Dans le cadre de sa chronique culturelle (Le Monde du 2 juin 2018), Michel Guerrin s’est livré à un réquisitoire en règle contre le spectacle numérisé consacré à Klimt par Culturespaces dans les nouveaux Ateliers des Lumières.
Insistant lourdement sur le caractère privé de l’initiative parisienne, l’auteur de la rubrique classe arbitrairement ceux qui fréquentent assidûment les musées parmi ceux qui trouvent nul ce spectacle.
Pour ceux qui ne seraient pas au fait de la chose, la Société Culturespaces présente une forme de diaporama géant constitué de plusieurs milliers d’images projetées par 140 vidéoprojecteurs, sur les murs ainsi qu’au sol. Certes, tous les tableaux de Klimt ne sont pas présentés in extenso, mais d’innombrables détails, des rapprochements, des oppositions d’images, de motifs, dans une succession d’extraits que vous pouvez voir en plusieurs endroits, sans que le déroulé y soit strictement identique. Le procédé s’appelle une exposition numérique immersive.
Et c’est cela que condamne Michel Guerrin: le fait que, dans le projet Klimt, le produit fini offert au spectateur ne soit pas quelques œuvres originales de l’artiste, mais le traitement informatique, numérique d’une grande partie de tout l’œuvre peint de celui-ci.
Autant, il serait acceptable que des sites internet constituent une encyclopédie de milliers de tableaux exposés de par le monde,
autant il serait acceptable que des scolaires, savamment guidés, puissent découvrir les grands peintres de nos musées nationaux au travers de sites éducatifs,
autant la conception numérique d’artistes qui jouent du pixel comme d’autres du pinceau pourrait prétendre à la reconnaissance de création,
mais là, non, c’en est trop !
Ce que voit le public, plongé dans le noir, pendant 40 minutes, ce sont des formes, des couleurs, des détails, mais quasiment jamais (dit-il !) le tableau dans sa singularité. Il n’y a pas de médiateur, pas de texte, pas de voix off.
Au cours de sa pérégrination de chroniqueur, l’auteur nous signale que ce programme est repris de l‘expérience des Carrières de Lumière, un site clos (et non à ciel ouvert, c’est une carrière souterraine !) où ont été projetés depuis 2012 Gauguin et Van Gogh, Monnet et Renoir, Klimt, Michel Ange et Léonard de Vinci, Chagall, Bosch et Brueghel, et Picasso cette année. Sous le nom de Cathédrale d’Images, et avec un autre exploitant, le même site existait depuis 1976, soit depuis plus de quarante ans ! Qu’il en a fallu du temps à notre chroniqueur pour découvrir les évolutions en matière de diffusion culturelle ! Sachez que Cathédrale d’Images a présenté Picasso en 2009 à 250000 visiteurs. Et que les Carrières de Lumière ont reçu 600000 visiteurs en 2017.
Mais l’essentiel du discours de Michel Guerrin vise, d’une part, à dénoncer la dématérialisation de l’œuvre et, d’autre part, à s’interroger sur la question de savoir si ces pratiques numériques vont entraîner davantage de visiteurs vers les musées, afin de découvrir l’original. Ce en quoi il ne croit pas, « au point de se demander si un peintre virtuel n’éloigne pas plus le spectateur du musée qu’il ne l’en rapproche ».
Afin d’étayer sa thèse, l’auteur compare le prix d’entrée au spectacle des Ateliers de Lumière, au tarif d’entrée du Musée du Louvre (gratuit pour les moins de 25 ans). Est-ce là une remarque empreinte de sincérité, lorsque l’on sait que les œuvres majeures de Klimt se trouvent surtout à Vienne (Autriche), puis à Zurich (Suisse), Munich (Allemagne), Venise (Italie), New-York (USA), Ottawa (Canada) ou Prague (République Tchèque), … à l’exception de «Rosiers sous les arbres», peint en 1905, qui se trouve au Musée d’Orsay ?
Faute de l’ « émotion diffuse et lente » qu’un tour du monde des tableaux de Klimt serait censé nous procurer, force est de se plaire à découvrir le monde de cet artiste avec les moyens modernes et renouvelés que nous procure l’informatique. Et tant pis pour le parisianisme attardé des critiques…