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Guerre 1939-1946

A propos de Léa Blain (3)

Le 21 juillet, le PC se disloque. Léa et Dubreuil doivent rejoindre la commission anglaise, en fait suivre les allées et venues de ces soldats traqués. Les « Pas » tombent les uns après les autres. Le 23 juillet, Valchevrière est enfoncé.

Huet donne l’ordre de dispersion générale. Si les anciens maquisards parviennent à se replier dans les endroits inaccessibles, les jeunes recrues sont interceptées par les troupes allemandes ou par la milice. Le ratissage du Vercors, marqué par le carnage de soldats et de civils, a commencé.

Après s’être réfugiés au hameau du Michallon, pour revenir à Saint-Martin, Léa et Dubreuil tentent le 23 de rejoindre le groupe Goderville/Jean Prévost. Ils le trouvent enfin, le soir, aux abords de la Grotte aux Fées, au-dessus du hameau de La Rivière. C’est dans cette grotte que, du 24 au 31 juillet, le capitaine Goderville, Bouysse, les lieutenants Reymond, Dubreuil, le sous-lieutenant Dazan (20), deux officiers anglais, M. Boissière et quelques maquisards récupérés en route, parmi lesquels Rémy Lifschitz et Léa, vont vivre, comme en témoignera Dazan dans une lettre adressée à Madame Blain.

« Neuf jours d’enfer. Vie monotone pleine d’appréhensions et d’angoisse, traqués ; vie très dure car dès les premiers jours il fallut appliquer de sérieuses restrictions. L’eau a manqué terriblement. Mademoiselle Blain a supporté cela magnifiquement … Le 28 juillet, Boissière et le commando anglais nous quittèrent … Le lendemain … quelques camarades et moi décidâmes de traverser le Vercors et d’aller tenter notre chance du coté de Monestier-de-Clermont. Nos autres compagnons – dont votre fille – pensèrent autrement et ne voulurent pas nous suivre. Le 31 juillet, la séparation eut lieu ; votre fille n’avait pas d’arme, elle en réclamait une, et comme j’avais déjà un revolver et des grenades, je lui donnai ma mitraillette. Le 31, ce qui reste du groupe, Léa, Goderville, Dubreuil, Rémy Lifschitz et quelques compagnons, quitte la grotte pour une autre direction, vers le nord-est, vers Grenoble, par Corrençon, Villard-de-Lans, Engins et Sassenage, espérant gagner la vallée pour se reconstituer avec d’autres effectifs, rejoindre si possible Alain Le Ray.

En route, Léa blessée au pied ne peut suivre et reste en arrière avec Rémy Lifschitz qui décide de rester avec elle. Le soir, ils sont au premier hameau de Corrençon. Chez Paul Bec, Léa refait son pansement, se restaure. Elle est armée d’un poignard d’éclaireur et d’un revolver petit calibre. Elle a du probablement abandonner sa mitraillette. Ils repartent en direction de Corrençon, font halte chez le forgeron Rolland. Ils avaient trouvé bien des portes closes, tant de gens avaient été éprouvés et avaient peur. Les « Mongols » s’étaient livrés dans Corrençon à des représailles ignobles … Monsieur Rolland leur avait donné des vêtements civils pour dissimuler leurs effets par trop maquisards. Ils veulent, malgré son avis, poursuivre leur route en direction des Ponteils et des Clots, pour atteindre Villard-de-Lans. Goderville était passé à peine deux heures plus tôt. Dans le secteur des Clots, M. Beaudoin en leur offrant un bol de lait les avertit que les patrouilles allemandes sont particulièrement nombreuses et actives. Mais ils comptent atteindre Villard-de-Lans au petit matin.

Vers 8h30, mardi 1er août, à, la Croix des Glovettes, les voilà face à une patrouille allemande. On ne peut reconstituer exactement le drame qui n’a eu comme acteurs et témoins que les combattants.

