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Qui sont les Gilets Jaunes. Première partie

Préambule

Voici que dure depuis plus de deux mois le mouvement de contestation des « gilets jaunes ». Après avoir semblé décroître aux abords des fêtes de fin d’année, le voici qui reprend un peu de vigueur et surtout qui se radicalise de plus en plus et s’oriente vers les actions violentes.

Depuis deux mois, innombrables sont les commentaires, mais rares sont les points de vue qui ne s’appuient pas sur une analyse plus ou moins partisane. C’est ainsi que de nombreux commentaires, dans la presse ou à la télévision, n’ont pas manqué de débuter par des formules définitives du genre « nous voici parvenus au terme du capitalisme, au moment de son effondrement » ou encore « ce que portent les gilets jaunes, c’est la sanction de trente à quarante années de ségrégation sociale » , voire « ce mouvement homogène relève de la lutte des classes » !

Avant que de commencer par des affirmations qu’il nous faudra étayer, nous allons plutôt remonter en arrière et tenter de comprendre ce mouvement. En nous posant successivement les questions suivantes : qui sont-ils ? Qui étaient-ils voici deux mois et qui sont-ils aujourd’hui ? Quels ont été leurs thèmes successifs de revendication ? Hostilité au Président ? Niveau de vie ? Quel rapport avec l’écologie, le fameux dilemme « fin du monde vs fin du mois » ? Leur position à l’égard de la fiscalité, les impôts directs ou indirects ? Leur position quant à la vie démocratique, les élus et le fameux RIC ? Sans oublier quelques pensées tristes comme le racisme, l’antisémitisme ou autres penchants condamnables. Enfin, nous nous interrogerons sur la signification du « nous irons jusqu’au bout, nous ne lâcherons rien », et sur le futur Grand Débat National, avant de tirer quelques conclusions.

Qui sont-ils ?

Qui sont ces « gilets jaunes » ? Ne soyons pas caricatural, ni méprisant à leur égard. Ce ne sont pas vraiment des ruraux, mais des néo-ruraux, des habitants depuis quelques décennies des zones rurales ou péri-urbaines, qui vivent à l’écart des centres économiques et des lieux de décision, qui se sentent abandonnés par les services sociaux et sociétaux, qui s’estiment déclassés, sans avenir clairement identifié pour eux et pour leurs enfants. Peu solidaires, ils se ressentent comme étant sur les marges de la société, n’ont guère de vie culturelle et encore moins associative. S’ils appartiennent à une association, c’est bien souvent à titre de consommateur, pour une activité qu’ils pratiquent ou, surtout, que les enfants pratiquent. En d’autres lieux, d’autres temps, nous les aurions qualifié d’individualistes. La presse souligne parfois les signes de fraternité qui se manifestent sur les rond-points, voire même la rencontre de l’amour ; que n’étaient-ils sortis plus tôt de chez eux pour aller à la rencontre du monde !

Professionnellement, ils sont auto-entrepreneurs, patrons de petites entreprises de transport, de messagerie, exploitants agricoles, patrons d’entreprises de travaux forestiers, maraîchers, aides à domicile, infirmières libérales, aide-soignants, retraités de ces catégories, routiers de petites entreprises, … Ce sont globalement des gens qui sont réfractaires, voire hostiles, à toute hiérarchie salariale et qui préfèrent se lancer dans leur propre auto-entreprise ou vivre dans un métier qui autorise une liberté individuelle non négligeable, comme pour les livreurs ou routiers. Au total, ils ne sont nullement représentatifs d’une classe ouvrière au sens traditionnel.

Economiquement, ils ne vivent pas « en ville », mais sur les marges de celle-ci, mais pas en banlieue. Leur cadre de vie est celui du lotissement périphérique, ou du village situé à quelques kilomètres. La voiture leur est un outil indispensable, sans lequel la scolarité des enfants, les déplacements domicile-travail, les achats au supermarché, ne pourraient se réaliser. Ils ne sont pas clients des magasins ou de boutiques de centre ville, mais du centre commercial le samedi ou le dimanche. Il est extrêmement difficile d’estimer le revenu moyen d’un foyer fiscal de « gilets jaunes ». Il est sans doute assez bas mais proche, voire un peu au-dessus de la moyenne nationale du revenu fiscal par unité de consommation. Il est cependant très loin du revenu identifié dans les quartiers Politique de la Ville (proche de 10 000€/UC). Ce qui rend quelque peu excessive la complainte du « frigo vide dès le 10 du mois » !

Politiquement, ce sont tout d’abord les opposants à Emmanuel Macron, les « battus » des élections présidentielles d’il y a 18 mois, les sympathisants de Marine Le Pen, ceux également de Jean-Luc Mélenchon, mais ce sont, surtout et avant tout, ceux qui se sont abstenus par hostilité à la « politique ». Plus de 85 % d’entre eux n’ont jamais vu l’ombre d’un syndicaliste ou d’une expression syndicale. Pour preuve, ils ne se sont pas reconnus dans le 3° tour des élections que fut la longue grève de la SNCF, portée par les syndicats et certaines forces de gauche. Ce sont également des déçus du nouveau septennat, très probablement des retraités. Tout cela formait, surtout au début du mouvement un rassemblement disparate, absolument pas homogène, bien loin d’être issu de la classe ouvrière et très difficilement assimilable à une forme plus ou moins nouvelle de la lutte des classes, leur adversaire n’étant nullement le patronat (dont beaucoup font partie), mais bien davantage le Gouvernement, les élus, et la fiscalité.

