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Enquête autour d’une photographie de Barbara

LA photo de l’adolescence de Barbara (au coeur de l’image, en blanc), Collège de Saint-Marcellin, année scolaire 1943-1944.
Détail de Barbara

D’une part, il y a ce que Barbara a écrit dans ses Mémoires ;« Il était un piano noir … Récit inachevé»: « Nous quittons Saint-Marcellin en 1945. Je suis triste, j’éprouve une drôle de sensation ; j’ai beau savoir que c’est pour retrouver Paris, pour moi, c’est partir vers l’inconnu.

Quand je reviendrai à Saint-Marcellin, vingt-trois ans plus tard, dans ma « belle Mercedes grise à toit ouvrant », c’est « Peter » qui conduira. Marie Chaix sera près de moi. Bouleversée, je traverserai la grande rue, puis la place d’armes qui mène au chemin bordé de mûres. Je retrouverai le coteau, la villa qui, en fait, n’est qu’une modeste maison ; les dahlias fauves seront toujours là.

Du retour en octobre 1945 : rien.

Je ne me souviens de rien.

Ni comment nous avons quitté Saint-Marcellin, ni comment nous sommes arrivés à Paris. »

Vingt-trois ans plus tard, c’est en fait en 1968, l’année au cours de laquelle Barbara crée « Mon enfance », cette chanson mélancolique qui lui permet de revenir sur son cadre de vie pendant la guerre de 1939-1945 : « Pourquoi suis-je revenue/Et seule au détour de ces rues/J’ai froid j’ai peur/Le soir se penche/Pourquoi suis-je venue ici/Où mon passé me crucifie/Elle dort à jamais mon enfance … ».

D’autre part, un jour, on tombe comme par inadvertance sur une photographie dont on vous dit qu’elle est exceptionnelle, qu’elle est datée du 3 août 1947 et qu’elle représente Monique Serf, aux cotés de la femme du maire, Claudine Brun, Duport de son nom de jeune fille, lors des Fêtes de Couronnement de la Rosière, à Saint-Marcellin.

Photo du défilé de la Rosière -3 août 1947 – Barbara est à gauche, vêtue de noir. (Photo Faurie)
Détail de la photo ci-dessus

Inévitablement, se pose la question, se posent plus exactement les questions.

– Si elle est revenue à Saint-Marcellin en 1947, pourquoi Barbara écrit-elle que son retour ne s’est fait que vingt-trois ans plus tard ? Si son histoire saint-marcellinoise l’a « crucifiée », pourquoi est-elle revenue sur les lieux de sa douleur ? Et pour quelle raison serait-elle revenue dans le cadre d’un fête populaire ? D’autre part, en 1947, Monique est encore mineure, est-il aisé de voyager et de trouver un logement dans ces conditions si l’on est seule ?

– Si ce n’est pas elle qui se trouve sur cette image, qui cela peut-il être ? La mémoire des Saint-Marcellinois a fait souvent défaut et les passés de Monique Serf (Barbara) et de Françoise Quoirez (Sagan) se sont souvent mélangés dans les souvenirs ; peut-il s’agir de Suzanne, la sœur aînée de Françoise, laquelle s’est mariée à Saint-Marcellin en 1946 et va bientôt accoucher de son premier enfant à Bourgoin ?

Ecartons rapidement cette dernière hypothèse. Les Saint-Marcellinois qui sont à l’origine de l’identification de Monique Serf sur la photographie sont formels. Le fils de Françoise Sagan et la fille de sa sœur Suzanne ne reconnaissent pas leur mère et tante sur cette image. Et l’association des « Amis de Barbara » affirme que cette photo la concerne bien et relate une anecdote selon laquelle Monique serait venue à Saint-Marcellin pour accompagner son frère Jean, lequel voulait rejoindre une fille qu’il avait connue. L’association nous joint une photographie du début des années cinquante sur laquelle Monique Serf, entourée de deux personnages, ressemble fortement à la jeune fille de la photo du défilé de la Rosière : même visage, même silhouette un peu ronde, même coiffure…

Barbara – Détail d’une photographie années 1950 à Bruxelles
D.R Photo Vynckier

Pour couronner le tout, la dite association nous confie que Bernard Serf est l’actuel représentant des ayant-droits sur la patrimoine de Barbara. Auparavant, c’était son père, Jean Serf, frère aîné de Barbara, qui assumait ce rôle. Or, Bernard Serf a ajouté depuis peu le nom de Bouveret à son patronyme : Bernard Serf-Bouveret. Est-ce le nom de sa mère ?

