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Niger, Tunisie, Egypte nous interpellent

Depuis le début de l’année, des événements tous plus violents les uns que les autres s’enchaînent et interpellent vigoureusement la France, et au-delà l’Europe, voire tout ce qu’il est coutumier d’appeler le monde occidental.

Le Niger, tout d’abord, avec l’enlèvement et la mort des deux otages Vincent Delory et Antoine de Léocour. Nous en avons parlé ici (Le-Niger-la-France-et-les-otages). Indubitablement, leur mort est consécutive à l’engagement des forces armées nigériennes et françaises pour arrêter le convoi d’AQMI ou de ses “fournisseurs” avant qu’il ne “disparaisse” au Mali. La mort des deux jeunes gens n’est pas une bavure, c’est la conséquence d’un acte de guerre au cours duquel deux adversaires se sont affrontés. Avec cet événement, nous avons assisté à un virage brutal de l’attitude française envers les prises d’otages. Il n’est désormais plus question de laisser AQMI kidnapper ou faire kidnapper des français sans réagir. Il doit être mis fin au lucratif négoce des rançons qui permet à Al Quaida de s’équiper en armes et en matériel et de financer ses intermédiaires. Les activistes ont pourtant déjà remporté une victoire: les européens sont partis, y compris et surtout ceux qui apportaient une aide humanitaire au pays, au travers de multiples ONG. Les touristes ne viendront plus avant longtemps, alors que certains villages ne vivaient que de ce tourisme équitable. Il est probable que désormais la situation évolue vers des attentats, comme tout dernièrement en Mauritanie avec la destruction d’un véhicule chargé d’explosifs.

Quel intérêt avons-nous à être au Niger et à y rester, protégés par une force militaire ? AREVA, notre quasi seule présence économique dans ce pays, celle de l’extraction de l’uranium (http://www.temoust.org/uranium-le-marche-va-t-il-se,13964). La question n’est pas celle de notre programme nucléaire, car même s’il devait être freiné ou interrompu, nous aurions besoin d’uranium (d’autres pays aussi à qui nous le revendons sous forme de concentré). Désormais, son extraction se fera sous la protection de l’armée !

Mines d’uranium au Niger (DR)

Il est certain (quoi qu’en pense Ecologie-Les Verts) qu’il n’est pas possible de privilégier la négociation par rapport à l’usage de la force. Car AQMI ne veut pas négocier, ne cherche même pas à négocier, il ne veut qu’éradiquer les occidentaux du Sahel, parce que ce sont des infidèles. Et pour cela, il enrôle les jeunes sans emploi et les assomme d’une idéologie basique. Comment contrer cette dangereuse évolution ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? On rejoint là le débat récurrent des relations entre la France et l’Afrique. La France a remis 3 millions d’euros d’aide budgétaire au Niger en début d’année. Ce n’est pas suffisant. C’est AREVA qui doit faire son aggiornamento, mettre ses pratiques en accord avec ses mots (http://www.areva.com/FR/notreoffre-412/prospection-et-extraction-d-uranium-pour-un-approvisionnement-durable.html), embaucher des jeunes maintenant que tous les expats sont partis, maintenant que tous les humanitaires sont partis, les former, leur apprendre les techniques d’assainissement des villes et villages, la viabilité des routes, les former pour distribuer l’aide alimentaire, pour trouver de l’eau, créer un jardin, faire un peu d’agriculture, satisfaire la faim des enfants, reconstituer les troupeaux … Et puis investir dans la protection de l’environnement (neutralisation de ses produits d’extraction) et enfin verser à l’état nigérien une juste compensation de la plus-value opérée sur le bien mis à sa disposition: la terre du Niger. Est-ce rêver ?

Pour terminer sur le Niger, notons le calme du 1er tour des élections législatives et présidentielle et saluons la promesse faîte et tenue par les militaires: rendre le pouvoir aux civils, peut-être au peuple …

La Tunisie ensuite, au sujet de laquelle nous avons déjà émis quelques commentaires (Tunisie-Egypte-…). Toutes les 48 heures, le comportement du gouvernement français revient sur le devant de la scène, alimenté par les centaines de commentaires des “révolutionnaires de la dernière heure”. (« Depuis trois semaines, une effervescence médiatique sans précédent rattrape deux décennies de mutisme, de mensonges et d’ignorance » – Myriam Marzouki, le 23/01/2011).

