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Droit d’ingérence et droit de punition

Ce n’est pas l’objet de ce blog. Et donc chacun aura pu constater que nous n’avons fait quasiment aucun commentaire à propos de la crise syrienne. Nous n’avons pas l’envie de modifier notre position et nous limiterons donc notre analyse à une réflexion sur ce fameux droit d’ingérence, prétexte aujourd’hui à un « droit de punition » invoqué à l’encontre du régime syrien.
Si le sujet fait débat, c’est parce que l’opinion publique ne comprend pas les subtilités qui font que la France intervient au Mali pour en chasser les djihadistes et autres islamistes radicaux et veut intervenir en Syrie pour punir Bachar el Assad et, par voie de conséquence, « rééquilibrer » l’avancée des combattants rebelles qui sont quelque peu en difficulté, et qui sont de plus en plus dominés par … les islamistes radicaux. Ajoutons à cela une phase critique en politique intérieure: la rentrée sociale et politique, les indices de satisfaction toujours à la peine, l’augmentation des impôts, le chômage toujours croissant, .. tout cela conduit l’opinion a solliciter une énergie nouvelle en faveur des questions domestiques et non des questions diplomatiques et internationales.
Nous avons cité le Mali. L’attitude de la France au cours de la récente intervention militaire dans ce pays relève également d’un droit d’intervention, d’un droit d’ingérence, d’un droit de punir, qu’elle s’est attribué. Ici-même, nous avons suffisamment critiqué cette intervention, pour souligner qu’elle ne se faisait pas dans le cadre défini par l’ONU, qu’elle ne respectait pas les diverses résolutions de cet organisme, que la France intervenait directement et quasi seule dans un premier temps alors qu’elle s’était engagée sur l’inverse exactement et que cette opération Serval se traduisait au final par le maintien sur place d’un fort contingent de militaires français (3000 hommes). Rappelons-nous le vocabulaire. Il convenait de « tuer », « éliminer » les terroristes d’Al Qaïda et autres structures djihadistes. Il fallait intervenir vite, sans attendre, parce que ces « terroristes » étaient aux portes de Bamako …
Le droit d’ingérence, le droit d’intervention, déjà le droit de punir, argumentaient l’intervention et la présence de la France, tout autant pour sauver le Mali que pour défendre nos intérêts.
A l’exception du fort contingent militaire resté sur place, à l’exception des milliers de réfugié qui ne sont toujours pas rentrés chez eux, à l’exception du problème touareg qui n’est aucunement réglé, à l’exception des conflits persistants dans le nord entre touaregs et arabes, entre noirs et arabes et touaregs, conflits qui font des victimes quotidiennes, à l’exception du retour dénoncé des djihadistes, l’opération Serval se sera plutôt bien passée et pourra être qualifiée de « succès ». IBK a été élu à la régulière, son challenger Soumaila Cissé est en mesure, s’il le veut, de représenter une opposition crédible, le capitaine putschiste a été promu général et le président intérimaire a nommé toute une kyrielle de diplomates, de hauts fonctionnaires et grands administrateurs de l’Etat à la veille de son départ. François Hollande pourra assister à l’investiture du nouveau Président le 19 septembre prochain !
Juste une toute petite information ! Que l’on se souvienne que les élections présidentielles maliennes étaient prévues pour avril 2012, auxquelles IBK et Cissé avaient fait acte de candidature. Et que si ces élections n’ont pas eu lieu, c’est parce qu’un capitaine putschiste a pris le pouvoir et a indirectement permis aux « terroristes » de s’approcher de la Capitale.

