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Guerre 1939-1946

A propos de Léa Blain (2)

LA RESISTANCE

La Résistance naît officiellement le 18 juin 1940 avec De Gaulle qui se fait reconnaître peu à peu par les groupes et réseaux constitués dès la défaite.

En zone sud, trois dominèrent.

– Le réseau Combat du tandem Henri Frenay/Georges Bidault (5), très structuré, avec une branche armée, l’Armée Secrète, fortement implanté dans notre secteur. Gaston Valois, Victor Carrier, en sont issus.

– Le réseau Libération d’Emmanuel d’Astier, plus à gauche.

– Et enfin, le réseau Franc-Tireur de Jean-Pierre Lévy (6), également de gauche. Entré en contact avec les grenoblois Léon Martin, Eugène Chavant (7), Aimé Pupin (8), il est le plus représenté dans le département de l’Isère et dans le Vercors.

Fin 1942, ces trois mouvements sont regroupés en un Mouvement Uni de la Résistance (MUR) de l’Isère, sous la responsabilité de Gaston Valois. En mars 1943, Jean Moulin, chef du Comité National de la Résistance, rassemble tous les mouvements de la zone sud dans le MUR national.

L’année 1942 est l’année charnière pour la France en guerre. L’opinion bascule. L’hypothèse d’une entente secrète De Gaulle/Pétain s’effondre. Laval, rappelé en avril 42, devance les exigences de l’occupant : on traque les juifs. En novembre, le débarquement d’Afrique du Nord entraîne l’occupation de toute la France par les Allemands et Italiens dans le Sud-Est. L’armée d’armistice est dissoute. Officiers, sous-officiers rejoignent l’armée Secrète ou l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée).

Plus encore, la relève, instaurée en septembre 42, devient en février 43 le Service du Travail Obligatoire (STO) concernant tous les hommes de 18 à 55 ans. Ce sera le principal pourvoyeur des maquis, comme le dira Laval lui-même.

La Résistance s’organise. Le département de l’Isère est divisé en 7 secteurs. Saint-Marcellin appartient au secteur III avec Tullins, Vinay, la Bièvre, les Chambarands. Il est dirigé par Jules Cazeneuve et Victor Carrier jusqu’en novembre 1943. Dans chaque localité, une « sizaine » comme on l’appelait alors, distribue tracts, journaux clandestins, pose des affiches pour gagner à la cause des gens actifs, ou du moins des sympathisants.

Un poste-émetteur est placé chez le laitier Jean Rony, qui le paiera de sa vie en mai 44.

Les Résistants – en particulier les Corps-Francs, groupes de 30 à 40 hommes – s’emploient à traquer collaborateurs, miliciens, faux résistants. Des sabotages sont organisés sur la voie ferrée de Saint-Marcellin à partir de janvier 44.

A l’usine Morel, le groupe constitué autour de Maltherre (9) – avec Léa Blain donc – cache les gens traqués, les réfractaires au STO. Il leur faut des faux papiers, cartes d’identité, cartes d’alimentation, cartes de travail, …

«  Je me souviens des innombrables cartes d’identité qu’elle fabriquait et qui séchaient sur un fil dans la cuisine » rapporte Joseph Blain, son frère.

A la mairie, Melle Lucie Ageron-Berger se débrouillait pour obtenir plus de cartes d’alimentation que nécessaire. Quant aux cartes de travail délivrées à la Kommandantur de Grenoble, c’est grâce à la complicité de quelques secrétaires qui acceptaient de donner des cartes tamponnées, mais laissées en blanc, qu’on put s’en procurer.

Quand le danger se rapprocha, beaucoup de ces gens menacés durent gagner le Vercors. A Chatte, des familles juives attendaient des jours meilleurs, à la pension Abric, dans la maison Chapoutier, ou dans quelques greniers. Parmi eux, un photographe anglais « Noël », venu de Nice, auquel on doit les beaux portraits de Léa Blain.

Au « Grangeage » vint séjourner le lieutenant André Jullien-Dubreuil, un des responsables de la mission Eucalyptus de juillet 44.

Léa Blain s’est engagée totalement dans cette lutte. Devenue « Louise Bouvard » (10), elle transporte plis et documents, voire des armes. « On nous appelle une nation aux bras croisés. Nous allons leur montrer que nous savons faire quelque chose… des gens pantouflards prétendent que notre rôle est terminé et que nous devons laisser faire les Anglais et les Américains. Alors ? Et l’honneur de la France ? Qui le sauvera ? » disait-elle. Pour elle, la vraie lutte se passait dans le Vercors. Le lieutenant Dubreuil l’appelle au service du chiffre, au quartier général de Saint-Martin-en-Vercors.

Dès 1940, Pierre Dalloz (11) et son ami Jean Prévost (12) perçoivent le rôle stratégique que peut jouer le Vercors. Le massif se compose d’un haut plateau de 1500 à 2340 m creusé de dépressions profondes, entouré d’un enchevêtrement de collines moins élevées. Citadelle imprenable, pénétré de peu de routes, très boisé, il sera pour Dalloz et Prévost le cheval de Troie pour commandos aéroportés. Ce plan Dalloz sera baptisé plan Montagnard en 1942 par le général Delestraint (13).

