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Une France éparpillée par petits bouts, façon puzzle

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L’ouvrage, passionnant, même s’il est parfois un peu rébarbatif à lire, est signé de Jérôme Fourquet et s’intitule « L’archipel français ». La thèse est la suivante : la victoire de Macron aux dernières élections présidentielles n’est en aucun cas le fait d’un hasard, d’un accident ou d’un bienheureux concours de circonstances. Elle est le résultat d’une explosion de ce qui faisait l’unité de la France, c’est à dire une opposition solide entre la gauche et la droite que ce soit pour des raisons de « classes » ou pour de motifs d’affrontement idéologique.
En fait, d’autres ciments existaient derrière cette structuration apparente et notamment, en tout premier lieu, la croyance et la pratique religieuses, assimilables en général à une pratique de droite, souvent toutes classes confondues.
Puis de multiples autres clivages se sont manifestés, « d’ordre éducatif, géographique, social, générationnel, idéologique, ethnoculturel, engendrant autant d’îles et d’îlots plus ou moins étendus et s’ignorant les uns les autres: l’archipel français. Dans cette société disloquée, il est devenu impossible de concevoir la moindre coalition large qui puisse avoir la capacité de représenter une synthèse à peu près globale des intérêts particuliers au service d’un intérêt collectif.
Outre la quasi disparition de la pratique religieuse (catholique en général), l’auteur décrit les déstructurations suivantes de notre société : multiplicité des types de structures familiales, IVG, reconnaissance de l’homosexualité, tatouage et véganisme, dans le domaine anthropologique.
Parallèlement à l’effondrement de l’église de Rome, il note celui de l’église rouge communiste. La montée d’une culture anglo-saxonne, l’importance nominale des populations issues de l’immigration et leur implantation géographique, le choix de l’école, la sécession des élites, le sous-développement social et culturel des zones péri-urbaines et/ou semi-rurales, le déclassement des banlieues et quartiers sensibles, tout ceci concourant à l’archipelisation de la France. Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau, mais de l’aboutissement d’une somme de ruptures initiées parfois depuis plusieurs dizaines d’années. Cet aboutissement explique d’une part le succès d’Emmanuel Macron qui a su rassembler les urbains, CSP+, sur-imprégnés culturellement, intégrés aux cursus économiques et sociaux, lesquels se sont retrouvés face … aux autres, dans un nouvel affrontement avec les multiples îlots sans qu’aucune force idéologique ne puisse initier la moindre synthèse. Le mouvement des « gilets jaunes » en est une magistrale démonstration, mouvement dans lequel des opinions d’extrême-droite et d’extrême-gauche peuvent se retrouver sur un rond-point et disserter en compagnie d’artisans, de petits chefs d’entreprises, de zadistes, sur les moyens de faire démissionner le président tout en distribuant, presque de concert, des tracts contre l’IVG et des appels au RIC !