Voici le texte de citation comportant attribution posthume de la croix de guerre à Léa Blain : « A fait le coup de feu comme un soldat, forçant même l’admiration de l’ennemi, tuant un Allemand, en blessant un autre. Elle est tombée, mortellement frappée par une rafale de mitrailleuse, faisant à la France le don de ses 22 ans. Restera dans l’histoire, une des plus belles figures d’héroïne française ». Ici, s’arrête la citation. Monsieur Philippe Blanc, chef des équipes d’urgence de la Croix-Rouge de Villard-de-Lans apprend que les Allemands ont abattu aux Glovettes un homme et une femme … « Pour gagner du temps, nous supplions des enfants de nous accompagner. Ils nous conduisent au corps d’un homme étendu passablement mutilé … l’un d’entre eux reconnaît Rémy, garçon sympathique et courageux, très connu et apprécié au Villard, fils d’une famille d’israélites dont le père fait partie de la résistance. Vite, nous préparons une fosse et réunissons tout ce qu’il a sur lui ; nous trouvons une photo dans sa ceinture .. la sienne, qui sera remise à sa mère. Il semble que Rémy se soit battu comme un lion : des éclats de grenade sont trouvés sous son corps, la terre autour de lui est soulevée par endroits, presque labourée …

Nous suivons une trace, la sienne, à travers un champ de blé, qui nous mène au corps d’une jeune fille dans les pins, près d’une croix des champs entre les Glovettes et les Clots. J’ai ressenti là, la plus forte émotion de ma vie. Cette jeune fille semblait dormir, l’expression de son visage était calme et respirait la paix … elle était blessée à la tête, ses jambes étaient meurtries par endroits. Près d’elle, un sac tyrolien, dedans du linge, un peigne, un numéro d’un journal clandestin, un chapelet .. nous détaillons vite, pour la Croix-Rouge, son habillement .. nous relevons les initiales LB .. déjà le trou est creusé .. le Père Gasnier, aumônier de l’Adret, récite les dernières prières … Le lendemain, je suis convoqué à la kommandantur. Le commandant Schultz m’accuse d’avoir enterré comme des héros les terroristes des Glovettes : « ces deux personnes ont attaqué nos troupes. La jeune femme a tiré et a blessé un de nos soldats qui est mort à l’hôpital ». Ultérieurement, il ajoutera « j’ai donné son revolver au chef qui commandait la patrouille. Vous pouvez dire à leurs familles qu’ils se sont battus comme des lions et sont morts en héros ».

Voici la croix érigée à l’emplacement où succomba Léa Blain, pieuse pensée de Mr Philippe Blanc et de son équipe, ainsi que le monument édifié par les jeunes de Villard-de-Lans à coté de la croix des Glovettes, à la mémoire de Léa et Rémy.

La nouvelle fut connue à Chatte fin août. Monsieur Blain, son fils, Mlle Ageron, partirent reconnaître le corps à Villard pour le ramener à Chatte. Les corps de Léa et de Rémy avaient été exhumés le 24 août et conduits à Villard. Le 9 septembre, Léa est ramenée à Chatte. Le 10, c’est l’hommage glorieux rendu par son pays : « Habitants de Chatte, amenez ici vos petits-enfants et racontez-leur l’histoire de cette jeune fille de votre pays ». Nous répondons aujourd’hui au message du commandant Tanant …

Le 1er août Prévost, Dubreuil et 3 autres compagnons trouvent la mort à la sortie des gorges d’Engins. La bataille du Vercors a coûté 700 victimes tombées au combat ou sous la torture. Le plateau est un immense champ de ruines.

Mais les combats continuent. Le 15 août 1944, la 7° armée américaine, la 1ère armée française de de Lattre de Tassigny (21), prennent pied en Provence tandis que les parachutistes anglo-américains sèment le trouble sur les arrières ennemis. Les forces alliées vont progresser à travers les Alpes pour profiter des concours des maquis. Les Allemands se replient vers le nord-est. Le 21, Saint-Marcellin est bombardé.

