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Guerre 1939-1946

A propos de Léa Blain (3)

Le 21 juillet, le PC se disloque. Léa et Dubreuil doivent rejoindre la commission anglaise, en fait suivre les allées et venues de ces soldats traqués. Les « Pas » tombent les uns après les autres. Le 23 juillet, Valchevrière est enfoncé.

Huet donne l’ordre de dispersion générale. Si les anciens maquisards parviennent à se replier dans les endroits inaccessibles, les jeunes recrues sont interceptées par les troupes allemandes ou par la milice. Le ratissage du Vercors, marqué par le carnage de soldats et de civils, a commencé.

Après s’être réfugiés au hameau du Michallon, pour revenir à Saint-Martin, Léa et Dubreuil tentent le 23 de rejoindre le groupe Goderville/Jean Prévost. Ils le trouvent enfin, le soir, aux abords de la Grotte aux Fées, au-dessus du hameau de La Rivière. C’est dans cette grotte que, du 24 au 31 juillet, le capitaine Goderville, Bouysse, les lieutenants Reymond, Dubreuil, le sous-lieutenant Dazan (20), deux officiers anglais, M. Boissière et quelques maquisards récupérés en route, parmi lesquels Rémy Lifschitz et Léa, vont vivre, comme en témoignera Dazan dans une lettre adressée à Madame Blain.

« Neuf jours d’enfer. Vie monotone pleine d’appréhensions et d’angoisse, traqués ; vie très dure car dès les premiers jours il fallut appliquer de sérieuses restrictions. L’eau a manqué terriblement. Mademoiselle Blain a supporté cela magnifiquement … Le 28 juillet, Boissière et le commando anglais nous quittèrent … Le lendemain … quelques camarades et moi décidâmes de traverser le Vercors et d’aller tenter notre chance du coté de Monestier-de-Clermont. Nos autres compagnons – dont votre fille – pensèrent autrement et ne voulurent pas nous suivre. Le 31 juillet, la séparation eut lieu ; votre fille n’avait pas d’arme, elle en réclamait une, et comme j’avais déjà un revolver et des grenades, je lui donnai ma mitraillette. Le 31, ce qui reste du groupe, Léa, Goderville, Dubreuil, Rémy Lifschitz et quelques compagnons, quitte la grotte pour une autre direction, vers le nord-est, vers Grenoble, par Corrençon, Villard-de-Lans, Engins et Sassenage, espérant gagner la vallée pour se reconstituer avec d’autres effectifs, rejoindre si possible Alain Le Ray.

En route, Léa blessée au pied ne peut suivre et reste en arrière avec Rémy Lifschitz qui décide de rester avec elle. Le soir, ils sont au premier hameau de Corrençon. Chez Paul Bec, Léa refait son pansement, se restaure. Elle est armée d’un poignard d’éclaireur et d’un revolver petit calibre. Elle a du probablement abandonner sa mitraillette. Ils repartent en direction de Corrençon, font halte chez le forgeron Rolland. Ils avaient trouvé bien des portes closes, tant de gens avaient été éprouvés et avaient peur. Les « Mongols » s’étaient livrés dans Corrençon à des représailles ignobles … Monsieur Rolland leur avait donné des vêtements civils pour dissimuler leurs effets par trop maquisards. Ils veulent, malgré son avis, poursuivre leur route en direction des Ponteils et des Clots, pour atteindre Villard-de-Lans. Goderville était passé à peine deux heures plus tôt. Dans le secteur des Clots, M. Beaudoin en leur offrant un bol de lait les avertit que les patrouilles allemandes sont particulièrement nombreuses et actives. Mais ils comptent atteindre Villard-de-Lans au petit matin.

Vers 8h30, mardi 1er août, à, la Croix des Glovettes, les voilà face à une patrouille allemande. On ne peut reconstituer exactement le drame qui n’a eu comme acteurs et témoins que les combattants.

