avaient hâtivement placée dans le camp des « favorables » à la guerre vient d’exprimer toutes ses réserves. En compagnie du Burkina Faso, ce pays vient de réussir une scission du front islamiste en place au Nord-Mali: Ansar Eddine déclare officiellement refuser les actions terroristes. L’Algérie est particulièrement attachée à l’intégrité et l’inviolabilité de son territoire et elle craint qu’un conflit au Nord-Mali entraîne inévitablement des débordements sur ses frontières.
Le Burkina Faso, que l’on vient de citer, est présidé par Blaise Compaoré, un Président contesté et contestable, qui désire avant tout jouer un rôle politique éminent dans la région (et sauver sa place). Sa volonté de mettre des hommes à lui à la tête du « gouvernement » malien et sa conduite des négociations avec les rebelles du Nord-Mali sont des illustrations de cette volonté. Il n’en reste pas moins que le Burkina, par sa parole, est, de loin, favorable à une solution négociée au lieu d’un affrontement.
La Mauritanie s’avère violemment opposée à une intervention militaire. « Une guerre contre les islamistes armés qui occupent le nord du Mali serait dévastatrice pour les pays voisins qui seront alors victimes d’un volcan aux cendres incandescentes », voici ce qu’a déclaré le Président de l’Assemblée Nationale mauritanienne, Messaoud Ould Boulkheir. Pour la Mauritanie également, un conflit armé au Nord-Mali présente le risque important de débordements susceptibles de mettre en cause l’intégrité territoriale du pays et son régime démocratique. Le danger est bien réel de voir s’inviter quelques déséquilibres dans ce pays dont le Président Aziz est absent par suite de blessures infligées accidentellement par un soldat de son armée: l’opposition démocratique demande une transition vers au nouveau gouvernement et des forces, peut-être moins démocratiques, manifestent et jettent de l’huile sur le feu.

Romano Prodi, dont nous avions souligné le rôle que lui a confié l’ONU, et dont certains dirigeants européens font très peu cas, s’est prononcé (notamment à Alger !) en faveur de la recherche de la paix par le dialogue. « Je suis venu chercher la paix et nous devons travailler ensemble et avec une bonne volonté pour instaurer la paix dans cette région. Nous avons encore la possibilité de travailler pour la paix et profiter des cadres internationaux et des engagements de l’ONU dans le cadre de la lutte contre le terrorisme pour préserver l’unité nationale du Mali. Toutes les guerres qui ont été menées de par le monde ont causé de grandes tragédies pour l’humanité. La guerre en dernier ressort, car nous avons encore la possibilité de travailler pour la paix ».
Il est clair que l’ONU n’adopte pas une position de jusqu’au-boutiste et que les attitudes respectives de la France et de l’Union Européenne sont de plus en plus isolées.
Pour terminer (pour l’instant), ce tour d’horizon international, citons la Chine, elle-aussi opposée à une intervention armée au Nord-Mali.

Alors, en France ?
Les oppositions à ce conflit sont actuellement extrêmement minoritaires. La droite et la gauche parlementaires adoptent exactement la même attitude, celle de l’approbation face à un risque constitué par le terrorisme et l’islamisme. Seule l’extrême-gauche, Mélanchon, Médiapart …dénoncent la préparation de ce conflit au motif qu’il s’agit avant tout d’une intervention franco-américaine de caractère néo-colonialiste et impérialiste. Le site Atlantico (http://www.atlantico.fr/decryptage/reconquete-nord-mali-echec-previsible-jean-bernard-pinatel-542012.html) (« considéré » de droite) publie aujourd’hui un article signé de Jean-Bernard Pinatel, général 2° section, intitulé « La conquête du Nord-Mali, un échec prévisible ». Et c’est tout pour aujourd’hui: le reste de la presse n’est constitué que de va-t-en-guerre, à commencer par « Le Monde » !

Est-ce donc une erreur que de persister à croire que la guerre au Nord-Mali sera une catastrophe ? Une catastrophe parce qu’elle entraînera encore plus de misères qu’il n’y en a actuellement dans cette sous-région du Sahel. Une catastrophe parce que les réfugiés (au Niger, au Tchad, en Mauritanie) ne seront plus 300 à 400000, mais le double, si ce n’est davantage. Une catastrophe, parce que les relations déjà difficiles entre africains et arabes, entre africains et touaregs, seront détruites pour de longues générations. Une catastrophe parce que le fait militaire ne viendra jamais à bout de la volonté de quelques illuminés fanatiques, il n’est qu’à voir en Afghanistan, et nous n’avons pas encore vu le pays après le départ des troupes occidentales ! Alors, remplacer l’Afghanistan par le Mali ? Sous le prétexte qu’il y a du pétrole, de l’or, peut-être du gaz ? Une catastrophe, parce que vont se superposer, se percuter deux antagonismes: les africains contre les djihadistes et les africains contre les touaregs !