Pour faire face à l’afflux de résistants, juifs, réfractaires au STO, le Dr Samuel de Villard-de-Lans crée le 1er maquis de la Ferme d’Ambel fin 42. Le plateau se couvre d’une quinzaine de camps parrainés par le mouvement Franc-Tireur : 500 hommes au total à la fin 43.

En février 43 quand la BBC annonce « Les montagnards doivent continuer à gravir les cimes » Dalloz comprend que Londres a donné son accord. Le général Alain Le Ray (14) s’attelle à l’étude militaire. A Vassieux, le terrain pouvant convenir à atterrissages et parachutages est repéré.

En février la milice a été mise en place à Grenoble. En septembre, Grenoble et le Vercors, jusque là sous contrôle italien, passent sous contrôle allemand. La lutte et la répression s’amplifient.

En novembre, le Dr Valois et le Dr Carrier sont exécutés. En décembre, le château de Murinais, refuge de l’école des cadres d’Uriage chargée de coordonner les divers réseaux, est incendiée.

LA BATAILLE DU VERCORS

1944 : la bataille du Vercors s’engage avec un premier avertissement, l’attaque de Malleval en janvier, suivie par celles du monastère de l’Esparron, du pont du Martinet près de Choranche, de la Matrassière, hameau de Saint-Julien-en-Vercors.

La milice envahit le Vercors. A ce moment, Chavant est le chef civil. Alain Le Ray a succédé à Albert Seguin De Reyniès (15) comme chef des FFI de l’Isère. Huet (16), dit « Hervieux », assure le commandement militaire du Vercors divisé en deux parties ; le nord sous la responsabilité de Costa de Beauregard (17), le sud sous la responsabilité de Geyer (18), dit « Thivollet ».

Huet a installé son PC à Saint-Martin-en-Vercors. Pierre Tanant, son chef d’état-major, l’établit d’abord à l’hôtel Breyton, puis à la villa Bellon située plus à l’écart du village. Dans les bureaux se trouve Rémy Lifschitz (19) chargé du tribunal militaire.

Le 1er juin les vers fameux de Verlaine annoncent le débarquement de Normandie (*).

Le 5 juin, « Le chamois des Alpes bondit » ; le message capté par l’équipe radio correspond à une mobilisation immédiate des maquis. Huet, pourtant en désaccord avec Marcel Descour, responsable de la région Rhône-Alpes, sur le rôle stratégique du Vercors doit lancer l’ordre.

Le 9 juin, 3000 maquisards affluent sur le plateau, mal équipés, mal préparés pour la plupart. Le Plan Montagnard va se transformer en piège pour partisans et civils.

Le 10 juin, Alger s’inquiète et veut freiner la guérilla qu’il lui est impossible d’aider pour le moment. Il est trop tard. Le verrouillage du Vercors est terminé. Le général Pflaum anticipe le plan d’attaque allemand.

Les maquisards sont environ 4000 sur le plateau, seul un noyau dur de 500 « vieux » maquisards constitue une troupe expérimentée. Plus de la moitié n’est pas convenablement armée ; artillerie, canons, mortiers, armes à tir courbe manquent totalement.Les moyens de communication entre unités sont insuffisants. Des parachutages ne comblent pas les espoirs. Face à eux 15000 Allemands parfaitement entraînés et armés avec, en outre, trois bataillons supplétifs de l’Est surnommés les « Mongols ».

Les 13 et 15 juin se sont déroulés les combats de Saint-Nizier.

Le 28 juin, la mission « Eucalyptus », composé d’un Américain, d’un Anglais et de Français est parachutée à Vassieux. Plus tard, sur place, elle recevra le renfort du lieutenant Dubreuil, interprète, et de Léa Blain, agent de liaison, qui a quitté Chatte le mercredi 19 juillet.

« Le jour de son départ, je l’ai accompagnée jusqu’à Saint-Marcellin pour l’aider à porter son petit sac. Elle était très pâle, nerveuse ; on ne s’est adressé la parole qu’au dernier moment. Elle m’a donné ses dernières recommandations … j’avais perdu pour toujours ma chère petite sœur ».

Il semble que ce soit le lieutenant Dubreuil qui l’ait conduite au PC où l’accueille Pierre Tanant. Arrivée à 2 heures, Léa, secrétaire au service du chiffre de la mission interalliée Eucalyptus se met immédiatement au travail. C’est ce que rapporte sa dernière lettre. Elle porte le cachet du 22 juillet, d’Auberives-en-Royans. Elle parviendra à Chatte le 10 août.

C’est donc dans les moments les plus terribles de la bataille du Vercors que Léa est arrivée à Saint-Martin. Depuis le 13 juillet, les bombardements ont frappé Vassieux, La Chapelle, Saint-Martin, Saint-Agnan. L’offensive est déclenchée de toutes parts. Le 20, Huet lance son ordre général « soldats du Vercors, c’est le moment de montrer ce que nous valons, c’est l’heure pour nous de la bataille ».

Renvois

5 – Henri FRENAY. Né le 19 novembre 1905 à Lyon, décédé le 6 août 1988 à Porto-Vecchio. Il fonde le mouvement de Résistance « Combat ». Fait prisonnier par l’armée allemande lors de l’armistice, il s’évade et gagne la zone libre où il est incorporé dans l’armée d’armistice jusqu’en 1941. Tout d’abord pétainiste, il revient sur ses convictions premières fin 1941 et reconnaît en De Gaulle le chef de la Résistance. «J’ai cru, néanmoins, au maréchal Pétain, j’ai cru au double jeu, j’ai cru même à une véritable Révolution nationale humaine et sociale. Comme tous les autres Français, j’ai été cruellement déçu, odieusement trompé » .

