C’est fou comme peuvent être nombreux les “démocrates de la dernière heure” qui nous parlent de la Tunisie à longueur de colonnes de courrier ou de commentaires sur le Net ! C’est à croire que tous, journalistes y compris, avaient vu venir la révolte tunisienne. Si ces “commentateurs” sont légion, c’est bien avant tout parce qu’ils peuvent “dénoncer” le comportement de la France: en fait ils instrumentalisent cette révolte pour satisfaire leurs critiques internes.
Car, bien sincèrement, quelle image avions-nous tous de la Tunisie ? Comment le régime de Ben Ali a t-il réussi à faire passer un message extérieur satisfaisant pour les occidentaux ? Myriam Marzouki, dans “Le Monde” a su le décrire très bien. L’accueil et la gentillesse des Tunisiens, une armée des plus réduites dans le Maghreb et en Afrique, un taux de formation des jeunes parmi les plus élevés, une croissance économique, certes insuffisante pour donner du travail à tous, mais positive, un statut des femmes le plus libéral parmi ceux des pays musulmans, une réelle ouverture économique vers l’occident, le tourisme et, dominant le tout, la conscience d’être un rempart contre l’islamisme… Oui, nous ne voulions voir que ça et ne pas entendre les quelques voix de l’opposition en exil. Davantage qu’un dictateur, Ben Ali était considéré comme un potentat dont le comportement présentait quelques avantages indéniables aussi bien, toutes proportions gardées, pour les diplomates que pour les touristes de Djerba.
Dans “Le Monde” lui-même, Isabelle Mandraud (interdite en Tunisie) n’est intervenue qu’à cinq ou six reprises au cours de l’année 2010 pour nous parler de ce pays: la censure du web, les sanctions pour ceux qui dénigrent l’expansion économique du pays, la fermeture de l’Université Libre de Tunis, la dénonciation par Human Rights Watch de la situation faite aux anciens prisonniers politiques, la liberté de la presse, l’empire du gendre de Ben Ali, mais aussi le développement touristique !!
L’Egypte prend le même chemin et se révolte à son tour. Le tableau n’est pas le même. L’éducation supérieure n’y est pas aussi grande, le statut des femmes reste très conservateur, la population est considérable, les revenus économiques limités et concentrés sur trois secteurs (gaz et pétrole, tourisme, Canal de Suez), la pauvreté extrême est importante, la censure d’internet est quasi permanente, le régime militaire d’exception pèse depuis l’assassinat de Sadate, les communautés copte et musulmane s’affrontent ici ou là, l’islamisme militant y est né (”Les Frères Musulmans”) … Nous avons très souvent parlé de l’Egypte dans ce blog . Tellement souvent que nous ne pouvons qu’exprimer une intense solidarité avec ceux qui réclament la démocratie en plus du pain. Et pour affirmer que si les occidentaux se veulent démocrates, ils se doivent de parler pour l’Egypte et pour que change son régime, pour que Moubarak se retire en douceur et pour que des élections sincères soient organisées.
Ce sera difficile. Ici, encore plus qu’en Tunisie, les islamistes attendent leur heure. Ici, comme en Tunisie, Kadhafi prône le maintien de ce qu’il appelle la “stabilité”. Ici, plus qu’en Tunisie, parce que nous sommes aux portes de la Palestine, aux portes d’Israël, le changement est redouté. Mais affronter la vérité, c’est le courage et défendre la “stabilité”, c’est la lâcheté.
Le chemin est encore long et douloureux entre ces “révolutions” et la révolution. Rien n’est acquis, rien n’est gagné. La lutte ne se fait pas par procuration, mais ici nous devons parler de l’Egypte et soutenir les égyptien(ne)s.