Dans son supplément magazine du 17 juillet, Le Monde publie un court dossier consacré, sous la rubrique “La tendance”, aux décroissants. A vrai dire, en février 2009, l’émission “Envoyé Spécial » (Envoyé-Spécial-chez-les-décroissants) avait déjà abordé ce sujet et le changement de média tout comme le changement de support n’ont pas modifié grand chose à la superficialité de l’approche. Aujourd’hui comme hier, on nous fait la description d’individus qui sont convaincus de faire changer les choses parce qu’ils ont, à titre personnel et strictement individuel, décidé de changer de style de vie. Tout comme Conrad Schmidt (Le-monde-de-Conrad-Schmidt), leur réflexion s’arrête à la porte de leur foyer, dès lors qu’ont été supprimés la viande, les automobiles et l’avion. Seul reste l’internet, ce nouveau média censé permettre une connaissance satisfaisante du monde et autorisant surtout une prise de parole largement démultipliée.
On pourrait noter, pour s’en amuser, une forte tendance de ces décroissants à vouloir vivre au chaud et au soleil: Marseille, Forcalquier, la Drôme, l’Ardèche, l’Ariège, … mais la chose n’est pas nouvelle puisque les décroissants de 68 avaient déjà choisi le Larzac. Plus gravement on notera à nouveau l’absence totale de référence à ce que leur comportement peut apporter au reste du monde, celui qui est en développement (comme on dit pudiquement), celui qui a faim et soif, celui qui veut accéder aux richesses que notre Occident étale et que certains dénoncent. Que l’on se rassure, Yves Cochet nous explique que « la décroissance ne s’applique qu’aux pays de l’OCDE » mais que les pays en développement doivent savoir qu’ils n’atteindront jamais le niveau de vie occidental. Mais quelle croissance doivent-ils appliquer ? A quoi doivent-ils dès à présent renoncer en termes d’espoirs et d’objectifs ? Et qui, et comment, choisira le seuil de développement ? Par exemple, s’équiper en électricité doit-il s’accompagner du renoncement à la climatisation ? Développer les communications doit-il s’accompagner d’une forte restriction de l’usage de la voiture individuelle ?
En fait, le dossier dont il est question fait un peu l’amalgame entre deux tendances très distinctes des décroissants, et ne s’en cache pas. Mais ces deux tendances sont strictement incompatibles et il est cocasse de voir s’exprimer Yves Cochet, Serge Latouche ou Vincent Cheynet (tiens, il manque Paccalet !) à propos de ces adeptes de l’An 01. Eux sont plutôt partisans d’une révolution (Niqab-automobile-et-société-social-écologiste), non seulement culturelle, mais aussi matérielle, dont les attendus sont parfois fort peu démocratiques quoi qu’ils en disent à longueur de colonnes et de blogs.
Quant aux autres, on les retrouve malheureusement trop souvent porte-paroles d’une idéologie passéiste, du retour vers des années qui étaient meilleures, plus saines, plus conviviales, plus ceci ou plus cela. Ils oublient simplement de dire que ces année-là étaient également les années sans l’eau sur l’évier, sans l’électricité le soir à la maison et sans beaucoup d’espoir pour les enfants s’ils ne pouvaient aller à la ville pour étudier au-delà du certificat d’études.
Je reviens d’Italie, Région du Trentin-Haut-Adige, zone du massif de la Brenta (une merveille !). La promotion touristique de la région s’articule autour de la nature, des sports (rafting, escalade, randonnée, …), de l’art, de la culture, de la gastronomie et c’est très bien fait. Pour être dans l’air du temps, alors que d’autres maisons de l’environnement sont abandonnées par faute de crédits dans cette même région, il a été ouvert par le Parc Naturel Adamello Brenta (PNAB) une Maison de la Nature (http://www.pnab.it/vivere_il_parco/proposte_vacanza.html) qui s’est donné pour objectif de faire découvrir la nature, le ciel, les plantes utilisables en médecine douce, les vieilles recettes de cuisine, les randonnées avec un âne, la découverte des activités rurales traditionnelles (fenaison) ou la connaissance des animaux (bovins, ovins, poules, etc …) le tout pour plus de 400 € par personne et par semaine !
