« Il dit qu’il méprisait leur projet et qu’organiser la fuite des gens était une œuvre de traître parce qu’elle empêchait d’entreprendre le changement à l’intérieur du pays. « Le changement dont ce pays a besoin ». Puis il se tut et au bout d’un moment, comme si une autre voix, eau vive, avait traversé l’épaisseur fossile de sa chair il ajouta: « Quand on ne peut rien changer pourtant il faut s’enfuir. »
Extrait de « Les hommes-couleurs » de Cloé Korman (Seuil), ce petit texte traite de la « fuite » des mexicains vers les USA. Mais la même phrase peut s’appliquer aux migrants tunisiens (surtout des hommes) auxquels on entend souvent reprocher qu’ils quittent leur pays au moment où celui-ci s’ouvre (un peu) à la liberté, et au moment où leurs bras et leur travail pourraient lui permettre de se développer.
Sous un aspect d’évidence, cette sentence rejoint le texte du roman de Cloé Korman: quand on ne peut rien changer pourtant il faut s’enfuir !
Tunisie, Egypte, là où l’on parle de « printemps arabe », les nouvelles orientations du pays, une nouvelle économie, tout cela sera bien difficile à mettre en place, si tant est que l’on y parvienne un jour. Et cela ne se fera qu’avec l’aide de l’Europe qui tergiverse tant et mieux. L’ouverture relative de ces pays devrait inciter à relancer au plus vite des coopérations, en matière d’études universitaires, en matière de créations d’entreprises, … L’Union pour la Méditerranée est quasi morte: il est l’heure de créer une nouvelle union pour la Méditerranée et peu importe son nom.
La nature même du « printemps arabe » montre que la revendication majeure des femmes et hommes qui manifestent est celle d’une autonomie économique et d’une possibilité d’accession à une forme de consommation (image de progrès) telle qu’elle est largement développée en Occident. Aux yeux du peuple, la nature du régime est avant tout condamnable, et condamnée, parce que la famille et le clan à la tête du pays se sont surtout servis sans mesure. L’Egypte prépare déjà un assouplissement des peines de Moubarak parce que celui-ci se dit prêt à restituer sa fortune mal acquise. En Tunisie cependant les commentaires vont bon train sur les millions amassés par Ben Ali, mais personne encore n’envisage comment les utiliser au profit de l’économie tunisienne. La question n’est pourtant pas neutre puisque l’on peut lire que ces détournements de fonds et ces achats d’or et bijoux représentent plus d’un PIB annuel du pays (39,56 milliards de dollars en 2009). Imaginez que l’Europe s’engage à y ajouter un montant identique en trois-quatre ans, ne croyez-vous pas que cela faciliterait un redémarrage économique du pays ?
Cette question des réfugiés tunisiens empoisonne l’atmosphère européenne. Une majorité de pays d’Europe est prête à revoir les principes de libre circulation de Schengen. Les commentaires les plus excessifs sont entendus, lus, écrits ici ou là. L’Europe s’habille des oripeaux de la xénophobie.
En France même, les citoyens véhiculent ces commentaires avec un facilité toujours plus grande et en laissant libre cours aux amalgames les plus faciles. Immigration, insécurité, islamisme, sont mélangés et se répondent les uns aux autres pour expliquer toutes les difficultés de nos sociétés: vie dans les quartiers, chômage, crise économique …
Le débat politique lui-même est simplifié à l’outrance.
Le ministre de l’intérieur prétend vouloir limiter l’immigration officielle, tout en poursuivant ses attaques envers l’immigration clandestine, mais ce n’est là qu’effet d’annonce, histoire de tenter de reprendre quelques voix à l’extrême-droite. C’est très probablement dans son rôle électoral, mais ce n’est pas ce qui fait évoluer l’analyse des français.
