Voici quelques jours, le 1er juillet exactement, « Le Monde » consacrait un éditorial économique et deux pages à une question d’importance. Malgré la primauté de l’électronique, des communications accélérées, de l’internet, des stockages massifs de données, de la dématérialisation de vos propres données, malgré tous ces éléments qui font la révolution numérique et que l’on se persuade faire partie d’une troisième révolution industrielle, eh bien non, nous sommes tous en pleine stagnation. Alors, est-ce la fin du progrès ? Pourquoi cette « mystérieuse panne de productivité » ?
Il n’y aurait plus rien à inventer, disent certains. Et la révolution numérique, si elle va modifier profondément, très profondément, nos comportements, nos façons de produire et la structure de nos sociétés ne modifiera et ne modifie dès à présent, que très peu notre productivité qui stagne depuis six à huit ans.
Et « Le Monde » de dresser un inventaire des accroissements de productivité attendus cependant dans une large série de professions: la publicité qui se fera en temps réel auprès des consommateurs, la grande distribution dont les drive et les caisses en libre-service vont remplacer les hôtesses, la banque qui se fera de plus en plus en ligne, la santé dont le médecin sera remplacé par un monitoring à distance, les transports avec les voitures sans pilote, la sécurité qui remplacera ses agents par des robots, le BTP avec la même évolution vers la robotique, idem pour la pharmacie d’officine et/ou d’hôpital, la propreté par remplacement des ripeurs par des robots guidés via GPS, robots encore en agriculture …. Les professions intellectuelles ne seront guère épargnées telle la police, les avocats, les conseillers en tout genre dont le métier se verra pris en main par des logiciels puissant d’intelligence artificielle auxquels n’échapperont même pas les journalistes …
On peut discuter de certaines affirmations: ainsi les camions collecteurs d’ordures ne pourront collecter vos bacs grâce au GPS et à la vidéo que si vos rues sont tracées au cordeau, donc dans des quartiers à construire. Quant au journalisme par algorithme, que l’on nous en préserve et que l’on accorde toujours une petite part à l’analyse et au commentaire humains.
Outre détruire des emplois, ce rapide tour d’horizon des gains de productivité « attendus » n’a vraiment rien de réjouissant. Et s’il y a gain de productivité, c’est uniquement pour les financiers qui contrôlent la grande distribution, la santé, les transports, la culture et même le journalisme. Quel gain de productivité y a t-il réellement si la démarche consiste uniquement à remplacer des emplois soit par des robots, soit par des algorithmes ? Que feront nous des emplois supprimés si la société doit rester la même ? Ce seront des chômeurs qu’il faudra indemniser plus ou moins longtemps. Plus ils seront nombreux, plus il faudra les indemniser longtemps afin d’éviter les violences sociales. Qu’est-ce que la « société » y aura gagné ? De quelle productivité accrue pourra-t-elle se vanter ?
Ce bilan ressemble fortement à ce pouvaient écrire les thuriféraires des première et seconde révolutions industrielles qui plaçaient tous leurs espoirs dans un renouveau complet des conditions de vie de l’humanité. Ils avaient, toutes proportions gardées, raison. Aujourd’hui, les journalistes et les analystes économiques ont tout faux.
Car enfin, si la première révolution industrielle, celle du charbon, celle de la vapeur, du chemin de fer et de l’imprimerie a apporté un énorme potentiel de progrès dans toute l’humanité, est-ce simplement dû à l’imprimerie ? Sont-ce les commentaires des gazettes et des journaux qui ont fait l’industrie ?
Si le seconde révolution industrielle, celle du pétrole, du moteur à explosion, de la généralisation de l’électricité et du tout-à-l’égout, ainsi que du téléphone, poursuit encore sa croissance sur des continents comme l’Afrique ou une partie de l’Asie, est-ce une conséquence de l’usage généralisé du téléphone ?
Alors, si la troisième révolution industrielle doit, un jour, supplanter la seconde et promettre des jours meilleurs à l’humanité, tant en productivité qu’en accroissement du bonheur, ce ne sera certainement pas grâce à la révolution numérique. Il manque à l’inventaire une donnée, un élément, une ressource: l’énergie.
Ce ne sont pas les lettres de cachet ou les ordres de mission qui ont ouvert les pistes des routes de la soie, du sel ou de l’encens, mais la marche ordonnée des caravanes et le vent dans les voiles des caravelles. Plus tard, ni l’imprimerie de masse, ni le téléphone, ni la radio, ni le cinéma, ni la télévision, ni l’affichage publicitaire n’ont influé sur le progrès global de nos sociétés. Il n’y a aucune raison pour que le « cloud » et les ordinateurs échappent à cette règle. Ce qui caractérise une révolution industrielle, c’est l’énergie qu’elle utilise majoritairement et non le moyen par lequel elle se raconte.
Après la marche et le vent, il a fallu attendre des siècles pour que la vapeur et le charbon ouvrent une ère nouvelle.
Puis ce fut le tour du pétrole.
Aujourd’hui, la troisième révolution industrielle attend son énergie: elle se nomme énergie renouvelable. Qu’elle soit solaire, qu’elle soit éolienne, qu’elle soit issue des houles et des marées ou de la transformation de la biomasse, c’est cette énergie-là qui fera la troisième révolution industrielle.
Si la troisième révolution industrielle attend son énergie renouvelable, la France attend encore davantage, elle qui a raccordé à son réseau électrique 172 MWc (mégawatts-crète) de capacité de production au premier trimestre 2014, en recul de 10 % par rapport au trimestre précédent et en retard très net par rapport aux prévisions pour l’année (800 MW). C’est peut-être de ce coté qu’il faut chercher le retard de la France en matière de productivité, et non du coté de ses Centres de données …
Pour bien comprendre le rôle de l’énergie dans la survenue d’un bouleversement industriel, il n’est pas inutile de relire Jeremy Rifkin (Plus-on-est-riche,-plus-on-est-heureux).