J’arrive à la maison pour découvrir dans le journal local qu’une association écologiste vient de réaliser le fauchage de 3400 m² avec deux percherons, dans le but de promouvoir le retour à une agriculture économe en énergie !
Tant que l’on en restera à l’une ou l’autre de ces deux expressions de l’écologie contemporaine, la “radicale” et la “passéiste”, il y a peu de chances que l’idée même de vivre autrement puisse trouver matière à se développer.
Huit objectifs (http://www.ecoloinfo.com/2010/02/05/le-temps-presse-8-grands-realisateurs-tournent-le-film-8/), s’était donné la communauté internationale, afin de favoriser le développement des pays laissés pour compte. L’objectif N° 1, “Eradiquer l’extrême pauvreté et la faim” est, paraît-il, globalement atteignable. La crise a,certes, entraîné un ralentissement des progrès, mais la monde reste capable d’atteindre la cible qui est de réduire de moitié la proportion de population dont le revenu est inférieur à 1 $ par jour.
1 $ ou 1,25 $ ??. Car les tableaux qui suivent parlent de 1,25 $. Est-ce pour tenir compte de l’inflation ? Toujours est-il que l’Afrique Subsaharienne, celle qui nous intéresse aujourd’hui, avait 58 % de sa population qui vivait avec moins de 1,25 $/j en 1990. Il n’y en a que 51 % en 2005.
De plus, parmi tous ces gens qui vivent avec moins de 1,25 $/jour, il faut savoir que le revenu moyen était de 0,92 $ (- 26 %) en 1990. Ce revenu moyen est de 0,99 $ en 2005.
En matière d’emploi, en 1998, 82 % des travailleurs ne disposaient que d’un emploi précaire, c’est à dire qu’ils étaient soit à leur propre compte, soit au service de familles, mais non rémunérés. En 2008, cette proportion est encore de 75 %.
Certes, ce ne sont pas de pareils revenus qui peuvent bien contribuer à une nourriture suffisante. En 1990-92, 31 % de la population était dénutrie. En 2005-07, la proportion n’est plus que de 26 %. Malheureusement, les indicateurs actuels montrent que la crise alimentaire de 2009-10 fait très probablement remonter ces chiffres. Un enfant sur quatre de moins de 5 ans souffre d’insuffisance pondérale, ceux des zones rurales ayant deux fois plus de “chance” de souffrir d’insuffisance pondérale. Cette inégalité est également ventilée selon la richesse du groupe ou de la famille. Parmi la fraction des 20 % de la population la plus riche, il y a moins de 20 % d’enfant de moins de 5 ans qui soient dénutris. Mais parmi les 20 % de la population la plus pauvre, ce sont plus de 35 % des enfants de moins de 5 ans qui sont dénutris.
L’objectif N° 2 des OMD vise à “Assurer l’éducation primaire pour tous les enfants” et, au niveau mondial, l’espoir d’atteindre cet objectif diminue. En Afrique Subsaharienne, en 1999, le taux de scolarisation en primaire était de 58 %. Il est de 76 % en 2008, ce qui signifie qu’en moyenne, un enfant sur quatre n’est nullement scolarisé. Si cet enfant est une fille, que son entourage est pauvre et qu’elle vit en milieu rural, elle accumule les mauvais points et a peu de chance de pouvoir aller à l’école.
L’objectif N° 3 consiste à “Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes“. Qu’en est-il en matière de scolarité pour l’Afrique Subsaharienne ? En 2008, pour 100 garçons scolarisés en primaire, il y a 91 filles. Pour 100 garçons scolarisés en secondaire, il y a 79 filles. Et pour 100 garçons scolarisés en enseignement supérieur, il y a 67 filles. Car la pauvreté d’abord est un obstacle à l’éducation des filles les plus âgées.
Les hommes sont plus nombreux à avoir un emploi rémunéré, les femmes sont reléguées dans les emplois subalternes et précaires, elles sont sur-représentées dans le secteur informel où n’existent ni sécurité ni avantages sociaux. Les emplois de haut niveau sont réservés aux hommes. Et si les femmes accèdent parfois au pouvoir politique, ce n’est qu’à la condition que des mesures spéciales les y aident (quota).
