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Ecriture

Atelier d’écriture IV

Coté jardin

13 octobre 2014

C’est un tout petit jardin bien caché au fond du lotissement. Pour le découvrir, il faut d’abord amadouer son jardinier, un vieil homme courbé en deux, même lorsqu’il ne pousse pas sa brouette.
Comme les murs des propriétés voisines le délimitent sans faiblesse, alors il les a quelque peu camouflés à l’aide de plantes grimpantes, lierres, liserons et autres lianes fleuries selon les saisons.
Au centre du jardin, un bassin dont les carreaux de verre qui l’émaillaient se décollent peu à peu, abrite une dizaine de poissons rouges qui méditent en attendant leur nourriture. Trois petits bassins annexes, construit avec l’âme des pierres, reçoivent l’eau qui circule et provoque de fines cascades.
Une longue plate-bande qui aurait pu n’être qu’un cauchemar de mauvaises pensées traverse l’espace et butte sur un petit pavillon de gardien, havre de méditation mais également abri primitif pour les outils et les boutures multiples dans leurs pots empilés.
Ce n’est pas un jardin bien peigné, les orties en font partie, les herbes folles, les plantes odorantes aussi, mais c’est un vrai refuge. Les allées blêmes mènent au décor d’un massif métissé, trois arbres fruitiers composent un verger et, tout au fond, contre le mur d’un immeuble aveugle, une minuscule colline, comme un mamelon accueillant, incite à la douceur.
Deux bancs de bois, peints en bleu délavé, usés depuis longtemps, vous y attendent. Les meubles ont encore ce pouvoir au parterre. Un petit réchaud à alcool, une théière et quelques tasses invitent à la pause.
Soyez le bienvenu. Entrez …


Une ville, la nuit

17 novembre 2014

Le soleil s’est caché sous ses couvertures et voici que c’est la lune qui se glisse hors de son lit, entre les deux gratte-ciels, au pied, là tout en bas.
L’obscurité tombe peu à peu et, dans le même temps, des kilomètres de pavés, des flots de mica, des nuées de verre et de miroirs s’éclairent, s’enluminent, éclatent en mille feux d’artifice.
La foule s’attarde, dans le bruit et la rumeur, tandis que les publicités lumineuses ruissellent sur les façades.
Le béton et l’acier transpirent, suent, les sons et les rythmes, les couleurs et les odeurs.
A tous les étages, des gyrophares de la rue aux projecteurs placés sur les toits pour la sécurité des aéronefs, les lumières s’allument, s’éteignent, clignotent et puis perdent peu à peu de leur force. Seules, les rangées vides des fenêtres de bureaux sont toutes pareillement éclairées. Un lancinant laser vert tourne imperturbablement dans le ciel.
Une moiteur chaude monte des avenues, le métro se fait rare sur ses viaducs et les grilles des souterrains halètent de plus en plus calmement, la foule se disperse, éclate en petits groupes qui échangent et partagent en se fondant dans l’obscurité des ruelles adjacentes ou en disparaissant derrière les portes des bars ou des clubs de nuit.
Les taxis, lumière verte ou lumière rouge sur le toit, sont de plus en plus nombreux à poursuivre leurs maraudes, taximètre en service.
Jamais la ville ne dort, dressée sur ses colonnes, fière de ses remparts et de ses clochers, de ses bastilles et de ses tours, de ses ponts et de ses places, de ses fontaines et monuments.
Au risque du vertige, au risque de mourir, jamais son cœur ne s’arrête de battre : la ville est comme un être vivant, une sorte de géant anthropophage.