C’est l’INSEE qui nous aidera. Il existe trois femmes du nom de jeune fille Bouveret qui sont nées à Saint-Marcellin. Le service d’Etat-Civil de la ville fera le reste.

– Madeleine, née le 23 août 1921, décédée le 13 novembre 2008 à Lyon. Elle avait épousé Gilbert Charles Paul BOURREL, à Saint-Marcellin, le 5 août 1946.

– Jacqueline, née le 31 janvier 1925, décédée le 17 août 1988 à Voiron. Elle avait épousé René CHARBOTEL le 27 novembre 1954.

– Huguette, née le 6 juillet 1926, décédée le 24 février 1992 à Briare, dans le Loiret. Elle avait épousé ….. Jean SERF, le 29 octobre 1953 à Paris 20° !

Acte de naissance d’Huguette Bouveret – Archives Municipales de Saint-Marcellin

Par une rapide recherche généalogique (Archives Départementales de Saône-et-Loire), nous apprendrons que le père de ces trois filles, Camille Clément BOUVERET est né le 21 juillet 1892 à Louhans, et décédé le 28 septembre 1943 à Saint-Marcellin. Son épouse, Matilde (1), Anastasie GOUX est née le 21 juin 1894 à Sagy, dans la Saône-et-Loire, et décédée le 3 février 1979 à La-Tour-du-Pin dans l’Isère. Le couple s’est marié le 5 août 1920.

Il est possible de suivre l’itinéraire de Camille Clément au travers de sa fiche matricule (classe 1912). Employé de commerce lors de son conseil de révision, il est engagé volontaire, pour trois ans, le 25 mars 1913, au 5ème Régiment de Chasseurs d’Afrique, pour un court séjour en Algérie, avant d’être muté au 1er Régiment de Zouaves le 6 décembre 1913 . Déjà blessé au pouce de la main droite à Prunay (Marne), il sera grièvement blessé le 28 novembre 1916, au Pressoir (Somme), d’une fracture du fémur gauche par éclat d’obus. Cette « fracture vicieusement consolidée », selon les termes de sa fiche matricule, malgré une série de séjours en hôpital, lui vaudra d’être réformé en date du 25 septembre 1917, avec pension définitive à 65 %, selon la commission de réforme de Grenoble, le 13 mars 1922. « Modèle de courage et de dévouement », il est cité à l’ordre du Régiment et honoré de la Croix de Guerre.

Sitôt leur mariage le 5 août 1920, les époux Bouveret s’installent très rapidement à Saint-Marcellin, où naît leur première fille en 1921. Le recensement de 1926 les cite comme logés place Château Bayard. Camille Clément, le père, est mécanicien dentiste chez Germain. La mère et les deux premières filles, Madeleine et Jacqueline sont présentes au foyer.

Le recensement de 1931 indique qu’ils ont déménagé pour habiter le (quartier du) Mollard. A cette date, les rues de ce quartier n’ont pas de dénomination. La troisième fille, Huguette, est citée au recensement.

Les listes électorales, pour leur part, recensent Bouveret Camille en 1926, en 1931 et en 1939. Lors de ce dernier recensement, le domicile est précisé comme étant la rue Pasteur, la dénomination de cette rue étant intervenue en Conseil Municipal le 14 juin 1935. La révision de la liste électorale, faite en 1945, indique que Bouveret Camille est décédé en 1944 (il s’agit d’une erreur).

Recensement 1931 – Archives Municipales de Saint-Marcellin

Le témoignage (avril 2023) de Marguerite Tomasi, épouse Giraud-Rochon, nous apprend qu’elle était dans la même classe que Huguette Bouveret, à l’école privée catholique de la rue du Dauphin, à Saint-Marcellin. Leur institutrice était Marie-Thérèse Grillet (2). Celle-ci ayant enseigné les filles des CP et CE, cet épisode pourrait se situer entre 1932 et 1935.

