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Cinquième chapitre: Françoise Sagan et les usines de la FAE

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Dans ce chapitre et dans celui qui va suivre, nous parlerons beaucoup du père de Françoise Sagan, mais pas beaucoup de l’enfance de celle-ci. Il nous a semblé important de connaître le contexte dans lequel vivait cette jeune fille entre 1940 et 1945 et le rôle non négligeable que le directeur de l’entreprise a joué dans notre région. Pierre Quoirez se voit confier, par Henri de Raemy, en 1940 la direction de deux usines, celle de Pont-en-Royans et celle de Saint-Marcellin. Ces deux usines appartiennent à la FAE, Fabrique d’Appareillages Electriques de la CGE. Pour les salariés et pour la population locale, il s’agit de la « Cégé » !

La CGE a été fondée le 31 mai 1898, à une époque où l’électricité commence à se répandre dans les villes, les entreprises, la société. Il est grand temps pour la France de disposer d’une telle entreprise, dans la mesure où de grandes sociétés spécialisées existent déjà à l’étranger : Siemens et AEG en Allemagne, General Electric aux Etats-Unis, GECO en Grande-Bretagne, Brown-Boveri en Suisse, …

Son fondateur est Pierre AZARIA, né Bedros Azarian, arménien orthodoxe d’Egypte. Ingénieur centralien, il prendra la direction de l’Electricité de Rouen, une petite entreprise fragile qui parviendra rapidement en tête des entreprises de production d’électricité en France. Le signal du départ est donné et Pierre Azaria crée la Compagnie Générale d’Electricité qui, par acquisitions dans les domaines de la production de l’électricité, de la fabrication de câbles afin de la transporter jusqu’à l’utilisateur, de lampes, d’isolants, d’accumulateurs, d’appareillages électriques (interrupteurs, douilles, disjoncteurs…) afin de l’utiliser, et d’accumulateurs et batteries (Tudor) afin de la stocker … deviendra un grand groupe industriel dont il sera le président de 1929 à 1938 (1).

En 1930, la CGE forme un complexe considérable, employant plus de 20000 salariés et composé d’une cinquantaine de sociétés, dont quarante dans lesquelles elle a un intérêt majoritaire (2).

Extrait de « Les grandes industries modernes et les Centraux: http://archives-histoire.centraliens.net/pdfs/centraux_et_industrie.pdf

L’usine de Pont-en-Royans date de l’automne 1918, suite au rachat par la CGE des locaux d’une soierie, anciennement un couvent. Elle fabrique des douilles et des interrupteurs, dont les composants, obtenus par emboutissage et usinage, sont souvent assemblés à domicile. L’usine de Saint-Marcellin est construite en 1922 et le siège social de la FAE y est transféré en 1935. Encore un mot de biographe que l’on va faire disparaître ! L’usine de la FAE de Saint-Marcellin n’a probablement jamais eu « trois cheminées qui dominent la ville » ! (Gohier et Marvier) Les photographies aériennes du début des années 50 montrent clairement de vastes bâtiments abritant des ateliers de montage d’appareillages électriques qui ne disposaient pas de fours, ou de fonderie, leur activité ne relevant pas de la sidérurgie.

FAE – Catalogue 1922 (détail) – Collection AAA – Droits réservés
FAE – Les ateliers de Pont-en-Royans – Collection AAA – Droits réservés
FAE – Les ateliers de Saint-Marcellin – Collection AAA – Droits réservés

Pendant la période 1940-45, le directeur général des deux sites, installé à Saint-Marcellin désignée comme siège social, est Pierre Quoirez. A Pont-en-Royans, le directeur est Samuel SCHNAIDER, ingénieur d’origine juive, diplômé de l’Institut Electrotechnique de Grenoble, qui fera toute sa carrière à la FAE, de 1930 à 1972. Lors de sa mobilisation en 1939, il est affecté comme ingénieur chef des services techniques et de fabrication des usines de Pont-en-Royans et de Saint-Marcellin, lesquelles, réquisitionnées en 1943, fabriquent des matériels de guerre, des « queues de bouchons », un matériel jamais expédié et dont personne ne sait de quoi il s’agit.(3)

1941 est resté dans les mémoires de la région saint-marcellinoise par la création d’un Centre de Formation des Apprentis, plus exactement dénommé Centre Régional pour le Travail des Jeunes (CRTJ). Il n’est, au début, qu’un des ateliers de l’usine de Saint-Marcellin. Dans le même temps, un Centre « officiel », animé par « Vichy » et le Secrétariat Général de la Jeunesse, est mis en place dans la Grande Rue de Saint-Marcellin. Finalement, tout le monde se retrouvera dans les locaux de la Grande Rue, puis dans ceux de l’ancienne prison et enfin dans trois baraquements de bois installés sur le terrain qui accueillera, plus tard, la piscine de Saint-Marcellin, à coté du couvent de Bellevue. Les Contrats d’Apprentissage, faisant référence aux lois des 20 mars 1928 et 10 mars 1938, sont signés de la main de Pierre Quoirez, directeur. Ce centre a perduré jusqu’en 1944 et rassemblait une cinquantaine d’externes, demi-pensionnaires et internes, originaires de Saint-Marcellin, Chatte, Valence, L’Albenc, certains même du Centre Guynemer de Grenoble. Le rythme de vie était calqué sur l’armée qui assurait l’encadrement, utilisant des sous-officiers et des officiers de corps dissous après la défaite de mai-juin 1940. Les formations n’étaient pas uniquement celles que pouvait proposer la FAE, il y avait par exemple des formations d’artisans de petits commerces comme la cordonnerie, mais l’essentiel était formé d’élèves ajusteurs, fraiseurs, dessinateurs industriels, techniciens, … (4)(5)