A l’automne 1944, les Français libèrent l’Alsace. Au cours des ultimes combats, François Blanchin, du 2° Cuirassiers, tombe le 20 novembre 1944 à Roye en Haute-Saône, il a alors 17 ans. Henri Girond, du 11° Cuirassiers, le 8 janvier 1945, près de Strasbourg. Le 15 avril 1945, devant Hoosbronn, pays de Bade, Georges Maurin du 9° Régiment de Chasseurs d’Afrique.

Le 9 novembre 1946, on inaugure un monument érigé par la commune de Chatte à la mémoire de Léa, tandis que lui sont attribués, à titre posthume, les honneurs militaires. Sur les photographies, on peut reconnaître le colonel Malraison (22), le lieutenant Dazan, les autorités locales. Au premier rang, la famille Blain. Derrière elle, la mère de François Blanchin, Marthe Laurent, et la sœur d’Antoine Maurin, madame Siletti.

Aux Glovettes, on peut voir encore la petite croix des Champs. Mais un monument a remplacé les modestes mais émouvantes dédicaces de l’époque. Sur la route d’Herbouilly, à la 4ème station du chemin de croix, on peut lire parmi d’autres noms, ceux de Léa et de Rémy.

RENVOIS

20 – DAZAN. En l’absence de prénom, il existe deux « Dazan » susceptibles d’avoir participé aux combats du Vercors, tous deux FFI. Pour eux également, je poursuis les recherches.

Charles Louis Alexandre DAZAN (FFI), né le 25 novembre 1904 à Nimes, et décédé le 4 août 2007 à Avignon. Lequel a la préférence, en raison de l’existence d’un lieutenant « Charles », cité par Pierre Tanant, qui a participé aux combats dans lesquels Léa Blain s’est retrouvée et qui avait installé sa famille dans le Royans.

François Marius DAZAN (FFI), né le 20 décembre 1906 à Fourques, et décédé le 14 juin 1984 à Salon-de-Provence.

21 – Jean DE LATTRE DE TASSIGNY. Né le 2 février 1889 en Vendée, et décédé le 11 janvier 1952 à Neuilly-sur-Seine. Jeune officier lors de la Première guerre mondiale, il a un comportement exemplaire. Au début de la Seconde guerre mondiale, il se bat jusqu’à l’armistice du 22 juin 1940 et reste dans l’Armée d’armistice sous le régime de Vichy. Le 11 novembre 1942, lorsque la zone libre est envahie par les troupes allemandes, à la suite du débarquement des Alliés en Afrique du Nord, il est arrêté et condamné à 10 ans de prison, pour avoir désobéi au gouvernement en ordonnant à ses troupes de combattre les Allemands. Il s’évade et rejoint Alger. Il s’illustre à la tête de la 1ère Armée qui, après le débarquement de Provence, mène la campagne « Rhin et Danube ». Le 8 mai 1945, il est le représentant de la France à la signature de la capitulation allemande à Berlin. Le 15 janvier 1952, lors de ses funérailles, il est fait maréchal de France à titre posthume.

22 – Colonel Georges MALRAISON. Adjoint en 1937 du lieutenant-colonel Louis RIVET, chef des services secrets militaires français. Il est Commandant de la subdivision de Grenoble dans le cadre de l’armée d’armistice. Et nommé Général de brigade après le 2 septembre 1945.

A cette liste de noms ayant participé aux actions de Résistance, parfois à partir de La Sône et de l’entreprise Morel, il convient d’ajouter Georges GLENAT (1er adjoint du Conseil Municipal provisoire installé le 18 septembre 1944 à La Sône), Léon AVENIER (Maire du Conseil Municipal provisoire installé le 18 septembre 1944 à La Sône), Victor BLIN (gendarme?), Paul OLLIVET-BESSON (2/2/1920-20/1/2018), salarié chez Morel, puis Résistant affecté au 6° BCA.

Par le fait que Léa Blain porte un vêtement identique (robe ou corsage) sur les trois photographies, il est possible de penser qu’elles ont été prises lors d’une même et unique séance photo réalisée par un seul photographe : « Noël ».