A tort ou à raison, ceux-ci jugent qu’il y a trop d’immigrés en France. Ce jugement s’appuie exclusivement sur l’affirmation d’un constat: « cela se voit » ! Constat raciste donc ! S’appuyant sur une différence de couleur de peau essentiellement ! Et faisant fi de l’existence de milliers de français originaires des DOM ou des TOM qui n’ont pas la peau blanche ! Mais tout le monde est dans le même sac ! Constat également que l’on « retrouve ces gens dans toutes nos grandes villes » ! Bien sûr, car là est le travail que nous leur réservons et qu’ils sont seuls à accepter: la construction, les travaux publics, la surveillance, la sécurité, le nettoyage et la propreté (des aéroports, gares, MIN, grandes surfaces), la collecte des déchets, …
Un exemple ? Le Festival de Cannes donne l’occasion à quelques femmes de service d’un petit palace de se manifester et de réclamer la régularisation de leurs titres de séjour.
La gauche française est-elle capable de définir et de proposer une politique de l’immigration qui en soit une ? Au-delà de la critique violente de la droite, à laquelle il est reproché de faire une politique de droite, que formule la gauche ?
Pas grand chose, et comme vient de le souligner Ségolène Royal, elle est particulièrement mal à l’aise sur ce terrain.
Pourtant, des parlementaires de toutes tendances (majoritairement à gauche, cependant !) viennent de publier les résultats de l’Audit de la politique d’immigration, d’intégration et de codéveloppement, un audit initié voici plus d’un an par l’association « Cette France-là ».
Curieusement, DEUX rapports sont publiés concernant l’ensemble des auditions. Le premier l’est par les parlementaires eux-mêmes et vous pouvez le trouver ici (http://issuu.com/smazetier/docs/rapport_de_l_audit_de_la_politique_d_immigration__?viewMode=magazine&mode=embed). Pas très facile à lire et non annotable !! Le second l’est (d’aujourd’hui) par l’association « Cette France-là » et vous pourrez le trouver ici (http://www.cettefrancela.net/actualites/article/l-association-cette-france-la-a). Il est intitulé « Rapport d’audit de la politique d’immigration de Nicolas Sarkozy. A de mauvaises questions, apporter de pires réponses ».
Il y a sans doute des divergences d’interprétation et de conclusions là-dessous. Mais lesquelles ? Après avoir lu le premier rapport, il faudra lire le second. Quoi qu’il en soit, le rapport des parlementaires a été froidement accueilli par la presse et notamment par Libé (http://www.liberation.fr/societe/01012336895-un-audit-timide-pour-la-politique-d-immigration), sous la signature de Catherine Coroller, qui l’a qualifié d »audit timide » qui ne se livrait pas à une critique très virulente de la politique d’immigration. Quant au second rapport, celui de « Cette France-là », il a été critiqué dans « Le Monde », sous la plume d’Elise Vincent, qui le considère comme « manquant de nuances et de contre-propositions ».
L’une des constatations de ce travail des parlementaires est de conclure que les immigrés « coûtent moins en prestations sociales que ce qu’ils rapportent ». Honnêtement, cette conclusion, montée en épingle par la presse de gauche est elle réellement une conclusion … de gauche ? Les immigrés ne sont-ils qu’une variable d’ajustement de notre économie ? Doit-on les accepter chez nous uniquement parce qu’ils « coûtent moins » ?
Il est heureusement des conclusions plus réalistes et plus humaines. Elles sont formulées par Françoise Laborde, sénatrice de Haute-Garonne.
- Rétablir une procédure unifiée de la naturalisation.
- Sécuriser le séjour des étrangers en sortant de la carte d’un an renouvelable, seule condition pour que les personnes s’investissent et se projettent dans l’avenir.
- Suspendre toute politique de reconduite systématique.
- Créer un droit à l’aller-retour.
- Supprimer le ministère dédié.
- Interdire toute performance chiffrée en matière de lutte contre l’immigration clandestine.
- Mettre en place une politique européenne d’immigration commune, humaine, responsable et accueillante.
- Harmoniser au niveau européen la gestion de la rétention administrative des immigrants clandestins sous contrôle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
- Créer un Office Européen en charge de l’immigration sous l’autorité de la Commission Européenne, faisant appliquer, par les services compétents, au niveau de chaque état, la politique d’immigration européenne.
- Accentuer la coopération policière et douanière, sous l’autorité de l’Office en charge de l’immigration.
- Instaurer une carte de résidence temporaire unifiée permettant aux ressortissants de pays hors de l’union de travailler librement sur l’ensemble du territoire de l’union.
« Timide », disent-ils !