Prenons le récent exemple de MAM. Des colonnes entières de journaux et des centaines de commentaires Internet lui reprochent d’avoir utilisé l’avion d’un industriel proche de Ben Ali. C’est là une instrumentalisation de la révolte tunisienne à des fins strictement internes à la politique française. Sur l’affaire, effectivement entre Noël et le Jour de l’An, les manifestations étaient encore circonscrites loin de Tunis, même si elles commençaient à prendre ampleur et signification. Avec MAM, des milliers de Français (sans doute certains commentateurs d’aujourd’hui …) prenaient des vacances à Hammamet ou à Djerba.

Aucun de ces commentateurs n’a posé le vrai problème. Si elle avait utilisé l’avion de cet industriel six mois plus tôt, en août, cela aurait-il été normal ? Si cet avion appartenait à un industriel d’opposition, cela aurait-il été normal ? Apparemment oui, pour tous ces commentateurs ! Et pourtant c’est NON: il s’agit d’un conflit d’intérêt, et en tant que tel c’est inacceptable. Là est la vraie faute de MAM, comme celle de Sarkozy avec le yacht de Bolloré.

Et maintenant l’Egypte qui sombre progressivement dans le chaos.

Très probablement des foules sont manipulées pour défendre Moubarak. Mais il est fondamental de comprendre que ce pays de 80 millions d’habitants n’est pas la Tunisie. Il existe deux Egypte aujourd’hui. Celle des jeunes, nourris à l’Internet (Facebook, Twitter, les blogs …), assez cultivée et très contemporaine, ouverte sur l’occident, avide de connaître elle aussi la liberté et la richesse qu’affiche cet autre monde. Et puis celle des pauvres, souvent analphabètes, soumise, qui gagne chaque jour à peine ce qu’il faut pour manger trois  »falafels » le soir: cette Egypte-là ne peut que ressentir le vertige et la peur à l’idée de perdre son Raïs. Ce n’est pas une raison pour la mépriser. Les policiers eux-mêmes en font partie (au contraire de l’armée), leurs salaires sont miséreux (ce qui explique leur quête constante d’un bakchich) et il n’est pas besoin de les pousser beaucoup pour aller contre-manifester.

People demonstrate in support of the Egyptian people’s protests against the regime of President Hosni Mubarak in front of the Egyptian consulate in Chicago on January 29, 2011. The embattled Mubarak tapped Egypt’s military intelligence chief as his first-ever vice president and named a new premier as a mass revolt against his autocratic rule raged into a fifth day. Fresh riots in several cities left three protesters dead in Cairo and three police in the Sinai town of Rafah, bringing to at least 51 the number of people killed nationwide since the angry protests first erupted on January 25. AFP PHOTO / Mira OBERMAN

Qu’on ne se méprenne pas sur les convictions de ce blog très souvent exprimées dans les nombreux posts consacrés à l’Egypte: 30 ans de pouvoir autocratique et de régime “spécial”, c’est trop !

Des hommes essaient de comprendre et d’expliquer qu’il faut sans doute passer par des phases de transition correctement négociées (contenu, échéance). Boutros Boutros-Ghali est de ceux-là. Mais il est copte … il ne sera même pas écouté. D’autres sont trop seuls, comme El Baradei, et s’appuient sur des forces “obscures”. Enfin, il en est, sans doute, qui attendent que le fruit mur tombe de l’arbre …

Comment devons-nous nous comporter ? Quelle attitude prendre ? Que faut-il dire ?

Les mots définitifs emplissent les colonnes des journaux: “Il faut appeler une dictature, dictature”, “les intellectuels français fustigent le silence de Paris”, “L’Union de la méditerranée: l’échec de Sarkozy”, etc …

Peut-on dénoncer une “dictature” (Tunisie ou Egypte) quand plusieurs millions de français y ont pris leurs vacances depuis des années: 600 000 français par an dans chaque pays ?

Comment peut-on conserver des liens avec ces pays tout en faisant comprendre que des progrès doivent être accomplis en matière de libertés individuelles, de statut de la femme, de liberté de la presse, … ?