Voici le texte de citation comportant attribution posthume de la croix de guerre à Léa Blain : « A fait le coup de feu comme un soldat, forçant même l’admiration de l’ennemi, tuant un Allemand, en blessant un autre. Elle est tombée, mortellement frappée par une rafale de mitrailleuse, faisant à la France le don de ses 22 ans. Restera dans l’histoire, une des plus belles figures d’héroïne française ». Ici, s’arrête la citation. Monsieur Philippe Blanc, chef des équipes d’urgence de la Croix-Rouge de Villard-de-Lans apprend que les Allemands ont abattu aux Glovettes un homme et une femme … « Pour gagner du temps, nous supplions des enfants de nous accompagner. Ils nous conduisent au corps d’un homme étendu passablement mutilé … l’un d’entre eux reconnaît Rémy, garçon sympathique et courageux, très connu et apprécié au Villard, fils d’une famille d’israélites dont le père fait partie de la résistance. Vite, nous préparons une fosse et réunissons tout ce qu’il a sur lui ; nous trouvons une photo dans sa ceinture .. la sienne, qui sera remise à sa mère. Il semble que Rémy se soit battu comme un lion : des éclats de grenade sont trouvés sous son corps, la terre autour de lui est soulevée par endroits, presque labourée …

Nous suivons une trace, la sienne, à travers un champ de blé, qui nous mène au corps d’une jeune fille dans les pins, près d’une croix des champs entre les Glovettes et les Clots. J’ai ressenti là, la plus forte émotion de ma vie. Cette jeune fille semblait dormir, l’expression de son visage était calme et respirait la paix … elle était blessée à la tête, ses jambes étaient meurtries par endroits. Près d’elle, un sac tyrolien, dedans du linge, un peigne, un numéro d’un journal clandestin, un chapelet .. nous détaillons vite, pour la Croix-Rouge, son habillement .. nous relevons les initiales LB .. déjà le trou est creusé .. le Père Gasnier, aumônier de l’Adret, récite les dernières prières … Le lendemain, je suis convoqué à la kommandantur. Le commandant Schultz m’accuse d’avoir enterré comme des héros les terroristes des Glovettes : « ces deux personnes ont attaqué nos troupes. La jeune femme a tiré et a blessé un de nos soldats qui est mort à l’hôpital ». Ultérieurement, il ajoutera « j’ai donné son revolver au chef qui commandait la patrouille. Vous pouvez dire à leurs familles qu’ils se sont battus comme des lions et sont morts en héros ».

Voici la croix érigée à l’emplacement où succomba Léa Blain, pieuse pensée de Mr Philippe Blanc et de son équipe, ainsi que le monument édifié par les jeunes de Villard-de-Lans à coté de la croix des Glovettes, à la mémoire de Léa et Rémy.

La nouvelle fut connue à Chatte fin août. Monsieur Blain, son fils, Mlle Ageron, partirent reconnaître le corps à Villard pour le ramener à Chatte. Les corps de Léa et de Rémy avaient été exhumés le 24 août et conduits à Villard. Le 9 septembre, Léa est ramenée à Chatte. Le 10, c’est l’hommage glorieux rendu par son pays : « Habitants de Chatte, amenez ici vos petits-enfants et racontez-leur l’histoire de cette jeune fille de votre pays ». Nous répondons aujourd’hui au message du commandant Tanant …

Le 1er août Prévost, Dubreuil et 3 autres compagnons trouvent la mort à la sortie des gorges d’Engins. La bataille du Vercors a coûté 700 victimes tombées au combat ou sous la torture. Le plateau est un immense champ de ruines.

Mais les combats continuent. Le 15 août 1944, la 7° armée américaine, la 1ère armée française de de Lattre de Tassigny (21), prennent pied en Provence tandis que les parachutistes anglo-américains sèment le trouble sur les arrières ennemis. Les forces alliées vont progresser à travers les Alpes pour profiter des concours des maquis. Les Allemands se replient vers le nord-est. Le 21, Saint-Marcellin est bombardé.

A l’automne 1944, les Français libèrent l’Alsace. Au cours des ultimes combats, François Blanchin, du 2° Cuirassiers, tombe le 20 novembre 1944 à Roye en Haute-Saône, il a alors 17 ans. Henri Girond, du 11° Cuirassiers, le 8 janvier 1945, près de Strasbourg. Le 15 avril 1945, devant Hoosbronn, pays de Bade, Georges Maurin du 9° Régiment de Chasseurs d’Afrique.