Il est un roman, le récent Goncourt 2018, « Leurs enfants après eux », de Nicolas Mathieu, qui décrit de façon parfaite ce monde naufragé qu’ont tenté de décrire plusieurs sociologues ou urbanistes en soulignant la fracture entre ville et périphérie, l’usage de la voiture obligatoire, la déstructuration commerciale des centres urbains, l’absence de moyens de transports ou de services collectifs. Tout cela est bel et bien vrai, mais faut-il uniquement considérer que cet état de fait est lié aux politiques d’aménagement du territoire ? Ou bien faut-il nuancer en sachant que l’individualisme de ces populations relevait aussi d’un choix de vie, celui de la maison hors de la ville, de son bout de terrain, de sa petite piscine souvent, des deux voitures pour elle et pour lui ? Tout cela s’est effondré avec la crise …

En ce début 2019, la nature sociologique des « gilets jaunes » évolue : les retraités deviennent moins nombreux, tandis que certains « militants » dont nous aurons à reparler prennent le dessus. Il est à constater également que les jeunes, qu’ils soient des banlieues ou des zones périphériques, sont absents du mouvement.

Une virulente opposition à E. Macron

(DR)

Cette analyse sociologique ne suffit pas à expliquer pourquoi et comment quelques appels à la jacquerie, lancé sur Facebook, ont pu rencontrer un tel écho.
La première des revendications consiste à réclamer la démission d’Emmanuel Macron, en le chargeant de tous les maux et en le menaçant textuellement de lui couper la tête comme cela a été fait lors de la Révolution Française. Emmanuel Macron est chargé de bien plus que d’être le « président des riches », il est accusé d’être un monarque. Sans doute y est-il un peu pour quelque chose, au travers de certaines de ses déclarations qui, peut-être maladroites, ont été reprises et déformées par les réseaux sociaux et par la presse qui n’a jamais remis les choses en perspective.

Prenons l’exemple des « fainéants »: ce ne sont pas les français qui ont été taxés de ce qualificatif, mais les prédécesseurs de Macron : Hollande, Sarkozy, Chirac, Mitterrand, … lesquels ont toujours cédé aux pressions de tous ceux qui refusaient le changement.

Prenons l’exemple de « ceux qui ne sont rien »: Macron a utilisé cette expression devant un parterre de start-upeurs, afin de leur faire comprendre que leur réussite d’aujourd’hui ne pouvait durer qu’avec le travail et l’attention, au risque demain de n’être rien, abandonnés qu’ils seront par les lumières et la gloire de la réussite.

Prenons l’exemple du traverser la rue pour trouver un emploi »: sans doute mal exprimée, il s’agit cependant d’une évidence tant le nombre d’emplois non satisfaits est important, et la phrase complète de Macron le précise parfaitement en parlant de restaurateurs à la recherche de personnels.

Tout comme pour le « président des riches », le mépris a été très largement instrumentalisé par les réseaux sociaux et la presse. Pour ne citer que Le Monde, ce quotidien a, pendant des mois, évoqué le nouveau Président dans les articles de Cédric Pietralonga par une périphrase parlant de « l’ancien banquier » !

La « vaisselle de l’Elysée » ou la « piscine » de Brégançon ont également été utilisées comme repoussoirs. Alors que la première n’est qu’une commande de l’État faite à l’État, puisque la Manufacture de Sèvres est une Manufacture d’État, et que la seconde ne dépasse pas la valeur d’une belle piscine en province (34000 €).

Un autre argument pour réclamer la démission d’Emmanuel Macron est soutenu par l’affirmation qu’il s’est coupé de tous les corps intermédiaires. Vrai et faux, lorsque l’on rappelle que les syndicats, à l’exception de la CFDT, se sont rapidement engagés dans un 3° tour social. De leur coté, les élus, conduits par le Président Larcher, se sont mobilisés contre les projets de révision constitutionnelle. Difficile dans ces conditions de jouer son rôle d’intermédiaire !
En fait, il y a beaucoup plus important et plus grave et cela remonte de bien plus loin. Lors de la campagne présidentielle, alors que nous distribuions des tracts pour Macron, nous avions été interpellé par une jeune femme qui avait violemment manifesté son opposition en comparant le candidat à la présidentielle à …. Arturo Ui ! Cette assimilation intellectuelle nous avait interloqué. Cette comparaison s’étant à nouveau produite lors de récents débats à propos des « gilets jaunes », nous avons cherché à en savoir davantage.

« networkpointzero », tel est le nom du blog de gauche radicale qui a publié le 24 mars 2017 un billet intitulé « 2017, le coup d’Etat », dans lequel l’auteur (Piga?) cite nommément Jean-Pierre Jouyet, Hollande, les « Gracques », Pisani-Ferry, Cohn-Bendit et Macron au cœur d’une liste interminable de conspirateurs européistes et atlantistes cherchant à prendre le pouvoir. On y lit cette phrase : « Cette ascension (celle de Macron), pour le moins épique, rappelle étrangement la pièce de théâtre « La Résistible Ascension d’Arturo Ui » de Bertolt Brecht…(à voir ou à lire impérativement). En conclusion de ce texte, Hervé Kempf (Reporterre) déclare « les classes dirigeantes nous font entrer dans un régime oligarchique, où un groupe de personnes contrôlant les pouvoirs politique, économique et médiatique, délibèrent entre eux puis imposent leurs choix à la société. Or l’oligarchie actuelle cherche avant tout à maintenir sa position privilégiée. A cette fin, elle maintient obstinément le système de valeurs organisé autour de la croissance matérielle et de la surconsommation – un système qui accélère notre entrée dans la crise écologique. L’heure du choix de société a sonné … ». Ce post de blog a été largement repris par de nombreux autres sites de l’ultra-gauche ainsi que … de la droite extrême ! Il se retrouve également sur la page Facebook de Eric Drouet.

(La première version de ce texte a été rédigée le 15 janvier 2019.)