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Jeter ATT avec l’eau du bain

Jusqu’à quelle mesure un journaliste peut-il faire primer ses positions personnelles par rapport à son rôle de chroniqueur, de commentateur, de passeur des évènements ? La question se pose à la suite d’un article de Jean-Philippe Rémy, dans « Le Monde » du 10 avril. Il y a certes déjà quelques jours, mais l’évènement était assez gros pour qu’on attende une suite. Or, depuis,il n’est point de suite. Jean-Philippe Rémy ne parle plus du Mali. Il a, semble t-il, été remplacé par Isabelle Mandraud. Et dans la dernière édition du « Monde », il en revient à son thème habituel: l’opposition au président tchadien Idriss Déby.

Amadou Toumani Touré (DR)

Qu’a t-il donc écrit le 10 avril ? Après avoir donné la parole à un énième représentant de l’ICG (International Crisis Group) qui a estimé que « les coups de force sont toujours possibles dans la région, notamment parce que la constitution d’une démocratie électorale ne garantit pas une consolidation de l’Etat » (tout ceci en italique = citation), Jean-Philippe Rémy a poursuivi ainsi à titre personnel (en caractères normaux): « La « démocratie consensuelle » dont s’enorgueillissait le Mali était bâtie sur du sable. De nombreux responsables appelaient de leurs vœux ce coup d’Etat pour mettre fin aux années Amadou Toumani Touré et à son régime de prébendes« .

Remercions ce journaliste pour nous informer de la fragilité de la démocratie malienne ! Mais pourquoi a t-il attendu les évènements de mars pour nous en informer alors qu’il est en place en Afrique depuis des années ? Certes, il est devenu à la mode, après tout renversement de pouvoir, de se ranger du coté des nouveaux maîtres afin de pouvoir poursuivre ses activités !
Et comment qualifier cette approbation du coup d’Etat, afin de mettre fin à la corruption, alors même que nous sommes à un gros mois d’élections présidentielles, normalement programmées, et pour lesquelles nombre de candidats se sont présentés: une bonne –dizaine– vingtaine ?

Mais, au fond, Amani Toumani Touré mérite t-il un tel traitement ? Certes, il a mal débuté sa carrière d’homme d’Etat en s’emparant du Mali par un coup de force le 26 mars 1991, il y a 21 ans, presque jour pour jour, dans le but de mettre un terme au régime dictatorial de Moussa Traoré. Mais il a renoncé, dès 1992, à ce pouvoir en le remettant à la société civile et, s’il est revenu au pouvoir en 2002, c’est de manière élégante et totalement démocratique, même si d’aucuns considèrent comme fragile la démocratie électorale !

Depuis, qu’à t-il fait ? Consolider cette fameuse démocratie pour faire du Mali un modèle pour l’Afrique.
On peut citer l’Espace d’Interpellation Démocratique (Espace-d-Interpellation-Démocratique), cette structure-forum qui permet (certes de façon sans doute un peu formelle) aux grands courants de pensée politique et aux mouvements sociaux de s’exprimer.
On peut citer l’attitude acharnée d’ATT pour défendre ses Maliens de l’extérieur, représentés par un Ministère, et pour les droits desquels il a refusé de signer les accords de gestion des migrations proposés par la France, là ou d’autres pays africains et/ou arabes ont signé.
On peut citer encore les vraies discussions autour du statut de la famille (donc de la femme). Certes, il est loisible de regretter qu’il ne soit pas aussi progressiste que souhaitable, mais il est le fruit d’un large consensus démocratique obtenu par une méthode que les occidentaux ne devraient pas négliger !
On peut citer toujours le classement du Mali en termes de liberté de la presse (symbole de démocratie, Monsieur Rémy ??). En 2011, aux dires de Reporters Sans Frontières (http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2011-2012,1043.html), le Mali est au 25° rang mondial, tandis que la France émarge au .. 38° rang.
On peut citer enfin la ferme décision d’ATT de ne pas trafiquer la constitution malienne afin de pouvoir se représenter. D’ailleurs cette volonté, affirmée à maintes reprises et jamais contestée, est quelque peu contradictoire avec l’affirmation récente que le régime d’ATT était totalement corrompu.
Alors, bien entendu, on peut parler du classement du Mali en matière de corruption, dressé par Corruption Transparency (http://www.transparence-france.org/ewb_pages/div/Indice_de_Perception_de_la_Corruption_2011.php). Le pays se situe au 118° rang mondial, alors que la France est au 25° rang.
On peut parler aussi de l’Indice de Gouvernance Mondiale (http://www.world-governance.org/IMG/pdf_IGM_version_courte_FR_web-2.pdf), un classement dans lequel la Norvège ouvre la liste, la France y est 15° et la Mali 127°, certes en recul depuis 2008. Dans le classement particulier des pays africains, le Mali est au 18° rang, au-dessus de la moyenne africaine, ce qui en fait un pays presqu’honorable.

