La joie aurait été grande, sans une nouvelle apparition de la peste en 1630. La ville fut fermée et une léproserie installée en dehors des remparts sur la rive gauche de la Cumane. Ce n’est qu’au mois de novembre 1631 qu’on put rouvrir les portes de la cité. Les survivants lépreux, peu nombreux d’ailleurs de jour en jour, las de leur séquestration, s’enfuirent un jour et vinrent se réfugier à Saint-Vérand, dans les bois de Rossat où ils se cachèrent et périrent d’inanition. Une seconde peste tint de 1649 à 1651 ; les lépreux furent moins nombreux.
La cause de ces pestes était le voisinage de Saint-Antoine. Les Antonins soignaient la peste et toutes les maladies de la peau; le nombre de malades contagieux qui traversaient Saint-Marcellin est incalculable. Sans doute, Saint-Marcellin doit à la réputation des moines antonins d’illustres visites. Mais les réceptions de souverains coûtaient fort cher. Ce n’est pas sans grands frais que les Saint-Marcellinois reçurent les visites de Charles le Sage, de Galéas, de Charles VII, Louis XI, le Roi René, Charles VIII, Anne de Bretagne, le pape Martin XI, François 1er qui venaient les uns pour prier et faire des vœux, les autres pour se faire soigner.

Saint-Marcellin était d’ailleurs une ville très étroite, les habitants étaient enfermés, et les soins de la voirie négligés, les Saint-Marcellinois avaient la mauvaise habitude de jeter dans les fossés les épluchages et les débris dont ils souhaitaient se débarrasser. La municipalité jugeant que ces fossés étaient devenus inutiles les fit combler et laissa bâtir des maisons à charge d’une redevance. C’est alors qu’intervint le fermier des domaines royaux M. de Latte. « Ces fossés, dit-il, étaient la propriété du Dauphin Humbert II qui s’y était réservé le droit de pêche. Or, le roi de France a hérité de tous les territoires du Dauphiné ; ces fossés lui appartiennent et nul n’a le droit d’y bâtir ou d’en modifier l’aspect ». Les Consuls n’obtempérèrent pas, mais adressèrent un placet au roi Louis XV qui s’amusa fort de se trouver propriétaire de ces cloaques et qui séance tenante accorda la permission que requéraient les Conseils.
Le 18° siècle s’acheva dans une lutte contre les financières prises par le gouvernement de Louis XV et une défense des droits et privilèges concédés par le Dauphin et reconnus par ses successeurs les rois de France. Vint la Révolution ; l’Assemblée de Vizille et les Etats-Généraux, où les Saint-Marcellinois envoyèrent des députés et firent valoir leurs réclamations. Ils firent plus : pour arrêter les régiments d’artillerie qui se rendaient secrètement de Valence à Grenoble pour occuper la capitale dauphinoise considérée comme le foyer de la Révolution, ils créèrent une milice, commandée par le général Brenier de Montmorand.
Sous le Directoire, la municipalité demanda et obtint qu’on lui remit le Couvent des Carmes pour y établir une imprimerie et celui des Ursulines pour y transporter le collège.
En 1792, un arbre de la Liberté fut planté sur la place d’Armes, et le 3 février 1794 la ville changea de nom et prit celui des Thermopyles en souvenir de la milice créée pour barrer la route aux troupes contre-révolutionnaires.
En 1794, année de famine, la ville fut bouleversée par trois émeutes. La révolution passée, la ville goûte un calme relatif pendant le 1er Empire, ou elle ne fut troublée que par les levées d’hommes.