Jérôme Fourquet a publié son livre en mars 2019, à une époque où le scrutin européen du 26 mai n’était pas encore d’actualité. Aujourd’hui, l’énumération des listes qui ont été en présence n’est qu’une illustration parfaite de ses propos. Jugez-en, voici les noms officiels des 34 listes en présence, assortis de quelques commentaires.
L’ordre n’est pas officiel, ni alphabétique.
1 – « Prenez le pouvoir, liste soutenue par Marine Le Pen », une première liste d’extrême-droite, tentant de racoler les « gilets jaunes ».
2 – « Renaissance, soutenue par la République en Marche, le MoDem et ses partenaires ».
3 – « Union de la droite et du centre », une liste soutenue par Les Républicains.
4 – « Europe Ecologie », soutenue par EELV, une première liste écologique.
5 – « La France insoumise », soutenue par LFI à l’évidence et qui ne place pas l’Europe au devant de ses préoccupations, si l’on en croit le titre de liste retenu.
6 – « Envie d’Europe écologique et sociale », soutenue par le PS, Nouvelle Donne,Place Publique et le Parti Radical, une seconde liste faisant appel aux convictions écologiques.
7 – « Le courage de défendre les Français, avec Nicolas Dupont-Aignan. Debout la France ! – CNIP », une liste de droite (extrême), plaidant pour le retrait de la France de l’Europe, le rejet de l’euro et le protectionnisme.
8 – « Pour l’Europe des gens contre l’Europe de l’argent ». Cette liste conduite par le PCF fait curieusement référence à une expression typée de Jean-Luc Mélenchon: « les gens ».
9 – « Liste citoyenne du Printemps européen avec Benoît Hamon soutenue par Génération.s et DeME-DiEM 25 ». un regroupement de fragments de la gauche non communiste.
10 – « Les Européens », liste conduite par l’UDI.
11 – « Lutte ouvrière – Contre le grand capital, le camp des travailleurs ». Liste présentée par Lutte Ouvrière.
12 – « Ensemble pour le Frexit », présentée par l’Union Populaire Républicaine, encore une liste de droite extrême, anti-européenne comme l’indique le nom de la liste, et favorable au RIC en toutes matières.
A ce niveau de l’inventaire, nous avons globalement fait le tour de l’offre politicienne traditionnelle. Et douze listes, c’est déjà beaucoup pour couvrir un spectre politique classique. Mais voici venir la dispersion et l’archipelisation !
13 – « Alliance jaune, la révolte par le vote ». C’est la première des listes regroupant des « gilets jaunes », conduite par le chanteur Francis Lalanne, déjà contesté par d’autres « gilets jaunes » et qui se veut exclusive du mouvement.
14 – « Evolution citoyenne », une seconde liste de « gilets jaunes », extrêmement orientée à l’extrême-droite, favorable à une Europe des nations et au RIC, qui compare Emmanuel Macron à Hitler et qui reçoit en France le dirigeant italien du mouvement 5 Etoiles. Tout un programme !
15 – «  »Ensemble patriotes et Gilets jaunes : pour la France, sortons de l’union européenne ! » ». Encore une liste d’extrême-droite, revendiquant une alliance avec les « gilets jaunes » et défendant la sortie de l’Europe par la France. Sa tête de liste est un transfuge de l’ex-Front National.
16 – « Une France royale au cœur de l’Europe ». Liste présentée par l’Alliance Royale et porteuse d’un projet de restauration d’une monarchie institutionnelle, indépendante des partis.
17 – « La Ligne claire ». Cette liste d’extrême-droite, présentée par Le Parti de l’In-nocence et Souveraineté, Identité et Liberté, entend dénoncer l’islamisation de la société et organiser la « remigration ». Sa tête de liste est l’auteur de la théorie du « grand remplacement ».
18 – « Parti Pirate ». Comme les autres Partis Pirate européens, le programme est centré sur la défense des libertés individuelles et de la vie privée.
19 – « Démocratie représentative ». Il s’agit d’une liste issue des quartiers d’Aulnay sous Bois (dont Jérôme Fourquet, dans son ouvrage, dresse une radiographie), prônant un rapprochement entre les banlieues et les « gilets jaunes », un rapprochement qui, jusqu’à ce jour, n’est absolument pas intervenu.
20 – « PACE – Parti des citoyens européens », issu d’un parti européen transnational, prônant le fédéralisme, l’économie équitable et la diplomatie pacifique.
21 – « Urgence Ecologie ». Une nouvelle liste écologique soutenue par Génération Ecologie, le Mouvement Ecologiste Indépendant et le Mouvement des Progressistes.
22 – « Liste de la reconquête », présentée par le Mouvement de la Dissidence Française, un mouvement d’extrême-droite qui dénonce l’islamisation et le « grand remplacement », ainsi que la bureaucratie bruxelloise.
23 – « Pour une Europe qui protège ses citoyens ». Liste présentée par le Parti Fédéraliste Européen, authentique parti européen avec des sections nationales, dont le but premier est de créer une Europe fédérale.
24 – « Mouvement pour l’initiative citoyenne ». Liste inspirée par les « gilets jaunes », la troisième se réclamant spécifiquement de ce mouvement, composée de membres tirés au sort et dont l’unique élément de programme est l’instauration du RIC à tous les échelons de la société au niveau national et européen.
25 – « Allons enfants », présentée par le Parti de la Jeunesse, défenseur d’une Europe solidaire, écologique, durable. Ce parti présente un riche catalogue, non dénué d’intelligence.
26 – « Décroissance 2019 », soutenue par le Parti pour la décroissance, elle défend le RIC et … la décroissance.
27 – « À voix égales », une liste qui « veut faire de l’égalité hommes-femmes la clé de voûte d’un nouveau système » et « porter la voix de toutes ces femmes opprimées, violentées, harcelées ».
28 – « Neutre et actif », afin de lutter contre l’abstention !
29 – « Parti révolutionnaire Communistes », liste marxiste composée de transfuges du PCF à qui est reproché l’abandon de la lutte des classes.
30 – « Espéranto – langue commune équitable pour l’Europe », soutenue par Europe Démocratie Espéranto, déjà vieux parti européen et fédérateur (2003).
31 – « Parti animaliste », comme son nom l’indique … parti défendant les animaux.
32 – « Les oubliés de l’Europe », présentée par un collectif d’artisans, de commerçants, de professions libérales qui souhaitent défendre l’Europe du « savoir-faire ».
33 – « Union démocratique pour la liberté, égalité, fraternité ». Un mouvement favorable à une Europe fédérale.
34 – « Une Europe au service des peuples », présentée par l’Union des Démocrates Musulmans de France. La thématique de base vise à lutter contre l’islamophobie. Cependant, il est légitime de regretter la mise en évidence de l’islam au sein d’une démarche qui se veut démocratique dans une société laïque.

Et l’on a raté Civitas, la défense du cannabis, les Comités Jeanne, le NPA et tant d’autres encore dont le seul motif de retrait est le manque de financement.

Chacun d’entre nous connaît désormais les résultats. Onze listes, dont celle du Parti Animaliste se sont hissées au-delà de 2 % des suffrages exprimés. Toutes les autres, soit 23 listes, n’ont pas recueilli plus de 450000 voix au total, les six dernières se figeant à 0,05 % des voix, soit un nombre d’électeurs allant de 3280 à 1414 ! Quel faramineux gaspillage de temps, d’énergie, d’argent, de paroles sans signification et sans intérêt pour la plupart ! Et tout ceci parce que les démocrates musulmans ne se sont pas entendus avec les oubliés de l’Europe, qui ne se sont pas entendus avec les espérantistes, qui ne se sont pas entendus avec les opposants à l’abstention, etc … etc … Il ne s’agit pas de stigmatiser quiconque, mais bien de constater que chacun, chacune, ne s’intéresse désormais plus qu’à sa chapelle et n’a plus aucun souci d’une vision commune et d’un avenir commun de notre pays.
Quant au « gilets jaunes », n’en parlons même pas. Ils devaient révolutionner notre pays et à trois listes officielles, ils ne recueillent même pas 130 000 voix. Un « flop » retentissant ! Alors, pour qui ont-ils voté ? A l’évidence, pas pour les Insoumis dont le leader Mélenchon doit se contenter d’à peine plus de 6 % des voix. Ont-ils voté massivement pour la liste du Rassemblement National, ce que nombre de commentateurs (et nous également) redoutions ? Ce n’est pas certain. En effet, si la liste du Rassemblement National se place en tête, avec ses 23,33 % de votants, cela ne représente que 5,3 millions d’électeurs. Certes, mieux qu’aux Européennes de 2014 (4,7 millions d’électeurs), mais dans un scrutin qui a eu moins d’abstentionnistes : 57,57 % en 2014 contre 49,88 % ce mois-ci. Sans doute, nombre de « gilets jaunes » ont voté pour la liste RN, trouvant peut-être pour la première fois le chemin des urnes, les autres s’étant encore abstenus, comme à l’ordinaire. Leur apport essentiel à cette élection européenne est surtout d’avoir mobilisé davantage les Français alors que personne ne l’avait envisagé. Pour le reste, l’expression politique s’est répartie sur des offres classiques, même si certaines d’entre elles ont perdu beaucoup de leur aura (Socialistes, Républicains, Insoumis….). De fait, cette absence d’expression spécifique aux « gilets jaunes » est totalement « normale ».