Remerciements à Maryse Bazzoli, Yves Micheland, Jean-Paul Papet (https://erra38.fr) et Pierre Rousset, ancien maire de La Sône (2001-2020).

https://www.museedelaresistanceenligne.org/musee/doc/pdf/ressource_source/SHDGR_16P_D.pdf

(changer la lettre initiale du nom en dernier caractère : ne marche pas pour la lettre B !?)

http://beaucoudray.free.fr/vercors2.htm

Transcription et notes du 20 mai 2025, maj le 22 août 2025 – Jean BRISELET

Léa Blain (Photo « Noël »)

Fin

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Françoise Sagan

Septième chapitre: Françoise Sagan, Jacques, Bruno, Louis …

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Commençons par l’un des plus anciens: Jacques DEFFOREY. Ce qui aura, encore une fois, la particularité de nous ramener vers Henri de Raemy, le protecteur de Pierre Quoirez.

Le Figaro du 19 mars 1937, dans sa rubrique mondaine, publie le communiqué ci-après: « Brillante réception, mardi, chez Mr et Mme H. de Raemy. Reconnus dans l’élégante assistance: comte et comtesse d’Aiguesvives, Mr et Mme des Brosses, comte et comtesse de Bailliencourt, marquise de Colomb de Puisblanc, Mr et Mme de Blanpré, Mme Gérard Bauër, Mr de Berny, Mr et Mme Canonne, comtesse et Mlle de Diesbach, comtesse de Lenzbourg, Mr et Mme Lecat, Mr, Mme et Mlle Michal, Mr et Mme de la Messuzière, Mlle de Pourtalès, Mlle Boissy d’Anglas, Mr et Mme d’Espine, comte et comtesse de Viaris, Mr et Mme P. Fournier, Mr et Mme Defforey, Mr et Mme Naville, Mme Noguez, Mr et Mme Ray, baron et baronne de Pury, Mr et Mme F. Spitzer, Mr Robert Lazarus, Mr Corte Real de Rys, Mr de Vivis, baron Louis de Chollet, Mr de Weck, Mr Rochette, etc.« 

Ce jour-là, Henri de Raemy rassemble autour de lui un bel échantillon de la noblesse française et suisse (dont il fait d’ailleurs partie), ainsi que quelques figures remarquables de la diplomatie, de l’industrie et du commerce. Parmi ces dernières, Mr et Mme Defforey.

Les Defforey font partie d’une famille de l’Ain, de Lagnieu très exactement, tant elle s’est peu déplacée depuis un siècle. L’ancêtre, François-Joseph (1827-1891) y tenait bureau de tabac, épicerie et faisait grossiste.

Son fils, Charles Defforey, né le 27 octobre 1860 à Lagnieu, épousa le 22 juin 1888 à Bourgoin, Marie Françoise Clothilde BADIN, née le 25 mars 1862. Ils poursuivirent l’activité de l’entreprise de commerce d’épicerie sous le nom de « Comptoirs Badin-Defforey ». En 1919, leurs deux fils, Louis Laurent, né en 1889, et Joseph, né en 1891, la firent évoluer en « Defforey Frères » et lui donnèrent une exceptionnelle ampleur par le nombre de ses clients individuels et grossistes associés. En témoigne la flotte de véhicules que l’on retrouve sur certaines photographies.

Véhicule de livraison Defforey Frères – Tous droits réservés

Joseph Defforey épousa l’une de ses cousines, Yvonne Defforey. Louis Laurent Defforey épousa une grenobloise, Yvonne Anne Marie Léonie SISTERON. C’est probablement ce couple, celui de Louis Defforey et d’Yvonne Sisteron qui se trouvait présent à cette fameuse réception chez les de Raemy, invité par Madame de Raemy, native de Charnoz, dans l’Ain, proche village de Lagnieu.

Couple qui eut trois garçons. Dans l’ordre, Charles Paul, né à Lagnieu le 28 avril 1922, Jacques José, né à Lagnieu le 15 novembre 1923 et Denis Laurent, né à Lagnieu le 7 juillet 1925.

L’aîné, Charles, deviendra ingénieur civil des Mines, sera promu Chevalier de la Légion d’Honneur, mourra à Lucey (Haute-Savoie) le 14 avril 2017.