Le 9 novembre 1946, on inaugure un monument érigé par la commune de Chatte à la mémoire de Léa, tandis que lui sont attribués, à titre posthume, les honneurs militaires. Sur les photographies, on peut reconnaître le colonel Malraison (22), le lieutenant Dazan, les autorités locales. Au premier rang, la famille Blain. Derrière elle, la mère de François Blanchin, Marthe Laurent, et la sœur d’Antoine Maurin, madame Siletti.

Aux Glovettes, on peut voir encore la petite croix des Champs. Mais un monument a remplacé les modestes mais émouvantes dédicaces de l’époque. Sur la route d’Herbouilly, à la 4ème station du chemin de croix, on peut lire parmi d’autres noms, ceux de Léa et de Rémy.

RENVOIS

20 – DAZAN. En l’absence de prénom, il existe deux « Dazan » susceptibles d’avoir participé aux combats du Vercors, tous deux FFI. Pour eux également, je poursuis les recherches.

Charles Louis Alexandre DAZAN (FFI), né le 25 novembre 1904 à Nimes, et décédé le 4 août 2007 à Avignon. Lequel a la préférence, en raison de l’existence d’un lieutenant « Charles », cité par Pierre Tanant, qui a participé aux combats dans lesquels Léa Blain s’est retrouvée et qui avait installé sa famille dans le Royans.

François Marius DAZAN (FFI), né le 20 décembre 1906 à Fourques, et décédé le 14 juin 1984 à Salon-de-Provence.

21 – Jean DE LATTRE DE TASSIGNY. Né le 2 février 1889 en Vendée, et décédé le 11 janvier 1952 à Neuilly-sur-Seine. Jeune officier lors de la Première guerre mondiale, il a un comportement exemplaire. Au début de la Seconde guerre mondiale, il se bat jusqu’à l’armistice du 22 juin 1940 et reste dans l’Armée d’armistice sous le régime de Vichy. Le 11 novembre 1942, lorsque la zone libre est envahie par les troupes allemandes, à la suite du débarquement des Alliés en Afrique du Nord, il est arrêté et condamné à 10 ans de prison, pour avoir désobéi au gouvernement en ordonnant à ses troupes de combattre les Allemands. Il s’évade et rejoint Alger. Il s’illustre à la tête de la 1ère Armée qui, après le débarquement de Provence, mène la campagne « Rhin et Danube ». Le 8 mai 1945, il est le représentant de la France à la signature de la capitulation allemande à Berlin. Le 15 janvier 1952, lors de ses funérailles, il est fait maréchal de France à titre posthume.

22 – Colonel Georges MALRAISON. Adjoint en 1937 du lieutenant-colonel Louis RIVET, chef des services secrets militaires français. Il est Commandant de la subdivision de Grenoble dans le cadre de l’armée d’armistice. Et nommé Général de brigade après le 2 septembre 1945.

A cette liste de noms ayant participé aux actions de Résistance, parfois à partir de La Sône et de l’entreprise Morel, il convient d’ajouter Georges GLENAT (1er adjoint du Conseil Municipal provisoire installé le 18 septembre 1944 à La Sône), Léon AVENIER (Maire du Conseil Municipal provisoire installé le 18 septembre 1944 à La Sône), Victor BLIN (gendarme?), Paul OLLIVET-BESSON (2/2/1920-20/1/2018), salarié chez Morel, puis Résistant affecté au 6° BCA.

Par le fait que Léa Blain porte un vêtement identique (robe ou corsage) sur les trois photographies, il est possible de penser qu’elles ont été prises lors d’une même et unique séance photo réalisée par un seul photographe : « Noël ».

Remerciements à Maryse Bazzoli, Yves Micheland, Jean-Paul Papet (https://erra38.fr) et Pierre Rousset, ancien maire de La Sône (2001-2020).

https://www.museedelaresistanceenligne.org/musee/doc/pdf/ressource_source/SHDGR_16P_D.pdf

(changer la lettre initiale du nom en dernier caractère : ne marche pas pour la lettre B !?)

http://beaucoudray.free.fr/vercors2.htm

Transcription et notes du 20 mai 2025, maj le 22 août 2025 – Jean BRISELET

Léa Blain (Photo « Noël »)

Fin

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Guerre 1939-1946

Ephéméride des années de guerre 1939-1946 à Saint-Marcellin et environs

Vingt ans, trente ans, un peu plus, un peu moins, en 1940 et dans les années qui suivent … De quelles informations disposez-vous ? Comment étayer votre jugement, votre prise de position, votre comportement ? Cette question, vous l’êtes-vous déjà posée ? Si j’avais eu vingt ans en 39, qu’est-ce que j’aurai fait ?

