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Chronique du Bateau Ivre, de Saint-Marcellin. Chapitre cinq

Et si l’on visitait …

Pierre Székely a souvent pris la peine d’expliquer la réflexion qui l’a conduit à proposer ce type de maison au couple Gelas. Un dessin dont il était l’auteur était exposé dans la maison, de même qu’il est gravé sur une pierre située dans l’entrée du Bateau Ivre. Il en existe une version conservée au Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) de la Région Centre, version datée de 1952, ce qui tend à prouver que la conception de la maison occupe déjà l’esprit de Pierre Székely avant même qu’il rencontre Monique et Fred Gelas. Il leur propose cette conception théorique et avec l’ensemble de celles et ceux qui ont été cités dans notre précédent chapitre, ils « bâtissent » une maison.

Dès l’abord, nous devons relativiser deux explications qui sont fréquemment émises à propos de cette maison. En premier, une référence à Le Corbusier. Elle est abusive en ce sens que les villas et maisons d’habitation conçues par Le Corbusier sont élaborées à partir du Modulor, une unité de mesure à l’échelle humaine définie entre 1940 et 1945. A priori, il n’est jamais fait référence à cette unité dans les données d’élaboration du Bateau Ivre.

La seconde référence s’appuie sur un commentaire de Pierre Székely lui-même, parlant d’une construction sur le modèle de la coquille d’escargot. Le but recherché par le créateur est de construire une habitation toute en courbes dont un seul mur, un mur unique, délimiterait les zones diurne et nocturne. Il ne nous est pas loisible de retenir cette conception comme étant achevée, puisque Pierre Székely en a reconnu l’impossibilité. Ecoutons-le. « Premier stade : le jardin et la maison s’interpénètrent, le centre vital de cette dernière étant déjà marqué. Deuxième stade : la vie paisible et nocturne se trouve scindée de la vie diurne et souvent collective. Le centre vital se confirme. Troisième stade : le plan proprement dit apparaît comme par enchantement, les chambres, cellules privées,s’orientent vers le levant, l’espace diurne s’ouvre vers le zénith, la pénétration se fait entre les deux courbes. Quatrième stade : le centre vital devenu cheminée monumentale puissante, perce verticalement la maison, les deux devenus le foyer de la famille, avec l’espace autonome des enfants. Je voulais traiter les maçonneries courbes, sans angles, en souplesse, avec des fenêtres arrondies, comme une masse modelée, d’une blancheur immaculée. Mon souhait de limiter l’espace intérieur de l’habitat par une paroi continue et sans rupture n’a pas pu encore être satisfait. Je me rendais compte que les escargots précéderaient les humains de quelques millions d’années par leur art de bâtir. Il était temps de les rattraper ».

Dessin de Pierre Székely illustrant sa conception de la maison en quatre stades – Droits réservés

Ce dessin fondateur, gravé à l’entrée de la maison, a été repris par Fred et Monique Gelas afin d’éditer un « timbre-à-moi » sur lequel manque, et c’est dommage, la mention du nom de l’auteur du dessin.

« Timbre-à-moi » reproduisant le dessin de Pierre Székely – Droits réservés

En fait, le Bateau Ivre est une maison en avance de quelques dix à vingt ans. Entre les années 60 et 70 sont nées les conceptions d’objets, de véhicules ou de maisons, dites « organiques » ou de « bio-design », c’est à dire adoptant des formes douces et arrondies, en fusion (réelle ou simulée) avec les formes de la nature. Le Bateau Ivre de Saint-Marcellin, conçu entre 1952 et 1956, fait déjà partie de ce courant : simplicité dans la construction, formes douces, dialogue entre la nature et la maison, le jardin pénètre dans le hall et le séjour est ouvert sur le jardin .

Dès l’abord, la maison se présente avec peu d’ouvertures sur ses façades ouest et nord, des ouvertures aux angles arrondis perçant des murs blancs. Le toit, légèrement en pente, est cerclé d’un bandeau d’aluminium.