Comment concilier ces impératifs avec la réalpolitik ? Pour la Tunisie, l’Egypte, comme pour le Niger, on peut aussi cesser toutes relations commerciales et se réfugier dans la posture. Cela ne changera rien et d’autres pays feront les affaires que nous ne ferons plus. La Chine, par exemple, ne sera pas regardante sur la démocratie … elle ne connaît pas !! Et les mêmes commentateurs viendront demain reprocher à un autre gouvernement (voire au même) le déclin de la France. La voie est étroite entre le silence complice et l’ingérence inacceptable. La presse a un rôle à jouer. Mais elle doit le jouer en permanence et non seulement lorsque le maelström médiatique le lui impose. Ensuite, les hommes et femmes politiques… s’ils renoncent aux privilèges et aux conflits d’intérêt.

De même, dire et écrire que l’Union pour la Méditerranée est un échec à cause des conditions de sa création avec des états insuffisamment démocratiques est une fondamentale erreur. Cela veut d’abord dire qu’elle n’a, même actuellement, aucun droit à exister. Et puis, avec de tels principes, l’ONU, le FMI, la Banque Mondiale, l’UNICEF, l’UNESCO, tout cela n’aurait pas le droit d’exister. En Europe, l’Espagne n’a certes été intégrée qu’en 1985 parce que la CEE voulait qu’elle évolue vers un régime démocratique. Cependant, dès 1970, un accord préférentiel était signé pour servir de cadre aux échanges commerciaux entre les deux parties. Le dialogue a toujours des vertus, y compris avec un partenaire peu démocratique. Le tout est de ne pas remplacer le dialogue par la complaisance.

Si l’UPM est actuellement un échec, c’est bien à cause des rivalités entre pays et à cause du conflit israélo-palestinien. Et si les révoltes actuelles ne recouvrent pas le Maghreb et le Proche-Orient d’un voile de fermeture et de repli sur soi, alors oui, l’Union pour la Méditerranée sera à réinventer. Car ce n’est que par elle que pourront être abordées des questions de paix, de développement, de croissance et d’environnement. L’idée ne doit pas être si mauvaise, puisque des intellectuels africains nous la reprochent en considérant qu’elle est tournée contre eux et qu’elle devrait être remplacée par un plus large accord Europe-Méditerranée-Afrique.

En attendant, avec vigilance et fermeté, ici et maintenant, il nous faut refonder la démocratie.

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2011 ou la tentation totalitaire

“Indignez-vous“, le petit livre de Stéphane Hessel qui se vend comme des petits pains m’indisposait un peu. Pour deux raisons. La première est que l’auteur y recycle toutes les luttes que l’on peut rencontrer de par le monde pour en faire une sorte de “somme” qu’il espère mobilisatrice. D’autres avant lui ont essayé cette démarche (L’appel des appels ) et cela n’a pas toujours fonctionné. L’écart entre les très riches et les très pauvres, la Sécurité Sociale, les mauvais traitements infligés à notre planète, l’immigration et le sort honteux fait aux Roms, le capitalisme financier et les luttes palestiniennes, … il y a de l’amalgame là-dessous et surtout une vieille tentation d’expliquer ce “tout” par la théorie du complot ou des complots.

(DR)

Le second reproche tient à la référence fondamentale de ce texte, à savoir le programme du Conseil National de la Résistance élaboré il y a 66 ans. Très sincèrement, je ne vois pas la jeunesse dans son ensemble adhérer à un document qui appartient à ses grand-parents, même si les idées qu’il contient sont encore d’actualité. Cela permet à Stéphane Hessel d’aborder le thème de la résistance en ces termes: « il faut s’indigner, dénoncer, et désobéir quand ce qui est légal devient illégitime ». Mais qui décide de cet “illégitime” ? Les circulaires faites aux Roms sont illégitimes ! D’autant plus que leur légalité française ne tient pas devant la légalité européenne et c’est pour cela qu’elles ont été retirées. La désobéissance d’un enseignant opposé à l’application de circulaires est-elle légitime ? En tant que fonctionnaire, ne devrait-il pas se démettre ?

J’ai bien un troisième reproche davantage adressé à l’éditeur: celui d’inscrire Stéphane Hessel dans la liste des … nobélisables (dixit Télérama). Est-ce vraiment important ?, est-ce vraiment d’actualité ?