Le 27 juillet 1944, les Allemands encerclent Saint-Marcellin. La FAE était classée usine « S.BETRIEB 00 4093 », ce qui signifiait qu’elle était réquisitionnée et soumise au fait qu’une partie minimum de la production devait être destinée directement ou indirectement à l’Allemagne. Ce pouvait être également l’obligation pour l’entreprise de se soumettre à un programme de fabrication approuvé à la fois par les autorités françaises et allemandes. Les entreprises S-Betrieb (Sperr-Betrieb), créées le 8 octobre 1943, étaient exemptées de tout départ de main-d’œuvre, jeunes classes du STO incluses, vers l’Allemagne (6). Ce jour-là, Pierre Quoirez fait sortir les ouvrières, réunit les hommes, leur demandant de ne pas sortir de l’usine, puis se rend sur la Place d’Armes, parlementer avec le commandant du régiment allemand. Pendant ce temps quelques hommes, sans doute peu en règle avec l’occupant, en profitent pour s’échapper par derrière, une auto-mitrailleuse étant braquée sur le portail de l’usine. En fin d’après-midi, les camions militaires allemands, avec plusieurs dizaines d’hommes de Saint-Marcellin (le chiffre variant selon les sources), s’arrêtent un court instant devant l’usine. Chacun croit que c’est pour embarquer les ouvriers restés dans l’usine. En fait, il n’en est rien, les camions repartent. En gare de Valence, quelques-uns des hommes réussiront à s’échapper, les autres se retrouveront en camp de travail à Wesermunde, d’où ils seront libérés vers le 8 mai 1945 (7)(8).

Le directeur de l’usine de Pont-en- Royans, Samuel Schnaider, fut déchu de sa nationalité en 1943. Dès avant juin 1944, il participe activement à la résistance, en «hébergeant de nombreux réfractaires au STO, en leur procurant du travail et des faux papiers» (Attestation du Capitaine Villard en date du 18-07-1975). Engagé dans les FFI entre le 9 juin et le 9 novembre 1944, il participe aux combats du Vercors, puis des Alpes. Après la chute du Vercors qui eut lieu le 23 juillet 1944, il est à Pont-en-Royans lorsque les Allemands «raflent» le 15 août, jour du débarquement en Provence, 62 hommes du village et les emmènent comme otages vers Villard-de-Lans. Selon plusieurs témoignages, le Directeur de l’usine, prévenu, rejoint le groupe à la Balme de Rencurel, interpelle l’officier au péril de sa vie: « J’ai des ouvriers dans ce groupe, sans eux l’usine ne peut pas produire, il faut qu’ils reviennent travailler« . L’officier libère une quinzaine de personnes. Les autres ont été relâchés quelques heures plus tard.(tout ce § est extrait de note 3)

Plus tard, en 1948, après la fin de la guerre, alors que sa famille est à Paris, Pierre Quoirez sera chargé d’assurer le développement des établissements de Pont-en-Royans et de Saint-Marcellin. Il embauchera plusieurs jeunes ingénieurs, dont il ira jusqu’à organiser le logement et à mettre une gouvernante à leur disposition (9).

Françoise Sagan à Saint-Marcellin – Collection privée – Tous droits réservés

  • 1- Jean-Pierre Hauet – Aperçu sur l’histoire de la CGE de 1898 à nos jours – 1987 – http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/31808/C&T_1987_17_12.pdf?sequence=1
  • 2- Jules Rapp. Aux origines de la Compagnie générale d’électricité. In: Bulletin d’histoire de l’électricité, n°6, décembre 1985. pp.103-120
  • 3- C. Schenlker – Un village industriel au XX° siècle, Pont-en-Royans – Exposé à l’Académie Delphinale – 29/09/2018
  • 4- Dominique Odoit – Souvenirs d’un Chattois – 2012 – https://fr.calameo.com/books/0045491232e4b9bff5527
  • 5- Le Centre des Jeunes Travailleurs -Notice d’Henri Inard (†) -R.E.M.P.A.R.T.
  • 6- Produire pour le Reich-Les commandes allemandes à l’industrie française (1940-1944) – Arne Radtke-Delacor. https://www.cairn.info/publications-de-Arne-Radtke-Delacor–5773.htm?WT.tsrc=cairnPdf
  • 7- Dominique Odoit – Souvenirs d’un Chattois – 2012 – op. Déjà cité
  • 8- CGE FAE.AM FAE.ARNOULD NORMABARRE SAPAREL LEGRAND.ISERE, ouvrage réalisé par l’Amicale des Anciens d’Arnould (AAA) – 2013 -op.déjà cité
  • 9- la FAE en 1948 – Louis Bouteille, dans ouvrage de l’AAA déjà cité

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