L’objectif N° 4 des OMD a pour but de “Réduire la mortalité infantile des enfants de moins de 5 ans de 2/3 entre 1990 et 2015“. Ce taux était de 184 décès pour mille enfants de moins de 5 ans en 1990. Il est de 144 pour mille enfants en 2008. En Afrique Subsaharienne, autant dire que l’objectif est inatteignable !
“Améliorer la santé des mères et réduire de 3/4 le taux de mortalité maternelle“, tel est l’objectif N° 5. En 1990, 41 % des accouchements se pratiquaient avec un personnel soignant qualifié. En 2008, ce sont 46 % des accouchements: faible évolution. Là également, la richesse décide de tout. En Afrique Subsaharienne, parmi les 20 % de femmes les plus pauvres, il en est 55 % qui sont examinées au moins une fois pendant leur grossesse. Parmi les 20 % les plus riches, elles sont … 85 % à être examinées au moins une fois.
Autre chiffre: le nombre de naissances pour mille filles de 15 à 19 ans. Il était de 124 en 1990, de 119 en 2000 et de 121 en 2007, autant dire qu’il ne bouge pas et que la contraception reste largement inexistante. Pour comparaison, dans l’ensemble des régions développées du monde, ce chiffre est de 23 pour mille en 2007.
L’objectif 6 vise à “Combattre le VIH, le paludisme et autres maladies” pour d’ici à 2015 enrayer la progression du VIH et inverser la tendance.
“Assurer un environnement durable“; tel est l’objectif 7. En Afrique Subsaharienne, toujours, seuls 49 % de la population avaient un accès à une source d’eau améliorée. Ils sont 60 % en 2008. Par contre les installations sanitaires restent aujourd’hui encore un réel problème. Les utilisateurs d’installations sanitaires améliorées représentaient 28 % de la population en 1990, ils sont .. 31 % en 2008 c’est à dire aucun progrès.Les utilisateurs d’installations non améliorées et d’installations collectives totalisaient 36 % en 1990 et 42 % en 2008. Enfin, les pratiquants bien malgré eux de la défécation à l’air libre représentaient 36 % de la population en 1990 et encore 27 % en 2008.
La population urbaine d’Afrique Subsaharienne vit pour 70 % (en 1990) et encore 62 % (en 2010), dans des taudis ou bidonvilles.
Dernier objectif, le N° 8, qui vise à “Mettre en place un partenariat mondial en consacrant 0,7 % du Revenu National Brut à l’aide au Développement (APD)“. Ont atteint ou dépassent ce chiffre, le Danemark (0,83), le Luxembourg (1,0), les Pays-Bas (0,80), la Norvège, la Suède (1,01 %). La France se situe entre 0,44 et 0,48 %, l’Allemagne à 0,40, l’Autriche 0,37, le Portugal 0,34, la Grèce 0,21 (on est rassurés, ce n’est pas là qu’elle a dilapidé ses finances !) et l’Italie, bonne dernière avec 0,20 %.
Tous ces chiffres concernent l’Afrique Subsaharienne, c’est à dire, pour l’ONU, tous les pays africains au sud du Sahara, donc y compris l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud. En clair, c’est toute l’Afrique sauf la bande qui va de la Mauritanie à l’Egypte.
Donc, dans cette Afrique Subsaharienne, il y a le Mali, classé 178° pays sur 182 par la même ONU en ce qui concerne le développement humain. Compte tenu de cette extrême pauvreté, il est certain que tous les chiffres applicables au Mali se situent dans la partie la plus défavorable de la fourchette. Et pourtant Amadou Toumani Touré, Président du Mali, (Le Figaro, 29/06/2010) attend beaucoup de la découverte de pétrole dans le nord du pays (en plein dans cette zone où s’agitent AQMI et autres trafiquants). Il considère le pétrole comme une bénédiction car les richesses qu’il apportera permettront de pacifier la région (est-ce certain ?), de créer des écoles, des dispensaires, bref d’atteindre les Objectifs du Millénaire au moins en ce qui concerne l’eau, la santé et l’éducation. Mais il voit aussi le pétrole comme une malédiction (gestion non transparente, atteintes à l’environnement, ..) et pour cela veut s’inspirer de la gestion de son fonds pétrolier par la Norvège.