Le Bateau Ivre – Entrée – Droits réservés – JB

La « visite » qui suit est illustrée par des photographies ayant trois origines différentes:

  • des photos publiées en février 1957 dans la revue « Arts Ménagers » (1), notées A, alors que la maison n’est occupée que depuis quelques semaines.
  • des photos filigranées de la maison datées de janvier 2021, lors de la mise en vente de celle-ci (publication sur le site marchand de l’agent immobilier) (2), notées B.
  • enfin des photos de septembre 2021, après l’achat du Bateau Ivre par la Ville de Saint-Marcellin, alors que la maison est vide, notées C.

Pour bien comprendre, voir le plan publié dans le chapitre trois.

L’allée d’accès, pavée de lauzes, pénètre dans l’entrée éclairée par des oculus au plafond. Sur la gauche, en alignement, la chambre des parents et celles des enfants, séparées par des salles de bain. Les deux chambres d’extrémité ont des murs arrondis et les chambres intermédiaires, ainsi que les salles de bain, demeurent parallélépipédiques par pure obligation. Les chambres sont équipées d’un meuble occupant la totalité du mur orienté à l’est, meuble comportant des étagères, des placards et une découpe donnant accès à la fenêtre dont les volets sont intérieurs. Notons qu’aucune penderie n’est prévue ! Le couloir d’entrée conduit à un espace dit de jeux pour les enfants, lequel deviendra un bureau lorsqu’ils auront grandi. Cet espace ouvre, par une grande verrière côté sud, sur le jardin.

C – Le Bateau Ivre – Entrée – Droits réservés – ME
B – Le Bateau Ivre – Couloir d’entrée – Droits réservés
C – Le Bateau Ivre – Salle de Bains – Droits réservés – JB
B – Le Bateau Ivre – L’une des chambres – Droits réservés
C – Le Bateau Ivre – Meuble mural des chambres – Droits réservés – ME

En tournant sur la droite, nous accédons à la partie diurne de la maison, divisée en deux unités. A droite, l’utilitaire avec la cuisine, la buanderie, les sanitaires, une chambre dite de bonne et une chambre d’amis. Cette dernière bénéficie d’une porte donnant sur l’extérieur afin de la rendre indépendante.

La cuisine exposée en 1954 au Salon des Arts Ménagers – Droits réservés
A – Le Bateau Ivre en 1957 – La cuisine installée – La céramique du mur de fond (Vera Székely) est celle du Salon des Arts Ménagers – Droits réservés – Horak
C – La cuisine aujourd’hui – Droits réservés – ME
C – Le Bateau Ivre – La chambre d’amis – Droits réservés – JB

A gauche, une grande salle unique dite de séjour, de 40 m² de surface, rapprochant une partie « salle à manger » avec une immense baie vitrée donnant plein sud sur le jardin et une partie « salon » caractérisée par une cheminée de grande dimension recouverte de galets provenant de la Galaure et une bibliothèque fixée au mur avec deux abattants pouvant servir d’écritoires. Le mur de cette pièce, à l’est, est entièrement occupé par une céramique de Vera Szekely, d’une superficie de 19 m², d’un décor abstrait, coloré, fascinant, qui se poursuit à l’extérieur, en bordure de la terrasse (une terrasse de très faible largeur). Le mur du salon est percé de cylindres colorés laissant pénétrer la lumière.

A – Le Bateau Ivre en 1957 – Salle à manger – Droits réservés – Horak – Les sièges sont des modèles Bertoia, encore aujourd’hui diffusés par Knoll
B – Le Bateau Ivre -Salle à manger et la cheminée du salon- Droits réservés
C – Le Bateau Ivre – Salle à manger – Céramique Vera Székely – Droits réservés – JB
A – Le Bateau Ivre en 1957 – Le salon – Droits réservés – Horak Assises de G à D: Monique Gelas et Maria Gautier; au second rang, assis: Pierre Székely; au fond, de G à D: André Borderie et Fred Gelas
C – Le Bateau Ivre – Bibliothèque du salon -Droits réservés – JB
A – Le Bateau Ivre en 1957 – Façade sud – Droits réservés -Horak
C – Le Bateau Ivre – Façade sud – Droits réservés – JB
C – Le Bateau Ivre – Façade sud – Droits réservés – JB

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