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Quartier Saint-Laurent-Saint-Marcellin

Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – VI

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert

V – Un hôtel inséré dans l’économie locale

Robert Faraboz est un éminent collectionneur de cartes postales anciennes et de vieux papiers. A ce titre, il a publié plusieurs ouvrages dont deux compilations de cartes postales anciennes concernant Saint-Marcellin et les environs. Il a cédé à la Ville de Saint-Marcellin de nombreux papiers, dont l’intérêt réel n’est pas toujours évident de prime abord. Il en est ainsi d’un lot de factures adressées par de nombreux commerçants saint-marcellinois à l’hôtel Guttin entre 1905 et 1939, soit depuis les débuts de l’hôtel jusqu’à l’entrée en guerre. Toutes ces factures permettent de témoigner des relations que les Guttin ont nouées avec les commerçants et artisans locaux.

Parmi plus d’une cinquantaine de fournisseurs, Emile Monnet se charge de la Mousseline des Alpes en 1924 et du Pernod et du Cointreau en 1937 ; Henri Buisson Fils prend à son compte la livraison de bière et de pommes de terre ; Léon Picot, négociant en vins en gros, briques, tuiles, bois de construction, chaux, ciments, charbon et engrais, fournit le vin rouge de table en 1924 et un Côtes-du-Rhône à 9° en 1932 ; G. Giroud, 2 rue de Chevrières, se charge des oignons, des tomates, et autres légumes en 1925 et 1926 ; l’Etablissement d’Horticulture Guillot Fils livre les fleurs d’ornement pour les jardinières et pour les chemins de table, chaque année entre 1925 et 1933 ; la laiterie Guille, devenue Guille et Vincent, entre 1927 et 1939 est un fournisseur fidèle de lait (330 litres en juillet 1938, 305 litres en mai 1939), de crème et de beurre. Pour sa part, le garage Gsegner, ancienne maison Mandier, agent Renault, de 1926 à 1936, prend en charge l’essence, l’huile, les pneumatiques et toutes les révisions des véhicules de l’hôtel, tout en changeant régulièrement d’exploitant : Edouard Laye, puis M. Vinay. De 1933 à 1938, c’est Jean Rojat, Nouveautés et Confection, à l’angle de la rue de Beauvoir et de la Grande-Rue, qui fournit draps, stores, toile à matelas et laine. En 1936, la quincaillerie Mandier et Rodet assure les recharges de gaz.

Outre ces très nombreuses factures, se trouvent également des reçus justifiant de tel ou tel abonnement, par exemple au « Journal de Saint-Marcellin » pour sept francs entre le 1er mars 1921 et le 28 février 1922, et dix francs entre le 1er mars 1927 et le 28 février 1928. L’adhésion à la Chambre Syndicale de l’Hôtellerie de Grenoble et du département de l’Isère, en 1923, est de quinze francs. La cotisation à la Compagnie des sapeurs-pompiers de Saint-Marcellin est de dix francs en 1924. Le 17 juillet 1931, c’est au Cercle Littéraire que Monsieur Guttin règle la cotisation du second semestre 1931 pour un montant de soixante francs. Le 5 mars 1932, Madame Vve Guttin et son fils cotisent en tant que Membres Honoraires à la Lyre Saint-Marcellinoise pour un somme de quinze francs.

En guise de conclusion du chapitre consacré à l’
« Hôtel de France », et pour souligner l’engagement des Guttin dans la vie sociale de Saint-Marcellin, voici la photographie de la carte d’adhérent de René Guttin à l’association sportive de la Jeanne d’Arc, en 1911, il n’a que 12 ans, mais il fait déjà partie de la communauté saint-marcellinoise.

Carte d’adhérent Jeanne d’Arc – Guttin René – 1909

VI – Hôtel Thomé

Mais qui est Joseph Eloi Thomé , patron de cet hôtel qui s’installe rue Saint-Laurent à une centaine de mètres de l’actuelle place Lacombe-Maloc ? Né à Crépol, dans la Drôme, de Joseph-François Thomé, cultivateur, et de Philomène Anaïsse Finot, le 29 novembre 1880, Joseph Thomé se consacre à la cuisine puisque lors de l’établissement de sa fiche matricule militaire, à l’âge de 20 ans, il est cuisinier à l’Hôtel de l’Europe, à Romans-sur-Isère.

Il est incorporé le 16 novembre 1901 dans le 30° Régiment de Chasseurs à pied, puis le 14° Escadron du Train et renvoyé dans la disponibilité le 5 octobre 1904.

Début 1906, Joseph Thomé est cuisinier de l’« Hôtel de France », mais à Tunis ! Sa fiche matricule le signale à Crépol à la fin de cette même année, mais est-ce que cela signifie qu’il a quitté définitivement la Tunisie ? Ce n’est que le 4 septembre 1909 qu’il est noté comme étant domicilié à l’« Hôtel de France » de Saint-Marcellin, domiciliation confirmée le 19 juillet 1912.