Aujourd’hui, le même tandem français est à la manœuvre au sujet de la Syrie: Fabius et Le Drian, les Affaires Etrangères et l’Armée. En ce qui concernait le Mali, c’était Fabius qui était à la remorque de Le Drian. Pour la Syrie, c’est l’inverse.
Le résultat est le même. Après de fracassantes déclarations concernant l’impérieuse obligation de punir que la France faisait sienne, les difficultés sont apparues: c’est à reculons qu’Obama se dirige vers une intervention militaire dont il n’a pas du tout envie, la Grande-Bretagne s’y est opposée et le précédent irakien n’en est pas la seule cause, l’Europe, si elle condamne l’utilisation de gaz mortels, ne veut pas d’une intervention, l’Allemagne sans doute encore moins que ses voisins, la Ligue Arabe refuse de s’engager dans un guêpier pareil. La France est seule et toute les rhétoriques autour de la condamnation morale du régime syrien ne changeront rien à l’affaire.
En conformité avec ses choix éditoriaux, « Le Monde » s’est résolument engagé du coté des guerriers. Le « général » Nougayrède a rédigé un exceptionnel (de par sa longueur) éditorial nous expliquant ce qu’il fallait faire, pourquoi il fallait le faire et comment il fallait le faire. Depuis, toute sa rédaction développe les argumentaires présentés et les éléments de langage mis en exergue. Comme il moins facile que pour le Mali de négliger les opposants à la guerre, alors on les présente sous forme d' »opinions » divergentes. Sur Lemonde.fr, à deux reprises déjà, les opposants à la guerre ont été assimilés à l’extrême-droite et aux militants anti-mariage gay. C’est dire jusqu’où peut aller une certaine forme de malhonnêteté intellectuelle: faire passer pour progressistes les tenants de la guerre !

 »Il faut punir », disent-ils.

Il existe deux sortes de punition.
La première se veut éducative, voire pédagogique. C’est la sanction infligée à l’élève, à l’apprenti, à l’esclave, lorsque celui-ci n’a pas respecté les méthodes et principes de réalisation d’un processus, n’a pas appris une leçon, n’a pas appliqué correctement des consignes. Cette punition est appliquée par un « maître ». On peut discuter à l’infini de ses valeurs pédagogiques, mais il est évident, philosophiquement parlant, que le maître et l’élève se « reconnaissent » mutuellement, même si cette reconnaissance peut être hautement conflictuelle. Il n’y aura plus de punition lorsque l’élève ne reconnaîtra plus le maître et s’émancipera.
Dans le cas syrien, est-ce ce type de sanction qui est envisagé ? En ce cas, qui donne à la France, aux Etats-Unis, à l’Occident le mandat de punir et, conjointement, la toge du « maître » ? A l’évidence, personne.


La seconde forme de punition s’apparente davantage au règlement de compte. Elle intervient d’ailleurs souvent après des tentatives infructueuses de la première méthode. Méthode radicale, le règlement de compte vise à éliminer celui qui tente d’échapper, par le bien ou par le mal, par le haut ou par le bas, aux règles imposées par les tenants de l’ordre. Il s’agit, dans notre cas, de l’ordre mondial ou de l’image que veulent diffuser les maîtres de l’ordre mondial. La guerre chimique est une « ligne rouge ». Pourquoi ? Pourquoi davantage de répréhension à l’égard du gazage qu’à l’égard du bombardement aveugle ? Peut-on qualifier d’immoral l’emploi de gaz de combat ? L’usage de bombes à fragmentation serait-il plus moral ?
Quoi qu’il en soit, le règlement de compte vise à éliminer celui qui, délibérément, ne respecte pas les règles imposées, celui qui fait un usage personnel, et souvent à son avantage ou bénéfice, des processus et méthodes généralement reconnues. Dans notre cas syrien, le but recherché est d’abord celui d’un « rééquilibrage » en faveur des forces rebelles. Le cas libyen nous rappelle cependant que l’expédition de l’OTAN s’est achevée par l’assassinat, par la France, de Mouammar Khadafi. La question est la même: qui donne à l’Occident, aux Etats-Unis, à la France, mandat pour mettre sur pied un règlement de compte ? A l’évidence, personne !

« Au départ on peut penser qu’on est seuls quand on prend la responsabilité d’agir et de prévenir les autres que nous, parce que nous sommes la France, avons un rôle particulier mais ensuite, il y a un travail de conviction, il se fait ». Ainsi s’est exprimé François Hollande le 8 septembre, à Nice, dans le cadre des « Jeux de la Francophonie ». Quel « rôle particulier » est celui de la France ? Quelle idée de la mission de ce pays François Hollande se fait-il ?