En 1816, sous Louis XVIII, grand crime ; les Saint-Marcellinois virent arriver le cadavre de Claude Taboret, assassiné sur le toit de sa maison à Saint-Hilaire du Rosier, le 30 mai, à 2 heures du matin. La gendarmerie, accompagnée de M. Dumoulin, juge suppléant à Saint-Marcellin, l’avait recherché à Saint-Hilaire du Rosier parce qu’il était suspect de bonapartisme. Elle avait réussi à le cerner dans son domicile. Claude Taboret tenta de s’échapper par le toit et c’est là qu’une décharge des gendarmes l’atteignit d’une balle qui lui coupa l’artère fémorale et détermina une hémorragie mortelle. En 1860, ses descendants protestèrent encore contre le meurtre de leur aïeul qui avait été fusillé comme un malfaiteur alors qu’il n’était qu’un dissident politique. Le souvenir de cette exécution est resté vivant dans la mémoire des Saint-Marcellinois et si vous avez la curiosité d’aller consulter le registre d’Etat-Civil à la mairie de Saint-Marcellin, vous y trouverez l’acte de décès de cette innocente victime des passions politiques.
Vie tranquille sous Charles X et sous Louis-Philippe. Saint-Marcellin devient une ville de rentiers, de fonctionnaires et de paisibles cultivateurs. On s’y effraie de la Révolution de 1848 et, à son passage, le prince Louis-Napoléon y est acclamé.
En 1870, le Champ de Mars voit les gardes nationaux et les mobiles faire l’exercice avant leur départ.
En 1827, la municipalité se dispose à établir un abattoir au nord de la ville sur la rive de la Cumane à l’emplacement de l’ancien cimetière. Ce projet souleva la réprobation générale. M. Félicien Berret (3) se fit l’écho de l’opinion des Saint-Marcellinois dans un poème publié à Grenoble chez Viallet et qui est conservé dans les vieilles familles saint-marcellinoises. « Dialogue des morts de l’ancien cimetière de Saint-Marcellin » sur le projet visant à y établir un abattoir. Nous regrettons de ne pouvoir ici le publier en entier ; ce poème offre de beaux vers, il est plein d’imagination et de nobles sentiments.
Non loin des vastes monts où les Alpes finissent
Près des bords où les flots de l’Isère rugissent
Saint-Marcellin s’élève au milieu d’un vallon
Au nord de ses remparts où souffle l’Aquilon
Il existe un réduit où pour sa nourriture
L’homme égorge à la fois l’intrépide taureau
La timide jument et l’innocent agneau
On voit les morts se lever de leur tombeau, prendre tour à tour la parole au nom de l’humanité et de la religion, mais s’en remettent à Dieu.
Tout à coup le ciel s’ouvre. Une main de lumière
Apparaît à ces morts sortis de la poussière
Ils la fixent ; soudain cette divine main
Trace à leurs yeux ces mots : Dieu [ne …] en vain
Alors le ciel se ferme et d’épaisses ténèbres
Viennent envelopper leurs demeures funèbres
Ces spectres étonnés reprennent leurs lambeaux
Et rentrent satisfaits dans la nuit des tombeaux
En 1914-1918, les conscrits saint-marcellinois se signalèrent parmi les plus valeureux des Diables Bleus.
En 1918, suppression du Tribunal et de la Sous-Préfecture. Saint-Marcellin se croit revenu au temps où les Romanais réclamaient le transfert chez eux du siège présidial. Comme alors, le siège de la Justice fut rendu à Saint-Marcellin.
Saint-Marcellin n’eut plus d’évènements que la venue de hauts personnages, le ministre de l’instruction publique Doumergue pour l’inauguration du tramway de Saint-Antoine, le président du Conseil Viviani (4).
Enfin tout récemment les Saint-Marcellinois se pressaient à la gare pour faire une ovation au Maréchal Pétain qui était de passage (5).