Le début de la guerre

Le travail qui vous est proposé par le biais de cet article est original car il consiste à livrer un recueil, au jour le jour, de tous les faits auxquels n’importe quel citoyen de Saint-Marcellin (Isère), ou des environs proches, pouvait théoriquement avoir accès entre 1939 et 1946.

Sont ainsi rassemblés

  • les évènements internationaux, nationaux ou locaux ayant joué un rôle dans l’actualité,
  • les informations fournies par les organes de presse: « Le Journal de Saint-Marcellin« , « Le Cri de la Vallée« , « Le Petit Dauphinois« ,
  • les informations collectées par le « Groupe Rempart« , dont une sélection a été publiée dans le magazine municipal de Saint-Marcellin, « Trait d’Union« , entre décembre 2011 et décembre 2015,
  • les faits et évènements relatés par les ouvrages de référence ayant abordé la période de la Résistance en Isère,
  • les Archives Départementales de l’Isère,
  • les compte-rendus des séances du Conseil Municipal des villes de Saint-Marcellin et de Vinay.

Il manque à ce travail les documents, journaux ou affiches clandestins qui ont pu être diffusés au cours de cette période. De même que sont absents les tracts, consignes, affiches distribués ou affichés par les organes collaborant ouvertement avec les forces d’occupation.

Parmi les spécificités de ce travail, se trouve une série de notes explicatives permettant de mieux comprendre la signification de certains évènements. Cela se traduit par la découverte de quelques précisions concernant des personnages parfois un peu oubliés dans notre histoire locale, entre autres:

  • Wilhelm Münzenberg, militant communiste radicalement opposé à Staline, probablement assassiné dans un bois de la commune de Montagne,
  • Le docteur Léon Dupré, organisateur de la Résistance dans notre région, aux cotés de Victor Carrier et Gaston Valois. Maire de Vinay, il subit une tentative d’assassinat en novembre 1943.
  • Julien Sagot, antonin d’adoption, qui déclare avoir éliminé le dénonciateur du maire de Saint-Antoine: Ferdinand Gilibert. Interné à Buchenwald, il devient le bras droit de Pierre Sudreau, organisateur de la Résistance au sein de ce camp et futur ministre en 1962.
  • Serge Felix-Griat, originaire de Presles, responsable du Groupe Franc de Saint-Marcellin, notamment après l’assassinat de Victor Carrier.
  • Charles Monnard, assureur à Saint-Marcellin, présenté comme ayant trahi la Résistance et étant à l’origine de l’arrestation, suivie de son décès, de Jean Rony. Jugé à la Libération, il est acquitté et s’engage dans l’Armée d’Orient. Il meurt sur la navire le ramenant en France et est reconnu comme Mort pour la France.

Ce texte de plus de 100 pages ne peut, évidemment, pas être publié dans le cadre de ce blog. Cependant, vous pouvez le télécharger ici. Les très nombreuses références et les contributeurs ayant participé à sa rédaction sont cités en fin de document.

Le travail de rédaction de cet éphéméride a débuté voici deux années pleines, en 2022. Plusieurs versions se sont suivies, chacune visant à compléter la précédente. Il est donc inutile de conserver les versions antérieures, ce blog étant régulièrement mis à jour. La copie, voire la diffusion de ce document, totale ou partielle, est autorisée. Cependant, l’auteur désire que les références en soient précisées systématiquement, à savoir:

Titre: Les années de guerre 1939-1946 à Saint-Marcellin et environs (Isère)Ephéméride

Auteur: Jean BRISELET

Adresse du fichier: https://thermopyles.info/wp-content/uploads/2025/04/Les-annees-de-guerre-1939-1946-a-Saint-Marcellin-et-environs-Ephemeride.pdf

Presque la fin de la guerre
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Culture

en novembre, Barbara

Novembre n’est pas le meilleur des mois pour Barbara, ne serait-ce que parce que c’est en novembre, le 24, l’an 1997, qu’elle nous a quittés. Entre juillet 1943 et octobre 1945, Barbara a vécu à Saint-Marcellin, dans des conditions difficiles puisqu’elle et sa famille y étaient réfugiées afin d’échapper aux atrocités nazies et aux dénonciations.