A woman holds up a placard during a demonstration against British military involvement in Syria opposite Downing Street in central London on August 28, 2013. AFP PHOTO/CARL COURT (Photo credit should read CARL COURT/AFP/Getty Images)


La seule autorité susceptible de délivrer un mandat pour une intervention en Syrie (ou ailleurs) est l’ONU. Il n’y en a aucune autre.
 »L’ONU n’est qu’un « machin » inefficace, lent à se décider, doté d’une incroyable inertie ? »
C’est exact ! L’ONU n’a pas 70 ans d’existence et l’ONU n’est que la somme de tous les pays qui la composent. Elle ne peut agir avec efficacité et promptitude que si les pays qui la composent prennent soin d’elles et l’utilisent aussi souvent que possible. L’ensauvagement du monde (cher à Madame Nougayrède), ne se renforce que lorsque les Etats mettent en avant leur prétendu « rôle particulier » et, ce faisant, tuent le multilatéralisme et une future gouvernance mondiale !
Si l’on doit rechercher où se trouve le progressisme, c’est ici qu’on le trouvera !

Si l’on refuse les « punitions », la seule méthode permettant de résoudre les conflits s’appelle la diplomatie. Il n’y en a aucune autre.
 »La diplomatie n’est que procédures et discussions longues et lentes, ne débouchant sur rien ou pas grand-chose, et pendant ce temps les victimes continuent de s’accumuler ? »
C’est sans doute exact ! Sauf que rien ne prouve que les victimes ne seraient pas encore plus nombreuses en cas de dissémination des affrontements si l’on pratique les expéditions punitives et si l’on ajoute la guerre à la guerre. Liban, Iran, Irak, Israël, qui pense à tous ces pays et aux éventuelles conséquences d’un déferlement de violences ?
La diplomatie, c’est déjà remplacer le bruit des armes par la parole. Et ceci sans aucun préalable, d’aucune sorte. Lorsque tirent les armes, elles le font sans préalable. Dans un premier temps, la diplomatie ne doit avoir pour objet que de remplacer les cris des armes par des paroles, des propos, violents s’il le faut, avec des intermédiaires s’il le faut. Il est singulier que de tous nos va-t-en-guerre, il n’en est aucun pour réclamer et aider à mettre en œuvre un cessez-le -feu, de quelques heures, de quelques demi-journées, de quelques jours. La diplomatie, dans sa fonction d’entremetteuse, est devenue gênante et obsolète, alors que la notion même de négociation fait partie de la guerre. L’exemple malien, cette fois-ci, l’illustre bien: la France a décidé de son intervention alors même que des discussions se tenaient à Bamako et au Burkina sous l’égide de l’ONU avec la présence de Romano Prodi, discussions qui ont été sabotées par le Mali fantoche et par la France. Les participants au conflit syrien qui, aujourd’hui encore, se refusent à prendre place autour d’une table (Genève 2, par exemple) doivent y être poussés par leurs propres soutiens. En l’occurrence, la France a l’impérieux devoir de pousser à la table la Coalition Nationale Syrienne (même si elle ne représente pas grand chose) plutôt que de chercher à « rééquilibrer ses positions » (Laurent Fabius).
Ici encore; l’ensauvagement du monde ne se renforce que lorsque les Etats mettent en avant leur prétendu « rôle particulier » et, ce faisant, assassinent le dialogue et la négociation !
Si l’on doit rechercher où se trouve le progressisme, c’est ici qu’on le trouvera !


Peux-t-on ajouter un commentaire plus général ?
Le prétendu « rôle particulier » des Etats ne s’exprime pas que dans le domaine guerrier. On le retrouve en matière de commerce, par exemple, dans le cadre de l’OMC où les occidentaux alternent avec mépris les demandes d’allègement des taxes douanières ou l’imposition de nouvelles taxes aux pays émergents et en développement, selon que les fluctuations des marchés les avantagent ou non.

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La guerre des civilisations a bien lieu

L’affaire est passée largement inaperçue, car qui en a parlé ? Les trois Femen européennes incarcérées en Tunisie pour avoir manifesté en faveur de la militante tunisienne Amina Sboui ont présenté des excuses, disant qu’elles regrettaient d’avoir pu choquer par leur comportement.
Bien entendu, sitôt arrivées en France, elles ont démenti avoir présenté des excuses, ont tout au plus affirmé avoir émis des regrets, et surtout les ont justifiés par leur incarcération de près d’un mois.
Il n’y a aucun intérêt à discuter sur la nature même des propos qu’elles ont pu tenir. Le plus important est le fait qu’elles les aient tenus, que ce soit sous la pression (en l’occurrence celle de leurs ambassades respectives) ou de façon plus ou moins spontanée. Le contenu de leur déclaration fait étalage d’une méconnaissance totale du pays dans lequel elles sont allées s’exprimer.
Femen France, le mouvement lui-même, ajoute au cynisme en précisant qu’il fallait « comprendre ces déclarations après un isolement total du monde et face à la machine répressive islamique ». Et que, de plus, ce serait « une duperie que de croire, ou faire croire, que le régime islamique pourrait libérer les Femen face à la pression du public démocratique ».