Revenons aux amours de Huguette Bouveret et de Jean Serf. Celui-ci était donc à Saint-Marcellin ce 3 août 1947, afin de rejoindre celle qu’il considérait peut-être déjà comme sa fiancée.

Dans la famille Serf, le père est Jacques Serf, né le 25 novembre 1904 à Paris 18°, décédé le 20 décembre 1959 à Nantes. Son épouse est Esther Brodsky, née le 12 septembre 1905 à Tiraspol, en Moldavie, décédée le 6 novembre 1967 à Paris 8°. Leur mariage a donné naissance à quatre enfants.

– Jean, né le 20 septembre 1928 à Paris 9°, décédé le 25 avril 2014 à Saint-Fargeau (Yonne).

– Monique Andrée, alias Barbara, née le 9 juin 1930 à Paris 17°, décédé le 24 novembre 1997 à Neuilly-sur-Seine.

– Régine, née en août 1938 à Roanne.

– et Claude Eric, né le 27 mars 1942 à Tarbes, décédé le 5 juin 2017 à Draveil (Essonne).

Quand Jean rejoint Huguette, en août 1947, il va avoir 19 ans; il est donc encore mineur et l’on ne connaît pas son statut envers les obligations militaires. De son coté, Huguette a 21 ans, oh ! pas depuis longtemps, elle est majeure depuis exactement un mois. Une photo, une seule, à priori, immortalise ce retour de Monique Serf-Barbara dans la ville-refuge de sa famille lors de la guerre. L’a-t-elle oublié ? A-t-elle voulu l’oublier ? Ou encore, ses Mémoires font-ils preuve d’une licence d’auteure qui ne veut retenir que l’essentiel ? Voilà un rappel des questions à l’origine de cette enquête …

Huguette et Jean ; laissons-les rêver, laissons-nous rêver … dans six ans, c’est long, ils se marieront, ils auront un garçon qui, non content de porter le nom de son père, y ajoutera celui de sa mère, une Saint-Marcellinoise.

Une référence si puissante qu’Huguette reviendra à Saint-Marcellin, après son décès, pour y être inhumée, Allée des Myosotis. Une belle dalle d’un noir profond et d’une pureté exemplaire, rappelle simplement son nom et les bornes de sa vie : « Huguette SERF, née BOUVERET – 1926-1992 ».

Sépulture d’Huguette Serf, née Bouveret, à Saint-Marcellin – Photo JB (DR)

1 – Orthographe de l’acte de naissance.

2 -Marie-Thérèse Grillet est la mère de l’auteur de ces lignes.

Remerciements et sources

  • Archives Départementales Saône-et-Loire
  • Archives Municipales Saint-Marcellin
  • INSEE, répertoire des décès depuis 1970
  • « Il était un piano noir … récit inachevé » – Barbara – 1998
  • Archives des photos Faurie – Saint-Marcellin
  • Bernard Giroud in « Le Pays de Saint-Marcellin » – N° 17 – mai 2006
  • Denis Westhoff, fils de Françoise Sagan
  • Cécile Defforey, nièce de Françoise Sagan
  • Association « Les Amis de Barbara »
  • François Faurant – www.passion-barbara.net
  • Liliane Brun-Austruy
  • Marguerite Tomasi-Giraud
  • Marc Ellenberger
  • Association Groupe Rempart
  • https://thermopyles.info/2021/11/17/en-novembre-barbara/
  • https://thermopyles.info/category/francoise-sagan/

Reproduction interdite sans accord préalable avec l’auteur.

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Connaissez-vous Bétove ?

Tout débute par un entrefilet de moins de 20 lignes, sur une colonne, dans « Le Cri de la Vallée ». Cet hebdomadaire local n’en est qu’à son sixième numéro puisqu’il ne paraît que depuis le 30 septembre 1944, après avoir pris la place du « Journal de Saint-Marcellin ». « Le Cri de la Vallée » est l’organe des Comités de Libération issus de la Résistance. Dans ce sixième numéro, publié le samedi 4 novembre 1944, se trouve donc un petit pavé intitulé « Merci, Saint-Marcellin » et signé « Bétove ».

