Bien que publié, fin 2012, par L’Harmattan dans sa collection « Intelligence stratégique et géostratégique », ce texte n’est pas un essai de plus à propos de la situation politique qui prévalait au Nord-Mali et qui est (peut-être) à l’origine de la situation actuelle. Non, il s’agit d’un récit dont nous avons d’ailleurs déjà parlé ici, en novembre 2009 (Cocaïne-à-Gao), longtemps avant qu’il soit publié. Et qui dit récit, dit histoire vraie, histoire inscrite dans la réalité. Jacques Da-Rocha ne raconte pas autre chose qu’une partie de la vie de sa fille Mélanie. Mélanie est une jeune fille née entre deux voyages, presqu’entre deux valises, son enfance et son adolescence ont été scandées par les déplacements de ses parents: Europe, Maghreb, Proche-Orient … et voilà qu’à 19 ans, c’est de ses propres ailes qu’elle veut découvrir le monde et choisit pour cela un voyage initiatique en Afrique noire et plus particulièrement au Burkina Faso, en passant par le Sahara Occidental et le Mali.
Parce que Mélanie se trouve être également une fille sensée, généreuse, ouverte sur le monde et ses habitants, ce voyage se traduira par une insertion profonde au coeur du Nord-Mali, à Gao très exactement. Elle fera tout pour conduire ses études en joignant celles-ci à son nouvel engagement: c’est ainsi que sa maîtrise de géographie sera consacrée à l’étude des populations arabes dans cette région sahélienne. A Gao, elle rencontrera l’amour, vivra quasiment comme une autochtone dans un petit carré en banco, frôlant la misère avant de trouver un emploi dans une ONG italienne. Le récit raconte d’une façon directe et très linéaire les découvertes successives de Mélanie; le Burkina Faso, le Niger au nord d’Agadez, l’Algérie de Tamanrasset, ainsi que tous les déplacements en équilibre sur la légalité stricte que réalise son ami arabe. L’ensemble nous donne une image honnête et fidèle de cette région et de ses populations qui ont les plus grandes difficultés à vivre, qui sont éloignées de tous les services les plus élémentaires, qui sont ignorées des administrations et qui, de plus, ont à vivre un lourd passé de divisions qui fait que la solidarité inter-ethnique n’est pas évidente. L’histoire se termine (temporairement ?) en 2012 alors qu’un certain capitaine putschiste renverse le pouvoir à Bamako et que le MNLA, puis les combattants djihadistes, prennent successivement Kidal, Tombouctou, puis Gao. Et Mélanie est contrainte de rentrer en France, un jeune nourrisson dans les bras, alors que son ami reste à Gao. Gao dont les populations fuient vers d’autres contrées où elles auront encore plus de faim et encore moins de sécurité. Plutôt que de rester sur les analyses toutes identiques que notre presse ressasse à longueur de magazines écrits ou parlés, parce que sévèrement contrôlées par le gouvernement et les armées, il vous faut lire ce petit livre tout simple, parce qu’il vous raconte une autre histoire et ouvre sur d’autres outils de compréhension des évènements.
A noter qu’il existe une version « livre électronique » que vous pouvez acquérir auprès de L’Harmattan (http://www.editions-harmattan.fr/).
Et se poursuit la guerre au Mali … tandis que s’élaborent chaque jour de nouvelles fables. Curieuse guerre que cette guerre où il n’y a pas de victimes (en tout cas, on ne nous les montre pas!), pas de prisonniers (ah si, un, hier soir!), pas d’images à l’exception des images officielles servies complaisamment par la presse et la TV. Qu’est-ce qu’on aura pu le voir, ce ravitaillement en vol des Rafales. Avec ça, si on n’arrive pas à le vendre … Plus sérieusement, voici près d’un mois on nous parlait de 5 à 6000 combattants djihadistes, prêts à fondre sur Bamako. Aujourd’hui, le chiffre est ramené, de façon plus réaliste, à 800 ou 1000. On nous parlait de centaines de djihadistes venus du Proche-Orient, d’Afrique Occidentale, voire pour certains d’Europe. Désormais, il n’en est rien, à quelques dizaines d’individus près. On nous parlait de centaines de combattants occupant les villes et les villages, 400 rien qu’à Diabali. Où sont-ils ? On nous parlait de colonnes de pick-up, plusieurs centaines, transportant ces troupes. Où sont-ils ? Les photos « autorisées » nous montre toujours le même 4X4 cramé sous la savane, le même dépôt de bus incendié et vide, le même poste de police bombardé et vide. Diabali était vide de combattants, Gao était vide de combattants, Tombouctou était vide de combattants, Kidal était vide de combattants. Où sont-ils ? Réfugiés dans le Massif des Ifoghas ? Peut-être, mais sans doute pas des milliers, ni des centaines, et quand l’armée y arrivera ils n’y seront plus ! Passés en Libye, en Algérie, plus loin encore … Ce qui prouve bien que ce n’est pas la guerre qu’il convient de conduire là-bas. 3000 hommes, 4000 hommes ne feront rien de mieux qu’une opération de police qui aurait pu être rondement menée avec l’appui de l’ONU. François Hollande s’est rendu sur place au meilleur moment. Le staff des faucons du gouvernement fait bien les choses. Il a prononcé un discours dans lequel l’émotion a pris le dessus, donc un discours décousu et peu élaboré, avant tout destiné à lancer les phrases et les mots susceptibles de galvaniser les foules françaises comme africaines et de maintenir leur adhésion. Comme le « »plus beau jour de ma vie politique » », alors que nous, Français, croyions bêtement que ce jour était celui de son élection au poste de président. Ou comme la « guerre contre le terrorisme », figure de style généraliste épargnant toute réflexion, surtout quand 74% des Français considèrent les musulmans comme intolérants et 44% extrémistes. Ou encore comme le « juste rendu à l’Afrique de son aide lors des deux dernières guerres mondiales », une pensée un peu tardive et qui, de façon subliminale, voudrait faire passer la lutte contre le terrorisme à l’égal de la lutte contre le nazisme. Mais François Hollande s’est bien gardé d’aborder le fond des problèmes, la suite des événements, le rôle de la France, l’avenir du Mali.