Dans un récent entretien sur France O (http://www.la1ere.fr/infos/actualites/afrique-aminata-traorele-choix-du-modele-economique-ne-nous-a-jamais-ete-laisse_25901.html), Aminata Traoré ne prend pas position au sujet des chiffres des OMD. Elle s’élève juste contre une analyse qui voudrait déduire de la moindre souffrance de l’Afrique dans le contexte de crise que tout va bien et que le continent est en passe d’émerger. Les chiffres précédents le prouvent encore, Aminata Traoré le dit bien: « Tout cela ne signifie pas pour autant davantage de prospérité, de paix et de respect pour les africains ». Aminata Traoré considère que « l’Afrique s’est laissée dicter un agenda qui n’a rien à voir avec les besoins des africains, dans les domaines de l’emploi, de l’environnement, de l’alimentation, de l’éducation, … Il faudrait que l’Afrique fasse le choix de SON modèle économique et mette un terme au modèle prédateur qui met à sac le continent ».
Enfin, dans une récente interview du Monde (24/06/2010), c’est Pascal Lamy, le Directeur Général de l’OMC, qui apporte un autre point de vue. Lui non plus ne parle pas directement des résultats d’étape des OMD, mais il s’en inspire quand il souligne la diminution de la pauvreté grâce à l’ouverture des marchés et à la mondialisation. Il s’en inspire quand il souhaite la conclusion des négociations de Doha et la conclusion d’accords mondiaux et non plus bilatéraux, car ce ne sont pas ces accords qui pourront résoudre les questions des barrières tarifaires ou des subventions agricoles. « Il faut que les pays en développement puissent mieux valoriser leur potentiel agricole ». Il s’en inspire encore quand il souligne que l’Europe est très pessimiste en matière de mondialisation, et peut-être avec raison. « Pour maintenir son modèle social, sans doute le meilleur, elle a besoin de croissance et de démographie. Elle n’a aucune des deux. Il lui faut donc soit renoncer à ce fameux modèle social, soit accepter l’immigration, soit faire des réformes de structure qui augmentent le potentiel de croissance. Plus facile à dire qu’à faire ! » Il s’en inspire enfin lorsqu’il dit que la réduction de la pauvreté n’est pas suffisante. Si l’on veut que le politique remplace l’économique (voire le financier et le spéculatif) en matière de développement mondial, il faut aussi lutter contre les inégalités et accorder plus d’attention à la redistribution supranationale, c’est à dire … donner au moins les 0,7 % du PIB prévus par les OMD !
En conclusion, l’Afrique noire subsaharienne a encore beaucoup de chemin à faire. L’y aider est indispensable et relève d’une solidarité beaucoup plus internationale, en tout cas beaucoup plus européenne qu’elle ne l’est actuellement. Il est intéressant de constater que des questions comme le pétrole (son coût, son exploitation, le peak oil, ..), la santé (palu, hygiène, salubrité, ..), l’émigration et l’immigration (qualitative et quantitative, pour quelle reconnaissance, ..), sont des questions récurrentes lorsque l’on parle du développement solidaire. Ce n’est pas pour rien que ce blog a choisi ces thèmes.
Aminata Traoré ne croit pas au “marché”. ATT et Pascal Lamy y croient. Mais tous se rejoignent pour dire que la France seule ne peut plus grand chose pour l’Afrique. Au contraire, c’est elle qui a besoin de l’Afrique, c’est elle qui doit jouer la carte de l’amitié et de la solidarité si elle ne veut pas que la Chine n’écrive qu’une nouvelle étape de l’exploitation de l’Afrique.
Le texte qui suit a été publié dans « La décroissance, le journal de la joie de vivre » (?). Conrad Schmidt est le fondateur d’un parti canadien: le »Workless Party » (Parti pour moins de travail) et l’auteur d’un livre intitulé « Workers of the World, Relax ».