Qui est donc cet homme qui vient de passer deux années à Saint-Marcellin, en tant que réfugié, et qui s’en retourne à Paris ? Bétove est le pseudonyme de Maurice Michel Lévy, né à Ville-d’Avray, actuel département des Hauts-de-Seine, le 28 juin 1883.

Acte de naissance de Maurice Michel Lévy – AD 92

Atteint par la poliomyélite, qui lui laisse quelques séquelles, il se consacre à la musique et devient pianiste de la troupe de Diaghilev, compositeur et librettiste d’un drame lyrique issu d’un poème d’Emile Verhaeren; « Le Cloître », accompagnateur d’Isadora Duncan, voire chef d’orchestre. Il commet quelques histoires musicales comiques: la SACEM conserve dans ses catalogues la musique d’un petit film burlesque de 1909, « Un Monsieur qui a Mangé du Taureau ».

La variété de ses talents le conduit jusqu’à l’entrée en guerre de notre pays. C’est alors qu’il découvre le cinéma, muet à cette époque, et s’oriente vers la composition musicale destinée à accompagner les films. Abel Gance lui confie en 1918 la bande son de son film « La 10ème Symphonie ».

Mais tout cela ne correspond pas à ses envies et à ses ambitions. Après la guerre, Lévy traverse une période de doute et, pour la combattre, se transforme en comique musical, se produit dans les cabarets et music-hall, compose des parodies de musiciens célèbres. Il rencontre un vrai succès, sous le pseudonyme moqueur de Bétove, déguisé avec une chevelure ébouriffée, une fausse barbe et un chapeau avachi. Bétove fait des tournées en France, en Europe, en Afrique du Nord.

Autoportrait de Bétove
Michel-Maurice Lévy-vers 1920- Photo Henri Manuel
Bétove en 1926-Publié dans Comoedia

Il n’en oublie pas pour autant sa créativité plus sérieuse ! En 1922, il compose la musique du film « Vingt Ans Après », de Henri Diamant-Berger. Puis réalise, en 1926, un roman musical, « Dolorès », qui ne sera créé à l’Opéra-Comique de Paris que le 7 novembre 1952. En 1927, Henri Diamant-Berger lui confie la musique de « Education d’un Prince », qu’il compose sous le nom de Bétove.

Bétove en 1927

Il intervertit définitivement ses deux prénoms pour devenir Michel-Maurice Lévy, ainsi qu’en témoigne son dossier de Légion d’Honneur (Chevalier le 14 octobre 1927 et Officier le 27 février 1954).

Maurice Michel Lévy, par Kees van Dongen
(les prénoms ne sont pas encore intervertis)

L’acte de naissance de Maurice-Michel Lévy ne porte aucune trace d’un mariage de jeunesse. Ce n’est qu’âgé de 56 ans, qu’il se mariera le 11 juillet 1939, à Paris, avec Louise Emilie Gaullier, elle-même âgée de 52 ans.

Bétove en 1933- Photo Studio Walery (Charles-Auguste Varsavaux)
1938 – Musique de Bétove

Michel-Maurice Lévy a un frère aîné, André, né en 1881. Il est journaliste, romancier, sous le pseudo d’André Arnyvelde, anagramme de son nom. Dès le début de la seconde guerre mondiale, ses amis lui conseillent de quitter Paris, face aux menaces qui pèsent sur les Juifs. Il refuse. Le 12 décembre 1941, il est arrêté et interné dans le camp de Royallieu, près de Compiègne. Il y meurt d’une pneumonie le 2 février 1942.

A son tour, Michel-Maurice Lévy est interdit de travail en raison de ses origines. Il quitte Paris pour se réfugier en « zone libre ». Certaines biographies disent qu’il s’est rendu à Toulouse. Nous savons maintenant que lui-même a déclaré avoir passé deux années à Saint-Marcellin, entre 1942 et 1944. Des témoins s’en souviennent. La famille Austruy dit qu’elle recevait parfois Michel-Maurice-Bétove à la table familiale. Jean Austruy est allé jusqu’à modeler une tête, une sculpture un tantinet caricaturale, du personnage. Elle a été malheureusement détruite après plusieurs dégradations, mais il en reste une photographie.