5 – Georges BIDAULT. Né le 5 octobre 1899 à Moulins, décédé le 27 janvier 1983 à Cambo-les-Bains. Rédacteur en chef du quotidien catholique « L’Aube », il est mobilisé sur sa propre demande en février 1940, mais fait prisonnier le 8 juin 1940. Libéré en juillet 1941, il s’installe en zone sud en octobre. Entré dans la Résistance, il rejoint Henri Frenay au comité directeur du mouvement « Combat ».

6 – Jean-Pierre LEVY. Né le 28 mai1911 à Strasbourg et décédé le 15 décembre 1996 à Paris. Mobilisé en 1939 comme lieutenant de réserve, puis démobilisé après l’armistice de juin 1940, il s’installe à Lyon où il fonde dès septembre 1940 un petit mouvement « France Liberté » qui devient « Franc-Tireur » en novembre 1941.

7 – Eugène CHAVANT. Né le 12 février 1894 à Colombe (Isère) et décédé le 28 janvier 1969 à Grenoble. Il fut combattant de la Première Guerre mondiale. Il rejoint le mouvement « Franc-Tireur » en 1942 et devient le chef civil du maquis du Vercors, en succédant à Aimé PUPIN.

8 – Aimé PUPIN. Né le 9 février 1905 à Grenoble où il décède le 26 février 1961. Il fait partie de l’antenne grenobloise du mouvement « Franc-Tireur » et est l’organisateur des premiers camps de maquisards du Vercors, de janvier à fin mai 1943. Il possédait des attaches anciennes et amicales avec le Royans.

9 – Jean Pierre Amable MALTHERRE, alias « Rhône », (FFI), né le 14 mars 1903 à Torteron (18) et décédé le 21 décembre 2022 à La Tronche. « Animateur » d’une partie des militants travaillant chez Morel, il fait partie du Conseil Municipal provisoire installé à La Sône le 18 septembre 1944.

10 – Louise BOUVARD, pseudo de Léa Blain, ce qui lui permet de conserver les mêmes initiales.

11 – Pierre DALLOZ. Né le 16 avril 1900 à Bourges et décédé le 2 mai 1992 à Sassenage. Alpiniste, photographe, écrivain, il est également Résistant. Dès 1940, il est l’un des auteurs du plan Montagnard, il participe en 1942, avec Jean PREVOST à la fondation du maquis du Vercors.

12 – Jean PREVOST. Né le 13 juin 1901 à Saint-Pierre-les-Nemours, décédé le 1er août 1944 à Sassenage, fut journaliste, écrivain et résistant. Lieutenant de réserve, il est mobilisé en août 1939. Démobilisé, il s’installe à Lyon. Ami de Pierre Dalloz, il « organise » le plan Montagnards avec le pseudo de « Goderville ». Il fait partie des résistants réfugiés dans la Grotte des Fées et est l’un de ceux qui tentent de rejoindre l’Isère par les Gorges d’Engins. C’est à la sortie de celles-ci, au Pont Charvet, qu’il est exécuté par une patrouille allemande.

13 – Charles DELESTRAINT. Né le 12 mars 1879 à Biache-Saint-Vaast et décédé le 19 avril 1945 à Dachau. Nommé colonel dans l’interface entre les deux guerres mondiales, il est rappelé dans le cadre d’active le 1er septembre 1939 en tant que général de division puis de corps d’armée en mai 1940. Il refuse l’armistice et entre en résistance dès juillet 1940, organise et commande l’Armée Secrète en zone sud. Il est arrêté par les Allemands (12 jours avant Jean Moulin) le 9 juin 1943, déporté à Struthof, puis à Dachau en septembre 1944 où il est abattu le 19 avril 1945.

14 – Alain LE RAY. Né le 3 octobre 1910 à Paris et décédé le 4 juin 2007 à Paris. Mobilisé en 1939, il re-prend la tête de la 7° compagnie du 159° RIA. Blessé et fait prisonnier le 9 juin 1940, il est enfermé dans la citadelle de Colditz dont il s’échappe le 11 avril 1941 afin de rejoindre Grenoble et le 159° RIA qu’il servira jusqu’à la fin de l’armée d’armistice. Il entre en résistance en 1943, fondateur avec Pierre Dalloz et Yves Farge du premier comité de combat du Vercors.

15 – Albert DE SEGUIN DE REYNIES. Né le 24 août 1900 à Arry et probablement mort le 6 mai 1944 à Grenoble. Militaire de carrière, il est promu après l’armistice chef de bataillon auprès du commandement militaire de la 17° région militaire, une région libre. Il prend la tête du 6° BCA dans l’armée d’armistice, à Grenoble, bataillon qui sera dissout en 1942. En mars 1943, la direction militaire de l’ORA pour le département de l’Isère lui est confiée, il centre son action sur le Vercors. Dénoncé, il disparaît le 6 mai 1944, son corps n’a jamais été retrouvé.

16 – François HUET. Né le 16 août 1905 à Alençon et décédé le 16 janvier 1968, il est le chef militaire du maquis du Vercors en 1944.