ATT a été un démocrate (La-fin-de-Khadafi-et-la-fin-d-ATT), sans doute beaucoup trop enclin à la discussion, aux palabres, sans que ce mot ne soit en rien insultant ou irrespectueux. Il a ainsi cru que ses amitiés pourraient contenir les tensions au nord, il a peut-être laissé aussi quelques membres de son entourage se servir plus que de raison, … Mais Amadou Toumani Touré ne mérite pas des jugements à l’emporte-pièce, tout comme il n’a pas mérité cette sortie peu glorieuse par la porte de derrière. Une fois la situation redevenue « normale » au Mali, on peut espérer que cet homme puisse s’exprimer et dire à son peuple combien il lui a été fidèle.

PS: Slate Afrique publie des articles TRES utiles à propos de la situation malienne. Entre autres (http://www.slateafrique.com/85759/nord-mali-faut-il-remettre-la-faute-sur-les-occidentaux-qui-ont-fait-partir-kadhafi) …

Et puis, Maliblog (http://mali50.wordpress.com/). C’est réfléchi, c’est à lire …

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La fin de Khadafi et la fin d’ATT

Ce n’est pas un titre de gloire, mais le 30 octobre 2011, ici-même (Sauver-Benghazi-pour-mieux-punir-Syrte-…), nous annoncions ce qui allait, ce qui devait se passer dans cette vaste zone qui va de la Libye au Mali. Et nous parlions de désastre. De plusieurs désastres, car les motivations de la guerre menée en Libye, et les conditions dans lesquelles elle s’est réalisée, ne pouvaient pas déboucher sur autre chose.

Mais auparavant, faisons commentaire d’une info dont Mediapart s’est fait le porteur et qui s’avère être un véritable « flop ».
Le 12 mars, Mediapart publie un article selon lequel le financement de la campagne 2007 de Sarkozy aurait été financé, à hauteur de 50 millions d’euros, par Khadafi, son fils Saïf Al Islam, avec Brice Hortefeux pour intermédiaire. Ces informations, tapées en caractères sibyllins sur un vulgaire bout de papier, dateraient d’octobre 2005. Curieusement, aucun organe de presse ne développe cette information. Tous, en France, mais aussi en Belgique ou en Suisse, reprenne le contenu de l’article de Mediapart, mais quasi personne ne fait le moindre commentaire. A deux exceptions près. Celle du Réseau Voltaire, Thierry Meyssan, sur laquelle on ne s’étendra pas, sauf en ce qui concerne une bizarre accusation: si la campagne de Sarkozy a été financée par Khadafi, il en aurait été de même pour la campagne de …. Ségolène Royal. L’autre exception est celle de Marianne dont Philippe Bilger (http://www.marianne2.fr/Kadhafi-et-si-BHL-avait-servi-a-brouiller-les-pistes-du-financement-de-la-campagne-2007_a216408.html), dans son blog, souligne que bien des choses restent incompréhensibles alors qu’il laisse entendre qu’il doute de la sincérité de ce « mémo » présenté par Mediapart.