Le 29 mai 1911, il épouse, à Saint-Marcellin, Adeline Pélagie Roche. Il restera encore deux ans à l’« Hôtel de France » puisque la première guerre entraîne sa re-mobilisation à dater du 5 août 1914, immédiatement après le décret de mobilisation générale en date du 1er août 1914. Blessé à deux reprises à Sainte-Marie-aux-Mines et à Bischwiller (Bas-Rhin), toujours demeuré simple soldat, il est démobilisé le 23 février 1919 et se retire à Saint-Marcellin. Sept ans et demi de sa vie auront été consacrés à la défense de notre pays.

A dater de février 1919, Joseph Thomé reprend sa place comme cuisinier de l’« Hôtel de France », et ne la quitte qu’après la démobilisation et le retour à Saint-Marcellin de René Guttin, en novembre 1922.

A quelle date Joseph Thomé ouvre-t-il son hôtel rue Saint-Laurent ? Sans plus de précision, cela se passe entre 1922 et 1926 puisque le recensement de 1926, ainsi que la « liste électorale » de 1931, signalent dans cette rue Saint-Laurent, la présence de Joseph Thomé, hôtelier, de Pélagie Thomé, son épouse et de Pierre Thomé, leur fils unique âgé de 14 ans, car né en 1912. Joseph décède le 6 octobre 1938, il n’a que 57 ans. Son épouse, Pélagie, décède quatre ans plus tard, le 11 octobre 1942, à 53 ans. Ce n’est pas leur fils Pierre qui prend la suite de ses parents à leurs décès puisqu’il est successivement clerc de notaire, assureur et banquier. Par contre, Catherine Vanzo, qu’il a épousé le 26 juin 1936, à Saint-Marcellin, travaille à l’hôtel mais bien peu de temps puisqu’elle décède en 1947, à l’âge de 36 ans.

Elle est la fille de Jean Vanzo et de Margherite Tomasi, tous deux probables immigrés italiens, lui étant employé de la Manufacture de poils pour la chapellerie à Saint-Marcellin. Sur son acte de mariage, Catherine Vanzo est née le 25 juillet 1910 à Gottschee, en Yougoslavie. Gottschee est le nom allemand de la ville de Kočevje, dans l’actuelle Slovénie, car en 1910, la ville à dominante germanophone fait partie de l’Empire austro-hongrois. Ce n’est qu’en 1918 qu’elle est rattachée au Royaume slave de Yougoslavie.

En outre, sur son acte de mariage, Catherine Vanzo est dite domiciliée à Saint-Marcellin et à Solagna, en Italie.

Sur la droite, Joseph Thomé

Cet hôtel se distingue des autres hôtels saint-marcellinois par son parc, largement valorisé par une carte postale de l’époque, un parc situé entre la rue Saint-Laurent et le cours Vallier, ouvert sur les jardins des pépinières Guillot. C’est là que la famille Serf s’installe en juillet 1943, après un bref arrêt à l’« Hôtel de France ». Elle n’y reste pas longtemps puisque la famille Cattot lui loue une villa au 9 de la rue du Mollard, villa qu’elle occupe jusqu’à son retour à Paris, en octobre 1945, avant que leur fille Monique devienne Barbara. (http://francois.faurant.free.fr/biographie/barbara_biographie.htm).

L’hôtel-café-restaurant à l’enseigne « Nouvel Hôtel », ou « Hôtel Thomé » est vendu à René Enfantin, originaire de Saint-Lattier, le 1er juin 1962 (BODACC-16/06/1962-page 11539). Deux ans plus tard, le 1er mai 1964, l’enseigne de l’hôtel est modifiée pour devenir « Hôtel du Parc » (BODACC 1964-page 7663). Ce changement de nom se veut une référence à Vichy, la ville de naissance de l’épouse de René Enfantin. C’est d’ailleurs dans cette ville que René Enfantin décède en décembre 2009. Quant à l’hôtel, il est vendu à la SARL « Hôtel du Parc » le 1er juin 1974.

Contributions et sources

Les références relatives aux informations émises par ce travail sont généralement insérées au fur et à mesure dans le texte.

Les Archives Départementales de l’Isère et les Archives Municipales de Saint-Marcellin (Etat-civil et Cadastre Napoléonien 4P4-411) ont été abondamment mises à contribution.

Une mention très exceptionnelle doit être réservée à Simone Guttin, dernière représentante de la lignée des Guttin, restaurateurs et hôteliers propriétaires de l’« Hôtel de France », laquelle a suivi avec attention et critique l’avancée de notre travail.

Sont à citer également : Catherine Guerry, Marguerite Tomasi, « Gilou » Marchand,

Les membres de Groupe Rempart, association patrimoniale de Saint-Marcellin, sont remerciés des précisions et renseignements apportés lors des interrogations de l’auteur, notamment Marina Bertrand et Marc Ellenberger.

Jean BRISELET, membre de Groupe Rempart

15 novembre 2024