(DR)


Gallimard vient de publier un ouvrage remarquable, qui apporte un éclairage très fort non pas sur les « gilets jaunes » qui y sont à peine évoqués à deux ou trois reprises, mais sur le développement rapide du populisme de droite comme de gauche, en France et en Italie, non sans oublier le reste de l’Europe, voire les Etats-Unis, mais de façon marginale.
Il s’agit de « Peuplecratie, la métamorphose de nos démocraties », un livre écrit par Ilvo Diamanti et Marc Lazar, publié en Italie en 2018, sous le titre de « Popolocrazia, la metamorfosi delle nostre democrazie » et publié en France courant mars 2019. Ce travail approfondi et riche d’un appendice de notes et d’une bibliographie conséquente, aborde successivement la définition du populisme, la diversité des populismes mais également leurs bases communes, le populisme français, le populisme italien, les raisons du populisme et, pour conclure, le constat de la métamorphose de la démocratie en peuplecratie.
« Fondamentalement pragmatique et opportuniste, capable d’afficher des positions inconsistantes et contradictoires, le populisme a néanmoins quelques traits communs »:

  • « Un ensemble assez primitif de croyances simples et efficaces qui forment système ». Ce système repose sur quelques questions-réponses élémentaires : qu’est-ce qui ne va pas ? Qui en est le coupable ? Que faut-il faire qui soit simple et évident ?
  • « Ces croyances sont avant tout fondées sur l’exaltation du peuple et l’appel continu à celui-ci ». Ce qui cristallise ce peuple est l’opposition radicale au système, aux élus, aux représentants, aux corps intermédiaires, à tous ceux qui organisent la société, aux médias classiques (presse et radio), à tous ceux qui sont accusés, à tort ou à raison de « profiter », d’être des « puissants », des « gros », des « intellectuels », …
  • « Parce que ce peuple est tenu comme souverain, le populisme se fait le héraut de la nation et de ses racines ». Et cela entraîne inévitablement des comportements racistes, xénophobes, antisémites, et le sentiment que l’immigration et l’islam sont des menaces, attitudes qui viennent se surajouter à une hostilité constante à l’égard de la construction européenne (Frexit pour certains, « reconstruction » de l’Europe des patries pour d’autres).
  • « On voit donc apparaître la démocratie immédiate », celle qui se passe de réflexion, de projection dans le temps, de procédures et de consultations, celle qui utilise à outrance le web et les réseaux sociaux (la facebookratie) afin de manipuler, sous couvert d’émotion, le peuple, faisant de l’internet une place publique « contre » la démocratie représentative (notamment par le RIC) et ceux qui en sont les tenants : élus, institutions et journalistes.

    A n’en pas douter, la démarche insurrectionnelle des « gilets jaunes » s’inscrit totalement dans cette peuplecratie. Se pose alors une question très rarement abordée depuis bientôt trente semaines. Face à la démarche de destruction de la démocratie représentative, celle-ci a-t-elle le droit de se défendre ?
    Il ne s’agit aucunement de justifier ici les violences que certains membres des forces de l’ordre ont pu commettre. Mais bien de justifier le fait que la démocratie libérale et représentative puisse résister contre celles et ceux qui veulent « expulser les élites », « renverser le pouvoir », instaurer une démocratie illibérale en multipliant les violences verbales, politiques et physiques. Cependant si elle peut le faire au moyen des outils du maintien de l’ordre, elle se doit de le faire surtout et avant tout par son action politique.

    A ce sujet, qu’il nous soit permis de reprendre les derniers mots du livre de Diamanti et Lazar.
    « La peuplecratie se développe et se faufile un peu partout. Au cours de son histoire, la démocratie représentative et libérale a du reste déjà cédé à certains assauts, comme entre les deux guerres du siècle dernier. Mais en même temps, elle a su réagir, affronter d’autres défis, car elle conserve une remarquable capacité de résistance, ou plutôt, d’adaptation.Mais à la condition que les partisans de la démocratie -représentative et libérale- réussissent à analyser et à comprendre les changements qu’elle traverse, à faire la preuve de sa capacité à répondre aux demandes et aux aspirations des populations – désorientées, inquiètes, parfois même désespérées. A la condition donc que les partisans de la démocratie sachent offrir aux citoyens les garanties et les protections qu’ils attendent, en refondant le pacte social…… Les chantiers ouverts par la réforme de nos démocraties sont donc vastes et divers, exigeants. Ils requièrent des sujets à la hauteur de ces défis. Conscients que, au cas où nous ne parviendrions pas à les relever, la peuplecratie s’affirmerait, inexorablement. Pour changer en profondeur nos démocraties, leurs principes mêmes, leurs « fondements fondamentaux », sans qu’il nous soit possible de prévoir, ou même d’imaginer, quels dénouements et quelles perspectives nous attendent. »

PS: Tous reconnaîtront l’origine de l’expression contenue dans le titre de ce post: « Les Tontons Flingueurs », texte de Michel Audiard.