« Çà a commencé par la voiture. Je me suis dit que si je m’en débarrassais, et que je me rendais en vélo au boulot, j’allègerais mon empreinte sur l’environnement. Résultat, outre le fait que j’étais plus en forme, je me suis retrouvé avec un surplus de 400 dollars par mois, parce qu’une bagnole ça coûte cher. Et la question s’est posée de ce que j’allais faire avec cet argent en plus. Si j’achète un plus gros ordinateur, ou que je me paye un voyage en Europe, ça revient au même, je continue de nuire. La consommation est donc exclue. De la même façon, si je m’offre des massages ou des cours d’espagnol, comment est-ce que, eux, mon masseur et mon prof vont-ils dépenser cet excédent de revenu ? Sans doute qu’ils seront moins scrupuleux que moi et qu’ils vont accumuler des biens inutiles qui viendront aggraver la situation. Conclusion, soit je détruis ce fric, je le brûle, sois je m’offre du temps. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à travailler quatre jours par semaine, puis j’y ai pris goût, je me suis investi dans la communauté, j’ai quitté mon job, j’ai enquêté sur les politiques, j’ai fait des films, écrit des bouquins … »
C’est pas parce que c’est l’époque du bac, mais on va faire un peu d’analyse de contenu de texte.
Voilà un homme, bien sous tout rapport, sans doute honorablement connu dans son quartier et apprécié par ses collègues, qui décide de se séparer de son automobile afin d’améliorer son empreinte environnementale. Cela lui rapporte quelques 400 $ mensuels, soit environ 320 euros, soit une quinzaine d’euros par jour de travail. A moins que la voiture soit très gourmande, ou que les péages urbains soient très élevés, cela représente tout de même plusieurs dizaines de kilomètres quotidiens … à faire en vélo. Passons.
En renonçant à sa voiture, Conrad a privé son garagiste et ses salariés (pour les révisions), son carrossier et ses salariés (pour les retouches en cas de petite rayure), son pompiste et ses salariés, et d’autres encore, de sa petite contribution personnelle à leur niveau de vie (et quel que soit le niveau de celui-ci). Je ne pense pas que pour eux, la solution se trouve dans la pratique du vélo.
En renonçant à sa voiture, Conrad a également renoncé à ses vacances que rien ne l’obligeait à prendre en même temps que tout le monde. Il a mis un terme aux escapades vers les montagnes de Banff où ses amis font encore de l’escalade. Il a ainsi privé son hôtelier et ses salariés, son restaurateur et ses salariés de sa petite contribution individuelle à leur niveau de vie. Pour eux, la solution ne se trouve pas dans la pratique du vélo. Il a aussi privé ses anciens amis de l’Université des visites qu’ils leur faisait une ou deux fois l’an: ils habitent trop loin et le Greyhound ne passe pas jusqu’au fond de leur vallée.
Conrad ne le dit pas ici (on peut supposer qu’il le dit ailleurs), mais il est probable que depuis sa découverte des économies possibles, il a du renoncer aussi à s’acheter de la viande, des fruits exotiques (et comme à part la pomme, la poire, la framboise, la cerise, le bleuet ou myrtille, il ne pousse pas beaucoup de fruits au Canada, ils sont presque tous exotiques), voire supprimer le café au bénéfice d’une camomille sucrée au sirop d’érable. Depuis, il élève trois poules, cultive ses salades et fait son pain. Il a ainsi privé son épicier et ses salariés, son boucher et ses salariés, son boulanger et ses salariés de sa petite contribution individuelle à leur niveau de vie.Pour eux la solution ne se trouve pas dans la pratique du vélo.
Poussant le raisonnement à fond, Conrad (puisqu’il ne bouge plus de chez lui) a simplifié son habillement au plus sobre: des socques, un pantalon de denim, une chemise à carreaux. Pour l’esthétique, la coupe de cheveux se fera à la maison … (et, à l’occasion, ce sera nu sur un vélo …)
Conrad est content de lui. Il a singulièrement réduit son empreinte écologique. Mais l’a fait tout seul, en indépendant, sans penser aux conséquences de ses actes, en égoïste …
Et puis Conrad s’est posé la question de l’usage auquel il pouvait consacrer tout cet argent. Ne lui sont venues à l’esprit que trois hypothèses: le consommer, ou le brûler, ou moins travailler.
Le brûler ? Il devait rester en Conrad un fond de morale qui l’en a empêché en dernière extrémité.