Saint-Marcellinois illustres
– Porret, chimiste distingué du 16° siècle
– Anisson, vicaire général des Antonins, si utile à Henri IV auprès du St Siège. Ils sont trois qui devinrent tous les trois cardinaux, celui qui vécut à Saint-Marcellin, mourut peu après sa nomination avant d’avoir la cérémonie de son élévation. C’est ce dernier qui a donné son nom à la rue Cardinal. (6)
– Boisset, auteur d’un tableau de jurisprudence publié en 1663
– Déagent, président de la Chambre des Comptes sous Louis XIII – Bienfaiteur du collège
– Brenier de Montmorand général, défenseur de la ville d’Almeida en Espagne, et dont l’armée en retraite se défendit héroïquement (7).
– Claude Expilly (8)
– Lacombe-Maloc
… »
Notes
3 – Félicien Berret, poète à l’occasion, est le grand-père de Paul Berret. Avoué, il a été nommé Maire adjoint de Saint-Marcellin le 17 mai 1845, par Louis-Philippe.
4 – René Viviani (1863-1925) a été président du Conseil lors de la première guerre mondiale, du 13 juin 1914 au 29 octobre 1915. Une possible visite de René Viviani à Saint-Marcellin reste à justifier.
5 – La dernière apparition publique de Paul Berret date du 14 juillet 1940, soit après l’armistice de juin 1940. Son biographe, Michel Jolland, précise que son dernier discours public, ce jour-là, devant le monument aux morts de Saint-Vérand, « met en valeur la religion, la famille et la patrie ». Par ce jugement relatif à Pétain, Paul Berret trahit un assentiment tacite aux thèses pétainistes alors que nous sommes en 1943 et que la Résistance met en œuvre la coordination de ses divers mouvements. Cette coordination aboutira le 26 janvier 1943 par la fusion de « Combat », « Libération-Sud » et « Franc-Tireur ». De même, la création du STO par le gouvernement de Vichy date du 16 février 1943. Sans doute parce qu’il n’en a pas eu le temps, ces deux évènements, accélérateurs du mouvement de Résistance, n’ont pas été commentés par Paul Berret.
Concernant le potentiel arrêt en gare de Saint-Marcellin du maréchal Pétain, aucune archive, aucun commentaire de presse, ne permet de le confirmer. Lors de son déplacement à Grenoble, le 19 mars 1941, celui-ci a fait halte à Rives lors de la nuit précédente, du 18 au 19. Le 19 mars au soir, il s’est arrêté à Moirans pendant l’heure du dîner et a stationné la nuit à Chandieu-Toussieu, avant d’arriver au matin du 20 mars à Vienne (cf. « Le Petit Dauphinois » des 20 et 21 mars 1941). C’est à Moirans que la foule s’est retrouvée en gare afin de saluer le maréchal.
6 – Une généalogie de la famille Anisson a été publiée en 2016 sur le site de Bruno Bernard-Michel. On y trouve Charles Anisson (vers 1530-vers 1600), religieux de l’ordre de Saint-Antoine, envoyé à Rome où il travailla à l’accommodement d’Henri IV avec le Saint-Siège. Le cardinalat lui aurait été réservé. https://toutsurlagenealogie.blogspot.com/2016/06/genealogie-de-la-famille-anisson.html
7 – Paul Berret cite Brenier de Montmorand comme défenseur de la ville d’Almeida, en Espagne. Cette ville n’est pas en Espagne, mais au Portugal.
8 – Parmi les personnages illustres, Paul Berret cite Expilly. Il s’agit de Claude Expilly (Voiron 21/12/1561 – Grenoble 25/07/1636), avocat au parlement du Dauphiné à Grenoble, Seigneur de la Poepe (Poipe). Auteur d’une « Histoire du Chevalier Bayard » et de poèmes à l’attention de Gabrielle d’Estrées, Marquise de Monceaux. Il a épousé Isabeau Bonneton en 1589, laquelle mourut en juin 1625. Claude Expilly lui éleva un tombeau dans une chapelle de l’église de Chatte, commune où se trouve le château de la Poepe (Poipe) qu’elle avait fait construire.
Transcription, le 24 janvier 2025, Jean Briselet (membre de « Groupe Rempart »)