Avant de parler de cet aspect, soulignons que les lignes évoluent quelque peu. Bien évidemment, les commentaires des lecteurs dans la presse et sur Internet restent majoritairement favorables à cette intervention, « parce qu’il fallait bien faire quelque chose contre ces terroristes qui violent les filles, coupent les pieds et les mains et détruisent le patrimoine historique et religieux ». Bien évidemment … Citons Michel Onfray. Il reprend à son compte une analyse de Michel Collon, journaliste belge parfois contestable, mais en l’occurrence le jugement est lucide. Cacher les intérêts économiques derrière ce conflit, présenter l’intervention comme une réponse à un appel à l’aide, diaboliser l’adversaire, empêcher le débat ou ignorer les opinions contraires, voilà les caractères principaux d’une manipulation de l’information. Il est un fait que nul n’entend les opinions opposées à cette guerre. Par exemple, l’opinion d’Aminata Traoré, résolument contre l’intervention française et dont on a déjà parlé ici (Quand-parle-Aminata-Traoré-…).
Citons, dans Le Monde daté de ce jour, la libre opinion d’Olivier Roy, Directeur d’Etudes à l’EHESS, qui considère que la stratégie française est « »vaine et absurde » ». A l’inverse, notre classe politique reste toujours aussi bornée et soumise. Sans doute les leaders de la droite et de la gauche « classique » attendent-ils que des événements moins fastes se produisent et leur permettent de libérer leur parole. Mais enfin, quand on entend dire que la critique de l’intervention n’est pas à l’ordre du jour parce que nos forces armées sont engagées, c’est pousser un peu loin la soumission ! Nos forces armées sont engagées parce que le Chef des Armées l’a décidé. Sans débat démocratique. Les forces armées exécutent le travail qui leur est prescrit et elles doivent le faire de la meilleure façon, dans le respect des droits de l’homme et des lois de la guerre. Point. Mais critiquer les choix politiques qui ont conduit à cet engagement, ce n’est pas critiquer les forces armées, c’est critiquer les hommes politiques qui nous conduisent. Le débat démocratique devrait avoir lieu. Si la durée de l’intervention armée excède quatre mois, soit après le 10 mai, le Parlement devra être saisi pour en autoriser la prolongation. Souhaitons qu’à l’occasion le jugement de notre classe politique soit plus varié, plus critique, plus constructif aussi. A ce propos, il existe une pétition en ligne (http://www.petitions24.net/stop_guerre_au_mali_-_des_choix_pour_la_paix), généreuse pétition qui reçoit bien peu de signatures. Ses motivations sont un peu trop vagues puisque les auteurs se satisfont de ne réclamer que la paix, ce qui ne suffit pas. Cependant, une récente évolution dans les propos aborde le sujet de ce prochain débat parlementaire.
Etre constructif ? C’est mettre en place, au Mali, les conditions d’un vrai dialogue. Et ce ne sera pas facile. Le Président intérimaire du Mali refuse ce dialogue avec les Touaregs tout comme il refuse une éventuelle relève par des Casques Bleus. Mohamadou Issoufou, Président du Niger, prend déjà ses marques et refuse un dialogue avec le MNLA parce qu’il n’est « pas représentatif des Touaregs ». Peut-on choisir ses interlocuteurs lorsque l’on doit négocier ? Ou bien doit-on négocier avec tous ceux qui le veulent bien, qui le demandent ? La question touarègue sera très rapidement au cœur de la question malienne, puisque les islamistes radicaux auront disparu dans les sables, ceci même si Bamako ne veut pas en entendre parler. Il faudra bien l’aborder dans un sens démocratique et laïc. Il faudra bien dissiper toutes les illusions dangereuses de séparatisme et de tri ethnique. Il faudra bien réaliser que l’autodétermination des Touaregs n’a aucun sens dans une région où ils ne sont pas majoritaires. Il faudra bien qu’une police et une administration non corrompues se mettent en place. Il faudra bien que des représentants élus de toutes les communautés : Peuls, Songhaïs, Touaregs, Arabes .. apprennent à travailler ensemble et incitent les populations à vivre ensemble.
Voilà quel est l’enjeu et ce n’est pas la multitude militaire française et africaine qui fera cela. Non, ce sont les Maliens seuls, tous les Maliens.
« Que les chèvres se battent entre elles dans l’enclos est préférable à l’intermédiation de l’hyène« .
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