Le second, Jacques José, se retrouvera quatre ou cinq ans après cette réception, aux cotés de Suzanne Quoirez, à Lyon, à l’Ecole des Beaux-Arts. Il épousera Suzanne Henriette Madeleine Quoirez, la soeur aînée de Françoise Sagan, le 10 septembre 1946 à Saint-Marcellin. L’acte de mariage précise que les parents de la mariée, Marie Laubard et Pierre Quoirez, sont domiciliés à Saint-Marcellin, donc à La Fusilière. C’est Ferdinand Brun, Maire de Saint-Marcellin, qui a procédé à la cérémonie à laquelle Françoise Sagan s’est fait une joie de participer (1). Le couple aura deux filles : Cécile et Fanny, avant de se séparer, en février 1979.

Acte de mariage Suzanne Quoirez-Jacques Defforey – Etat-civil – Saint-Marcellin

Jacques Defforey deviendra rapidement célèbre. Avec son frère Denis et Marcel FOURNIER, ils sont les fondateurs du Groupe Carrefour. Un premier magasin est ouvert le 3 juin 1960 à Annecy et le premier hypermarché ouvre en 1963, à Sainte-Geneviève-des-Bois. Jacques Defforey sera Directeur Général du Groupe Carrefour de 1976 à 1987, et sera membre du Conseil de Surveillance jusqu’en 1995. Il mourra le 26 mai 2000 au Brésil.

Le dernier des garçons, Denis Laurent Defforey, épousera, de son coté, le 30 juin 1949, Marie Marguerite Clotilde de Raemy, née à Fribourg le 6 novembre 1926. Marie Marguerite Clotilde est la fille d’Henri de Raemy et de Yvonne Marie Pauline de CHOLLET, née à Charnoz (Ain) le 6 septembre 1899. A la naissance de Marie Marguerite Clotilde, le couple avait déjà un garçon, Jean Jacques Marie Joseph, né le 10 janvier 1924 à Fribourg. Un troisième enfant naîtra ; Bruno Pierre Marie Laurent. Denis Defforey, associé à son frère Jacques et à Marcel Fournier, dirigera le Groupe Carrefour de 1985 à 1990. Il décèdera en Suisse, le 6 février 2006.

Dans les mémoires de Françoise Sagan, il est souvent question d’un autre Bruno, un ami avec lequel elle partage ses jeux lorsqu’elle est enfant, va à la piscine, le retrouve à Paris après la publication de « Bonjour tristesse » et l’emmène même aux USA pour une cérémonie de sortie d’un livre. Qui est ce Bruno ?

Bruno Charles Robert MOREL, puisque tel est son nom, est issu d’une lignée d’industriels dont la rapide histoire mérite d’être contée. Ne serait-ce que parce qu’elle concerne fortement le territoire du Sud-Grésivaudan. L’aïeul est Charles Morel. Il est né le 20 juillet 1848 à Vienne (Isère) et est décédé le 6 août 1914 à Domène (Isère). A Domène, dont il a été maire, il avait implanté ses ateliers industriels et s’était quelque peu spécialisé dans le cycle, après avoir déposé des brevets de broyage et de tamisage des matériaux. C’est ainsi qu’il a commercialisé une bicyclette pliante pour les soldats, et un curieux tandem, ou plutôt un bi-cycle puisque constitué de deux cadres assemblés cote-à-cote, donc à quatre roues et deux pédaliers synchronisés (2). Il en fera une version motorisée en 1897, la Victoriette.

Les cycles Morel

Le couple qu’il forme avec Clémence MONTEIL (30 juillet 1852 – 23 juillet 1897) aura six enfants. Le troisième de ces enfants, Emile, né le 12 avril 1877, décédé en 1940, épouse Marthe CHEVRANT le 14 décembre 1901 et est également industriel à Domène. Emile et Marthe auront quatre enfants, dont Charles Emile, né 6 décembre 1903 à Domène et décédé le 17 février 1981 à La Tronche.