Bétove, par Jean Austruy – Tous droits réservés

Dès la fin de la guerre, Michel-Maurice Lévy traverse une période d’intense activité et de grande créativité: nombreuses chansons, une opérette « D’Artagnan » en 1945, un poème symphonique « Le Chant de la Terre », sur un livret de Louise Marion, en 1945 également, une œuvre chorale « Notre-Dame de la Joie », sur un texte de Juliette Hacquard, chant qui sera intégré au répertoire des « Petits Chanteurs à la Croix de Bois », du temps de Mgr Maillet, ainsi qu’au répertoire du Mouvement « A Coeur Joie ».

« Le Monde » daté du 19 septembre 1945 publie une critique du « Chant de la Terre ». Il est bon de la publier intégralement. « Sur un argument de Mme Louise Marion, M. Michel-Maurice Lévy a composé un vaste poème symphonique en quatre parties, le Chant de la terre, dont l’orchestre national, dirigé par M. Manuel Rosenthal, vient de donner la première audition. Le mouvement initial montre la terre, lourde du destin des hommes, poursuivant sa route à travers les espaces. De longues tenues, des arpèges, évoquent les douceurs de l’âge d’or et rappellent le prélude de l’Or du Rhin (M. Michel-Maurice Lévy, depuis le Cloître, n’a point renié son culte wagnérien, et qui l’en blâmerait ?). Un chant se dégage, s’élève, s’épanouit, puis s’éteint dans un decrescendo. Au second épisode, les nuages s’amoncellent ; les gémissements des vaincus et des résignés, le tourment des martyrs annoncent l’orage qui va faire le sujet du troisième mouvement ; alors, dans le tumulte des batailles, dans le fracas des usines forgeant les armes, une plainte déchirante domine le rythme hallucinant des machines. Enfin – et c’est la quatrième partie – un grand élan de fraternité rassemble les peuples ; la terre chante à nouveau : une belle phrase mélodique, confiée aux basses, passant ensuite aux violons, un cantique d’une religieuse noblesse achève l’ouvrage. Ouvrage d’inspiration généreuse, traité par un musicien habile et sincère, connaissant mieux qu’homme au monde les maîtres qu’il a, pour notre agrément, si souvent parodiés avec esprit, mais qui sait aussi, comme il vient de le prouver, traiter avec bonheur les grands sujets et faire œuvre personnelle.

Portrait de Bétove, par Marthe Antoine Gérardin
Dédicacé par Bétove

Michel-Maurice Levy est-il heureux pour autant ? Le 16 janvier 1952, voici ce qu’il écrit à un « intermédiaire » afin de plaider pour être mis en relation avec Nicolas Nabokov: « Depuis que vous m’avez fait le plaisir de me promettre que M. Dujardin me recevrait, les jours et les jours passent terriblement et la préparation musicale du mois de mai se fait ponctuellement, méthodiquement… et il va venir forcément un jour où « tout sera fait ! » … C’est un peu ainsi que Dolorès a attendu 25 ans. Après que par le « Chant de la Terre », je lui demande de bien vouloir me compter parmi les 39 compositeurs internationaux dont il jouera les œuvres. Pour la France, je me doute que ce seront bien entendu toujours les mêmes, mais peut-être pourrait-on (une fois n’est pas coutume) me faire une toute petite place afin que je ne passe pas ma vie à me dire « après tout, je n’ai peut-être pas leur valeur! ». Car vous la connaissez ma vie, et vous savez que je n’eus jamais rien – comme compositeur, pas comme clown musical – sans franchir des kilomètres de barrières et de fils barbelés […]».

La SACEM lui décerne le Grand Prix de la Musique Française, en 1960.

Michel-Maurice Lévy-Bétove décèdera à Paris le 24 janvier 1965. Sa flamme brûle toujours dans l’histoire de la musique française. Puisse-t-elle brûler un peu dans le coeur des Saint-Marcellinois….

