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Mali

Jeter ATT avec l’eau du bain

Jusqu’à quelle mesure un journaliste peut-il faire primer ses positions personnelles par rapport à son rôle de chroniqueur, de commentateur, de passeur des évènements ? La question se pose à la suite d’un article de Jean-Philippe Rémy, dans « Le Monde » du 10 avril. Il y a certes déjà quelques jours, mais l’évènement était assez gros pour qu’on attende une suite. Or, depuis,il n’est point de suite. Jean-Philippe Rémy ne parle plus du Mali. Il a, semble t-il, été remplacé par Isabelle Mandraud. Et dans la dernière édition du « Monde », il en revient à son thème habituel: l’opposition au président tchadien Idriss Déby.

Amadou Toumani Touré (DR)

Qu’a t-il donc écrit le 10 avril ? Après avoir donné la parole à un énième représentant de l’ICG (International Crisis Group) qui a estimé que « les coups de force sont toujours possibles dans la région, notamment parce que la constitution d’une démocratie électorale ne garantit pas une consolidation de l’Etat » (tout ceci en italique = citation), Jean-Philippe Rémy a poursuivi ainsi à titre personnel (en caractères normaux): « La « démocratie consensuelle » dont s’enorgueillissait le Mali était bâtie sur du sable. De nombreux responsables appelaient de leurs vœux ce coup d’Etat pour mettre fin aux années Amadou Toumani Touré et à son régime de prébendes« .

Remercions ce journaliste pour nous informer de la fragilité de la démocratie malienne ! Mais pourquoi a t-il attendu les évènements de mars pour nous en informer alors qu’il est en place en Afrique depuis des années ? Certes, il est devenu à la mode, après tout renversement de pouvoir, de se ranger du coté des nouveaux maîtres afin de pouvoir poursuivre ses activités !
Et comment qualifier cette approbation du coup d’Etat, afin de mettre fin à la corruption, alors même que nous sommes à un gros mois d’élections présidentielles, normalement programmées, et pour lesquelles nombre de candidats se sont présentés: une bonne –dizaine– vingtaine ?

Mais, au fond, Amani Toumani Touré mérite t-il un tel traitement ? Certes, il a mal débuté sa carrière d’homme d’Etat en s’emparant du Mali par un coup de force le 26 mars 1991, il y a 21 ans, presque jour pour jour, dans le but de mettre un terme au régime dictatorial de Moussa Traoré. Mais il a renoncé, dès 1992, à ce pouvoir en le remettant à la société civile et, s’il est revenu au pouvoir en 2002, c’est de manière élégante et totalement démocratique, même si d’aucuns considèrent comme fragile la démocratie électorale !

Depuis, qu’à t-il fait ? Consolider cette fameuse démocratie pour faire du Mali un modèle pour l’Afrique.
On peut citer l’Espace d’Interpellation Démocratique (Espace-d-Interpellation-Démocratique), cette structure-forum qui permet (certes de façon sans doute un peu formelle) aux grands courants de pensée politique et aux mouvements sociaux de s’exprimer.
On peut citer l’attitude acharnée d’ATT pour défendre ses Maliens de l’extérieur, représentés par un Ministère, et pour les droits desquels il a refusé de signer les accords de gestion des migrations proposés par la France, là ou d’autres pays africains et/ou arabes ont signé.
On peut citer encore les vraies discussions autour du statut de la famille (donc de la femme). Certes, il est loisible de regretter qu’il ne soit pas aussi progressiste que souhaitable, mais il est le fruit d’un large consensus démocratique obtenu par une méthode que les occidentaux ne devraient pas négliger !
On peut citer toujours le classement du Mali en termes de liberté de la presse (symbole de démocratie, Monsieur Rémy ??). En 2011, aux dires de Reporters Sans Frontières (http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2011-2012,1043.html), le Mali est au 25° rang mondial, tandis que la France émarge au .. 38° rang.
On peut citer enfin la ferme décision d’ATT de ne pas trafiquer la constitution malienne afin de pouvoir se représenter. D’ailleurs cette volonté, affirmée à maintes reprises et jamais contestée, est quelque peu contradictoire avec l’affirmation récente que le régime d’ATT était totalement corrompu.
Alors, bien entendu, on peut parler du classement du Mali en matière de corruption, dressé par Corruption Transparency (http://www.transparence-france.org/ewb_pages/div/Indice_de_Perception_de_la_Corruption_2011.php). Le pays se situe au 118° rang mondial, alors que la France est au 25° rang.
On peut parler aussi de l’Indice de Gouvernance Mondiale (http://www.world-governance.org/IMG/pdf_IGM_version_courte_FR_web-2.pdf), un classement dans lequel la Norvège ouvre la liste, la France y est 15° et la Mali 127°, certes en recul depuis 2008. Dans le classement particulier des pays africains, le Mali est au 18° rang, au-dessus de la moyenne africaine, ce qui en fait un pays presqu’honorable.

ATT a été un démocrate (La-fin-de-Khadafi-et-la-fin-d-ATT), sans doute beaucoup trop enclin à la discussion, aux palabres, sans que ce mot ne soit en rien insultant ou irrespectueux. Il a ainsi cru que ses amitiés pourraient contenir les tensions au nord, il a peut-être laissé aussi quelques membres de son entourage se servir plus que de raison, … Mais Amadou Toumani Touré ne mérite pas des jugements à l’emporte-pièce, tout comme il n’a pas mérité cette sortie peu glorieuse par la porte de derrière. Une fois la situation redevenue « normale » au Mali, on peut espérer que cet homme puisse s’exprimer et dire à son peuple combien il lui a été fidèle.

PS: Slate Afrique publie des articles TRES utiles à propos de la situation malienne. Entre autres (http://www.slateafrique.com/85759/nord-mali-faut-il-remettre-la-faute-sur-les-occidentaux-qui-ont-fait-partir-kadhafi) …

Et puis, Maliblog (http://mali50.wordpress.com/). C’est réfléchi, c’est à lire …

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