17 – Roland COSTA DE BEAUREGARD. Né le 5 août 1913 à Saint-Bonnot, il choisit la carrière militaire. Après l’armistice, affecté à Gap, il est démobilisé en novembre 1942 et rejoint les combats du Vercors dès 1943, où il est nommé commandant de la zone du Nord-Vercors. Il décède le 11 novembre 2002.

18 – Narcisse GEYER. Né le 26 mars1912 à Réchesy et décédé le 8 décembre 1993 au Luxembourg. Le 11 novembre 1942, à l’entrée des troupes allemandes à Lyon, le lieutenant Geyer s’échappe à cheval avec 50 hommes et rejoint la forêt du Grand-Serre, dont il prendra pour pseudo le nom de « Thivollet ». Il y crée l’un des tout premiers maquis des Alpes, passe ensuite au bois de Chambaran, puis au Vercors fin 1943 où il est nommé commandant de la zone Sud-Vercors. Il affrontera en juillet 1944 l’assaut des planeurs allemands à Vassieux.

19 – Rémy LIFSCHITZ, « Lionel », Né le 25 février 1924 à Paris, mort au combat le 1er août 1944 à Villard-de-Lans, il est un Résistant de l’Armée Secrète , sous-lieutenant FFI. Il s’engagea dans le 6ème Bataillon de Chasseurs Alpins reconstitué et fut de tous les combats du Vercors. Il est mort aux cotés de Léa Blain qu’il a accompagnée jusqu’aux derniers instants.


* – Les vers de Verlaine annonçant le débarquement de Normandie et diffusés par Radio Londres, sont : le 1er juin 1944 « Les sanglots longs des violons de l’automne » et le 5 juin 1944 « Blessent mon cœur d’une langueur monotone ».

Léa Blain (Photo « Noël »)

A suivre

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Françoise Sagan Patrimoine

Françoise Sagan et les bulldozers de Bergen-Belsen


Dans « Françoise Sagan, une légende » (Ed. Mercure de France), Jean-Claude Lamy cite un souvenir saint-marcellinois de Françoise, souvenir que nous avons d’ailleurs repris dans notre histoire de l’enfance et de l’adolescence de Françoise Sagan.
La scène se passe au cinéma l’« Eden ». « On jouait « L’Incendie de Chicago » avec Tyrone Power, mais avant le film, il y avait les actualités. En 1946, on montrait les images des camps de concentration : des chasse-neiges repoussant des monceaux de cadavres. C’est mon pire souvenir de guerre. J’ai demandé à ma mère : « C’est vrai ? ». Elle m’a dit : »Oui, hélas ! C’est vrai ! ». De là, date ma phobie totale du racisme. »

Cette affirmation, que l’on trouve chez d’autres biographes, sous différentes versions, interroge beaucoup et pour de multiples raisons.

« L’Incendie de Chicago » est un film du réalisateur américain Henry King, sorti sur les écrans en 1938. Un examen détaillé de la programmation cinématographique à Saint-Marcellin, où existaient deux salles, l’« Eden » et « Le Foyer », nous renseigne sur la date de projection de ce film dans la salle de l’« Eden » : la fin de semaine du 15 juin 1946. Cela correspond à l’affirmation de Françoise Sagan, laquelle précise qu’« en 1946, on montrait les images des camps de concentration ». Que peut bien signifier cette phrase alors que la libération des camps nazis avait eu lieu plus d’un an auparavant : le 27 janvier 1945 à Auschwitz par les Soviétiques, le 11 avril 1945 à Buchenwald par les Américains, le 15 avril 1945 à Bergen-Belsen par les Anglais, le 29 avril à Dachau par les Américains, ainsi de suite, mettant en évidence la « solution finale » telle que l’Allemagne la pratiquait ?

Que savait-on alors de l’élimination de centaines de milliers de personnes dans ces camps de travail, camps de concentration (Dachau, Bergen-Belsen,…), camps d’extermination (Treblinka, Auschwitz, …), qu’il s’agissent de Juifs, de prisonniers de guerre, de « roms », d’handicapés, d‘« asociaux », d’homosexuels, de noirs, … ? Peu de choses en 1945, après la découverte des camps, parce que les pouvoirs et, souvent, les médias n’ont pas eu le courage de dire ce qu’ils savaient ! La presse, en 1945, n’a guère parlé des camps de concentration et, à plus forte raison, des camps d’extermination. Le motif non avoué était qu’il ne fallait pas entraver la libération des peuples et la nécessaire reconstruction.

« Le Monde », créé le 18 décembre 1944, ne parle guère des camps, à l’exception notoire d’un article daté du 23 avril 1945, signé de André Pierre, dans lequel sont reprises les déclarations de Thomas Mann dénonçant, aux USA, l’existence de « camps à Auschwitz et Birkenau, dans lesquels furent massacrés et incinérés en deux ans 1.715.000 juifs …Il ne doit y avoir qu’une haine : la haine envers les misérables qui ont rendu odieux le nom allemand devant Dieu et le monde entier ! ».

« Le Figaro », pour sa part, publie le 1er mai 1945 un article-témoignage où l’on explique « Comment on vivait au camp de Dachau », en résumant la vie des « résistants ou otages emprisonnés là et soumis à des tortures sadiques et individuelles démontrant que le génie allemand a su combiner son goût de l’ordre et sa folie sadique » . Le 5 juin 1945, il est question de « nos frères déportés, revenant de l’enfer, proches de la chambre à gaz et du four crématoire » et les classant tous dans la catégorie des « Résistants ».