Le consommer ? Cette hypothèse est rejetée pour deux motifs. Le premier vise à dire que si Conrad s’offre un matériel informatique dernier cri ou s’il décide de partir à la découverte du Monde, il ne fera que déplacer les causes de son hyperproduction de CO2. Donc, les fabricants d’ordinateurs et les compagnies aériennes n’auront pas sa petite contribution individuelle au niveau de vie de leurs salariés. Le second motif relève d’un comportement plus totalitaire: je ne me ferai pas faire de massages, ni n’apprendrai l’espagnol, car ces gens vivent déjà assez bien comme ça et n’ont pas besoin de mon argent qu’ils vont accumuler. Conrad s’est réservé le libre choix de l’usage de son argent, mais il est hors de question qu’il reconnaisse ce libre choix à un autre, de surcroît si cet autre est un industriel, un commerçant, un artisan, un libéral, un travailleur indépendant, bref un capitaliste.
Curieusement, il est une idée qui n’a même pas traversé l’esprit de Conrad: celle de faire profiter d’autres de cet argent économisé, les plus pauvres que lui par exemple, ou les immigrés en son pays, ou les habitants de pays en développement. Il n’est pas seul dans ce cas. Lors d’un reportage sur les décroissants, “Envoyé Spécial” avait filmé un couple de cadres qui fabriquait son lombricompost dans l’appartement et glanait sur les marchés. La question de l’usage de leurs économies n’avait pas été abordée et eux s’étaient bien gardé d’en parler. Le nombril de Conrad se trouve en occident et, honnêtement, il n’a rien à faire du développement des autres pays qui n’ont qu’à choisir le même modèle que lui.
Parvenu à ce niveau de réflexion, Conrad aurait du aller se coucher et attendre la fin. Pas d’auto, pas de tourisme, pas de découvertes intellectuelles, que fait-il de la musique, de la lecture, de la peinture, ? Non, Conrad est un intellectuel écologiste radical. Il a donc pris la plume, pris la caméra et développé le concept de la société qu’il préconise. Vend-t’il ses productions ? Le succès aidant, n’a t’il pas peur de se retrouver avec trop d’argent ? Ou distribue t’il ses écrits sur le net ? En ce cas, il existe encore une catégorie de travailleurs dont Conrad a besoin: les communicants, ceux qui (hard ou soft) permettent à la communication, aux idées, aux images, aux vidéos, de parvenir à nos écrans, nos téléphones, nos ordinateurs, nos tablettes.
Dans son édition des 30-31 mai, Le Monde a rapporté une brève de presse publiée conjointement par les Universités de Yale et Columbia, à propos d’une statistique particulièrement féconde qu’elles publient tous les deux ans: l’Index de Performance Environnementale (acronyme EPI en anglais). La dépêche publiée ne concerne que les résultats de l’année 2010 qui ont été rappelés de façon rapide et succincte.
Précisons avant tout que le classement est établi à partir de notes attribuées à chaque pays dans deux domaines égaux (50% de la note globale pour chacun): celui de la vitalité des écosystèmes et celui de la santé environnementale.
La vitalité des écosystèmes regroupe les notes affectées aux thèmes suivants: changement climatique pour 25 %, agriculture, pêches, forêts, biodiversité et habitat, eau et pollution de l’air chacun pour un peu plus de 4%.
La santé environnementale s’appuie pour moitié sur les luttes contre les maladies environnementales et pour moitié sur les luttes contre les effets des pollutions de l’air et contre les pollutions de l’eau à parts égales.
Au cours des années, la grille a peu changé, certains ratios ont été légèrement réévalués ou dévalués, mais la comparaison reste possible au cours des années. Et là est tout l’intérêt du travail de ces universités.
Prenons les résultats de 2010 (http://epi.yale.edu/Countries).Les cinq premiers sont l’Islande, la Suisse, le Costa-Rica, la Suède et la Norvège. Les notes attribuées à ces pays vont de 93.5 à 81.1.Examinons un par un leur parcours depuis 2006.
La Suisse était 16° en 2006, 1ère en 2008 et seconde en 2010.
Le Costa-Rica était 15° en 2006, 5° en 2008 et 3° en 2010.
La Suède était seconde en 2006, 3° en 2008 et 4° en 2010, ce qui a priori témoigne d’une grande stabilité dans la prise en compte des enjeux.
Enfin la Norvège était 18° en 2006, seconde en 2008 et 5° en 2010.
