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Livres et lectures

Kairo Jacobi, juste avant l’oubli

C’est un roman, “Kayro Jacobi, juste avant l’oubli“, écrit par Paula Jacques (http://fr.wikipedia.org/wiki/Paula_Jacques) (Mercure de France, 2010). D’inspiration largement autobiographique parce que l’auteure est née en Egypte et qu’elle en a été chassée, enfant, avec ses parents. Elle est alors allée vivre, seule, en Israël quelques années avant de venir en Europe.

Cet essai relate l’histoire d’un réalisateur juif qui fait des films à succès, des films emplis de jeunes gens amoureux, de familles qui se déchirent, de puissants qui se trompent les uns les autres, bref le cinéma conquérant d’Hollywood sur Nil, celui dont j’ai pu parler ici (Alexandrie-Un-cinéma-coquin). Ce créateur populaire se trouve confronté à la montée de l’islamisme, à la prise du pouvoir par les Frères Musulmans et Mohamed Naguib, enfin au renversement de celui-ci par Nasser et à la nationalisation du Canal de Suez. Les juifs doivent partir, les juifs sont accusés de conspirer contre le pays et de s’enrichir sur le dos du peuple. Un intellectuel minable, dogmatique et parvenu, transformé en fonctionnaire zélé, se fait de Kayro son ennemi numéro un. Et, qu’il le veuille ou non, l’ »assassine » en quelque sorte, tant il le traque, le prive de ses biens et de ses œuvres et le pousse à l’erreur (la banale erreur ou faute humaine) qui le précipitera dans le Nil avec sa voiture, où il mourra.

Ce beau roman, absolument pas nostalgique, mais triste devant le gâchis de l’histoire, nous interroge sur l’Egypte et son avenir, au travers d’un pan de son vécu.Une histoire qui se poursuit encore actuellement: les récentes élections législatives ont servi à repousser les Frères Musulmans, sans doute au prix de quelques années encore de stagnation pour le peuple.

(C)Paula Jacques-Mercure de France

Les juifs sont aujourd’hui totalement inexistant en Egypte, combien sont-ils ? Une dizaine ? Deux dizaines ? Des vieux accrochés à ce qu’ils considèrent comme leur terre puisque la première communauté juive en Egypte date de six siècles avant JC.

Régulièrement des affrontements ont lieu au Caire, à Alexandrie, à Assouan ou à Minia avec une autre communauté; celle des Coptes qui, eux, peuvent prétendre être les vrais descendants des égyptiens du temps des pharaons. La crise économique aidant, les difficultés du pouvoir en place, la nécessité de “donner des gages” à des foules en colère, tout cela obligera-t’il, tôt ou tard, les Coptes à partir à leur tour ?

En ce siècle de difficultés économiques, écologiques, sociales, culturelles, le repli sur soi et la fermeture de sa porte sont devenus des valeurs sûres. Et rien ne sert de critiquer l’Egypte ou même la Suisse qui, comme prévu (Renvoi-des-étrangers), a voté pour le renvoi des étrangers accusés d’un crime ou d’une tromperie à l’égard des services sociaux, sorte de double peine contraire aux conventions européennes. Comme le reste de l’Europe, la Suisse devient xénophobe.

Les écologistes radicaux de chez nous, ceux qui se sont réunis à Cancon (http://blog.cancon2010.org/post/2010/11/Programme-provisoire) par exemple, ne sont pas plus ouverts, eux qui « récusent » (dans un même sac)  »les migrants (http://biosphere.ouvaton.org/index.php?option=com_content&view=article&id=344:migrations&catid=53:m&Itemid=73) à la recherche d’emploi ou les touristes à la recherche de sensations, car le droit de se déplacer selon son désir individuel empiète sur les capacités de la Biosphère ». A Cancon, ils se sont réunis pour protester contre les lignes ferroviaires à grande vitesse et pour faire des ateliers de gastronomie régionale.

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Photographie

Faux et usage de faux en photographie

Le récent “Visa pour l’image » (Ma-photo-de-la-semaine-35-:-vipère) de Perpignan s’est penché sur les modifications que la technique moderne permet d’apporter FACILEMENT à une photographie après sa prise de vue (Photoshop, GIMP, …). J’affirmais alors qu’il n’y avait vraiment rien de nouveau sous le soleil puisque le tirage argentique, en N et B ou en couleurs, permettait déjà toutes les modifications possibles. La seule vérité d’une image est celle de son auteur. Et si cet auteur fait du photo-journalisme, sa vérité doit se doubler d’une conscience de journaliste et de témoin. La suppression ou l’addition de personnages, la modification du cadre, du décor, du contexte, voilà toutes choses inacceptables.

L’Egypte vient de nous donner un remarquable exemple de ce qu’est cette forme de censure et de travestissement de la vérité. Elle l’a fait comme le bloc soviétique savait si bien le faire au temps du stalinisme et de la guerre froide.