Un autre quotidien issu de la Résistance, « Franc-Tireur », publie une suite d’articles les 29, 30 et 31 mai 1945, écrits par Georges Altmann et abordant les « revenants de la Résistance, surgis de Buchenwald, Dachau, Auschwitz, Ravensbruck, Mauthausen, .. ». Il est question, là encore, uniquement de « Résistants » qui, tous, auraient été enlevés et déportés à cause de leur engagement en faveur de la liberté en France, ce qui tend à démontrer « qu’il fallait tout de même que ça existe (cette résistance quasi généralisée) pour qu’il y ait tant de bagnes où venait se conclure la chasse à l’homme ». Ce quotidien publie le 9 juin 1945 un article intitulé « Ces gosses reviennent de l’enfer », en l’occurrence de Mauthausen et de Ravensbruck.

L’« Humanité », pour sa part, aura su parler des camps nazis dès le 24 août 1944, puis le 13 septembre 1944, puis deux articles en décembre 1944, publiant des « témoignages », bien entendu sans images. Et plus rien avant avril 1945.

Les constantes de toutes ces publications sont les suivantes : a)- Il n’est pas fait état de crimes de masse ; les assassinats sont nombreux, très nombreux, mais ils relèvent de la cruauté, du sadisme, de la persécution individuelle. Les chambres à gaz, les fours crématoire, les injections de typhus, s’ils sont évoqués, n’ont pas de caractère collectif. b)- Il n’y a jamais de photos des sites de concentration ou d’extermination tels que les ont découverts les armées soviétique, américaine et anglaise. Les images réalisées parfois le jour même de la libération de ces camps ont, peut-être, été publiées en Angleterre ou aux Etats-Unis, mais pas en France, au cours de l’année 1945. Et les photos publiées s’attardent davantage sur les corps décharnés et misérables des « revenants ». c)- Enfin, les revenants sont généralement regroupés dans la catégorie des « résistants » et servent l’idéologie dominante qui consiste à croire que la France entière était résistante. Jamais, il n’est question des Juifs, des minorités comme les noirs, les gitans, les homosexuels, les handicapés…

Et la télévision ? La première diffusion officielle d’une image télévisée date, en France, du 26 avril 1935. Le 3 septembre 1939, la télévision cesse d’émettre en raison de la déclaration de guerre. De toutes façons, il n’y a pas plus de 300 postes récepteurs sur le territoire. En 1943, les Allemands créent « Fernsehsender Paris », une télévision locale qui sert leur propagande sur Paris et la petite couronne par le biais de récepteurs Telefunkun distribués dans les hôpitaux et foyers militaires. Le 12 août 1944, cette chaîne cesse d’émettre.
La Radio Diffusion Française est créée le 23 mars 1945 et la portée de l’émetteur reste limitée à la région parisienne. Au début des années « cinquante », seuls 3700 téléviseurs sont installés en France. Le premier « Journal Télévisé » est diffusé le 29 juin 1949.

Outre la volonté non déclarée de libérer l’esprit de la nation des drames noués par cette guerre afin de préparer une relève démocratique et économique, il est une raison technique qui explique la non-diffusion des images, notamment par le cinéma.

Françoise Sagan déclare elle-même qu’elle découvre les images des camps dans le cadre des « Actualités Françaises ». De quoi s’agit-il ? Dès avant la guerre, Havas diffusait un journal d’actualités dans les cinémas, en ouverture de chaque séance, journal qui avait un large public. Pendant l’occupation, les Allemands exigent que le titre « France Actualités » leur soit dévolu. Gaumont et Pathé, sous la pression des pouvoirs publics (Pétain), souscrivent chacun 30 % et constituent ainsi la participation française. Les projections de ce journal, en zone occupée, entraînent souvent des manifestations violentes, lesquelles obligent les exploitants de salles à laisser la lumière. En zone libre la Société Nouvelle des Etablissements Gaumont édite avec Pathé un autre journal, le « Pathé Journal Marseille » (ou Journal de Vichy) entre 1940 et 1942. De 1942 à 1944, un seul journal est diffusé sur l’ensemble du territoire : « France Actualités » sous le monopole de diffusion de l’occupant qui en assure le contrôle intégral.

Ce n’est que début 1946 que renaissent les éditions Pathé et Gaumont. En date du 1er janvier 1946, les Archives de Gaumont-Pathé (GP) détiennent une fiche signalétique d’un montage d’une « Gaumont-gazette » intitulée « Rétrospective anglaise sur 1945 » (Ref 1946-2-n°15 NU) : « Rétrospective anglaise sur les principaux évènements de 1945, année qui vit l’effondrement de l’Allemagne nazie, l’entrée des alliés à Berlin, la découverte de l’horreur des camps de déportation. Le ministère Attlee succède au ministère Wiston Churchill. A Nuremberg, s’ouvre le procès des criminels de guerre nazis. Le Japon capitule et ses principaux chefs sont également jugés tandis qu’en France, le gouvernement de Gaulle fait juger et condamner le Mal Pétain à la détention à vie et exécuter Pierre Laval. » Suivent les détails plan par plan. On y lit  notamment: « Camps de déportation : cadavres de déportés en tas (affreux). Déporté squelettique assis, triant vêtements des morts. Cadavres de déportés réduits à l’état de squelettes, étendus à terre, dans camps de Buchenwald – Belsen ».