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Qui sont les Gilets Jaunes: Troisième partie

Quelques mauvaises pensées, quelques actions funestes.

Certains commentateurs (toujours!) ont cru invoquer une main-mise tardive du Rassemblement National pour expliquer certaines attitudes et certains comportements éminemment racistes. Il n’en est rien ! Lors des premiers échanges que nous avons eu avec une délégation de « gilets jaunes », en seconde quinzaine de novembre, il nous a été dit que « certains, dans les quartiers, savaient bien ne pas travailler et profiter des prestations du système », et que « l’on nous traite de racistes parce que l’on parle de limiter l’immigration ». C’est également à cette période que certaines femmes portant le foulard ont été insultées sur les rond-points. Et c’est le 22 novembre que les occupants d’un rond-point de la Somme ont remis à la police des migrants cachés dans un camion-citerne.

Ce genre de réflexions est encore présent sur les pages des réseaux sociaux. On peut y lire que si les jeunes des quartiers ne sont pas venus rejoindre les « gilets jaunes », c’est parce que, eux, bénéficient des aides et des financements de l’Etat.

Les choses ne se sont pas arrangées avec la rumeur orchestrée autour du Pacte de Marrakech.

Après le racisme, l’antisémitisme ! Laissons parler Robert Hirsch dans son blog de Médiapart, en date du 25 décembre. « Or, ce samedi, il y eut un gros problème sur les marches du Sacré-Cœur à Paris. Un groupe non négligeable de GJ faisait la quenelle antisémite de Dieudonné, l’un d’entre eux au moins faisant même le salut nazi. Le même jour, dans le métro, des Gilets jaunes, éméchés, insultaient une vieille dame qui leur avait demandé de cesser le geste ignoble de la quenelle. Quelques jours plus tôt, une banderole ciblait des responsables juifs. Tout cela montre qu’une partie du mouvement, certes minoritaire et sans doute inspirée par l’extrême droite, confond le rejet d’un système injuste avec la désignation d’un bouc-émissaire, toujours le même depuis si longtemps ».

Actuellement, c’est au tour des journalistes d’être les cibles de la vindicte du « peuple ». L’exemple vient de loin, de Mélenchon qui a appelé à « pourrir les journalistes » au mois d’octobre.

La liste des fausses infos relayées à satiété sur les réseaux des « gilets jaunes » s’étoffe de jour en jour, l’une des dernières dénonçant la présence de CRS étrangers parmi nos forces de l’ordre.

Cette dernière affirmation rejoint un commentaire de certain leader (Fly Rider) qui n’hésite pas à proclamer que « des militants sont prêts à mourir pour la cause » et qu’une « insurrection armée se prépare »! Interrogeons-nous ; comment un militant peut-il mourir pour la cause ? En étant tué par les forces de l’ordre ? Après les avoir provoquées ? Cette manipulation vise à susciter la « création » d’un martyr. Rappelez-vous, en date du 25 avril 2018, lors de l’évacuation de Tolbiac, la rumeur reprise par les organes d’extrême-gauche (et même Marianne !) déclarant qu’un étudiant « était entre la vie et la mort ».
Une expression revient sans cesse lorsque les « gilets jaunes » sont interrogés sur leurs lieux de rassemblement: « Nous ne cèderons rien. Nous irons jusqu’au bout ». La question est: « C’est quoi le bout ?, c’est où le bout ?, c’est quand le bout ? ». Nul n’en sait rien. Le Grand Débat sera-t-il à même de faire évoluer la situation ?

Il est temps de conclure.

Populaire, peut-être, le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas un mouvement qui s’inscrit dans la tradition des luttes politiques et syndicales. Hétérogène, il rassemble des individuels que rapproche une même situation de déclin social. Nul affrontement de classe, mais une forte dénonciation de privilèges (réels ou fantasmés) ou de revenus exorbitants dont bénéficierait une « élite ».

A ce jour, le mouvement n’a été rejoint ni par les organisations syndicales, ni par les plus pauvres qu’eux, malgré que certains aient rêvé d’un « soulèvement » des quartiers. Et il n’y a toujours aucune organisation permettant une synthèse des revendications et un portage de celles-ci vers le Gouvernement.

Il faut donc appeler les choses pour ce qu’elles sont et par leur nom.

Le mouvement des « gilets jaunes » est probablement spontané, c’est à dire qu’il n’y a pas eu d’appel de la part d’une organisation et de préparation du terrain, en sous-main, par celle-ci. Par contre, il y eu une accrétion extraordinairement rapide de l’ensemble des forces qui ont voté contre Emmanuel Macron au 1er tour des Présidentielles et qui n’ont pas pris part au « 3° tour » suscité par les organisations syndicales lors des manifestations contre le statut de la SNCF.

Cette accrétion explique la double expression des revendications et des mots d’ordre venant le l’extrême-gauche (LFI) et de l’extrême-droite (RN) et structure le caractère insurrectionnel du mouvement. Le but, aujourd’hui comme voici neuf semaines, n’est pas d’obtenir des avantages, mais bien de renverser le gouvernement, par la violence s’il le faut.

L’ensemble de la classe politique est tétanisé par ce mouvement. Le PS est inaudible. Le PC également. La droite, les Républicains, se tait après que son Président ait commis trop de bévues. EELV flirte avec la naïveté. Les syndicats restent silencieux. Inutile de préciser que cette atonie ne relève pas d’une volonté présidentielle, mais bien d’une incapacité totale de chacun de ces mouvements (exception faite de la CFDT) à comprendre ce qui se passe.
Et pourtant, il faudra bien en sortir. Et par le haut si possible.