L’univers mental des Femen consiste à dire, écrire, affirmer et démontrer que l’islamisme ne peut être QUE répressif et que toute action d’un gouvernement peu ou prou dirigé par des musulmans n’est que de l’islamisme. La Tunisie, la Turquie sont actuellement les cibles de cette analyse réductrice.

Mais est-ce seulement le point de vue des Femen ? Bien sur que non ! C’est même le point de vue de la majorité des organes de presse et des responsables politiques ou intellectuels.

Les Femen à Tunis (DR)

Prenons l’exemple des récents évènements égyptiens. Depuis plus d’un an, tout l’occident se ligue contre le Gouvernement de Mohamed Morsi qui a été accusé d’incapacité à gérer le pays. Sans doute a t-il commis des erreurs, notamment d’autoritarisme. Mais enfin, n’est-il pas vrai que jamais, au grand jamais, l’opposition hétéroclite des libéraux, des gauchistes et des revanchards n’a accepté le moindre début de dialogue ? Cette opposition, dans la rue ces derniers jours, n’avait qu’un seul objectif: celui de revenir un an en arrière et de pouvoir redistribuer les cartes. N’est-il pas singulier que ceux qui vouaient l’armée (les SCAF) aux gémonies et prônaient leur boycott en soient aujourd’hui à les applaudir ?
N’est-il pas vrai que les fonds accordés par la Communauté Européenne pour aider l’économie égyptienne (5 milliards d’euros), en novembre 2012, n’ont encore été que très parcimonieusement versés, si tant est même qu’un début de versement ait été effectué ?
N’est-il pas vrai que le FMI, le 27 juin encore, n’avait toujours pas décidé du versement de l’aide à l’Egypte d’un montant de 4,8 milliards de dollars ?
L’univers mental de la presse et des commentateurs occidentaux vise à réaffirmer avec constance que l’islamisme égyptien a chassé tous les opposants, ce qui est faux ! que la constitution élaborée avec trop peu de dialogue (la faute à qui ?) vise à instituer la charia, ce qui est faux !, que les agressions sexuelles commises par les voyous inoccupés du Caire et d’ailleurs relève d’une action politique voulue, ce qui est faux !

Si l’on ne sait pas encore aujourd’hui ce que donnera l’évolution politique en Tunisie, il est possible de prévoir sans crainte et presqu’à coup sur, ce qui va se passer en Egypte. L’armée a pris le pouvoir, elle va le garder en sous-main et Baradei ne sera qu’une marionnette. Le conflit sera dur, très dur et les prochaines élections libres (mais quand ?) verront probablement le retour des Frères Musulmans.
Pourquoi ? Parce qu’ils sont organisés, parce qu’ils ont l’expérience de la prison et de la clandestinité dans lesquelles les forces armées veulent les repousser, parce qu’ils épousent les sentiments profonds de la majorité de la population et parce l’union des libéraux, des révolutionnaires et des revanchards ne donnera jamais une majorité solide. Les 14, les 17, voire les 21 millions d’Egyptiens descendus dans la rue ne sont qu’une grossière illusion. Ce sont avant tout des Egyptiens qui veulent travailler, manger et élever leurs enfants. On leur a fait croire que Morsi était seul responsable de leurs difficultés, on les manipule même sans vergogne … Leurs revendications ne sont pas l’an II d’une révolution qui n’a jamais eu d’an I

Opposants à Mohamed Morsi sur la Place Tahrir, le 5 juillet (C)Amr Nabil/AP

Entretemps, c’est la Turquie qui s’est distinguée par des mouvements revendicatifs fortement inspirés de l’Occident et, à ce titre, largement salués par celui-ci ! Voilà la Turquie, modèle des commentateurs et des analystes du « Printemps Arabe », devenue subitement un pays totalitaire, répressif et … islamique ! Oui, la Turquie a de graves problèmes à régler, avec les Kurdes, avec Chypre, avec ses minorités, avec son identité culturelle, avec ses avocats et ses militants, mais est-ce l’aider que de la stigmatiser sans nuances ?