Remerciements: Groupe Rempart, familles Austruy, Dimier

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Europe buissonnière

Après le/la Covid. Il nous fallait partir et retrouver des lieux, des amis, des échanges, que la maladie et les confinements successifs avaient bien mis à mal. Nous sommes donc partis pour quasiment trois semaines (19 jours) et 3000 kilomètres à travers la Suisse, l’Allemagne (la Bavière), l’Autriche (la Styrie) et l’Italie (le Trentin et la Vénétie).

En Allemagne, ce fut d’abord Grafing, animée d’une fête bien traditionnelle, mélange de folklore et de religion catholique. Il y fut cependant question des trente ans de notre jumelage, également de politique lorsque la constitution de notre nouvelle Assemblée inspira à certains quelques pensées à propos de la République de Weymar, enfin de la découverte d’une forêt ( à Bruckberg) que choisissent celles et ceux qui ont opté pour la crémation, afin que soient dispersées leurs cendres.

Ciel bavarois, bleu avec du blanc – Droits réservés
Instant de repos pendant la fête folklorique – Droits réservés
En Bavière, déco de jardin – Droits réservés
Cultures bavaroises – Droits réservés
Mémorial en forêt de Bruckberg – Droits réservés

Ce sont des motifs « généalogiques » qui expliquent le choix de l’Autriche et de sa province sud-est de Styrie, une province bien verte. Gaal, un petit village de moyenne montagne, fut notre pied-à-terre et nous permit de visiter Seckau et Judenburg. Dans cette dernière ville, ancien lieu de commerce avec Venise, un petit musée raconte l’histoire des juifs qui vivaient ici de la fabrication et du commerce de la valériane, et de l’extraction de minerai de fer. Ce musée parle également du circuit automobile de Spielberg, situé à moins de 10 kilomètres.

Un pays bien vert – Droits réservés
Judenburg – Cloître dans une maison privée -Droits réservés

Puis ce fut l’Italie en deux étapes successives. Tout d’abord, une semaine à Roncone, dans le Trentin. En raison de la sécheresse, la commune de Tione di Trento (le Chef-lieu) fermait ses fontaines, parfois pour la nuit seulement, et en vidait d’autres dont l’eau en provenance du réseau se perdait systématiquement.

Dolomites du Frioul – Droits réservés
Bucheron ou ébéniste du Frioul – Droits réservés
Roncone – Droits réservés
Fontaine – Droits réservés
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Architecture « Art Nouveau » à Tione – Droits réservés
Fontaine – Droits réservés
Droits réservés
Droits réservés

Puis Fiesso d’Artico, sur les bords d’une Brenta bien pauvre en eau ! Occasion de parler du jumelage avec Saint-Marcellin, de visiter les Collines Euganéennes, de partager avec les amis, de refaire (un tout petit peu) le monde et de profiter du soleil.

Mirano et son campanile – Droits réservés
Fiesso d’Artico – La Brenta – Droits réservés
Droits réservés
Droits réservés

Dernière étape: le retour en France. Sur l’autoroute, entre Milan et Turin, nous dépassons une colonne de Fiat 126 qui ont bien du mérite à se déplacer à 90 km/h parmi les poids lourds sur la bande de droite. Nous faisons halte dans une station-service et les voici qui arrivent ! Elles sont onze voitures, fabriquées en Pologne (à Bielsko-Biala) entre 1973 et 1987 puisqu’elles ont une cylindrée de 600 ou 650 cm3. Leurs pilotes, partis de Pologne, rejoignent le lieu mythique des usines Fiat de Turin, après un périple de 1500 km.

3 320 000 exemplaires de la Fiat 126 ont été construits en Pologne entre 1973 et 2000.

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Vive l’Europe !

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en novembre, Barbara

Novembre n’est pas le meilleur des mois pour Barbara, ne serait-ce que parce que c’est en novembre, le 24, l’an 1997, qu’elle nous a quittés. Entre juillet 1943 et octobre 1945, Barbara a vécu à Saint-Marcellin, dans des conditions difficiles puisqu’elle et sa famille y étaient réfugiées afin d’échapper aux atrocités nazies et aux dénonciations.