Dans quatre mois, ce seront les élections européennes. Les mêmes idées qui conduisent le mouvement des « gilets jaunes » vont se coaguler pour dénoncer l’Europe, réclamer un frexit, un retour à la monnaie nationale. Le Parlement européen va être constitué en majorité d’élus … europhobes. Belle originalité !
RN et LFI se préparent. Un seul, strictement un seul, point les sépare : l’attitude à l’égard de l’immigration et de l’accueil des réfugiés et migrants. Absolument rien ne garantit que cette digue ne se rompra pas ici ou là, ouvrant la perspective d’un rapprochement rouge-brun ! Ainsi, une situation comparable à celle de l’Italie se créerait. A la collusion entre « 5 Stelle » et la « Lega », viendrait s’adjoindre une collusion RN et LFI. Marine Le Pen en rêve, même si elle dit que cela est impossible à cause des positions islamo-gauchistes de Mélenchon !

Est-ce vraiment ce que nous voulons ?

(Ce texte a été rédigé le 15 janvier 2019.)

Additif au 17 mars 2019.

La décrue des manifestants jaunes se manifestait progressivement depuis quelques semaines.
Patatras ! les évènements parisiens du samedi 16 mars remettent à vif les craintes de collusion rouge-brun des agitateurs du mouvement des gilets jaunes.
En bref, le 13 février, Priscilla Ludovsky a publié sur sa page Facebook un entretien « électronique » avec des membres des Black Bloc. Il en ressort une idée forte. « les violences ne sont que le résultat logique de la politique violente de notre gouvernement ». Comme par hasard, cette expression a été reprise à maintes et maintes occasion ce samedi 16 mars lors des rapides interviews réalisées par les journalistes, à commencer par les complaisants correspondants du « Monde » et notamment cette antienne répétée à de multiples reprises: « Les black blocs avant ils faisaient peur à tout le monde, maintenant on trouve que c’est un plus. C’est eux qui font avancer les choses, nous, on est trop pacifistes ». « On a pris conscience qu’il n’y a que quand ça casse qu’on est entendu… Et encore même quand on casse tout on ne nous entend pas ». « C’est génial que ça casse, parce que la bourgeoisie est tellement à l’abri dans sa bulle, qu’il faut qu’elle ait peur physiquement, pour sa sécurité, pour qu’ils lâchent ».
A la fois très voisins et pourtant à l’autre extrémité de l’échiquier politique, il y a les identitaires d’extrême-droite. Et Victor Lenta et ses paramilitaires servant de service d’ordre aux gilets jaunes, ou Christophe Chalançon qui reçoit Luigi di Maio, Vice-Président du Conseil italien.
Il importe de savoir que tous les gilets jaunes sont les complices non seulement des violences commises par ces deux factions, mais des développements graves et insurrectionnels qui peuvent subvenir.

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Qui sont les Gilets Jaunes. Deuxième partie

Fin du monde contre fin du mois.

Mi-novembre, alors que débutait la contestation des « gilets jaunes », Le Monde a publié sur une double page rouge et strictement illisible, précédée d’un titre de 10 cm sur trois colonnes en première page, un inventaire de toutes les catastrophes qui attendaient l’humanité. Une interview d’un spécialiste australien soulignait le fait que nous sommes tous, peu ou prou, climatosceptiques.

A cette date, 75 % des français déclaraient indispensables d’agir pour l’écologie et l’environnement, tandis que 75 % des français accordaient leur compréhension à un mouvement naissant, largement centré sur la voiture, le coût du gazole ou celui du contrôle technique, au point que les militants se distinguaient par le port du gilet jaune et que leurs points de rendez-vous se situaient sur les rond-points et à proximité des super-marchés.
Cela nous fait-il 50 % des français qui sont schizophrènes, qui veulent bien parler écologie, mais à la condition que cela ne leur coûte rien et que cela ne change rien à leurs habitudes ?

Cette dichotomie s’est amplifiée encore lors du décompte des signataires respectifs des pétitions en faveur du mouvement de contestation ou en faveur de l’action en justice introduite par des associations écologistes. Les seconds arrivant à faire mieux que les premiers.

Quoi que puissent en dire les quelques dizaines de militants EELV qui ont recherché une convergence entre les deux mouvements au début du mois de décembre, celle-ci est strictement impossible et inimaginable. Pour deux raisons. La première est celle du désintérêt réel de la majorité des manifestants jaunes pour les questions écologiques. Les motifs et les caractéristiques de leurs manifestations en témoignent, les listes de leurs revendications classées par ordre de priorité également. Ils ont demandé la suppression de la taxation écologique sur les carburants et non son remplacement par un autre prélèvement sur une autre couche de la population. La seconde raison est propre aux écolos particulièrement divisés sur cette question, les uns demeurant en faveur d’une fiscalité écologique et les autres favorables à une décroissance voulue. D’un coté comme de l‘autre, rien pour séduire les « gilets jaunes », sans compter une forte méfiance à l’égard des idées d’extrême-droite.

Contre l’impôt.


« Supprimez les taxes ». « Arrêtez de nous taxer comme des porcs ». « Rendez-nous l’argent des taxes ». Voilà quelles étaient les slogans en première période. Tout cela au motif initial que le carburant avait augmenté beaucoup trop vite et beaucoup trop fort. Un argumentaire vite oublié face à la baisse du prix à la pompe des essences.