En Tunisie, en Egypte, en Turquie, mais également au Sahel africain (Mali, Niger ..), l’occident adopte une attitude colonialiste égoïste et prétentieuse en croyant et en affirmant que seule la démocratie libérale a une vocation universelle et inéluctable à s’implanter, partout sur notre terre, quelle que soit la civilisation, quelle que soit la culture. La démocratie libérale est LA civilisation, elle est LA culture, tout autre projet est appelé à se soumettre.
Cette attitude s’accompagne d’un anti-islamisme de plus en plus affirmé, de plus en plus banalisé. Il n’est que de lire les réactions des lecteurs à un évènement aussi peu signifiant que celui de l’interpellation d’une femme en niqab (Argenteuil): l’immense majorité de ces commentaires relèvent du mépris, de l’exclusion, de la peur, de l’anti-islamisme quand ce n’est pas du racisme tout court. L’évolution récente de l’Egypte a suscité quelques délires dont les journalistes (ceux du « Monde » notamment) n’ont pas su rester à l’écart. Des calculs savants ont été effectués afin de comparer le nombre d’Egyptiens dans la rue et le nombre d’Egyptiens ayant voté pour Morsi lors des élections présidentielles. Et de conclure, au mépris des premières élections libres dans ce pays, que les majorités étaient renversées. Combien de journalistes auraient accepté une telle analyse dans un pays occidental ? Plus grave encore, certains sont allés jusqu’à rappeler que la démocratie n’est pas une « assurance tous risques » en matière de démocratie et qu’Hitler lui-même avaient été élu ! De telles considérations plus ou moins nauséabondes débouchent tout naturellement sur une relative compréhension à l’égard des Forces Armées ! Curieux comme les hommes de gauche se mettent à aimer les armées putschistes qui leur apportent des solutions « clefs en main »: après le Mali, voici l’Egypte ! Cette attitude dangereuse entraîne une inévitable réaction de la société islamisée traditionnelle, réaction que savent exploiter les meneurs salafistes et djihadistes.

Il est grand temps de mettre un terme à cette guerre de civilisations et d’aider l’islam, civilisation et culture mêlées, à se définir et à se positionner au regard de la démocratie.

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Après le Mali, la recolonisation programmée en Afrique

C’est une sorte de pavé dans la mare que viennent de publier Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé, tous les deux journalistes au « Figaro ». Leur ouvrage (au titre racoleur: qu’y a t-il de « secret » ?) s’intitule « Notre guerre secrète au Mali » et défend l’idée que l’intervention française dans ce pays était prévue depuis longtemps, depuis 2009 plus précisément. Elle est un héritage de l’ère Sarkozy qu’ont repris à leur compte Jean-Yves Le Drian, Jean-Marc Ayrault et François Hollande, à la fois pour des raisons stratégiques et pour des raisons militaires. Pour que cela soit bien clair, il s’agit de notre conviction bien avant le déclenchement de l’intervention elle-même: les déclarations auprès de l’ONU afin d’obtenir les résolutions adéquates, les engagements de Dakar du Président Hollande, annonçant qu’il n’y aurait jamais d’intervention au sol de la part de la France, et qu’il n’y aurait jamais d’initiative ou d’action individuelle n’étaient qu’un rideau de fumée, un brouillard épais diffusé essentiellement afin de permettre la montée organisationnelle de l’opération. Il est indéniable que tout cela a bien marché. En effet, la « qualité » de l’organisation, du déploiement et de l’action militaire suffisent à prouver que l’intervention était préparée et programmée depuis longtemps.

(DR)

La question qui se pose désormais est celle de savoir si cette intervention a été un succès. Ici même, nous avons souvent et longuement analysé les risques que comportaient cette opération militaire.

Des risques humanitaires, disions-nous.
Personne n’en parle, ce sujet ne fait pas partie du « tableau » que la presse française se complait à développer quand elle aborde cette guerre. Or, les réfugiés sont plusieurs centaines de milliers dans les pays limitrophes. Or, la situation (http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=30416&Cr=Mali&Cr1#.UakLwJxdxMh) de ceux qui restent dans le Nord-Mali est de plus en plus précaire: il n’y a plus d’eau à Gao, le choléra reprend du service …

Des risques ethniques, disions-nous ensuite.
Force est de constater que ceux-ci ne se sont pas produits à grande échelle, malgré quelques actes commis entre communautés noires, arabes et/ou touarègues. Sans doute, la présence ordonnée et disciplinée de l’armée française y est-elle pour beaucoup. cela ne garantit pas l’avenir pour autant. Un conflit localisé mais puissant germe progressivement à Kidal. Cette ville est « occupée » par les combattants du MNLA qui refusent l’accès aux troupes maliennes. Cette forme d’occupation se fait avec la complicité plus ou moins explicite de la France qui voit dans les Touaregs une force avec laquelle il serait utile de discuter. La quasi totalité des forces politiques du Mali, de Bamako plus exactement, ne veulent pas en entendre parler. Les négociations sont en cours,mais leur échec est susceptible de réveiller de vieux démons, surtout au moment ou la France commence son désengagement.

