Hier soir, 23 janvier, après moins de deux semaines de conflit, France 2 fait l’impasse totale sur la guerre au Mali. Il n’y a déjà plus rien à en dire.
Aux dires des sondagiers, ce sont 75% des Français qui approuvent l’intervention. Pour ce qui concerne le gouvernement et ses services de la défense, des affaires étrangères, du budget ou de la communication, c’est « pain béni » et « pourvu que ça dure ». Pour ce qui concerne les médias, c’est exactement la même chose, l’audience et/ou le lectorat sont là, ce n’est pas le moment de les déranger. Donc suivisme et servilité ! C’est le cas de toute la presse, hebdomadaire ou quotidienne, du « Figaro » à « La Croix », en passant par « Le Monde » et « Libération », C’est le cas également de toutes les radios et télés.
L’opposition à ce conflit (celle de 25% de Français) est caricaturée et réduite à la prise de position du Front de Gauche et aux déclarations de Villepin ou de Giscard d’Estaing, cette dernière bien malvenue.
Par contre cette presse n’hésite pas à souligner l’opposition de Mohamed Morsi, Président égyptien, aux affrontements du Mali: il est tellement facile de faire d’une pierre deux coups, conforter le discours officiel et rejeter davantage encore Morsi parmi les islamistes !
Au motif d’expliquer un peu ce qui se passe, tous nous refilent des petites accommodations avec la vérité et de grands mensonges.
Les petites accommodations vont se nicher dans les cartes géopolitiques qui, insidieusement, vous placent Diabali bien plus proche de Ségou qu’il n’est réellement (il faut faire croire que le danger était réel), dans les chronologies qui vous annoncent que Mopti a été conquise par les islamistes avant l’intervention française (même raison), dans les reportages qui précisent que les adversaires étaient au nombre de 400 dans Diabali, alors qu’ils n’étaient que quelques dizaines (il faut donner du corps aux combats) ou encore dans les débats qui sont à sens unique, seuls les partisans de la guerre ayant la possibilité de s’exprimer au travers de quelques nuances.
Quant aux grands mensonges, ce sont les mêmes dans la bouche des officiels, dans celle des journalistes ou dans celle des commentateurs. Ils sont au nombre de quatre, ces grands mensonges. Un récent « point de vue » de Jean-François Bayart (Directeur de Recherche au CNRS) dans « Le Monde » du 23 janvier les résume très bien.
Le premier mensonge fait référence aux négociations prévues par la résolution 2071 de l’ONU, laquelle exhortait les autorités du Mali, les rebelles, les pays voisins et les partenaires bilatéraux à se retrouver pour engager un processus politique viable. On nous dit que ces négociations ont échoué. C’est faux, elles ont été sabotées par les « autorités maliennes » qui ne voulaient pas en entendre parler, par l’Europe et la France qui se sont abstenues d’y prendre part alors qu’elles y étaient invitées au travers des « partenaires bilatéraux ».
Le second mensonge porte sur l’appel à l’aide du Mali, dont Monsieur Bayart nous dit qu’il s’agit de l’appel à l’aide « explicite de son homologue malien ». Or, cet « homologue » n’est investi d’aucune représentativité, ni d’aucune légitimité. Il n’est que le jouet d’un capitaine putschiste qui peut le remplacer demain matin s’il le veut. Convaincu de ne pouvoir obtenir aucune légitimité, ils ont tout fait (le capitaine et le président) pour éloigner l’idée d’un nouveau scrutin présidentiel au motif que Nord et Sud n’étaient pas réunis. C’est faire vraiment peu d’honneur à notre Président Hollande que de classer la marionnette malienne au rang de ses « homologues ».
Le troisième mensonge concerne la résolution 2085 dont on a déjà parlé (Mali:-après-une-semaine-de-guerre) et qui n’autorise le déploiement d’une force que sous conduite africaine.
Le quatrième mensonge ressemble beaucoup à la fable des « Armes de dissuasion massive ». Dans le cas présent, il s’agit du danger immédiat couru par la capitale Bamako et les milliers d’expatriés français devant l’avancée inexorable des islamistes. De ce quatrième mensonge, on a également déjà parlé (Mali:-après-une-semaine-de-guerre).
Donc, tout le monde ou presque est pour la guerre !
Et les commentateurs de se répandre sur l’après-conflit en nous affirmant que tout restera à faire, que la guerre ne solutionnera pas grand-chose et qu’une nouvelle politique d’aide au développement sera nécessaire. Nous reprenons là les termes exacts de Jean-François Bayart. Et nous disons que c’est vraiment se foutre de la gueule du monde, parce que c’est exactement ce qu’il aurait fallu faire AVANT, afin d’empêcher les djihadistes de prendre racine et de se développer.
Au passage, son article nous refile des tableaux pour lesquels personne ne prend la peine de convertir des dollars et des francs CFA en une même monnaie, l’euro par exemple, pour que le lecteur comprenne.
Le tableau représentant l’Aide Publique au Développement en faveur du Mali (http://www.memoireonline.com/10/09/2819/m_Etude-de-laide-publique-au-developpement-de-la-france-au-mali-cas-de-leducation5.html) couvre la totalité de l’Aide française, européenne, US et s’élève à 815, 4 millions d’euros en 2010. Quant au tableau représentant les transferts de fonds des travailleurs maliens en France, il indique un montant de 288,1 millions d’euros en 2010 (soit 4% du PIB), à comparer aux 96 millions d’euros de l’Aide Française au Développement (http://www.afd.fr/home/pays/afrique/geo-afr/mali/afd-mali). Au passage, rappelons à l’auteur de cette tribune que Nicolas Sarkozy n’a jamais contribué à l’affaiblissement de l’autorité du Président ATT en exigeant de lui la signature d’un accord de réadmission des migrants clandestins. Amadou Toumani Touré a toujours, avec fermeté, refusé de signer cet accord et la majorité de son peuple lui en a été reconnaissante.
Faut-il redire encore ce que l’on aurait pu faire AVANT ?
Prendre en considération les populations multiples de cette région du Nord-Mali, arabes comme touarègues ou noires africaines, leur proposer des axes de développement, les associer à la gestion politique de la zone, y développer une démocratie de dialogue, leur parler des futures ressources en pétrole, voire en uranium comme un peu les leurs, …
Qui pouvait le faire mieux que la France, avec l’Europe ?
Cela n’a pas été fait. Nul doute qu’on le fera APRES ….
Nous avons ici beaucoup parlé des risques que comporte cette aventure militaire. Après les revanches et exécutions sommaires, voici venir le temps des camps de réfugiés: le nord du Burkina Faso est déjà bien déséquilibré par les milliers de réfugiés qui fuient les zones de combat ou de futur combat.
A lire un très intéressant reportage de Sophie Arutunian et Cécile Bourgneuf (http://www.mediapart.fr/portfolios/au-burkina-faso-avec-les-refugies-maliens) sur un camp du Burkina, publié sur Médiapart. Merci pour l’emprunt de la photo la plus « neutre ». Allez voir les autres !
D’autres questions se posent et mériteront quelques explications un jour ou l’autre.
- Quelle est la situation réelle des otages français ? Comment peut-on affirmer qu’ils sont vivants ? Où sont-ils détenus ? Pourquoi leurs ravisseurs n’en parlent-ils plus, alors qu’ils devaient servir de monnaie d’échange ou de chantage ?
- Au sujet du « discours » de l’adversaire, comment se fait-il que les médias le considèrent comme inexistant ? Les djihadistes sont-ils muets ? Où et comment s’expriment leurs meneurs ? Que disent-ils ?