Deux hommes, en qui l’on croyait pouvoir accorder un peu de confiance, viennent de s’exprimer de la pire façon.
Tout d’abord, Mohamadou Issoufou, Président de la République du Niger depuis 18 mois. Alors que les discussions des derniers temps le laissaient apparaître comme réticent à une intervention armée, le voici qui intervient publiquement (http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/11/12/nord-mali-les-djihadistes-visent-l-europe-selon-le-president-nigerien_1788997_3212.html) pour donner corps aux pires fantasmes de notre classe politique. « Si on les laisse faire, les djihadistes ne s’arrêteront pas en Afrique de l’Ouest. Leur objectif, c’est l’Europe. Qui tient l’Afrique tient l’Europe. La non-intervention serait bien pire qu’une intervention. Maintenant, nous n’avons plus le choix, Il faut que l’opinion française comprenne que l’intervention au Mali est nécessaire pour protéger l’Europe et pour éviter que les troubles qui ont gagné le monde arabe ne se propagent en Afrique ».
Autre voyageur de commerce au service de l’Occident, Abdou Diouf, Secrétaire Général de la Francophonie. « La France, avec d’autres, et notamment les Nations Unies et l’Union européenne, a le devoir d’intervenir dans cette affaire pour aider le Mali et les pays de la sous-région tant la menace est sévère ». A la question de savoir si la France ne se trouvait pas désormais face à des concurrents mieux placés pour satisfaire leurs appétits en Afrique, la réponse est la suivante: « Franchement, je ne pense pas. Il est cependant vrai que, depuis plusieurs dizaines d’années, l’Afrique a multiplié les partenariats économiques avec des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou la Turquie. La France doit donc rivaliser avec sans doute plus de concurrents qu’auparavant. Mais c’est une bonne chose ! Aujourd’hui, l’Afrique est en position de négocier à son avantage, de demander le respect de ses valeurs – et de celles qu’elle défend au sein de la Francophonie ».
On ne saurait mieux dire que la présence de la France dans ce conflit est un gage pour garder sa place en Afrique !
Alors, que faire ?
Cesser le tam-tam militariste ! Parler de négociations ! Avec Ansar Eddine et avec le MNLA (http://moussa-blog.azawadunion.com/) ! Davantage que les djihadistes venus souvent d’Algérie et/ou de Libye, ce sont eux les gens du Nord-Mali ! Il n’est point de ralliement en masse de combattants venus de tout le continent, voire même d’Europe ou de France, à l’exception de deux fanatiques (il ne s’agit que d’intoxication médiatique !). Aider la population (communication) à résister, car elle en a envie et besoin ! Monter des opérations de police ! Créer les conditions d’un vrai développement économique, social et culturel de cette région, ce que le Sud-Mali n’a jamais fait malgré les promesses et les accords successifs ! Donner de l’audience politique aux habitants du pays ! Patrouiller sur toutes les frontières pour contrecarrer la libre circulation des terroristes et des trafiquants ! Aider le Mali à réintégrer des processus démocratiques, et le plus vite sera le mieux, car les hommes qui prendront la parole le feront au nom du peuple, ce qui n’est pas le cas actuellement !
Cela, la France et l’Europe peuvent aider à le faire !
Tieman Coulibaly, Ministre des Affaires Etrangères du Mali, partisan de la guerre, refuse l’organisation d’élections en son pays, au motif que l’intégrité de celui-ci n’est plus une réalité. Il a de belles phrases:
« Organiser des élections sans les territoires occupés, ce serait ajouter la honte à la honte ». C’est possible, et il ne lui est pas interdit de le penser, mais ne croît-il pas que déclarer la guerre alors que l’on n’est que membre d’un gouvernement largement auto-désigné ne lui donne que peu d’autorité morale ?


A lire, un bilan des forces djihadistes (http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20121112170338/actualite-afriquemali-de-quelles-forces-disposent-les-jihadistes.html), réalisé par « Jeune Afrique ».