Ce sont très probablement ces images que Françoise Sagan a découvert le 15 juin 1946 dans les « Actualités », au cinéma l’« Eden » de Saint-Marcellin.

Encore une question. Françoise Sagan parle de chasse-neiges repoussant des monceaux de cadavres. Cette image « affreuse » a causé en 1946, lors de sa diffusion en France, une intense stupéfaction. Lorsque les Anglais sont arrivés au camp de Bergen-Belsen, celui-ci était en état de semi-abandon et des milliers de cadavres en jonchaient le sol. Il est estimé que 37 000 prisonniers sont décédés dans ce camp entre mai 1943 et mai 1945. Face à l’impossibilité humaine de prendre en charge ces corps de façon plus respectueuse, les Anglais décident de creuser des fosses communes et d’y conduire les cadavres à l’aide de bulldozers. Les morts étant principalement décédés de suite du typhus, l’armée a ensuite incendié totalement le camp de Bergen-Belsen, pour des motifs sanitaires. Il n’en reste que quelques photos anglaises, diffusées, en France, environ un an après les faits.

En 1946, Françoise Quoirez, future Sagan, a 11 ans. Ce n’est peut-être pas en 1946 qu’elle sera informée et convaincue de qui étaient les victimes des camps, mais sans doute un peu plus tard. Cependant, elle aura gardé le souvenir de ces images et forgé sa conviction que le racisme, l’antisémitisme, la haine des autres sont intolérables.

The Liberation of Bergen-Belsen Concentration Camp – April 1945

Références :

– Blog Thermopyles – https://thermopyles.info/category/francoise-sagan/

– Archives de Gaumont-Pathé – https://gparchives.com/index.php?html=4

– Actualités sous contrôle allemand, de 1940 à 1942 (28 sujets) et de 1942 à 1944 (20 sujets) – https://enseignants.lumni.fr/collections/620

https://www.lemonde.fr/shoah-les-derniers-temoins-racontent/article/2005/07/18/les-allies-savaient-ils_673523_641295.html

Ont cité cette histoire dans leurs biographies de Françoise Sagan :

– Jean-Claude Lamy – « Françoise Sagan, une légende »

– Sophie Delassein – « Aimez-vous Sagan … »

– Alain Vircondelet – « Sagan, un charmant petit monstre » et « Le Paris de Sagan »

– Geneviève Moll – « Madame Sagan, à tombeau ouvert » et « Françoise Sagan racontée par Geneviève Moll »

– Marie-Dominique Lelièvre – « Sagan à toute allure »

– Pascal Louvrier – « Sagan, un chagrin immobile »

– Bertrand Meyer-Stabley – « Françoise Sagan, le tourbillon d’une vie »

– Françoise Sagan – « Je ne renie rien » et Des bleus à l’âme »

Seules rares différences, parfois ; les dates (1945 au lieu de 1946 ?), le lieu de la séance de cinéma (Paris ?), le film qui suit les « Actualités » (« L’incendie de San-Francisco » ou un « Zorro »).

Le choix de retenir Saint-Marcellin, 1946 et le film de Tyrone Power s’appuie sur des éléments probants relatifs au contexte de l’actualité de la presse, de la télévision et du cinéma au cours de ces années et sur le constat que la quasi totalité des biographes citent ces trois constantes.

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Guerre 1939-1946

Ephéméride des années de guerre 1939-1946 à Saint-Marcellin et environs

Vingt ans, trente ans, un peu plus, un peu moins, en 1940 et dans les années qui suivent … De quelles informations disposez-vous ? Comment étayer votre jugement, votre prise de position, votre comportement ? Cette question, vous l’êtes-vous déjà posée ? Si j’avais eu vingt ans en 39, qu’est-ce que j’aurai fait ?

Le début de la guerre

Le travail qui vous est proposé par le biais de cet article est original car il consiste à livrer un recueil, au jour le jour, de tous les faits auxquels n’importe quel citoyen de Saint-Marcellin (Isère), ou des environs proches, pouvait théoriquement avoir accès entre 1939 et 1946.

Sont ainsi rassemblés

  • les évènements internationaux, nationaux ou locaux ayant joué un rôle dans l’actualité,
  • les informations fournies par les organes de presse: « Le Journal de Saint-Marcellin« , « Le Cri de la Vallée« , « Le Petit Dauphinois« ,
  • les informations collectées par le « Groupe Rempart« , dont une sélection a été publiée dans le magazine municipal de Saint-Marcellin, « Trait d’Union« , entre décembre 2011 et décembre 2015,
  • les faits et évènements relatés par les ouvrages de référence ayant abordé la période de la Résistance en Isère,
  • les Archives Départementales de l’Isère,
  • les compte-rendus des séances du Conseil Municipal des villes de Saint-Marcellin et de Vinay.

Il manque à ce travail les documents, journaux ou affiches clandestins qui ont pu être diffusés au cours de cette période. De même que sont absents les tracts, consignes, affiches distribués ou affichés par les organes collaborant ouvertement avec les forces d’occupation.