Traboule à Lyon (C)Wikimedia Commons


Deux gones chez les canuts

8 décembre 2014

La traboule est bien sombre. Les murs humides sont si proches que l’on se cogne à droite, à gauche. Seuls les habitants de la Croix-Rousse peuvent s’y retrouver dans ce labyrinthe de ruelles, de passages, d’escaliers, de tunnels, de montées et de descentes : il faut, pour cela, avoir une sorte de fil d’Ariane dans la tête.
Soudain, une petite placette, comme un puits de lumière, se découvre à notre vue. Les façades laissent apparaître des escaliers de pierre ouverts sur l’extérieur. Notre guide nous entraîne directement vers l’un d’entre eux, que nous montons rapidement avant de pénétrer dans l’atelier. Une dizaine de métiers à tisser vibrent, claquent et cliquètent en cadence, les navettes, affolées, vont et viennent à grande vitesse entre les nappes de fils mordorés et chamarrés, les étoffes de soie s’enroulent à l’extrémité des machines et l’une d’entre elles, future étoffe sacerdotale d’or et d’argent, brille dans la lumière solaire que dispense la fenêtre.
Des cris, un vacarme se font brutalement entendre et couvrent le bruit des machines. Alertés, nous redescendons précipitamment. Un canut au foulard rouge est dressé au centre de la courette, comme un funambule, en équilibre sur un tonneau. Ses cheveux blonds bouclés s’agitent au rythme de ses colères : visiblement, il appelle à la grève. Les ouvriers l’entourent, le pressent et se mettent à chanter une chanson quasi révolutionnaire. « C’est nous, les canuts », répètent-ils.
Au-delà de l’agitation, là-bas, derrière une fenêtre du premier étage, entre les vitres et les rideaux et tentures, loin du bruit et de l’agitation, deux jeunes gens s’embrassent, enlacés, attachés l’un à l’autre, à l’écart des manifestations qui les indiffèrent. Elle est blonde et sa chevelure vénitienne nappe ses épaules comme un vêtement de parade le ferait. Ils rêvent de leur prochaine fête d’amour, peut-être leur prochain mariage, noce tant espérée. Ils imaginent « des cordes, des guirlandes, des chaînes d’or entre les fenêtres et les balcons », des ballons enrubannés qui flottent sur la tête de leurs invités, des étoiles scintillantes, des boules lumineuses par brassées à n’en plus finir, des images qui tournent et virevoltent, des soieries plus chatoyantes les unes que les autres, …
Ils rêvent de leur vie comme ils dérouleraient un long écheveau de fil doré auquel famille, amis et canuts seraient reliés, un peu comme par une parole tissée.

(D’après Arthur Rimbaud)

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Divers

Une jeunesse désenchantée

Il se nomme Emmanuel Schneider. Il est étudiant de l’Ecole Polytechnique. Il a entre 18 et 28 ans, ce sont là un peu les bornes de la Génération Y. Il a été choisi parmi plusieurs centaines d’étudiants qui avaient répondu à un appel lancé par le Cercle des Economistes: « Inventez 2020: la parole aux étudiants ». Et il vient de publier un texte dans le cadre des Rencontres Economiques d’Aix en Provence, un manifeste en faveur d’une jeunesse désenchantée (Le Monde du 1er juillet 2014).

Le préambule est raide !
Les jeunes ont de plus en plus de difficultés à entrer sur le marché du travail et le concept de génération sacrifiée, une génération caractérisée par le chômage de masse et les emplois précaires, est devenu réalité. Même les jeunes diplômés sont « malheureux » (Pourquoi-la-génération-Y-est-elle-malheureuse) parce qu’ils sont contraints d’accepter des emplois qui ne correspondent pas à leur niveau et parce qu’ils redoutent avant tout le déclassement.
« L’impression que la génération précédente, celle des baby-boomers, a assuré son bien-être aux dépens de la nôtre s’est installé »

Part de la génération Y dans la population (C)Palmis

Emmanuel Schneider propose alors une liste d’actions à plus ou moins long terme, qui toutes ont pour objectif de réinsérer la jeunesse dans le tissu social et de susciter une société plus cohésive, ainsi qu’il le dit plusieurs fois.
Parmi ses préconisations:

  • développer l’apprentissage, une nécessité qui sera d’ailleurs à l’ordre du jour de la Conférence Sociale de Lundi-Mercredi prochains, au moment où l’apprentissage s’effondre littéralement en France,
  • créer une allocation de début de vie, un complément plutôt qu’un salaire, ce qui pourrait permettre la mise en place d’un SMIC jeune. L’auteur rappelle qu’à salaire égal, celui du SMIC, pourquoi un employeur embaucherait-il un jeune à former à la place d’un salarié déjà formé en recherche d’emploi.
  • instituer un service public de l’emploi pour les nouveaux travailleurs,
  • assurer la représentation des jeunes dans la sphère politique. Cela implique la fin du cumul des mandats et la création d’une variante de la parité hommes-femme au bénéfice d’un équilibre jeunes-moins jeunes. Emmanuel Schneider précise qu’au Parlement il y avait en 1981 UN élu de moins de 40 ans pour UN élu de plus de 60 ans. En 2007, ce rapport est devenu UN à NEUF !!
  • engager une réflexion sur la pédagogie et développer une enseignement heureux et participatif.