A part donc la Suède qui s’est maintenue dans le quintette de tête depuis trois palmarès, les autres pays ont progressé et parfois largement progressé. Il en est donc d’autres qui ont du reculer ! C’est le cas de la Finlande qui, du 3° rang en 2006, 4° rang en 2008 se retrouve au 12° rang en 2010. Mais c’est surtout la Nouvelle Zélande qui surprend avec un recul important: de la 1ère place en 2008, elle passe à la 7° place en 2008 et à la 15° place en 2010.
En Europe, la République Tchèque, 4° en 2006, se retrouve 22° en 2010. Le Royaume Uni, 5° en 2006, recule à la 14° place en 2008 et s’y maintient en 2010. Le Danemark fait pire: de la 7° place en 2006, il se retrouve à la 26° place en 2008 et à la 32° place en 2010. Il est des réputations qui semblent avoir la vie dure, mais qui ne correspondent plus à des réalités.
Et la France ? Bien placée parmi les pays européens, elle devance régulièrement l’Allemagne, l’Italie, … Jugez-en.
2006: France 12°, Italie 21°, Allemagne 22°.
2008: France 10°, Allemagne 13°, Italie 24°.
2010: France 7°, Allemagne 17°, Italie 18°.
Quel est le lien qui peut exister entre engagement dans la lutte environnementale et crise économique ? Certains résultats ci-dessus permettraient d’avancer l’idée qu’un tel engagement minimise l’impact de la crise (à défaut d’en être un vrai remède). Mais alors quelle est la signification du cas de la Grèce ? Placée au 19° rang en 2006, elle se retrouve au .. 44° en 2008 et au … 71° en 2010 !! Ces chiffres traduisent un abandon total de toute politique environnementale (sans doute au bénéfice de l’armée). Qui ne s’est déjà rendu compte de ce recul il y a deux ans ?
Aux dires d’une majorité d’observateurs, Copenhague a été un échec (Copenhague-ne-peut-pas-être-un-échec) . Il est encore un peu tôt pour en juger. Quoi qu’il en soit, la volonté des Etats-Unis d’encadrer fermement l’évolution environnementale a été déterminante dans les conclusions de cette rencontre. Il n’est donc pas inutile d’examiner le classement des Etats-Unis. Classés à la 28° place en 2006, ils sont en 39° place en 2008 et en 61° place en 2010: un fameux recul qui n’autorise guère à donner des leçons au reste du Monde ! Son petit frère géopolitique et géo-économique, le Canada, n’est pas plus brillant: au 8° rang en 2006, il se retrouve au 12° rang en 2008 et au 46° rang en 2010.
A l’inverse, peut-on dégager une tendance lourde en ce qui concerne les pays en développement et tout particulièrement les BRIC ?
Brésil: 34° en 2006, 34° en 2008 et 62° en 2010.
Russie: 32° en 2006, 28° en 2008 et 69° en 2010.
Inde: 118° en 2006, 120° en 2008 et 123° en 2010, soit une plus grande stabilité que les deux précédents.
Enfin, la Chine: 94° en 2006, 105° en 2008 et 121° en 2010.
La seule tendance est celle d’un recul général. Dans le cas de ces pays, est-ce le prix à payer pour un développement intensif ? Les résultats du classement 2012 seront particulièrement intéressants à examiner.
Quelques cas particuliers: l’Egypte, 85° en 2006, passe au 71° rang en 2008 et au 68° rang en 2010. La Turquie, qui aspire à l’Europe, était 49° en 2006, 72° en 2008 et elle pointe au 77° rang en 2010. Israël qui était au 45° rang en 2006, au 49° rang en 2008, recule au 66° rang en 2010.
Enfin, et malheureusement cela ne surprendra personne, l’Afrique sub-saharienne clôt la marche. Il n’est aucun pays qui ne soit classé avant la 100° place dans les résultats de 2010, et cela était déjà le cas en 2008 et en 2006.
Côte d’Ivoire 102°, Congo 105°, République Démocratique du Congo 106°, Kenya 108°, Ghana 109°, Ouganda 119°, Burkina Faso 128°, Soudan 129°, Zambie 130°, Cameroun 133°, Rwanda 135°, Sénégal 143°, Tchad 151°, Mali 156°, Niger 158°, Togo 159°, Angola 160°, …………… la liste ne comprend que 163 pays. A l’exception de la Libye (117°), l’Afrique méditerranéenne s’en sort mieux, avec l’Algérie (42°), le Maroc (52°) et la Tunisie (74°).
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