Parmi les spécificités de ce travail, se trouve une série de notes explicatives permettant de mieux comprendre la signification de certains évènements. Cela se traduit par la découverte de quelques précisions concernant des personnages parfois un peu oubliés dans notre histoire locale, entre autres:

  • Wilhelm Münzenberg, militant communiste radicalement opposé à Staline, probablement assassiné dans un bois de la commune de Montagne,
  • Le docteur Léon Dupré, organisateur de la Résistance dans notre région, aux cotés de Victor Carrier et Gaston Valois. Maire de Vinay, il subit une tentative d’assassinat en novembre 1943.
  • Julien Sagot, antonin d’adoption, qui déclare avoir éliminé le dénonciateur du maire de Saint-Antoine: Ferdinand Gilibert. Interné à Buchenwald, il devient le bras droit de Pierre Sudreau, organisateur de la Résistance au sein de ce camp et futur ministre en 1962.
  • Serge Felix-Griat, originaire de Presles, responsable du Groupe Franc de Saint-Marcellin, notamment après l’assassinat de Victor Carrier.
  • Charles Monnard, assureur à Saint-Marcellin, présenté comme ayant trahi la Résistance et étant à l’origine de l’arrestation, suivie de son décès, de Jean Rony. Jugé à la Libération, il est acquitté et s’engage dans l’Armée d’Orient. Il meurt sur la navire le ramenant en France et est reconnu comme Mort pour la France.

Ce texte de plus de 100 pages ne peut, évidemment, pas être publié dans le cadre de ce blog. Cependant, vous pouvez le télécharger ici. Les très nombreuses références et les contributeurs ayant participé à sa rédaction sont cités en fin de document.

Le travail de rédaction de cet éphéméride a débuté voici deux années pleines, en 2022. Plusieurs versions se sont suivies, chacune visant à compléter la précédente. Il est donc inutile de conserver les versions antérieures, ce blog étant régulièrement mis à jour. La copie, voire la diffusion de ce document, totale ou partielle, est autorisée. Cependant, l’auteur désire que les références en soient précisées systématiquement, à savoir:

Titre: Les années de guerre 1939-1946 à Saint-Marcellin et environs (Isère)Ephéméride

Auteur: Jean BRISELET

Adresse du fichier: https://thermopyles.info/wp-content/uploads/2025/04/Les-annees-de-guerre-1939-1946-a-Saint-Marcellin-et-environs-Ephemeride.pdf

Presque la fin de la guerre
Catégories
Françoise Sagan

Huitième chapitre: Françoise Sagan et la guerre, la Résistance, la Libération

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Entre 1940 et 1945, la Ville de Saint-Marcellin, qui n’est pas dans le Vercors, mais au pied du Vercors, n’était pas au cœur des combats pour la libération du pays, face à l’occupant allemand. La famille de Pierre Quoirez n’est pas venue à Saint-Marcellin pour se réfugier en zone libre, mais parce qu’il avait été nommé directeur de deux usines. Cependant, la guerre est quotidiennement présente dans les nouvelles qui sont diffusées et les commentaires qui les accompagnent. Et il convient tout de même de se souvenir des actes de guerre les plus marquants qui ont été commis à Saint-Marcellin et dans ses proches environs, cette liste n’étant pas limitative.

  • 29 novembre 1943, Victor Carrier est sommairement exécuté, il était l’organisateur, avec le Docteur Valois, du secteur 3 de l’Armée Secrète de l’Isère. Son épouse décédera le 20 mars 1945 à Passy, des suites des tortures subies à la prison de Montluc, à Lyon.
  • 29 janvier 1944, après la quasi-destruction de Cognin-les-Gorges et de nombreuses victimes, c’est Malleval qui est le théâtre de 32 assassinats.
  • 25 mai 1944, Jean Rony, blessé le 22 lors de l’arrestation et l’exécution du radio Camille Monnier, décède.
  • 26 juillet 1944, 19 résistants sont fusillés à Beauvoir-en-Royans.
  • 27 juillet 1944, rafle à Saint-Marcellin, dont nous avons déjà parlé.
  • 29 juillet 1944, nouveau drame à Malleval, village martyr, avec 6 tués.
  • 22 août 1944, bombardement de Saint-Marcellin.

Dans ses souvenirs, repris par certains de ses biographes, Françoise Sagan raconte au moins quatre anecdotes dont il est bien difficile de confirmer les faits, car il s’agit de la mémoire d’un enfant et que les éventuels témoins ne sont plus là.

Il en est ainsi de la scène du patriote qui vient entreposer sa camionnette bourrée d’armes dans la propriété de La Fusilière, camionnette que Pierre Quoirez ira planquer à la campagne avant que les soldats allemands ne débarquent, avec agressivité, pour fouiller les lieux, après avoir alignés contre le mur la totalité des habitants de la maison. Pour certains, il s’agit d’un vrai patriote quelque peu léger dans son comportement. Pour d’autres, il s’agirait d’un provocateur. La scène laissera un souvenir d’angoisse et de peur dans l’esprit de Françoise Sagan.