Quoi qu’il en soit, la question fiscale est au cœur des débats des rond-points. Et ceci avec un tel évident simplisme qu’il est bien difficile d’argumenter. Faut-il rappeler que la France est certes le pays européen où la pression fiscale est la plus forte ? 48,4 % du PIB, alors que la moyenne européenne se situe à 40,2 % (Grande Bretagne incluse) et que la moyenne de la zone euro se situe à 41,4 % (Le Point-29/11/2018) ? A l’inverse, faut-il rappeler que la France est également championne d’Europe en matière de redistribution (oui, une partie des impôts est faite pour être redistribuée!) ? 24 % des impôts et taxes sont consacrés à la protection sociale, contre 15,7 % seulement pour l’Allemagne. A ce stade, faut-il rappeler que toute baisse de la pression fiscale devra nécessairement être compensée par une baisse de la redistribution (ce que Macron appelle le « pognon de dingue »!) ? Ou par une hausse des prélèvements auprès des plus riches répondront les « gilets jaunes » en invoquant le cas de l’ISF ; Or, l’ISF n’a jamais été supprimé, mais concentré sur la propriété immobilière. Quant à son efficacité, il est un peu tôt pour en juger et le gouvernement a promis que cela serait fait.

Dénoncer l’impôt, dénoncer les taxes, dénoncer la pression fiscale sans aucune proposition annexe, cela relève de l’agitation et ne peut tenir lieu de position politique.

Un dernier point reste à souligner. Parmi les « Gilets jaunes » nombreux à se plaindre de ne pas terminer le mois, combien sont-ils à payer l’impôt direct ? Pour information, seulement 42,4 % des foyers fiscaux paient un impôt, c’est à dire beaucoup moins que la simple moitié des ménages.

Contre la représentation « démocratique ».

Nous ne nous attarderons pas sur le rejet violent des élus et des membres du Gouvernement. Mais nous parlerons de ce RIC dont l’idée n’a pas jaillie spontanément de l’esprit des « gilets jaunes ». Tout comme la notion de « coup d’Etat » évoquée dans la première partie, cette idée vient de loin et a été instillée dans les propos des pages Facebook. Et si nous avons placé « démocratique » entre guillemets, c’est bien pour signifier que nous ne faisons pas du système représentatif actuel le nec plus ultra de la démocratie. Nous sommes tout à fait convaincus, par exemple, que les élus peuvent être soumis (et céder) à des pressions diverses en provenance de tous horizons ou secteurs économiques et politiques. Mais nous ne pensons pas que des représentants tirés au sort échapperaient à ce risque. Par ailleurs, leur nombre toujours réduit ne sauraient en faire des représentants du peuple qui ne les aurait pas désignés.

Le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) repose sur une idée défendu par l’un des artisans du projet ci-dessus : Etienne Chouard. Cet Etienne Chouard est actuellement l’un des penseurs qui irrigue le plus les échanges des « gilets jaunes ». Drôle de personnage, aux confins de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite (il est celui que n’aime pas trop Clémentine Autain!), fréquentant Thierry Meyssan ou Alain Soral « celui qui a tiré le front National à gauche » (!!). Favorable au retrait de la France de l’Europe, entre autres afin de reprendre la maîtrise de la monnaie, il défend avec acharnement le RIC qu’il a présenté le 8 décembre dernier lors d’un entretien de plusieurs heures sur le site de Fly Rider (Maxime Nicolle), l’un des porte-paroles des « gilets jaunes ». Il doute de la nature des auteurs, voire de la réalité des attentats du 11 septembre (il n’est pas seul ; c’est également le cas des pipoles Marion Cotillard et Juliette Binoche!). Tout récemment, il vient de traiter Emmanuel Macron de « gredin, voleur, criminel ». Qu’en termes choisis les choses sont dites !
Le RIC prétend s’inspirer du référendum suisse : les fameuses votations. Cependant, à l’écoute d’Etienne Chouard, il est permis de douter de cette filiation.
Tout d’abord, il existe une différence énorme entre la France et la Suisse: celle de la tolérance et du consensus qui rythment la vie politique en Suisse.
Etienne Chouard voit le RIC comme étant législatif (définir une loi), abrogatif (annuler une loi), constituant (modifiant la constitution) et révocatoire (destituant un élu). De plus, il devrait permettre de se prononcer sur les traités internationaux.

En suisse, le référendum, inscrit dans la Constitution depuis 1848, est utilisé pour recueillir l’avis des citoyens sur une proposition de modification de la Constitution soumise par le Parlement, pour accepter ou rejeter une proposition de modification constitutive soumise par 100000 citoyens, ou lorsque 50000 signatures sollicitent l’abrogation d’une loi. En aucun cas, un référendum n’est révocatoire ! En aucun cas, les citoyens ne peuvent proposer une nouvelle loi ! La collecte des signatures s’effectue en 100 ou 180 jours et nécessite donc une mise en œuvre que seules des structures politiques solides sont à même de réaliser. Toutes ces signatures sont validées et le Parlement se prononce sur la validité de la proposition et se réserve éventuellement la possibilité de rédiger une contre-proposition.

Pour exemple, le prochain référendum suisse (10 février 2019) portera sur la thématique suivante: « Initiative populaire du 21 octobre 2016 Stopper le mitage – pour un développement durable du milieu bâti (initiative contre le mitage) » . On notera avec intérêt que le principe de cette initiative populaire a été arrêté le …21 octobre 2016, soit voici 28 mois !

Les propositions actuelles des « gilets jaunes » vont infiniment plus loin puisqu’elles envisagent la révocation des élus, l’acceptation ou le rejet de traités internationaux, le rejet de certaines lois, … C’est ainsi que peine de mort, droit à l’avortement, droit au mariage pour tous pourraient en être les sujets … et les victimes. Une question importante se pose également ; celle de la méthode de recueil des signatures. Les réseaux sociaux ne sauraient en être le lieu, au risque de créer une Facebookratie !

(La première version de ce texte a été rédigée le 15 janvier 2019.)