Depuis 2019, la ville l’honore d’un Festival à son nom, Festival consacré à la chanson française et/ou francophone. Et depuis 2019, chaque édition de ce Festival est motif à ressortir LA chanson de Barbara dont il est évident qu’elle concerne Saint-Marcellin. Elle-même, d’ailleurs, a raconté qu’elle s’était arrêtée dans cette ville, de retour d’un concert dans le midi, afin de rechercher les traces de son enfance.

« Mon enfance », tel est le titre de cette chanson. Elle en a écrit les paroles. C’est, pour le moins, une chanson un peu triste. Elle y raconte qu’elle retrouve le coteau, l’arbre, la maison fleurie, les dahlias fauves dans l’allée, le puits … et les cris d’enfants en compagnie de Jean (frère ainé né en 1928), Régine, (sœur née en 1938) et Claude (frère né en 1942). Reste, dans l’énumération des enfants, un autre Jean. Qui est-il ?

Tout lui revient de ces années perdues de ses treize-quinze ans, les jeux et les noix fraîches de septembre, mais aussi le souvenir douloureux de sa mère Esther, qui vient de décéder alors qu’elle écrit cette chanson. Esther est décédée en 1967, la chanson date de 1968. La conclusion est mélancolique, qui affirme qu’il ne faut jamais revenir au temps caché des souvenirs, là où son passé la crucifie.

Barbara, 1965

Il est une autre chanson qui parle également de Saint-Marcellin, chanson dont elle n’est pas la seule auteure des paroles, paroles qu’elle a très certainement inspirées. Il s’agit de « Il me revient », dont le texte a été écrit en collaboration avec Frédéric Botton, en 1996.

Il me revient en mémoire
Il me revient en mémoire
Il me revient des images
Un village, mon village
Il me revient en mémoire
Je sais pas comme un songe cette histoire
Et voilà qu’au loin s’avance
Mon enfance, mon enfance
C’était, je crois, un Dimanche
C’était, je crois, en Novembre

Qu’importe, mais je revois l’usine
Oui, l’usine se dessine
Surgit du livre d’images
Un ciel gris d’acier, une angoisse
Et des pas lourds qui se traînent
Et les ombres qui s’avancent
C’était, j’en suis sûre, un Dimanche
C’était, j’en suis sûre, en Novembre

Et se détache une image
Un visage, ton visage
Où allais-tu sur cette route
Comme une armée en déroute
Et tout devient transparence
Et tu deviens une absence
Tout me revient en mémoire
Le ciel et Novembre et l’histoire
Et les pas qui se rapprochent
Et s’avancent en cadence
Toi, où es-tu, je te cherche
Où es-tu, je te cherche
Toi, mon passé, ma mémoire
Toi, ressorti de l’histoire
Qui était, j’en suis sûre un Dimanche
En Novembre

Ton visage
Toi, sur cette route
Figé
Et les ombres qui se rapprochent
Et les ombres qui te frappent
Et t’emportent
Il me revient des images
Ce village, ton visage
Toi, seul sur cette route
Et les pas qui s’approchent
En cadence, en cadence

En cadence (en cadence…)
En cadence (en cadence…)

L’histoire est simple: il s’agit de l’arrestation d’un résistant ou sympathisant de la Résistance par des miliciens, plus probablement que par l’armée allemande. Le lieu est signifié, l’usine se dessine, donc à proximité de la Laiterie Brun et de la Fabrique d’Appareillages Electriques de la CGE. La date est celle de novembre, donc exclusivement novembre 1943 ou novembre 1944, les seuls novembre pendant lesquels Barbara vivait à Saint-Marcellin. Or, Saint-Marcellin ayant été libérée en août 1944, il ne peut s’agir que de novembre 1943.

Pour mémoire, le 29 novembre 1943, à Saint-Marcellin, le Docteur Victor Carrier est sommairement exécuté par la Milice, dans le contexte de ce qui a été désigné comme la « Saint-Barthélémy grenobloise ». Il était, avec son ami le Docteur Valois, le créateur du Secteur 3 de l’armée secrète de l’Isère et du Bataillon de Chambaran. (1)

1 – https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article183667