    Toutes ces propositions méritent une large réflexion si l’on veut « réintégrer la jeunesse dans les sphères économique et politique de notre société ».
    « Dans le cas contraire, la jeunesse risque de se retourner vers les faiseurs de rêves populistes. Cela sonnerait comme le glas de nos démocraties libérales et risquerait de nous replonger dans les heures les plus sombres de notre histoire. »
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Ecologie

Par où passe donc le progrès ?

Voici quelques jours, le 1er juillet exactement, « Le Monde » consacrait un éditorial économique et deux pages à une question d’importance. Malgré la primauté de l’électronique, des communications accélérées, de l’internet, des stockages massifs de données, de la dématérialisation de vos propres données, malgré tous ces éléments qui font la révolution numérique et que l’on se persuade faire partie d’une troisième révolution industrielle, eh bien non, nous sommes tous en pleine stagnation. Alors, est-ce la fin du progrès ? Pourquoi cette « mystérieuse panne de productivité » ?

Il n’y aurait plus rien à inventer, disent certains. Et la révolution numérique, si elle va modifier profondément, très profondément, nos comportements, nos façons de produire et la structure de nos sociétés ne modifiera et ne modifie dès à présent, que très peu notre productivité qui stagne depuis six à huit ans.
Et « Le Monde » de dresser un inventaire des accroissements de productivité attendus cependant dans une large série de professions: la publicité qui se fera en temps réel auprès des consommateurs, la grande distribution dont les drive et les caisses en libre-service vont remplacer les hôtesses, la banque qui se fera de plus en plus en ligne, la santé dont le médecin sera remplacé par un monitoring à distance, les transports avec les voitures sans pilote, la sécurité qui remplacera ses agents par des robots, le BTP avec la même évolution vers la robotique, idem pour la pharmacie d’officine et/ou d’hôpital, la propreté par remplacement des ripeurs par des robots guidés via GPS, robots encore en agriculture …. Les professions intellectuelles ne seront guère épargnées telle la police, les avocats, les conseillers en tout genre dont le métier se verra pris en main par des logiciels puissant d’intelligence artificielle auxquels n’échapperont même pas les journalistes …
On peut discuter de certaines affirmations: ainsi les camions collecteurs d’ordures ne pourront collecter vos bacs grâce au GPS et à la vidéo que si vos rues sont tracées au cordeau, donc dans des quartiers à construire. Quant au journalisme par algorithme, que l’on nous en préserve et que l’on accorde toujours une petite part à l’analyse et au commentaire humains.
Outre détruire des emplois, ce rapide tour d’horizon des gains de productivité « attendus » n’a vraiment rien de réjouissant. Et s’il y a gain de productivité, c’est uniquement pour les financiers qui contrôlent la grande distribution, la santé, les transports, la culture et même le journalisme. Quel gain de productivité y a t-il réellement si la démarche consiste uniquement à remplacer des emplois soit par des robots, soit par des algorithmes ? Que feront nous des emplois supprimés si la société doit rester la même ? Ce seront des chômeurs qu’il faudra indemniser plus ou moins longtemps. Plus ils seront nombreux, plus il faudra les indemniser longtemps afin d’éviter les violences sociales. Qu’est-ce que la « société » y aura gagné ? De quelle productivité accrue pourra-t-elle se vanter ?