Coup de tonnerre, quatre jours plus tard, Mediapart déclare que Jean-Charles Brisard, son « indicateur », retirait tout ce qu’il avait pu dire au motif qu’il avait « été associé malgré lui à de soi-disant révélations ». Et là, curieusement, personne ne cite ce démenti, strictement personne.
Pourtant, il est loisible de se poser un certain nombre de questions.

  • Le 16 mars 2011, Saïf Al Islam, particulièrement remonté, accordait une interview à Euronews et déclarait que son père avait financé la campagne de Sarkozy.  » Nous avons les preuves, tous les détails, les comptes bancaires, les documents et les opérations de transfert ». Le 12 mars 2012, dans Mediapart, Jean-Charles Brisard déclare qu’il a un dossier, des notes, des documents de transfert. Curieux hommes que ces « mafiosi » qui gardent une trace réglementaire de tout ce qu’ils trafiquent !! Et pourquoi Khadafi n’a t-il jamais mis à exécution ses menaces de publication des fameux comptes bancaires ?
  • Une autre question vise à comprendre pourquoi Sarkozy aurait décidé de trahir aussi brutalement son donateur. Dire que c’est pour effacer les preuves de ce financement relève du « cinéma ».
  • Nicolas Sarkozy avait-il vraiment besoin de 50 millions ? Alors qu’il semble, à ce que l’on raconte, que la famille Bettancourt était à même de lui en donner à guichet ouvert ?
  • Et enfin, pourquoi ce prétendu bout de papier écrit en 2006 arriverait aujourd’hui, et seulement aujourd’hui, dans la rédaction de Mediapart ?
    Le problème, c’est que l’Internet laisse derrière lui une longue traîne. Lorsque « Rue89 » a déclaré que Camatte était un agent secret, à le suite probable d’une mauvaise interprétation d’un commentaire de fonctionnaire, cela n’a jamais été démenti et cela traîne encore dans de nombreux sites africains. Gageons qu’il en sera de même pour le financement de la campagne 2007 de Sarkozy …

    Cet imbroglio qui a présidé à la décision de faire la guerre en Libye et d’y supprimer Khadafi est donc à l’origine de plusieurs désastres.
    Le premier désastre potentiel était celui d’un risque de transfert de conflit d’une terre à l’autre. C’est chose faîte puisque les touaregs du MNLA, lourdement armés, ont quitté la Libye et sont rentrés au Mali pour y réclamer l’indépendance de l’Azawad (L-Azawad-et-le-Mali). Ils y mènent une guerre violente, dure, cruelle et rien ne les arrête. Les populations civiles fuient vers le Niger ou vers la Mauritanie (plusieurs centaines de milliers) et viennent gonfler d’autres populations déjà en situation de souffrance alimentaire.
    Le second désastre potentiel était celui d’une partition de la Libye. C’est chose faîte, ou presque, puisque la Cyrénaïque réclame son autonomie, avant de réclamer son indépendance. Celui également d’une partition du Mali puisqu’au-delà de la revendication d’indépendance de l’Azawad (curieusement limité aux frontières officielles du Mali), un groupe salafiste revendique maintenant (http://www.slateafrique.com/84371/de-nouvelles-fissures-dans-la-rebellion-touaregue-au-mali) son autonomie et veut étendre la loi islamique à l’ensemble du Mali.
    Ici, comme en Libye, le troisième désastre potentiel était bien de laisser le champ libre à tous les agitateurs religieux qui se multiplient au cœur de cette vaste zone quasi désertique: salafistes, AQMI, … Là aussi, c’est chose faite.