Depuis 2019, la ville l’honore d’un Festival à son nom, Festival consacré à la chanson française et/ou francophone. Et depuis 2019, chaque édition de ce Festival est motif à ressortir LA chanson de Barbara dont il est évident qu’elle concerne Saint-Marcellin. Elle-même, d’ailleurs, a raconté qu’elle s’était arrêtée dans cette ville, de retour d’un concert dans le midi, afin de rechercher les traces de son enfance.

« Mon enfance », tel est le titre de cette chanson. Elle en a écrit les paroles. C’est, pour le moins, une chanson un peu triste. Elle y raconte qu’elle retrouve le coteau, l’arbre, la maison fleurie, les dahlias fauves dans l’allée, le puits … et les cris d’enfants en compagnie de Jean (frère ainé né en 1928), Régine, (sœur née en 1938) et Claude (frère né en 1942). Reste, dans l’énumération des enfants, un autre Jean. Qui est-il ?

Tout lui revient de ces années perdues de ses treize-quinze ans, les jeux et les noix fraîches de septembre, mais aussi le souvenir douloureux de sa mère Esther, qui vient de décéder alors qu’elle écrit cette chanson. Esther est décédée en 1967, la chanson date de 1968. La conclusion est mélancolique, qui affirme qu’il ne faut jamais revenir au temps caché des souvenirs, là où son passé la crucifie.

Barbara, 1965

Il est une autre chanson qui parle également de Saint-Marcellin, chanson dont elle n’est pas la seule auteure des paroles, paroles qu’elle a très certainement inspirées. Il s’agit de « Il me revient », dont le texte a été écrit en collaboration avec Frédéric Botton, en 1996.

Il me revient en mémoire
Il me revient en mémoire
Il me revient des images
Un village, mon village
Il me revient en mémoire
Je sais pas comme un songe cette histoire
Et voilà qu’au loin s’avance
Mon enfance, mon enfance
C’était, je crois, un Dimanche
C’était, je crois, en Novembre

Qu’importe, mais je revois l’usine
Oui, l’usine se dessine
Surgit du livre d’images
Un ciel gris d’acier, une angoisse
Et des pas lourds qui se traînent
Et les ombres qui s’avancent
C’était, j’en suis sûre, un Dimanche
C’était, j’en suis sûre, en Novembre

Et se détache une image
Un visage, ton visage
Où allais-tu sur cette route
Comme une armée en déroute
Et tout devient transparence
Et tu deviens une absence
Tout me revient en mémoire
Le ciel et Novembre et l’histoire
Et les pas qui se rapprochent
Et s’avancent en cadence
Toi, où es-tu, je te cherche
Où es-tu, je te cherche
Toi, mon passé, ma mémoire
Toi, ressorti de l’histoire
Qui était, j’en suis sûre un Dimanche
En Novembre

Ton visage
Toi, sur cette route
Figé
Et les ombres qui se rapprochent
Et les ombres qui te frappent
Et t’emportent
Il me revient des images
Ce village, ton visage
Toi, seul sur cette route
Et les pas qui s’approchent
En cadence, en cadence

En cadence (en cadence…)
En cadence (en cadence…)

L’histoire est simple: il s’agit de l’arrestation d’un résistant ou sympathisant de la Résistance par des miliciens, plus probablement que par l’armée allemande. Le lieu est signifié, l’usine se dessine, donc à proximité de la Laiterie Brun et de la Fabrique d’Appareillages Electriques de la CGE. La date est celle de novembre, donc exclusivement novembre 1943 ou novembre 1944, les seuls novembre pendant lesquels Barbara vivait à Saint-Marcellin. Or, Saint-Marcellin ayant été libérée en août 1944, il ne peut s’agir que de novembre 1943.