Ce bilan ressemble fortement à ce pouvaient écrire les thuriféraires des première et seconde révolutions industrielles qui plaçaient tous leurs espoirs dans un renouveau complet des conditions de vie de l’humanité. Ils avaient, toutes proportions gardées, raison. Aujourd’hui, les journalistes et les analystes économiques ont tout faux.
Car enfin, si la première révolution industrielle, celle du charbon, celle de la vapeur, du chemin de fer et de l’imprimerie a apporté un énorme potentiel de progrès dans toute l’humanité, est-ce simplement dû à l’imprimerie ? Sont-ce les commentaires des gazettes et des journaux qui ont fait l’industrie ?
Si le seconde révolution industrielle, celle du pétrole, du moteur à explosion, de la généralisation de l’électricité et du tout-à-l’égout, ainsi que du téléphone, poursuit encore sa croissance sur des continents comme l’Afrique ou une partie de l’Asie, est-ce une conséquence de l’usage généralisé du téléphone ?
Alors, si la troisième révolution industrielle doit, un jour, supplanter la seconde et promettre des jours meilleurs à l’humanité, tant en productivité qu’en accroissement du bonheur, ce ne sera certainement pas grâce à la révolution numérique. Il manque à l’inventaire une donnée, un élément, une ressource: l’énergie.

Ce ne sont pas les lettres de cachet ou les ordres de mission qui ont ouvert les pistes des routes de la soie, du sel ou de l’encens, mais la marche ordonnée des caravanes et le vent dans les voiles des caravelles. Plus tard, ni l’imprimerie de masse, ni le téléphone, ni la radio, ni le cinéma, ni la télévision, ni l’affichage publicitaire n’ont influé sur le progrès global de nos sociétés. Il n’y a aucune raison pour que le « cloud » et les ordinateurs échappent à cette règle. Ce qui caractérise une révolution industrielle, c’est l’énergie qu’elle utilise majoritairement et non le moyen par lequel elle se raconte.
Après la marche et le vent, il a fallu attendre des siècles pour que la vapeur et le charbon ouvrent une ère nouvelle.
Puis ce fut le tour du pétrole.
Aujourd’hui, la troisième révolution industrielle attend son énergie: elle se nomme énergie renouvelable. Qu’elle soit solaire, qu’elle soit éolienne, qu’elle soit issue des houles et des marées ou de la transformation de la biomasse, c’est cette énergie-là qui fera la troisième révolution industrielle.

Si la troisième révolution industrielle attend son énergie renouvelable, la France attend encore davantage, elle qui a raccordé à son réseau électrique 172 MWc (mégawatts-crète) de capacité de production au premier trimestre 2014, en recul de 10 % par rapport au trimestre précédent et en retard très net par rapport aux prévisions pour l’année (800 MW). C’est peut-être de ce coté qu’il faut chercher le retard de la France en matière de productivité, et non du coté de ses Centres de données …

Energies renouvelables en France, en 2010 (C)Insa-Rennes
Energies renouvelables en Allemagne, en 2010 (C)Insa-Rennes

Pour bien comprendre le rôle de l’énergie dans la survenue d’un bouleversement industriel, il n’est pas inutile de relire Jeremy Rifkin (Plus-on-est-riche,-plus-on-est-heureux).

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Egypte

Egypte: les condamnations à mort sont confirmées

Mohamed Badie, le chef des Frères Musulmans, voit sa condamnation à mort confirmée par le Tribunal de Minya samedi 21 juin.
Le même Mohamed Badie avait déjà été condamné à mort, deux jours auparavant, par un autre Tribunal !

Mais il n’est pas seul.
Ce sont plus de 1200 personnes qui avaient été condamnées à mort par ce Tribunal de Minya (voir ici (529-condamnés-à-mort:-l-Egypte-est-elle-devenue-folle) et ici (encore-683-condamnés-à-mort-à-Minya,-en-Egypte)). Nombreux étaient ceux qui affirmaient que ces sanctions ne seraient pas prononcées. C’est pourtant ce qui semble se préparer pour une partie d’entre elles, puisque parmi les 683 condamnés de fin avril, 496 ont été acquittées, 4 ont vu leur peine commuée en prison à perpétuité et 183 sont effectivement condamnés à mort.

Contrairement à l’affirmation péremptoire d’une personnalité: « Après avoir vu cette peine de mort s’abattre sur la tête des dirigeants, plus personne n’osera penser à s’attaquer à un commissariat ou une institution étatique. », nous pouvons être certain que tôt ou tard, et de façon inéluctable, les Frères Musulmans, les révolutionnaires, les libéraux, les laïques, … se soulèveront à nouveau afin de mettre un terme à la folie totalitaire du gouvernement égyptien. Les journalistes appelleront sans doute cela le « second printemps égyptien » ….

Egypte, une parodie de justice (C)Amnesty International