Voici l’image publiée par le quotidien “Al Ahram” et montrant Moubarak entraînant à sa suite Obama et les leaders israélien, palestinien et jordanien. Cette photo est censée avoir été prise à la maison Blanche, dans le cadre des actuelles négociations sur l’avenir de la Palestine.

Négociations sur le Proche-Orient-FAUX

Cette photo est un faux. Voici la vraie (http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-11313738), prise le 1er septembre à la Maison Blanche. Moubarak n’est plus le leader de ces négociations: bien au contraire il semble à la traîne ! L’opposition a souligné à quoi pouvait « s’abaisser le média corrompu d’un régime corrompu » et la photo a disparu du site web d’Al Ahram.

Négociations sur le Proche-Orient-VRAI (C)Getty Images

Il n’en reste pas moins qu’un organe de presse et les hautes personnalités qui le contrôlent peuvent, en 2010, tenter de tromper leurs lecteurs et, au-delà, la population d’un pays. Comme du temps de Staline ! Tout ça pour sauver la réputation d’un leader !

Pour boucler le post: une remarque sur laquelle “Visa pour l’image” devrait bien se pencher. Si l’on connait l’agence qui a diffusé la photo originale, on n’en connait pas l’auteur. Et connaître l’auteur d’une photographie est plus important que de savoir si celui-ci a effacé une ombre disgracieuse ou amélioré le contraste de son image !

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Immigration

Un été pourri

A la fin d’un été pourri, au cours duquel la France, mais aussi les USA, mais aussi Israël, et tant d’autres pays “occidentaux” encore, se singularisent dans leurs luttes contre les immigrants, pourquoi ne pas faire part de deux dépêches, peu publiées et donc peu commentées, qui témoignent que rien ne change ?

L’AFP et RFI (http://www.rfi.fr/afrique/20100816-nouveau-drame-immigration-clandestine-le-desert-algerien) ont diffusé cette information reprise par quelques agences africaines.

« Douze ressortissants africains, candidats à l’émigration clandestine en Europe, sont morts de soif dans le désert algérien. D’après les deux survivants, dont le chauffeur, qui sont parvenus à revenir au Nord-Mali, leur camion est tombé en panne entre la frontière algérienne et la ville de Tamanrasset, et ils se sont vite retrouvés à court d’eau et de nourriture. »

 »Les personnes décédées étaient trois Camerounais, trois Maliens, deux Ivoiriens, deux Sénégalais, un Gambien et un Guinéen. »

 »Selon les deux survivants, le groupe a quitté la ville malienne de Kidal à destination de l’Algérie où ils sont entrés illégalement. Entre la frontière algéro-malienne et la ville de Tamanrasset, le camion est tombé en panne en plein désert. »

« Privées d’eau et de nourriture, à bout de force, douze personnes n’ont pas survécu à ce périple dans le désert a raconté Ahmed, un chauffeur-transporteur de clandestins, très connu dans le milieu entre le Mali et l’Algérie. »

 »Malgré les risques permanents de faim, de soif et d’agression, le trajet entre le nord du Mali et l’Algérie reste l’une des routes les plus prisées par les candidats à l’émigration clandestine vers l’Europe. »

 »Mamadou Diakité, président de l’Association des initiatives de développement au Mali, une association qui vient en aide aux migrants africains à Bamako, et les sensibilise aux difficultés du voyage vers l’Europe estime qu’il y a eu « un relâchement dans les activités de prévention et qu’il faut offrir une alternative crédible à ceux qui prennent le risque de partir ».

Désert de Tamarasset (C)Str/AFP

« Six migrants érythréens ont été tués le 13 août à la frontière israélo-égyptienne alors qu’ils tentaient de rallier Israël. Quatre d’entre eux sont tombés sous les balles des passeurs et deux autres ont été tués par la police égyptienne. Ces décès portent à 28 le nombre de migrants tués depuis le début de l’année dans cette zone, théâtre de violences. La plupart des victimes viennent du Soudan, d’Ethiopie, d’Erythrée, et 24 d’entre elles ont été abattues par la police égyptienne. »

 »Depuis un peu plus d’un an les Erythréens constituent le principal flux de l’exode vers la Terre promise. Leur odyssée commence dans la très instable Corne de l’Afrique. Après un passage relativement facile vers l’est du Soudan, les migrants recourent aux services de la tribu des Alrachayda, qui les casent dans des camps au nord du Soudan avant de leur faire traverser la frontière égyptienne. »

 »C’est ensuite sept cents kilomètres de sentiers montagneux pour parvenir aux abords du canal de Suez. A partir de là, ce sont les bédouins du Sinaï, notamment des membres de la tribu des Altarabin, qui prennent la relève. »

 »Les migrants sont cachés au milieu de campements nomades en attendant l’instant propice pour traverser la frontière israélienne. Souvent, alors que l’on est en vue de la frontière, les passeurs réclament un bonus à rajouter aux 1500 dollars que les migrants ont déjà déboursés. Ceux qui ne réussissent pas à régler sont gardés en otage en attendant que leur famille ou leurs proches payent. »

 »Enfin c’est la traversée risquée des barbelés, une traversée qui depuis le début de l’année, a coûté la vie à 28 migrants. »

Cette info (http://www.rfi.fr/afrique/20100815-fin-tragique-six-migrants-erythreens-frontiere-egypto-israelienne) rédigée par son correspondant à Alexandrie a été diffusée par RFI.

