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Au-delà des pyramides

C’est un curieuse idée qu’ont eu les Editions Belfond que de publier « Au-delà des pyramides », de Douglas Kennedy. Presque rien ne le dit sur la couverture du livre, si ce n’est le mot “récit”, mais ce n’est pas un roman qu’a commis ici l’auteur des « Charmes discrets de la vie conjugale », de « La femme du Vème » ou de « Quitter le monde »: c’est un livre de voyage, quasiment un reportage. Le titre original en était d’ailleurs « Beyond the pyramids. Travels in Egypt ». Mais la surprise est encore plus grande lorsque l’auteur nous précise dans un avant-propos que ce texte a été écrit en … 1985, quatre ans après l’assassinat de Sadate, et publié en 1988, soit voici 22 ans.

(C) Douglas Kennedy-Belfond

Alors on s’interroge sur la pertinence qu’il y a à publier en français un vieux texte et surtout un vieux texte de voyage. Pensez-donc: une génération ou presque s’est écoulée depuis l’écriture de cette lente pérégrination, les choses ne sont plus les mêmes …

Tout commence sur l’un des rares bateaux qui, à l’époque, desservaient encore une ligne “passagers” vers Alexandrie et ce trajet maritime au départ de l’Italie donne son rythme à tout l’ouvrage, un rythme fait de lenteur, de temps d’apprivoiser, d’observer, de discuter. Bien sûr, les rencontres, les échanges, ne sont pas toujours ceux que l’on attend le plus, ni ceux qui paraissent les plus représentatifs de la vie égyptienne. Même si certaines observations quant à la vie du peuple sont pertinentes, il n’est pas toujours facile d’en témoigner lorsque l’on commence son séjour au  »Cécil Hôtel » d’Alexandrie (même pour une nuit) et qu’on le termine à l’ »Old Cataract » d’Assouan.

Cependant les descriptions successives d’Alexandrie, que “Doug” assimile davantage à un grand centre de villégiature alors que la ville s’équipe en hôtels internationaux, de Siwa perdue au cœur du désert, privée d’électricité, et dont les mœurs font déjà parler, du Caire avec son quartier de Mohandessin ou son marché aux chameaux, du Wadi Natroum et l’un de ses monastères (Saint Macaire), d’Assiout et ses “coutumes” visant à camoufler une forte tendance à l’intolérance religieuse et à la ségrégation, de Louxor, Assouan et du Grand Barrage, toutes ces descriptions sont étonnamment actuelles.

« Les univers multiples s’entrechoquent » encore davantage aujourd’hui qu’hier. Les égyptiens vivent toujours de façon aussi écartelée, comme schizophrène, l’opposition entre modernisme et tradition, entre richesse insolente et extrême dénuement, entre orientalisme et tentation occidentale, entre religion personnelle et religion publique. La pusillanimité formelle des administrations est toujours la même et les fonctionnaires désœuvrés toujours aussi présents. Les gens du peuple n’ont toujours qu’une revendication: avoir de quoi manger. Et celui qui leur donnera à manger, soit par le travail, soit par la distribution charitable, celui-là seul aura leur confiance. Quant à l’opposition entre musulmans et chrétiens coptes, elle n’a pas évolué depuis cette époque et les commentateurs des deux bords s’époumonent encore en affirmant, souvent contre l’évidence, que le respect des cultes est total. Enfin, sur un autre registre, la fracture entre touristes et égyptiens (comme parfois la césure entre expatriés et égyptiens) n’a fait qu’empirer, les uns sacrifiant au colonialisme culturel et les autres s’abaissant (plus ou moins volontairement) à “jouer au fellah”.

Trois belles séquences ressortent de ce livre à la fois nostalgique et prémonitoire, si l’on peut appeler prémonitoire le fait d’avoir cerné les tendances fortes d’une société. La première est une visite à la Cité des Morts au Caire, la seconde une prière dans la synagogue de la même ville, en compagnie de cinq juifs (actuellement, il ne reste en Egypte qu’une vingtaine d’israélites), et la troisième une curieuse remontée du Nil, sur une felouque, entre Louxor et Assouan, remontée qui sera interrompue à Esna par manque de vent.

Bien sûr, il faut en retirer les contrôles policiers incessants (qui n’ont pas tous disparus !), il faut aussi en retirer une certaine facilité à trouver des bars à bière un peu partout (beaucoup d’entre eux ont disparu !), mais ce qui était il y a 25 ans n’a fait que s’amplifier, voire se caricaturer.(Une petite erreur page 98. La Stella que produit la plus ancienne brasserie égyptienne n’est pas la Stella Artois !)

La « Stella » égyptienne

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