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Qui sont les Gilets Jaunes. Première partie

Préambule

Voici que dure depuis plus de deux mois le mouvement de contestation des « gilets jaunes ». Après avoir semblé décroître aux abords des fêtes de fin d’année, le voici qui reprend un peu de vigueur et surtout qui se radicalise de plus en plus et s’oriente vers les actions violentes.

Depuis deux mois, innombrables sont les commentaires, mais rares sont les points de vue qui ne s’appuient pas sur une analyse plus ou moins partisane. C’est ainsi que de nombreux commentaires, dans la presse ou à la télévision, n’ont pas manqué de débuter par des formules définitives du genre « nous voici parvenus au terme du capitalisme, au moment de son effondrement » ou encore « ce que portent les gilets jaunes, c’est la sanction de trente à quarante années de ségrégation sociale » , voire « ce mouvement homogène relève de la lutte des classes » !

Avant que de commencer par des affirmations qu’il nous faudra étayer, nous allons plutôt remonter en arrière et tenter de comprendre ce mouvement. En nous posant successivement les questions suivantes : qui sont-ils ? Qui étaient-ils voici deux mois et qui sont-ils aujourd’hui ? Quels ont été leurs thèmes successifs de revendication ? Hostilité au Président ? Niveau de vie ? Quel rapport avec l’écologie, le fameux dilemme « fin du monde vs fin du mois » ? Leur position à l’égard de la fiscalité, les impôts directs ou indirects ? Leur position quant à la vie démocratique, les élus et le fameux RIC ? Sans oublier quelques pensées tristes comme le racisme, l’antisémitisme ou autres penchants condamnables. Enfin, nous nous interrogerons sur la signification du « nous irons jusqu’au bout, nous ne lâcherons rien », et sur le futur Grand Débat National, avant de tirer quelques conclusions.

Qui sont-ils ?

Qui sont ces « gilets jaunes » ? Ne soyons pas caricatural, ni méprisant à leur égard. Ce ne sont pas vraiment des ruraux, mais des néo-ruraux, des habitants depuis quelques décennies des zones rurales ou péri-urbaines, qui vivent à l’écart des centres économiques et des lieux de décision, qui se sentent abandonnés par les services sociaux et sociétaux, qui s’estiment déclassés, sans avenir clairement identifié pour eux et pour leurs enfants. Peu solidaires, ils se ressentent comme étant sur les marges de la société, n’ont guère de vie culturelle et encore moins associative. S’ils appartiennent à une association, c’est bien souvent à titre de consommateur, pour une activité qu’ils pratiquent ou, surtout, que les enfants pratiquent. En d’autres lieux, d’autres temps, nous les aurions qualifié d’individualistes. La presse souligne parfois les signes de fraternité qui se manifestent sur les rond-points, voire même la rencontre de l’amour ; que n’étaient-ils sortis plus tôt de chez eux pour aller à la rencontre du monde !

Professionnellement, ils sont auto-entrepreneurs, patrons de petites entreprises de transport, de messagerie, exploitants agricoles, patrons d’entreprises de travaux forestiers, maraîchers, aides à domicile, infirmières libérales, aide-soignants, retraités de ces catégories, routiers de petites entreprises, … Ce sont globalement des gens qui sont réfractaires, voire hostiles, à toute hiérarchie salariale et qui préfèrent se lancer dans leur propre auto-entreprise ou vivre dans un métier qui autorise une liberté individuelle non négligeable, comme pour les livreurs ou routiers. Au total, ils ne sont nullement représentatifs d’une classe ouvrière au sens traditionnel.

Economiquement, ils ne vivent pas « en ville », mais sur les marges de celle-ci, mais pas en banlieue. Leur cadre de vie est celui du lotissement périphérique, ou du village situé à quelques kilomètres. La voiture leur est un outil indispensable, sans lequel la scolarité des enfants, les déplacements domicile-travail, les achats au supermarché, ne pourraient se réaliser. Ils ne sont pas clients des magasins ou de boutiques de centre ville, mais du centre commercial le samedi ou le dimanche. Il est extrêmement difficile d’estimer le revenu moyen d’un foyer fiscal de « gilets jaunes ». Il est sans doute assez bas mais proche, voire un peu au-dessus de la moyenne nationale du revenu fiscal par unité de consommation. Il est cependant très loin du revenu identifié dans les quartiers Politique de la Ville (proche de 10 000€/UC). Ce qui rend quelque peu excessive la complainte du « frigo vide dès le 10 du mois » !

Politiquement, ce sont tout d’abord les opposants à Emmanuel Macron, les « battus » des élections présidentielles d’il y a 18 mois, les sympathisants de Marine Le Pen, ceux également de Jean-Luc Mélenchon, mais ce sont, surtout et avant tout, ceux qui se sont abstenus par hostilité à la « politique ». Plus de 85 % d’entre eux n’ont jamais vu l’ombre d’un syndicaliste ou d’une expression syndicale. Pour preuve, ils ne se sont pas reconnus dans le 3° tour des élections que fut la longue grève de la SNCF, portée par les syndicats et certaines forces de gauche. Ce sont également des déçus du nouveau septennat, très probablement des retraités. Tout cela formait, surtout au début du mouvement un rassemblement disparate, absolument pas homogène, bien loin d’être issu de la classe ouvrière et très difficilement assimilable à une forme plus ou moins nouvelle de la lutte des classes, leur adversaire n’étant nullement le patronat (dont beaucoup font partie), mais bien davantage le Gouvernement, les élus, et la fiscalité.