Pour mémoire, le 29 novembre 1943, à Saint-Marcellin, le Docteur Victor Carrier est sommairement exécuté par la Milice, dans le contexte de ce qui a été désigné comme la « Saint-Barthélémy grenobloise ». Il était, avec son ami le Docteur Valois, le créateur du Secteur 3 de l’armée secrète de l’Isère et du Bataillon de Chambaran. (1)

1 – https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article183667

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Françoise Sagan

Huitième chapitre: Françoise Sagan et la guerre, la Résistance, la Libération

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Entre 1940 et 1945, la Ville de Saint-Marcellin, qui n’est pas dans le Vercors, mais au pied du Vercors, n’était pas au cœur des combats pour la libération du pays, face à l’occupant allemand. La famille de Pierre Quoirez n’est pas venue à Saint-Marcellin pour se réfugier en zone libre, mais parce qu’il avait été nommé directeur de deux usines. Cependant, la guerre est quotidiennement présente dans les nouvelles qui sont diffusées et les commentaires qui les accompagnent. Et il convient tout de même de se souvenir des actes de guerre les plus marquants qui ont été commis à Saint-Marcellin et dans ses proches environs, cette liste n’étant pas limitative.

  • 29 novembre 1943, Victor Carrier est sommairement exécuté, il était l’organisateur, avec le Docteur Valois, du secteur 3 de l’Armée Secrète de l’Isère. Son épouse décédera le 20 mars 1945 à Passy, des suites des tortures subies à la prison de Montluc, à Lyon.
  • 29 janvier 1944, après la quasi-destruction de Cognin-les-Gorges et de nombreuses victimes, c’est Malleval qui est le théâtre de 32 assassinats.
  • 25 mai 1944, Jean Rony, blessé le 22 lors de l’arrestation et l’exécution du radio Camille Monnier, décède.
  • 26 juillet 1944, 19 résistants sont fusillés à Beauvoir-en-Royans.
  • 27 juillet 1944, rafle à Saint-Marcellin, dont nous avons déjà parlé.
  • 29 juillet 1944, nouveau drame à Malleval, village martyr, avec 6 tués.
  • 22 août 1944, bombardement de Saint-Marcellin.

Dans ses souvenirs, repris par certains de ses biographes, Françoise Sagan raconte au moins quatre anecdotes dont il est bien difficile de confirmer les faits, car il s’agit de la mémoire d’un enfant et que les éventuels témoins ne sont plus là.

Il en est ainsi de la scène du patriote qui vient entreposer sa camionnette bourrée d’armes dans la propriété de La Fusilière, camionnette que Pierre Quoirez ira planquer à la campagne avant que les soldats allemands ne débarquent, avec agressivité, pour fouiller les lieux, après avoir alignés contre le mur la totalité des habitants de la maison. Pour certains, il s’agit d’un vrai patriote quelque peu léger dans son comportement. Pour d’autres, il s’agirait d’un provocateur. La scène laissera un souvenir d’angoisse et de peur dans l’esprit de Françoise Sagan.

Par contre, le bombardement de Saint-Marcellin, parce qu’il a été le seul de toute cette période, ne peut pas être mis en doute, même si les souvenirs ne le placent pas toujours au bon moment. Ce bombardement s’est produit le 22 août 1944, le jour de la Libération de Grenoble. Françoise Sagan, et ses porte-paroles, parlent d’un étang dans lequel sa sœur, sa mère et elle-même seraient en baignade, d’avions qui seraient venus bombarder les bâtiments des Tabacs … Il n’y a pas d’étang à Saint-Marcellin et le bâtiment des Tabacs n’a pas été visé par l’escadrille allemande. Les cinq bombes (qui ont fait 9 victimes tuées et de nombreux blessés) sont tombées sur le centre ville et de l’autre coté de la Cumane, rivière locale, pour la cinquième. Quant aux mitraillages qui les accompagnaient, c’est le centre ville encore, jusqu’au couvent de Bellevue, qui en a été la cible (1). Il est donc possible de résumer l’évènement en affirmant que les trois femmes étaient en baignade dans le grand bassin du parc de La Fusilière quand sont arrivés les avions allemands. Après avoir lâché leurs bombes, ils ont mitraillé un peu à l’aveugle et notamment le vallon en bordure duquel se trouve le couvent, en vue directe de la propriété. Affolées, les femmes, en maillot de bain, sont allées se cacher sous le couvert des arbres.