    Comme un désastre ne vient jamais seul, l’armée régulière malienne (une partie ?) vient de renverser ATT. Si elle a quelques griefs solides à exprimer au Président de la République du Mali, et notamment celui d’être abandonnée au fond du Nord, sans appui logistique (il a fallu qu’un hélicoptère de l’armée américaine largue des vivres !), et régulièrement massacrée par les combattants touaregs, cela ne l’autorisait en aucune sorte à prendre le pouvoir. D’autant plus, s’il s’agit de déclarer que l’on va organiser des élections, alors même que celles-ci devaient se tenir dans un mois !! Curieuse et inquiétante conception de la démocratie.
ATT (C)Reuters/Pool New

ATT est un démocrate. Dans le contexte africain, il dénote avec sa ferme volonté de ne pas faire de nouveau mandat, (il en a fait deux) et de céder la place. ATT a joué un rôle capital à l’égard de la part importante de ses compatriotes exilée en Europe, en France particulièrement: les Maliens de l’extérieur. Il s’est opposé à plusieurs reprises et avec fermeté à la signature d’accords de gestion concertée des flux migratoires avec la France, accords dont Besson, puis Hortefeux, s’étaient fait les champions. ATT s’est enfermé dans un refus de faire la guerre à AQMI dans le nord du pays, une guerre qu’il disait ne pas être la sienne, ni celle du Mali. C’est pour cela qu’il a été considéré comme le maillon faible de la lutte contre le terrorisme. Et quand les touaregs sont rentrés au pays pour affronter le pouvoir central, avec la complicité réelle ou tacite (malgré leurs dénégations) des islamistes, il n’a pas vu que la dimension du conflit et le rapport de forces n’étaient plus les mêmes. Le point de vue de Slate ici (http://www.slateafrique.com/84473/le%20bilan-conteste-de-amadou-toumani-toure).

Ce désastre-là ne fait que commencer. Les populations du nord, comme du sud, n’ont pas fini d’en souffrir, les libertés de choix et de convictions d’en pâtir, et la région toute entière (Mali, Niger, Sénégal, Burkina) d’en être durablement déséquilibrée.

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Mali

L’Azawad et le Mali

La guerre s’installe dans le Nord du Mali. Plusieurs dizaines de milliers de réfugiés ont pris le chemin de la Mauritanie ou du Niger. Ils viennent s’ajouter à des populations en grande difficulté alimentaire. Les combats sont meurtriers entre les combattants touaregs et une armée malienne peu à l’aise dans ces immenses étendues désertiques. L’armée et les officiels maliens accusent le MLNA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) de massacre de populations civiles. Ceux-ci répliquent en dénonçant des bombardements aveugles qui font, eux aussi, des victimes civiles. Certains ont déjà titré qu’il s’agit là d’une des conséquences de l’ère Khadafi, façon de chercher encore de nouvelles justifications  »a postériori » à l’intervention occidentale (Sauver-Benghazi-pour-mieux-punir-Syrte-…).

Aujourd’hui, rien n’est moins sur et la plus grande prudence est de mise en ce qui concerne les analyses. L’Algérie, les touaregs combattants et certains organes maliens n’hésitent pas à mettre en cause la France dans le développement de ce conflit, prenant pour argument l’enlèvement de deux français devenus conseillers militaires des touaregs et le relais fidèle par RFI des communiqués du MLNA.


