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Alexandrie – la ville

Alexandrie est une ville séduisante. L’hiver y est pluvieux, violemment pluvieux. Les précipitations dépassent très probablement les niveaux déclarés dans les guides touristiques. Les jours de pluie y sont plus nombreux que ce que le “Routard” veut bien en dire: un en novembre, trois en décembre, un en janvier, un en février, et plus rien en mars.
Cette année, décembre s’est caractérisé par huit jours de pluies diluviennes quasi ininterrompues. En janvier, deux violentes perturbations de plusieurs jours. Et nous voici en février, avec une perturbation de déjà trois jours. Lors de chacune, de l’eau, du vent, parfois des éclairs et la foudre. Et des inondations dans les rues, des hauteurs de vingt, trente, quarante centimètres d’eau; les voitures se font amphibies (pas toutes!) et les piétons se font une raison, éclaboussés qu’ils sont en permanence. La mer, agitée en creux de deux ou trois mètres, écume et répand ses embruns sur la corniche, elle arrache les plages qu’elle redépose sur les avenues. La journée peut commencer en photographiant un arc-en-ciel sur la mer, né du soleil levant et s’achever moins poétiquement en passant éponge et serpillière dans la chambre à coucher inondée à cause des vitrages coulissants qui ne sont pas étanches aux pluies horizontales.

Tempête à Alexandrie

Mais l’hiver ne fait que passer et Alexandrie est vraiment une ville séduisante.
Etirée en strates parallèles à la mer sur près de trente kilomètres, elle est en perpétuel mouvement. Quand donc les alexandrins dorment-ils? Dès les premiers beaux jours, et j’ai connu avril dernier, les rues, les avenues et la corniche sont emplies de promeneurs qui déambulent jusque très tard le soir (très tôt le matin). Héler un taxi à quatre heures du matin pour se rendre à l’aéroport ne pose aucun problème, il y a toujours des taxis jaune et noir en maraude. Une fois les jours chauds arrivés, la population se multiplie avec la venue des cairotes, soit pour le week-end, soit pour deux ou trois semaines de vacances.

Le trottoir de la corniche devient une gigantesque promenade sur près de vingt kilomètres, de Montazah à Quat Bay. Le muret séparant cette avenue des plages, des rochers et de la mer sert de banc pour des milliers de piétons, assis, devisant, grignotant, buvant thé ou café, mangeant des glaces et laissant le temps s’écouler, les heures passer.

Première strate, la Corniche devient une avenue moderne et sans style longeant la Méditerranée. Bientôt à deux fois quatre voies sur toute sa longueur, elle se sacrifie à une ahurissante circulation automobile. Les immeubles anciens qui la bordent tombent en ruines et sont remplacés par des buildings orgueilleux, dont certains ne sont jamais achevés, souvent inoccupés. De rares villas ont eu du charme, mais sont désormais condamnées à l’étouffement entre deux de ces immeubles. Seule, la façade du quartier d’Al Nasr, entre le Consulat de France et les Trois Mosquées, revêt un caractère architectural début de siècle dernier relativement homogène. Les palmiers réguliers qui bordent ici la corniche apportent leur touche pour en faire une vraie “promenade”, comme à Nice ou à Cannes.

Alexandrie: les trois mosquées

Une avenue, deux avenues, parallèles à la corniche, et voilà délimité sur toute la longueur ce qui représente le lieu de vie des classes bourgeoises et moyennes. Chaque quartier y a son style, son centre de vie avec un marché et des commerces, ses grands magasins, ses restaurants. Les habitants s’y connaissent tous, ce qui transforme la ville en une somme de petits villages. Il est étonnant de voir combien chaque alexandrin peut avoir de relations qui ne sont pas des amitiés, mais de ceux avec qui l’on papote et raconte les dernières nouvelles. Comme il en est ainsi pour chacune de ces relations, il n’est aucun secret qui ne soit connu de la ville entière avant un jour. Sans doute est-ce là ce que l’on appelle le téléphone arabe. A utiliser si vous avez des informations à faire passer !! A redouter si ces informations se propagent contre vous !!

Le tramway, un vrai tramway jaune en centre ville, une sorte de métro bleu ailleurs, irrigue lentement mais sûrement la métropole. Le wagon du centre y est réservé exclusivement aux femmes, ce qui n’interdit pas aux femmes de prendre le wagon de tête ou le wagon de queue, mais ce qui leur offre un espace où elles n’ont pas à redouter la promiscuité masculine.

En arrière de cette zone, la ligne de chemin de fer. Les machines diesel y font un vacarme infernal. Les passagers sont debout dans l’ouverture des portes jamais fermées. A chaque passage à niveau, la locomotive trouve son chemin au milieu de foules piétonnes, au cœur de la circulation automobile.

Et au-delà de la ligne de chemin de fer, les quartiers populaires dans lesquels les immeubles de type HLM se succèdent les uns aux autres, certains si proches que les balcons se font vis à vis et se touchent. Le linge toujours et partout aux fenêtres. Les senteurs multiples, agréables, curieuses, moins agréables, les chevaux, les ânes tirant calèche-taxi ou charrette, les marchés multiples, aux poissons, aux fruits, aux légumes, les souks de tissus, de bimbeloterie, … Et les gens qui se croisent, s’évitent sans jamais se heurter. Jamais foule ne m’a été aussi accueillante. C’est avec un sentiment de confiance absolue que je pénètre des foules plus compactes que je n’ai jamais rencontrées, ainsi lors de la fête de l’Aïd El Feltre, le petit Birham. Une seule fois, j’ai été témoin d’une tentative de vol à l’arraché. C’est certain, il est des disputes violentes dans lesquelles il convient de ne pas s’attarder, disputes de chauffeurs de taxis, disputes de conducteurs qui ont accroché leurs véhicules déjà bien fatigués ou disputes aux motifs plus secrets qui font que des hommes vont jusqu’à s’ensanglanter à coups de gourdins et de bâtons, tout en hurlant les plus sonores imprécations.

Cette strate populaire se poursuit sans transition et dans le pire mélange par des zones industrielles aux fumées lourdes, aux odeurs tenaces. Et puis, une voie rapide, les lacs et la campagne avec son agriculture irriguée omniprésente.

Alexandrie ne fait pas plus de cinq kilomètres d’épaisseur.