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Egypte

Au-delà des pyramides

C’est un curieuse idée qu’ont eu les Editions Belfond que de publier « Au-delà des pyramides », de Douglas Kennedy. Presque rien ne le dit sur la couverture du livre, si ce n’est le mot “récit”, mais ce n’est pas un roman qu’a commis ici l’auteur des « Charmes discrets de la vie conjugale », de « La femme du Vème » ou de « Quitter le monde »: c’est un livre de voyage, quasiment un reportage. Le titre original en était d’ailleurs « Beyond the pyramids. Travels in Egypt ». Mais la surprise est encore plus grande lorsque l’auteur nous précise dans un avant-propos que ce texte a été écrit en … 1985, quatre ans après l’assassinat de Sadate, et publié en 1988, soit voici 22 ans.

(C) Douglas Kennedy-Belfond

Alors on s’interroge sur la pertinence qu’il y a à publier en français un vieux texte et surtout un vieux texte de voyage. Pensez-donc: une génération ou presque s’est écoulée depuis l’écriture de cette lente pérégrination, les choses ne sont plus les mêmes …

Tout commence sur l’un des rares bateaux qui, à l’époque, desservaient encore une ligne “passagers” vers Alexandrie et ce trajet maritime au départ de l’Italie donne son rythme à tout l’ouvrage, un rythme fait de lenteur, de temps d’apprivoiser, d’observer, de discuter. Bien sûr, les rencontres, les échanges, ne sont pas toujours ceux que l’on attend le plus, ni ceux qui paraissent les plus représentatifs de la vie égyptienne. Même si certaines observations quant à la vie du peuple sont pertinentes, il n’est pas toujours facile d’en témoigner lorsque l’on commence son séjour au  »Cécil Hôtel » d’Alexandrie (même pour une nuit) et qu’on le termine à l’ »Old Cataract » d’Assouan.

Cependant les descriptions successives d’Alexandrie, que “Doug” assimile davantage à un grand centre de villégiature alors que la ville s’équipe en hôtels internationaux, de Siwa perdue au cœur du désert, privée d’électricité, et dont les mœurs font déjà parler, du Caire avec son quartier de Mohandessin ou son marché aux chameaux, du Wadi Natroum et l’un de ses monastères (Saint Macaire), d’Assiout et ses “coutumes” visant à camoufler une forte tendance à l’intolérance religieuse et à la ségrégation, de Louxor, Assouan et du Grand Barrage, toutes ces descriptions sont étonnamment actuelles.

« Les univers multiples s’entrechoquent » encore davantage aujourd’hui qu’hier. Les égyptiens vivent toujours de façon aussi écartelée, comme schizophrène, l’opposition entre modernisme et tradition, entre richesse insolente et extrême dénuement, entre orientalisme et tentation occidentale, entre religion personnelle et religion publique. La pusillanimité formelle des administrations est toujours la même et les fonctionnaires désœuvrés toujours aussi présents. Les gens du peuple n’ont toujours qu’une revendication: avoir de quoi manger. Et celui qui leur donnera à manger, soit par le travail, soit par la distribution charitable, celui-là seul aura leur confiance. Quant à l’opposition entre musulmans et chrétiens coptes, elle n’a pas évolué depuis cette époque et les commentateurs des deux bords s’époumonent encore en affirmant, souvent contre l’évidence, que le respect des cultes est total. Enfin, sur un autre registre, la fracture entre touristes et égyptiens (comme parfois la césure entre expatriés et égyptiens) n’a fait qu’empirer, les uns sacrifiant au colonialisme culturel et les autres s’abaissant (plus ou moins volontairement) à “jouer au fellah”.

Trois belles séquences ressortent de ce livre à la fois nostalgique et prémonitoire, si l’on peut appeler prémonitoire le fait d’avoir cerné les tendances fortes d’une société. La première est une visite à la Cité des Morts au Caire, la seconde une prière dans la synagogue de la même ville, en compagnie de cinq juifs (actuellement, il ne reste en Egypte qu’une vingtaine d’israélites), et la troisième une curieuse remontée du Nil, sur une felouque, entre Louxor et Assouan, remontée qui sera interrompue à Esna par manque de vent.

Bien sûr, il faut en retirer les contrôles policiers incessants (qui n’ont pas tous disparus !), il faut aussi en retirer une certaine facilité à trouver des bars à bière un peu partout (beaucoup d’entre eux ont disparu !), mais ce qui était il y a 25 ans n’a fait que s’amplifier, voire se caricaturer.(Une petite erreur page 98. La Stella que produit la plus ancienne brasserie égyptienne n’est pas la Stella Artois !)

La « Stella » égyptienne