C’est en 1938 ou 1939 que Charles Emile vient s’installer à La Sône pour y développer deux types d’activité : du moulage de pièces bakélite ou caoutchouc, par exemple le plateau des électrophones Teppaz et de l’électromécanique, démarreurs, bobines, volants magnétiques et alternateurs pour motocycles, voire pour l’Isetta Velam.

CPA – Usines Morel vue de la rive gauche de l’Isère
Bobine magnéto Morel

Charles Emile épouse Renée Paule Henriette PIOLLET, née le 3 janvier 1905 et décédée le 17 février 1998 à Paris, dont il a un garçon, l’ami de Françoise Sagan, Bruno Charles Robert, né le 14 novembre 1930 à La Sône et décédé le 15 juillet 2004 à Neuilly-sur-Seine.

Charles Emile épousera en seconde noces May Viola DRANGEL (1919-1973), suédoise d’origine. Ils auront quatre enfants, Laïla, née en 1939, Hugo Charles, né en 1943 et décédé en 2010, Patrick, né en 1945 et Renaud, né en 1948 (2bis).

Dans le chapitre consacré à la FAE, nous avions parlé d’une visite du préfet qui avait eu lieu en avril 1949. Le même jour, la délégation d’élus et du préfet s’est également rendu aux usines Morel.

Avril 1949 – Visite d’une délégation Préfet de l’Isère et élus – Au centre, Charles Morel – Collection privée Patrick Morel -Droits réservés

Parce que les Morel et les Quoirez vivent une véritable fraternité à la fois industrielle et amicale, ouverte à d’autres, ils se retrouvent souvent, alternativement chez les uns ou chez les autres. Peut-être davantage chez les Morel qui sont locataires du Château de La Sône depuis 1939, un château qu’ils achèteront en 1952 (3) et revendront en 1976. Patrick Morel, l’avant-dernier garçon, a d’ailleurs pour parrain Pierre Quoirez. Malgré la différence d’âge, il se souvient avoir vu Françoise Sagan monter le cheval, Javotte, de sa mère. Il se rappelle également de l’anniversaire des 50 ans de son père, en 1953 : Pierre Quoirez lui avait offert une céramique signée Jean Austruy, un artiste et industriel céramiste de Saint-Marcellin.

Château de La Sône – Collection privée – Droits réservés

Françoise Sagan aurait trouvé l’inspiration pour le titre de sa pièce « Château en Suède » en faisant un rapprochement de la notion de château et de la nationalité suédoise de l’épouse de Charles Emile Morel. Charlotte CARRA témoigne avoir rencontré Françoise Sagan et son époux Robert Westhoff, présentations faites, au château de La Sône. Ce ne peut être qu’en 1962 ou ultérieurement.

Les Morel avait également pour ami un célèbre physicien, titulaire d’un prix Nobel, à l’origine du Centre d’Etudes Nucléaires de Grenoble, Louis NEEL. Né en 1904, il était de la même génération que les Morel, les Quoirez, les Fenestrier et d’autres encore. Spécialiste du magnétisme, en 1940 son premier objectif est de pouvoir créer un dispositif de désaimantation des coques des navires de la flotte française, permettant de les protéger des mines que l’adversaire y placerait. A ce titre, il échange souvent avec Charles Emile Morel dont il parle avec amitié dans son ouvrage « Un siècle de physique », aux Editions Odile Jacob 1991. (4) « De 1952 à 1959, j’ai donné des conseils de caractère très technique à une entreprise de taille beaucoup plus modeste : les établissements E. Morel, à La Sône, petite localité proche de l’Isère, sur la route de Valence, à quelques kilomètres au-delà de Saint-Marcellin. Entreprise familiale type, elle comptait une cinquantaine de salariés, et moulait de petites pièces en matière plastique ou en un alliage léger, le zamak. Elle fabriquait aussi des magnétos, des bobines d’allumage et, pour les cyclomoteurs, des volants magnétiques, ainsi que d’autres appareils du même genre, tous comportant des aimants permanents. Charles Morel en était le propriétaire majoritaire et le directeur. Sportif, sympathique, plutôt décontracté, il habitait un vieux château autrefois fortifié, adjacent à l’usine, construit sur une hauteur qui commandait un coude de l’Isère. A l’extrémité d’une immense salle à manger, des troncs d’arbres entiers brûlaient dans une cheminée monumentale, en répandant une vague tiédeur. Françoise Sagan, enfant, avait joué dans le parc. Au volant de sa voiture de sport, en des temps records, Morel se rendait régulièrement à Paris rendre visite à son agence. Il possédait aussi, à Domène, une petite usine de décolletage fabriquant des rivets. Marié à une suédoise, il passait ses vacances à chasser l’élan dans les vastes et désertiques forêts scandinaves ».