Enfin des risques politiques, et ils sont nombreux !
Les récents attentats d’Arlit (auprès d’AREVA) et d’Agadez mettent en évidence une situation prévisible et redoutée. L’intervention de l’armée française, si elle a « détruit » quelques centaines de combattants, a surtout eu l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière. Ceux que l’on nomme, à tour de rôle, des terroristes ou des djihadistes ont pris la piste et quitté le théâtre des opérations. Seuls, restent quelques kamikazes dont la fonction première et d’attester de la détermination des combattants et de fixer les armées d’intervention. Les autres, tous les autres, ont quitté le Mali, en fuite devant les troupes françaises, et se trouvent actuellement dans le sud de la Libye, un pays dont la décomposition est telle qu’il lui est impossible, même s’il le voulait, d’intervenir. Ces combattants sont des Maliens, des Soudanais, des Nigériens et des Sahraouis. Les attentats du Niger sont leur œuvre. La volonté est parfaitement claire de généraliser le combat djihadiste à l’ensemble de la zone sahélienne. Et non seulement généraliser le combat, mais y entraîner la France.
Laurent Fabius est déjà tombé dans ce panneau, en déclarant auprès du Président du Niger qu’il est du devoir des Etats voisins (Algérie, Tunisie, Maroc, Egypte, Niger, …de se coordonner et de conduire une action contre les terroristes. « La France est et sera à vos cotés ».
Pourquoi ? Parce que l’intérêt de la France est de contrôler efficacement cette zone. Ce n’est pas sans arrière-pensée que la France a obtenu la présence constante d’un millier de soldats français au Mali. Mais l’armée française a d’autres besoins: l’uranium d’Arlit, au Niger, l’uranium à venir dans les prochaines exploitations minières, n’a pas pour seule finalité la filière nucléaire civile. L’armée a besoin d’uranium et elle fera tout pour maintenir sa présence et rester en Afrique …. comme cela a toujours été fait ! Et avec le soutien , l’aide et l’appui stratégique des USA, dont nous ne sommes pas autonomes.
Voici quelques jours, France24 a organisé un passionnant débat, ici (http://www.france24.com/fr/20130528-debat-partie1-sahel-guerre-mali-mujao-hollande-libye) et ici (http://www.france24.com/fr/20130528-debat-partie2-sahel-guerre-mali-mujao-hollande-libye) à propos de cette évolution. Il faut l’écouter.

AREVA à Arlit (DR)

Un autre risque politique est celui de la destruction des petits restes de démocratie qui existent encore au Mali. Des élections présidentielles (à minima) destinées à désigner un pouvoir politique légitime, en lieu et place d’un président issu d’un putsch, doivent avoir lieu le 28 juillet prochain. L’impréparation à ce sujet est totale: listes électorales, matériel, organisation matérielle et administrative …les populations du Nord, dont on a vu dans quelles conditions elles vivaient, sont incapables de participer à cette élection. Les réfugiés hors du Mali ne sont même pas pris en considération.
Face à cela, la France, par la voix de François Hollande et celle de Laurent Fabius, exige que cette élection ait lieu et que les délais en soient respectés. Or, la même exigence était impossible à satisfaire en janvier dernier parce que le Nord du pays était occupé.
François Hollande est allé jusqu’à « humilier » certaines personnalités politiques (de celles dont on ne parle jamais en France) en déclarant qu’il serait « intraitable » sur la tenue de ces élections à la date prescrite, le même François Hollande qui hausse le ton et se drape dans sa dignité vexée lorsque l’Europe lui demande de faire des efforts en matière d’économie !

