“Accélérateur de citoyenneté”, c’est ainsi que sont qualifiés les réseaux sociaux d’Internet (Facebook, Twitter …) dans la dernière livraison de Télérama. D’autres journalistes ou commentateurs n’hésitent pas à les qualifier de moyens de la démocratie naissante dans les pays du Proche ou du Moyen-Orient. Or, rien n’est plus faux et dangereux que d’entretenir une pareille illusion.
Nous passerons, sans nous y arrêter outre mesure, sur le fait que les mêmes qui encensent aujourd’hui ces réseaux sociaux en les gratifiant de vertus qu’ils n’ont pas, sont ceux qui hier les dénonçaient comme des structures ultra-libérales, mondialisées et attentatoires aux libertés individuelles, voire incitatrices au suicide des adolescents.
Facebook et consorts ne sont ni l’un, ni l’autre. Ils sont des médias au même titre qu’en leur temps la presse et ses dazibaos, les tracts, les taguages de slogans de mai 1968 … Ils sont des outils de diffusion de masse des analyses, des informations, des mots d’ordre et des consignes. La seule différence (et elle est de taille) se trouve dans la vitesse de contact entre tous les destinataires, aussi bien à l’émission de la consigne qu’au retour de celle-ci par l’expression de ses conséquences et de ses résultats. Elle est également dans le nombre potentiellement illimité des contacts.
Mais tout ceci n’en fait pas un outil démocratique ou un “accélérateur de citoyenneté”. Le ‘Tea Party” aux USA, ou les “apéros-saucisson” en France prouvent, s’il en est besoin, que l’outil peut être utilisé pour les mots d’ordre et les actions les plus réactionnaires.
Dans le Maghreb, au Proche-Orient, au Moyen-Orient, les utilisateurs d’Internet et donc des réseaux sociaux se recrutent en priorité parmi les jeunes, et avant tout parmi les jeunes qui ont fait des études et qui ont un peu de revenus par l’emploi ou leur appartenance à une classe moyenne. Ce sont eux qui ont initié en Tunisie et en Egypte les révoltes que nous venons de vivre. La motivation profonde de leur mouvement est à rechercher dans une volonté d’accéder à la liberté de se déplacer et de voyager, la liberté d’entreprendre, la liberté de penser, la liberté de lire et de s’exprimer, la liberté de réussir, toutes libertés que l’Occident étale jour et nuit sur … l’Internet. Ce sont eux, d’ailleurs, qui, sans attendre des jours meilleurs, profitent d’une certaine désorganisation pour venir en Europe chercher ces libertés. Ces révoltes sont le fruit de la mondialisation des idées, du commerce, de la circulation des hommes et des biens.
Dans ce contexte, il est explicable que l’Internet joue un rôle d’intermédiaire médiatique primordial. Mais prenons garde cependant que les forces conservatrices ne sachent pas un jour s’en servir pour diffuser leurs messages. Si elles ne le font pas actuellement, c’est uniquement parce qu’elles recrutent leur clientèle dans des couches populaires, peu éduquées (souvent analphabètes) de la population. Dans les pays arabes et/ou musulmans, mais aussi en Europe où l’Internet devient très largement répandu, il n’est aucune raison de penser que les xénophobes de tout poil, les droites conservatrices opposées à l’immigration et à l’islamisation de notre société, ne soient pas capables d’utiliser l’outil. Il ne suffit que de trouver le ou les tribuns capables de théoriser un mouvement bien organisé et de le mettre en musique … de le mettre en ligne. Les signes de fragilité en ce sens ne manquent pas:
- Le Monde vient récemment de mettre en évidence la prégnance du mot “juif” dans les requêtes Google émises en France.
- Les théories du complot sont légion sur l’internet et nombreux sont les “groupes” qui les reprennent et les diffusent.
- Et même les lecteurs-abonnés du Monde.fr donnent parfois une image qui fait honte d’appartenir à cette communauté. Ainsi quand ceux-ci considèrent majoritairement (dans leurs commentaires) que les Tunisiens qui arrivent en Italie sont des nervis de Ben Ali qui fuient leur pays. Ou lorsqu’ils pensent que la journaliste américaine agressée (coupable faiblesse des mâles égyptiens) dans une manifestation égyptienne (manifestation d’exubérance après le départ de Moubarak) l’a bien cherché à cause de sa tenue !