La question touarègue n’est pas neuve. Et au Mali elle a une dimension particulière. En effet, les touaregs ou peuple parlant la langue tamachek (tamasheq) occupent une large zone géographique comprenant le nord du Mali, le sud de l’Algérie (Hoggar et Tassili), l’ouest de la Libye, une grande majorité du Niger et l’extrême nord du Burkina Faso. Depuis les indépendances (Cinquante-ans-d-indépendances), c’est cependant surtout au Mali que les revendications d’autogestion et d’autonomie politique et économique sont les plus tendues. Dès 1958, le Mouvement Populaire de l’Azawad a revendiqué la constitution d’un état touareg dans la seule partie nord du Mali. En 1963, Modibo Keita s’est douloureusement affronté à une première rébellion durement réprimée. D’autres révoltes ont suivi en 1990 et en 1996. Les accords d’Alger, signés en 2006 (dix ans après !) ont ouvert la voie en 2009 à la création d’un Fonds de Développement du Nord-Mali. Comment est-il financé ? Qui le finance ? Toujours est-il que les Touaregs le considèrent comme totalement inexistant.
Une première et importante observation est donc à faire en soulignant que les combattants actuels revendiquent l’autonomie d’une partie du territoire malien, tout le Nord-Mali au-delà de Mopti. Ils n’engagent pas les populations touarègues des autres pays frontaliers déjà cités. Cette observation doit donc mettre un terme à des commentaires faisant référence à la reconstitution d’un pays touareg qui aurait été démantelé par le colonisateur et morcelé par des frontières artificielles créées lors de la colonisation. La lutte du MLNA n’est pas la lutte de tout le peuple touareg. Certains touaregs disent même que le touareg du Niger accordera la paix à vie du moment qu’il a du pain, tandis que celui du Mali, affamé ou ventre plein, revendiquera toujours un Etat, un Drapeau, une Nation, une Identité.

Territoire Azawad revendiqué (CR)Babyfoot
Espace touareg (C)J.Dupuis

Le MNLA revendique l’indépendance du Nord-Mali. En l’état actuel des choses, il est certain que la zone n’est pas économiquement viable. Si une partition devait se faire, et ce n’est pas pour demain tant la majorité des maliens y est opposée, ce nouveau pays vivrait de peu. Mais, et là est le fond de la question, le sous-sol de la zone est probablement infiniment riche bien que non exploité actuellement: de l’or, du pétole, de l’uranium … Qui en assurera l’exploration, puis l’exploitation ?

Ce conflit est également lourd de dangers en ce qui concerne l’avenir de la démocratie malienne. Les élections présidentielles sont (encore ? pour combien de temps ?) fixées au 29 avril (13 mai pour le second tour si nécessaire). De plus en plus de voix s’élèvent pour en demander le report à une date ultérieure afin qu’elles se déroulent dans des conditions de paix et non de guerre intérieure. Ce report, s’il devait avoir lieu, impliquerait le maintien à son poste d’Amadou Toumani Touré alors que celui-ci s’est engagé à ne pas solliciter de renouvellement de mandat et à ne pas rester au pouvoir au-delà de l’échéance légale. ATT n’est pas un président parfait. Mais qui l’est ? Il a, en la matière, et c’est exceptionnel en Afrique, le très gros mérite de quitter le pouvoir sans user d’artifices législatifs ou de coup d’état pour se maintenir au pouvoir. ATT a une autre qualité; celle d’avoir tenu tête au gouvernement français dans les discussions relatives à l’Accord de Gestion Concertée des Flux Migratoires (Les-migrations-du-Mali-vers-la-France). Certes, ATT a reculé sur l’épineux dossier du code de la famille et du statut de la femme « qui doit obéissance à son mari ». Il n’en est pas moins un démocrate et la chose est encore rare en Afrique.

Dernier point: déséquilibrer le Mali, c’est déséquilibrer TOUS les pays limitrophes: Mauritanie, Algérie, Niger, Burkina,.. Qui y a intérêt ?

 »Ajouté le 27 février, ce lien (http://www.journaldumali.com/article.php?aid=4287) dont l’analyse est, à tout le moins, à prendre en considération. »

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Sauver Benghazi pour mieux punir Syrte,

défendre les populations civiles à Benghazi avec un mandat à peu près clair de l’ONU pour mieux violer ce mandat à Syrte et y faire la chasse à Khadafi, invoquer la démocratie et la responsabilité de l’Occident à Benghazi pour mieux s’en moquer et ne pas les respecter à Syrte dans le but de se venger de celui que l’on a appelé un tyran et qui venait camper (au sens propre) sous les fenêtres des chefs d’état occidentaux. Est-ce là le bilan de la campagne de Libye ?