Il est un roman, le récent Goncourt 2018, « Leurs enfants après eux », de Nicolas Mathieu, qui décrit de façon parfaite ce monde naufragé qu’ont tenté de décrire plusieurs sociologues ou urbanistes en soulignant la fracture entre ville et périphérie, l’usage de la voiture obligatoire, la déstructuration commerciale des centres urbains, l’absence de moyens de transports ou de services collectifs. Tout cela est bel et bien vrai, mais faut-il uniquement considérer que cet état de fait est lié aux politiques d’aménagement du territoire ? Ou bien faut-il nuancer en sachant que l’individualisme de ces populations relevait aussi d’un choix de vie, celui de la maison hors de la ville, de son bout de terrain, de sa petite piscine souvent, des deux voitures pour elle et pour lui ? Tout cela s’est effondré avec la crise …

En ce début 2019, la nature sociologique des « gilets jaunes » évolue : les retraités deviennent moins nombreux, tandis que certains « militants » dont nous aurons à reparler prennent le dessus. Il est à constater également que les jeunes, qu’ils soient des banlieues ou des zones périphériques, sont absents du mouvement.

Une virulente opposition à E. Macron

(DR)

Cette analyse sociologique ne suffit pas à expliquer pourquoi et comment quelques appels à la jacquerie, lancé sur Facebook, ont pu rencontrer un tel écho.
La première des revendications consiste à réclamer la démission d’Emmanuel Macron, en le chargeant de tous les maux et en le menaçant textuellement de lui couper la tête comme cela a été fait lors de la Révolution Française. Emmanuel Macron est chargé de bien plus que d’être le « président des riches », il est accusé d’être un monarque. Sans doute y est-il un peu pour quelque chose, au travers de certaines de ses déclarations qui, peut-être maladroites, ont été reprises et déformées par les réseaux sociaux et par la presse qui n’a jamais remis les choses en perspective.

Prenons l’exemple des « fainéants »: ce ne sont pas les français qui ont été taxés de ce qualificatif, mais les prédécesseurs de Macron : Hollande, Sarkozy, Chirac, Mitterrand, … lesquels ont toujours cédé aux pressions de tous ceux qui refusaient le changement.

Prenons l’exemple de « ceux qui ne sont rien »: Macron a utilisé cette expression devant un parterre de start-upeurs, afin de leur faire comprendre que leur réussite d’aujourd’hui ne pouvait durer qu’avec le travail et l’attention, au risque demain de n’être rien, abandonnés qu’ils seront par les lumières et la gloire de la réussite.

Prenons l’exemple du traverser la rue pour trouver un emploi »: sans doute mal exprimée, il s’agit cependant d’une évidence tant le nombre d’emplois non satisfaits est important, et la phrase complète de Macron le précise parfaitement en parlant de restaurateurs à la recherche de personnels.

Tout comme pour le « président des riches », le mépris a été très largement instrumentalisé par les réseaux sociaux et la presse. Pour ne citer que Le Monde, ce quotidien a, pendant des mois, évoqué le nouveau Président dans les articles de Cédric Pietralonga par une périphrase parlant de « l’ancien banquier » !

La « vaisselle de l’Elysée » ou la « piscine » de Brégançon ont également été utilisées comme repoussoirs. Alors que la première n’est qu’une commande de l’État faite à l’État, puisque la Manufacture de Sèvres est une Manufacture d’État, et que la seconde ne dépasse pas la valeur d’une belle piscine en province (34000 €).

Un autre argument pour réclamer la démission d’Emmanuel Macron est soutenu par l’affirmation qu’il s’est coupé de tous les corps intermédiaires. Vrai et faux, lorsque l’on rappelle que les syndicats, à l’exception de la CFDT, se sont rapidement engagés dans un 3° tour social. De leur coté, les élus, conduits par le Président Larcher, se sont mobilisés contre les projets de révision constitutionnelle. Difficile dans ces conditions de jouer son rôle d’intermédiaire !
En fait, il y a beaucoup plus important et plus grave et cela remonte de bien plus loin. Lors de la campagne présidentielle, alors que nous distribuions des tracts pour Macron, nous avions été interpellé par une jeune femme qui avait violemment manifesté son opposition en comparant le candidat à la présidentielle à …. Arturo Ui ! Cette assimilation intellectuelle nous avait interloqué. Cette comparaison s’étant à nouveau produite lors de récents débats à propos des « gilets jaunes », nous avons cherché à en savoir davantage.

« networkpointzero », tel est le nom du blog de gauche radicale qui a publié le 24 mars 2017 un billet intitulé « 2017, le coup d’Etat », dans lequel l’auteur (Piga?) cite nommément Jean-Pierre Jouyet, Hollande, les « Gracques », Pisani-Ferry, Cohn-Bendit et Macron au cœur d’une liste interminable de conspirateurs européistes et atlantistes cherchant à prendre le pouvoir. On y lit cette phrase : « Cette ascension (celle de Macron), pour le moins épique, rappelle étrangement la pièce de théâtre « La Résistible Ascension d’Arturo Ui » de Bertolt Brecht…(à voir ou à lire impérativement). En conclusion de ce texte, Hervé Kempf (Reporterre) déclare « les classes dirigeantes nous font entrer dans un régime oligarchique, où un groupe de personnes contrôlant les pouvoirs politique, économique et médiatique, délibèrent entre eux puis imposent leurs choix à la société. Or l’oligarchie actuelle cherche avant tout à maintenir sa position privilégiée. A cette fin, elle maintient obstinément le système de valeurs organisé autour de la croissance matérielle et de la surconsommation – un système qui accélère notre entrée dans la crise écologique. L’heure du choix de société a sonné … ». Ce post de blog a été largement repris par de nombreux autres sites de l’ultra-gauche ainsi que … de la droite extrême ! Il se retrouve également sur la page Facebook de Eric Drouet.

(La première version de ce texte a été rédigée le 15 janvier 2019.)