Françoise Sagan raconte également une séance de cinéma qui lui a apporté de terribles informations et dont elle a gardé un souvenir impérissable. Cela se passe-t-il à l’Eden de Saint-Marcellin, ou à Paris, ou bien à Lyon ? Le film projeté est-il « L’incendie de Chicago », « L’incendie de San-Francisco » ou un « Zorro » ? Fragilité des commentaires, légèreté des commentateurs … Une chose est certaine: lors de la fin de semaine des 15 et 16 juin 1946, « L’Incendie de Chicago » a été programmé à Saint-Marcellin, à l’Eden, et Françoise était à Saint-Marcellin, sa sœur Suzanne y préparant son mariage. Toujours est-il qu’en début de séance, dans le cadre des « Actualités », sont projetées les images de l’ouverture des camps de concentration par les Alliés, images montrant des bulldozers charriant, dans la neige, des monceaux de cadavres vers des fosses communes. Ces images, d’une violence extrême pour une jeune fille de dix ans, traumatisent Françoise Sagan qui interroge sa mère, ou sa sœur, ou bien la dame de compagnie qui accompagne la famille depuis des années.

C’est vrai, ça ?Oui, c’est vrai !

Enfin, dernière anecdote, la scène de tonsure de femmes accusées de faiblesses à l’égard de l’ennemi sera bien difficile à documenter, même s’il semble avéré qu’elle ait bien eu lieu, à Saint-Marcellin, en plein centre ville, comme dans de multiples communes …. C’est Marie, la mère de Françoise Sagan qui interpellera vivement les auteurs de ces actes en leur expliquant que ce qu’ils font là ne vaut pas mieux que ce qu’ont fait les Allemands. En faisant cette enquête, plusieurs nous ont affirmé la véracité de ces faits, en précisant parfois qu’il avait fallu protéger certaines femmes d’une vindicte totalement injustifiée.

Françoise Sagan a dit à plusieurs reprises que ces quatre anecdotes ont été, toute sa vie, porteuses de ses engagements très forts contre le racisme, l’antisémitisme et les violences de tous ordres contre les femmes et les hommes.

Toutes les guerres ont une fin. Cette période de la Libération est marquée aussi, dans les mémoires, par la présence de soldats américains à la Fusilière. Cela signifie, sans aucun doute possible, que ces soldats ont été invités par Pierre Quoirez et sa famille à venir quelques instants dans le parc de leur propriété, ce dont témoignent plusieurs photographies. En effet, cette maison est située totalement en dehors de l’axe utilisé par les troupes américaines et les FFI en ce 23 août 1944, jour de la libération de Saint-Marcellin.

1944 – Françoise Sagan et une autre jeune fille (?), probablement à La Fusilière – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés

Nous profiterons du fait de raconter la Libération pour effectuer un correctif à une erreur fréquente concernant la provenance des troupes qui ont libéré Saint-Marcellin. Même R.E.M.P.A.R.T s’y est trompé ! Il est souvent entendu que les troupes en provenance du Débarquement de Provence (entre Toulon et Cannes) ont « remonté » le territoire par les vallées du Rhône et de l’Isère. Cette interprétation est fausse : le débarquement a eu lieu le 15 août 1944, un premier regroupement de troupes anglo-américaines et françaises (armée française libre) remonte par Gap (20 août), le Col Bayard et Lus-la-Croix-Haute (21 août), la jonction est faite avec les maquisards de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l’Isère, ces troupes arrivent à Vif et affrontent les Allemands au Pont-de-Claix, pour parvenir à Grenoble le 22 août et défiler sur le Cours Jean-Jaurès. Le 22 août, libération de Voiron, Voreppe. Le 23 août, libération de Bourgoin par les FTPF et libération de Saint-Marcellin. Le 24 août, libération de Rives, toujours par des troupes en provenance de Grenoble. Le cas de Romans-sur-Isère est représentatif. La ville est libérée une première fois, le 22 août, par un groupe de FFI galvanisés par ce qui se passe un peu plus au nord. Mais la ville est reprise le 27 août par les Allemands couvrant la retraite de leurs troupes qui refluent de Montélimar. Ils ré-occupent la ville et détruisent les ponts les 29 et 30 août. Ce n’est que ce 30 août que les forces alliées, en provenance de Grenoble, libéreront définitivement la ville de Romans. Dans le même temps, une autre coalition remonte la vallée du Rhône et libère Montélimar le 28 août, Valence le 31 août et Lyon le 3 septembre. (2)

Françoise Sagan à Saint-Marcellin -Premières lectures – Collection privée – Tous droits réservés

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