Aujourd’hui, nous ne sommes plus face à un « risque », mais bien en présence d’une « recolonisation programmée » de l’Afrique sub-saharienne. Le comble, c’est que ce soit un gouvernement de gauche, déjà bien décontracté avec l’idée de guerre, qui se charge de cette question !
Aminata Traoré, dont on a souvent parlé ici, ne décolère pas. On en a souvent parlé, tout en étant bien seul, car à part l’Huma, Rue89 et Médiapart, il n’y a pas eu beaucoup d’autres organes de presse qui se soient fait l’écho de ses propos.
Bien sur, elle gêne encore avec son approbation à peine déguisée du putsch militaire qui a renversé ATT. Elle nous gêne également et nous ne saurions accepter que la force militaire soit une méthode pour faire avancer les solutions politiques. D’autant qu’en l’occurrence, la méthode s’est révélée désastreuse ! Par contre, nous ne pouvons que la suivre quand elle affirme, haut et fort, que la solution à cette crise ne peut être trouvée que par les Africains, ne peut être mise en œuvre que par les Africains. Le scrutin programmée en juillet ne relève que d’une « démocratie de façade », bien utile à la France pour camoufler ses intentions.

Ces deux évolutions politiques seront probablement au cœur du débat africain dans les mois à venir et il est fort probable que le reproche d' »ingérence » devienne de plus en plus fréquent à l’égard de la France.
Il sera alors bien difficile de parler de succès pour l’opération Serval.

Nous n’avons pas parlé des otages … mais la question reste sans réponse: où sont-ils ?

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Mali: le Parlement français se livre à une formalité

En avez-vous entendu parler dans la presse ? Ou à la télévision ? Non, bien sur ! Et pourtant le Parlement français est saisi demain 22 avril 2013 pour débattre de la prolongation ou non de la présence française au Mali. Ce débat est rendu obligatoire par la Constitution (Art. 35) qui stipule que si une intervention peut être décidée par le Chef des Armées (le Président de la République), elle ne peut être poursuivie plus de quatre mois sans débat et autorisation parlementaires.
Faites un test : rechercher trace de l’annonce de ce débat sur Google, vous ne la trouverez pas. Il vous faudra atteindre un lien avec la presse malienne et notamment l’agence Maliweb pour avoir confirmation du fait.
Comme pour d’autres débats, il s’agit de faire vite, de ne pas s’attarder, bref de ne pas trop réfléchir et de profiter de l’inertie et de la douce soumission de la population française et de ses médias pour entériner une guerre et une occupation du pays malien.
La Commission des Affaires Etrangères et de la Défense du Sénat s’est déjà prononcée en faveur de la prolongation de l’intervention, mardi 16, et le résultat du débat ne fait l’ombre d’un doute pour personne.

Dans tous nos précédents posts consacrés à l’intervention malienne, nous avions souligné les risques inhérents à cette attitude guerrière et solitaire (solitaire parce que tous les moyens de négociation et de débat avaient été volontairement rejetés, aussi bien avec l’adversaire, qu’avec les pays de la région, qu’avec l’Europe).

Tout d’abord, le risque humain et sociétal, sanitaire et humanitaire. Ce sont des centaines de milliers de Maliens qui ont quitté leur pays pour échapper aux violences des islamistes et qui ne sont pas revenus depuis le début de l’intervention. Bien au contraire, les migrations se poursuivent pour la simple raison que la situation n’est en rien stabilisée et que les populations redoutent les nouvelles violences des militaires maliens, ou de nouveaux affrontements entre touaregs et africains noirs. En moins d’un an, de avril 2012 à février 2013, le nombre de réfugiés et déplacés maliens est passé de 268 000 à 457 000 (sources HCR) (http://maliactu.net/manque-cruel-de-fonds-pour-laide-humanitaire-au-mali/), lesquels se répartissent en Mauritanie, au Niger et au Burkina Faso, ainsi que dans les autres régions du pays, Bamako principalement. Nul besoin de vous raconter ce que sont les camps de réfugiés, mais si vous en avez l’envie, allez faire un tour sur les pages du HCR.

Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (DR)

Les réfugiés, les déplacés, ce sont autant de familles qui ont tout abandonné, qui ont tout perdu et qui ne retrouveront jamais le peu qu’elles possédaient auparavant, mais qui leur permettait de vivre et de s’insérer dans la société. La destruction de ce tissu sociétal rend caduque et mensonger tout discours sur le développement futur de la région, un discours déjà bien difficile à croire pour lui-même.