Guerre en Libye, 20 mars 2011 (DR)

Et qu’avons-nous gagné ? Rien, si ce n’est probablement un désastre.

Un désastre en raison de la réaction (de la contre-révolution !!) islamiste. Comme il était prévisible, les révoltes arabes donnent tour à tour le pouvoir aux islamistes et c’est une vue de l’esprit que de croire qu’Ennahda, en Tunisie, sera respectueux de la démocratie, de la place de la femme, du droit de croire ou de ne pas croire. Des déclarations inquiétantes ont déjà été faites en ce sens, qui ont été démenties par les nouveaux hommes forts qui ont besoin de la « reconnaissance » occidentale.
En Libye, point n’est besoin de s’étendre: la « collaboration » entre les factions se fera sur le dos des droits élémentaires.
Quant à l’Egypte, tout s’y prépare pour que les Frères Musulmans et les salafistes se partagent le pouvoir.
Ce qui n’était pas une révolution cède la place à la réaction la plus classique. Il fallait s’y attendre et seuls les journalistes romantiques pouvaient se tromper et nous tromper en nous gavant d’images de madones au drapeau ou de lanceurs de grenade et en nous faisant vivre les évènements en « direct live ». Pour mémoire, il en est ainsi de toutes les « révolutions »: Mai 68 s’est achevé sur les Champs par une monstre manif de la droite et le retour de l’essence dans les pompes, Obama encensé par les chroniqueurs n’est plus désormais qu’un velléitaire, … Les révoltes arabes suivent le même chemin parce que les forces de la jeunesse, celles qui ont su si bien utiliser les réseaux sociaux et internet, ne revendiquent pas tant un fonctionnement démocratique de la société, mais avant tout la LIBERTE, la liberté de travailler, de gagner sa vie, de discuter, de consommer, de se déplacer, de voyager.
Et parce que les forces de la contestation, quoique souvent riches culturellement, ne sont pas politisées. Les militants aguerris se trouvent dans des structures qui attendent cette alternative depuis des décennies et qui ont su réagir très rapidement: Ennahda ou les Frères Musulmans et la kyrielle d’institutions sociales et humanitaires qu’ils ont su mettre en place et animer. Quant aux intellectuels de gauche, aussi méritant soient-ils, ils n’ont bien souvent aucune structure, aucun parti historique, aucun syndicat derrière eux. Et ce ne sont pas eux qui peuvent promettre que demain, la télévision sera gratuite !

Un désastre à cause du « deux poids, deux mesures ». Parce qu’il n’y a pas à se venger d’humiliations qu’aurait pu infliger le président Assad aux gouvernements occidentaux, aucune intervention n’est prévue pour mettre un terme au calvaire de son peuple. Certes Assad a sans doute raison: il sait depuis toujours que céder la place, c’est laisser entrer, ici aussi, l’islamisme politique. Alors, pour sauver ce qui peut encore l’être, tout comme ce qui aurait pu être imaginé en Libye, n’est-il pas possible d’exercer d’impitoyables pressions (refus de tous produits en provenance de Syrie, fermeture de tous les comptes, boycott de toutes les entreprises, exclusion de toutes les institutions internationales, …?
Il restera dans l’esprit des peuples du Maghreb, du Moyen-Orient et d’Afrique la terrible explication de ce « deux poids, deux mesures »: il s’agissait, en Libye, de faire main basse sur les richesses.