Mais revenons à Bruno Morel, l’aîné de la famille. Entre 1940 et 1945, nous l’avons dit, il est un ami de Françoise Sagan, il a cinq ans de plus qu’elle. Plus tard, il la retrouvera à Paris, et parfois il sera entouré d’amis qu’elle a déjà rencontrés à La Sône lors de surprise-parties auxquelles sa grande sœur l’invitait à participer. Ils ont noms Louis NEYTON, Jean-Claude GALTIER ou Noël Léon DUMOLARD.

Louis Joseph Neyton se rattache à l’histoire des FENESTRIER. Joseph Fenestrier (1850-1926) et son épouse Emélie ROUSSET (1853-1921) étaient charcutiers à Saint-Antoine-l’Abbaye (Isère) et tenaient boutique à Romans-sur-Isère (Drôme), 8 place Fontaine Couverte. Leur fils Joseph Marie Noël, né le 25 décembre 1874 créa à Romans sur Isère un atelier de fabrication de chaussures en 1895, âgé seulement de 21 ans. Il fut brièvement maire de Romans en 1900. Dès 1901, l’entreprise eut une belle croissance et en 1904 elle fut à l’origine de la première campagne publicitaire en faveur de chaussures. La marque UNIC naquit en 1907 et conquit l’Europe, la Russie, l’Egypte et le Moyen-Orient. Joseph Marie Noël mourut le 25 février 1916, à l’âge de 42 ans. Un incendie détruisit l’usine du Boulevard Gambetta de Romans, en 1917. C’est alors l’usine établie à Saint-Marcellin l’année précédente qui assura la production en attendant que l’usine de Romans soit reconstruite.

En 1922, le fils du couple Fenestrier, Joseph Emile-Jean, né le 2 mai 1901, prit la relève de son père. En 1926, l’entreprise regroupait 800 ouvriers et produisait 1200 paires de chaussures de grande qualité par jour. En 1930, la première collection féminine de chaussures de sport vit le jour. Pendant la guerre de 1939-45, l’entreprise fit des miracles pour fabriquer des chaussures faites de bois, de feutre ou de raphia. En 1945, Joseph Emile-Jean fut nommé Président de la Fédération Nationale de la Chaussure de France. Il mourut en 1961, laissant une fille, Martine, née en 1934. Mais l’entreprise continua son activité. En 1966, Martine Fenestrier, épouse de Louis Neyton, vendit l’entreprise au Groupe Revillon. En 1969, le groupe André la racheta et créa la Société Romanaise de la Chaussure, qui fut à son tour achetée par Robert CLERGERIE.(5)

CPA – Saint-Marcellin, la gare du tramway et l’usine de chaussures Unic

L’histoire raconte (les histoires racontent !) que Louis Neyton fut l’un des premiers flirts de Françoise Sagan, en 1953, à Paris, alors qu’elle est en Sorbonne. Mais elle l’avait connu bien avant, quand il faisait partie de la bande d’amis de Bruno Morel et qu’elle n’était qu’une gamine.

Les autres membres de la bande sont Jean-Claude GALTIER, né le 23 janvier 1928, qui fut le créateur du garage Renault-Galtier bien connu à Grenoble, et Noël Léon DUMOLARD, artiste peintre, surréaliste, vivant du métier de décorateur. Il est né le 13 avril 1925 à Voiron (Isère) et est décédé à Roybon (Isère) le 18 mars 1989.

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