Et puis voici qu’aujourd’hui je découvre cette petite interview (http://www.rue89.com/entretien/2010/12/30/stephane-hessel-12-aubry-serait-ma-candidate-preferee-182841) et sa suite (http://www.rue89.com/2010/12/31/hessel-22-la-ve-republique-a-une-constitution-dangereuse-182928) dans Rue 89. Interview accompagnée d’un appel à la jeunesse que je ne peux que rejoindre dans sa forme et dans son fond. Certes, Stéphane Hessel y est moins radical que dans son livre, mais il est aussi plus réaliste, appelant à une réflexion et à une mobilisation collective, à lutter pour un contre-pouvoir citoyen et des réformes institutionnelles (y compris au FMI).

En fait, la réflexion est bien ce qui manque le plus. La dérive droitière de l’Europe que l’on peut constater aussi bien en France qu’en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Norvège, dans les pays baltes, voire à la tête de l’Europe avec la prise de fonction de la Hongrie ne peut justifier n’importe quelle attitude. Le populisme de Mélanchon n’est pas une réponse, pas plus que “l’insurrection qui vient”: méfions-nous d’un terreau sur lequel on se contente de s’indigner, mais dans lequel nihilistes et anarchistes de tout poil sèment leurs idées.

Le 21 décembre, Jean-Christophe Rufin a publié dans “Le Monde” un passionnant article (”Wikileaks ou la troisième révolte”) dans lequel il présente ce qu’il pense être une filiation entre trois mouvements importants de la lutte des citoyens contre la raison d’Etat. Il s’agit de l’ingérence humanitaire illustrée par Médecins du Monde et Médecins sans Frontières contre le “respect diplomatique” que pratiquait la Croix-Rouge. La seconde étape était l’altermondialisme caractérisé par quelques grand-messes et beaucoup de divisions dont fait encore preuve le Forum Social Mondial (NB: le prochain a lieu en Février à Dakar). Quant à la troisième étape, elle serait constituée aux yeux de JC Rufin par l’irruption de l’écologie radicale et du militantisme virtuel (Wikileaks pour modèle). En sa conclusion, l’auteur pose des questions dérangeantes.

« L’initiative citoyenne sous toutes ses formes, en particulier les centaines de milliers d’associations qui couvrent tous les champs d’activité, s’est à l’évidence constituée aujourd’hui en cinquième pouvoir dans les démocraties. La dernière génération de mouvements citoyens que symbolise Wikileaks a le mérite de présenter de ce cinquième pouvoir un visage extrême et inquiétant qui interroge sur ses limites. (…) En poussant sa logique au plus loin, il est possible d’imaginer que l’activité de ce cinquième pouvoir peut, à terme, rendre les démocraties impossibles à réformer et peut-être même à gouverner, les secrets impossibles à protéger, l’autorité, même émanant de la loi et garantie par la justice, impossible à exercer. »

Bien entendu, les militants de ces mouvements s’insurgent. Les écologistes radicaux et profonds jurent qu’ils ne feront pas de mal à une mouche, même s’ils doivent prendre de drastiques décisions. Mais n’est-ce pas faire “du mal” à l’homme que de lui interdire la liberté de circulation, de créer un parlement de « sachants »(Démocratie-écologique-ou-dictature-écologique) ou de réglementer son droit à reproduction ?

D’autres rétorquent que le vrai visage inquiétant est celui de « la dilution des principes démocratiques, le recul de l’Etat de droit, la professionnalisation de la démocratie représentative, le mensonge érigé en méthode de gouvernement qui expliquent la formidable perte de confiance des citoyens dans les institutions dites démocratiques et qui constituent la principale menace contre le contrat social » (Raoul Marc Jennar) et que l’écologie radicale et le militantisme virtuel ne sont que réponses appropriées.

Rien n’est moins sur et JC Rufin signale une banderole récente proclamant que « ce que 500 députés ont fait, trois millions de manifestants peuvent le défaire ». A bien comprendre, il s’agit-là d’un rejet radical de la démocratie représentative. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ? Faut-il condamner la démocratie représentative parce qu’elle a failli ici ou là et dans certains de ses aspects ? Si les citoyens n’ont plus confiance dans les institutions démocratiques, en qui ? en quoi ? pourraient-ils donc avoir confiance ? En des meneurs, des agitateurs, des populistes ? Rappelons-nous que l’histoire donne rarement raison aux “avant-gardes éclairées”, même s’il y faut parfois du temps …