Un désastre à cause du transfert des risques de conflit. Les Touaregs que l’on a, bien imprudemment, traités de mercenaires alors qu’il ne s’agissait que de tribus fidèles à la tribu des Khadafi (et cette sorte de fidélité ne se rompt que par la mort) rentrent au pays les bras chargés d’armes. D’autres combattants, ceux d’AQMI, cherchent à occuper le Nord-Mali, le Nord-Niger, les franges de la Mauritanie pour y installer leur base africaine. Eux aussi ont les bras chargés d’armes de toutes sortes. Afin de déloger AQMI de leur territoire, les Touaregs ne leur déclarent ni plus ni moins que la guerre, ainsi qu’à l’armée malienne dont ils considèrent qu’elle a des « connivences » avec les terroristes. Et tout cela moins d’un an avant les élections présidentielles au Mali (avril-mai 2012), l’un des rares pays africains à être une démocratie quasi exemplaire ! Au-delà du Mali, ce sont le Niger, l’Algérie et la Mauritanie qui ne manqueront pas d’être concernés par ce nouveau conflit.

Un désastre à cause de la mort de nos relations avec l’Afrique. D’aucuns diront « Tant mieux, c’est la fin de la Françafrique ». Mais le bilan est plus triste que cela parce que les relations entre notre pays et les pays africains vont bien au-delà de ces relations de pouvoirs et d’affaires.
Il y avait déjà les questions de l’émigration des Africains et de leur immigration rejetée chez nous. Il y a maintenant un sentiment de mépris de la part des occidentaux et d’humiliation pour les Africains, et ceci pour une raison essentielle. La Libye a été le théâtre d’une intervention militaire, et son chef d’état a été assassiné par des armées occidentales (ou sous couvert de celles-ci) sans l’accord du Continent africain. Le Continent africain a été bafoué, son avis n’a jamais été pris en considération, il n’a même jamais été sollicité. Certes, cet avis était peu audible, entaché qu’il était pas des « solidarités » acquises avec beaucoup d’argent, beaucoup de contrats. Il n’empêche, Khadafi a été l’un des rares à savoir parler de la Nation Africaine. Jacob Zuma, Président de l’Afrique du Sud, a tenté, à plusieurs reprises, d’ouvrir des pourparlers (et non des négociations !) entre les forces en présence. En avez-vous seulement entendu parler ? Il a dénoncé la primauté accordée à l’OTAN (et donc à Paris, Londres et Washington) sur l’ONU pour « gérer » l’affaire libyenne. En avez-vous eu connaissance ?
La guerre libyenne s’achève sur l’humiliation de toute l’Afrique (http://www.journaldumali.com/article.php?aid=3772), du Maghreb au Proche-Orient et à l’Afrique du Sud, en passant pas l’Afrique de l’Ouest. En date du 18 octobre dernier, l’intellectuel et historien Achille Mbembe affirmait dans « Le Monde » que « la France n’est plus notre soleil ». Le conflit libyen et son traitement spécifiquement français, avec la complicité de quasi toutes les forces politiques, et notamment celles de gauche, n’ont fait qu’assombrir un peu plus notre « soleil ».

Enfin, pour terminer, un probable désastre à cause d’une possible partition de la Libye. On ne le dira jamais assez, la Libye est un pays de tribus que Khadafi avait réussi à rassembler sur un objectif commun, au prix, c’est certain, de violences et de crimes impardonnables. Désormais, ceux de Benghazi s’opposent et s’opposeront à ceux de Tripoli ou de Syrte ou de Misrata et vice-versa. Les territoires, les richesses, le pétrole, tout fera l’objet de conflits et de partages violents et la Libye d’aujourd’hui risque la partition en deux, voire trois, entités non viables.

Oui, un désastre et aucun bénéfice, si ce n’est pour quelques pétroliers …

PS: chroniqueuse au « Monde », Caroline Fourest a un vrai beau franc-parler et ses analyses sont d’une justesse et d’une précision dignes du scalpel. Il faut la lire sur son blog (http://carolinefourest.wordpress.com/) et sur le site de l’association-revue dont elle fait partie: ProChoix (http://www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2006/12/19/1061-presentation-de-la-revue).
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