Ensuite, le risque ethnique. Certains esprits forts affirment que ce n’est pas là l’une des dimensions du conflit qui agite la région depuis longtemps. Oh, que si ! Les troupes françaises ne sont pas encore parties parce que cet aspect de la question malienne n’est absolument pas solutionné à l’heure actuelle. Pour mémoire, aucun soldat malien n’opère à Kidal. Pourquoi ? Pour mémoire, seuls les tchadiens interviennent dans cette région et ils parlent de se retirer du Mali. Quant à la ville, sécurité et fonctionnement quotidiens y sont assurés par les touaregs du MNLA. Il y a de la scission dans l’air ! Une scission que jamais les Maliens ne sauraient accepter (http://maliactu.net/fenetre-ouverte-pourquoi-nos-braves-soldats-ne-sont-pas-a-kidal/). Une scission lourde de dangers, très lourde.

Enfin, un risque politique. Nous ne parlons pas de chez nous, en France, pays où le débat tourne autour du mariage pour tous, ou du patrimoine des ministres, mais bien du Mali.
Le débat démocratique dans ce pays devient de plus en plus contrarié, les journalistes en savent quelque chose. Outre le cas de Boukary Daou, qui a été emprisonné par les Services de Renseignement maliens (délibéré le 23 avril), Reporters Sans Frontières a souligné que les cas de violences ou d’intimidations auprès des journalistes ont augmenté au point que le Mali est passé de la 25° place à la 99° dans son classement relatif à la Liberté de la presse (http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2013,1054.html).
Tout dernièrement , Malijet a annoncé que « Coulibaly et Fabius ont frôlé l’incident diplomatique », mais le lien a très rapidement été supprimé. Pour expliquer l’histoire, il semble que le Ministre des Affaires Etrangères (Coulibaly) n’ait pas du tout apprécié d’être exclu d’un tête à tête entre Fabius et Diaconda Traoré, le Président en intérim.
Autre exemple de la décomposition politique, un exemple qui nous ramène au conflit avec les touaregs du MNLA. Ceux-ci ont appuyé, selon leurs dires, la nomination d’un Gouverneur de la région de Kidal; Mohamed Ali Ag Albassaty . Qui l’a désigné ? Nul ne le sait bien, puisque le Ministre de la Communication du Mali considère qu’il s’agit là d’un non-évènement car un gouverneur doit être désigné par le Conseil des Ministres, ce qui ne semble pas être le cas : « Kidal fait parti du Mali. Ceux qui se donnent le droit de nommer un gouverneur sont incompétents pour le faire ».
Un autre fait ? Aminata Traoré, dont on a déjà beaucoup parlé ici, et Oumar Mariko, un militant anti-capitaliste d’ultra-gauche, se sont vus interdire de visa (http://www.maliweb.net/news/politique/diplomatie/2013/04/21/article,141163.html), par la France, pour venir en Europe, en particulier en Allemagne, afin de présenter leurs points de vue sur l’avenir du Mali dans le cadre d’un débat organisé par le journal Prokla et la Fondation Rosa Luxembourg.

Cette décomposition politique du Mali est donc alimentée depuis la France, une preuve en est le discours de François Hollande, le 28 mars , sur France2, lorsqu’il a sommé le Mali de mettre en place des élections présidentielles (à minima) avant juillet, déclarant qu’il serait « intraitable » sur la question (http://www.courrierinternational.com/article/2013/04/02/le-mali-une-province-francaise-comme-les-autres). Avons-nous déjà entendu le Président français exprimer avec une telle véhémence son souci de voir l’Italie, par exemple, se sortir d’une situation politique ubuesque ? Non, il n’est pas admis de se comporter avec l’Italie, par exemple, comme l’on peut se comporter avec le Mali, pays que l’on vient de visiter de sud en nord. La France a un vital besoin d’élections afin de « légaliser » au plus vite sa position, et peu importe que le pays soit aussi divisé, voire davantage qu’avant l’intervention, peu importe si les populations sont déplacées en plus grand nombre qu’avant l’intervention, les arguments qui prévalaient en décembre 2012 pour ne pas faire d’élection n’ont plus cours en mai 2013.

Un dernier risque était celui des otages. La libération de la famille retenue au Nigéria ne saurait les faire oublier. Mais où sont-ils ?

Oui, le débat que les honorables parlementaires (députés et sénateurs) vont conduire ce 22 avril est bien loin de la réalité : « une simple formalité ».