Par contre, le bombardement de Saint-Marcellin, parce qu’il a été le seul de toute cette période, ne peut pas être mis en doute, même si les souvenirs ne le placent pas toujours au bon moment. Ce bombardement s’est produit le 22 août 1944, le jour de la Libération de Grenoble. Françoise Sagan, et ses porte-paroles, parlent d’un étang dans lequel sa sœur, sa mère et elle-même seraient en baignade, d’avions qui seraient venus bombarder les bâtiments des Tabacs … Il n’y a pas d’étang à Saint-Marcellin et le bâtiment des Tabacs n’a pas été visé par l’escadrille allemande. Les cinq bombes (qui ont fait 9 victimes tuées et de nombreux blessés) sont tombées sur le centre ville et de l’autre coté de la Cumane, rivière locale, pour la cinquième. Quant aux mitraillages qui les accompagnaient, c’est le centre ville encore, jusqu’au couvent de Bellevue, qui en a été la cible (1). Il est donc possible de résumer l’évènement en affirmant que les trois femmes étaient en baignade dans le grand bassin du parc de La Fusilière quand sont arrivés les avions allemands. Après avoir lâché leurs bombes, ils ont mitraillé un peu à l’aveugle et notamment le vallon en bordure duquel se trouve le couvent, en vue directe de la propriété. Affolées, les femmes, en maillot de bain, sont allées se cacher sous le couvert des arbres.

Françoise Sagan raconte également une séance de cinéma qui lui a apporté de terribles informations et dont elle a gardé un souvenir impérissable. Cela se passe-t-il à l’Eden de Saint-Marcellin, ou à Paris, ou bien à Lyon ? Le film projeté est-il « L’incendie de Chicago », « L’incendie de San-Francisco » ou un « Zorro » ? Fragilité des commentaires, légèreté des commentateurs … Une chose est certaine: lors de la fin de semaine des 15 et 16 juin 1946, « L’Incendie de Chicago » a été programmé à Saint-Marcellin, à l’Eden, et Françoise était à Saint-Marcellin, sa sœur Suzanne y préparant son mariage. Toujours est-il qu’en début de séance, dans le cadre des « Actualités », sont projetées les images de l’ouverture des camps de concentration par les Alliés, images montrant des bulldozers charriant, dans la neige, des monceaux de cadavres vers des fosses communes. Ces images, d’une violence extrême pour une jeune fille de dix ans, traumatisent Françoise Sagan qui interroge sa mère, ou sa sœur, ou bien la dame de compagnie qui accompagne la famille depuis des années.

C’est vrai, ça ?Oui, c’est vrai !

Enfin, dernière anecdote, la scène de tonsure de femmes accusées de faiblesses à l’égard de l’ennemi sera bien difficile à documenter, même s’il semble avéré qu’elle ait bien eu lieu, à Saint-Marcellin, en plein centre ville, comme dans de multiples communes …. C’est Marie, la mère de Françoise Sagan qui interpellera vivement les auteurs de ces actes en leur expliquant que ce qu’ils font là ne vaut pas mieux que ce qu’ont fait les Allemands. En faisant cette enquête, plusieurs nous ont affirmé la véracité de ces faits, en précisant parfois qu’il avait fallu protéger certaines femmes d’une vindicte totalement injustifiée.

Françoise Sagan a dit à plusieurs reprises que ces quatre anecdotes ont été, toute sa vie, porteuses de ses engagements très forts contre le racisme, l’antisémitisme et les violences de tous ordres contre les femmes et les hommes.

Toutes les guerres ont une fin. Cette période de la Libération est marquée aussi, dans les mémoires, par la présence de soldats américains à la Fusilière. Cela signifie, sans aucun doute possible, que ces soldats ont été invités par Pierre Quoirez et sa famille à venir quelques instants dans le parc de leur propriété, ce dont témoignent plusieurs photographies. En effet, cette maison est située totalement en dehors de l’axe utilisé par les troupes américaines et les FFI en ce 23 août 1944, jour de la libération de Saint-Marcellin.

1944 – Françoise Sagan et une autre jeune fille (?), probablement à La Fusilière – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés
Françoise Sagan – Collection privée – Tous droits réservés

Nous profiterons du fait de raconter la Libération pour effectuer un correctif à une erreur fréquente concernant la provenance des troupes qui ont libéré Saint-Marcellin. Même R.E.M.P.A.R.T s’y est trompé ! Il est souvent entendu que les troupes en provenance du Débarquement de Provence (entre Toulon et Cannes) ont « remonté » le territoire par les vallées du Rhône et de l’Isère. Cette interprétation est fausse : le débarquement a eu lieu le 15 août 1944, un premier regroupement de troupes anglo-américaines et françaises (armée française libre) remonte par Gap (20 août), le Col Bayard et Lus-la-Croix-Haute (21 août), la jonction est faite avec les maquisards de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l’Isère, ces troupes arrivent à Vif et affrontent les Allemands au Pont-de-Claix, pour parvenir à Grenoble le 22 août et défiler sur le Cours Jean-Jaurès. Le 22 août, libération de Voiron, Voreppe. Le 23 août, libération de Bourgoin par les FTPF et libération de Saint-Marcellin. Le 24 août, libération de Rives, toujours par des troupes en provenance de Grenoble. Le cas de Romans-sur-Isère est représentatif. La ville est libérée une première fois, le 22 août, par un groupe de FFI galvanisés par ce qui se passe un peu plus au nord. Mais la ville est reprise le 27 août par les Allemands couvrant la retraite de leurs troupes qui refluent de Montélimar. Ils ré-occupent la ville et détruisent les ponts les 29 et 30 août. Ce n’est que ce 30 août que les forces alliées, en provenance de Grenoble, libéreront définitivement la ville de Romans. Dans le même temps, une autre coalition remonte la vallée du Rhône et libère Montélimar le 28 août, Valence le 31 août et Lyon le 3 septembre. (2)

Françoise Sagan à Saint-Marcellin -Premières lectures – Collection privée – Tous droits réservés

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