Il s’agit d’une photo publiée sur la page FaceBook de Kareem Amer. « Ne me dites pas comment m’habiller. Mais dites-leur de ne pas me violer ». En guise de réponse à ça (Egypte-la-violence-faite-aux-femmes), et à ça (L-Egypte-la-femme-…).
Voilà une nouvelle et bonne petite contribution au débat sur la place de la femme dans la vie sociale et la vie civique de l’Egypte.
Ce sont deux évènements distincts, apparemment totalement antinomiques, et pourtant quelque chose de fondamental les relie l’un à l’autre.
Caroline Sinz, reporter à France 3, a été agressée et violée par un groupe de jeunes et d’hommes adultes alors qu’elle effectuait son travail de journaliste aux abords de la Place Tahrir. D’autres femmes journalistes ont déjà été agressées, sans doute parce qu’elles sont davantage exposées dans la rue. L’une d’entre elles, journaliste américano-égyptienne l’a été par la police elle-même. Quoi qu’en disent certains commentateurs, la police n’est pas en cause, ni directement, ni indirectement, dans le cas de Caroline Sinz (http://www.purepeople.com/article/caroline-sinz-violee-en-egypte-en-colere-contre-reporters-sans-frontieres_a91893/1). Malheureusement, et elle le dit elle-même, ce genre d’agressions relève d’une pratique courante en Egypte. Chaque évènement populaire, entraînant à la déambulation de foules importantes dans les rues, comme, par exemple, la fête de Sham el Nessim, donne lieu à de telles agressions. Nous avons pu voir sur la Corniche d’Alexandrie, des gamins à peine pubères agresser des jeunes filles en se précipitant à pleines mains sur leurs seins. Caroline Sinz le déclare elle-même: « il existe une énorme frustration chez les hommes égyptiens, et beaucoup d’autres femmes égyptiennes vivent la même chose que ce que j’ai vécu ».
Aliaa Magda Elmahdy (http://arebelsdiary.blogspot.com/?zx=dd20db8b5531d536), blogueuse, s’est mise en ligne, nue. Le compteur de visites de son blog commence à ralentir et à perdre de son affolement, mais ce sont plus de 4,5 millions de visites qu’elle a reçues à ce jour. Plus de 5000 commentaires lui ont été adressés. Aliaa prend un risque énorme, voire mortel, en s’exposant ainsi. Les avis sont partagés sur le bien-fondé de sa démarche qu’elle illustre en une seule phrase: « Notre corps est à nous, personne ne peut s’en saisir arbitrairement, respectez ma liberté d’expression ». Par son courage, elle témoigne ainsi du mépris et de la violence quotidienne qui sont faits aux femmes d’Egypte. Aliaa est l’amie de Kareem Amer, ce blogueur emprisonné pendant près de quatre ans entre 2007 et 2010, et dont nous avons parlé ici. Dans son blog, il dénonçait les discriminations dont étaient victimes les femmes égyptiennes et les crimes qu’elles subissaient quotidiennement.
C’est ainsi que Caroline Sinz et Aliaa Magda Elmahdy ont quelque chose de fondamental qui les relie: la lutte pour leur dignité, la lutte pour le respect qui leur est dû.
Driss Ksikes est critique littéraire, dramaturge et rédacteur en chef de la revue marocaine « Tel quel ». Dans Le Monde du 26/11/2011, il a écrit un billet intitulé: « Il faut que le « printemps arabe » retrouve d’urgence un second souffle« . « … Il est donc clair que le renversement des autocraties politiques n’est pas une fin en soi et qu’il exige un second souffle, plus long, plus patient, capable de s’attaquer aux autocraties culturelles et religieuses. Celles-ci sont capables de se régénérer et surtout susceptibles de relégitimer autrement les autocraties politiques. Normal, elles en sont le foyer initial, si vivant depuis la mise à mort de la liberté d’interprétation des canons sacrés (al-ijtihad) dans le monde « arabo-islamique ».
Bien avant le printemps égyptien, Kareem Amer s’attaquait déjà aux autocraties culturelles … Aliaa, aujourd’hui, le suit.
Robert Solé a publié très récemment un ouvrage intitulé « Le Pharaon renversé. Dix-huit jours qui ont changé l’Egypte ». Il ne s’agit pas d’un roman. Il ne s’agit pas, non plus, d’une analyse des évènements (même si celle-ci existe !) pour en comprendre les origines et en débattre de l’avenir. Non, il s’agit d’une forme de journalisme de synthèse, une chronologie pertinente des évènements accompagnée de sentences, jugements ou commentaires.
Ce récit des dix-huit jours fait appel à des références de correspondants de presse présents en Egypte. Et le début du livre nous donne un peu l’impression d’être un condensé des écrits des journalistes du « Monde ». Heureusement, cette sensation se dissipe avec l’arrivée de citations plus ouvertes et plus internationales. Il n’en demeure pas moins que, tout comme Le Monde, Robert Solé accorde une importance peut-être exagérée au rôle joué par les réseaux sociaux. La preuve en est que la fermeture d’Internet n’a pas empêché le développement du mouvement, et ce ne sont pas les palliatifs techniques pour contourner l’interdiction qui ont pu être décisifs. Non, il y avait autre chose dans l’air, autre chose qui a fait que les Egyptiens se sont sentis plus forts que toutes les interdictions et tous les contrôles qui leur étaient imposés. N’y avait-il pas, même parmi les tenants du pouvoir, un sentiment d’inéluctabilité de l’évènement ?
L’incendie du Gouvernorat d’Alexandrie est l’illustration de ce sentiment et de cette vacuité de l’ordre établi. Une longue vidéo, très tranquille, montre que les incendiaires n’étaient qu’une poignée de personnes, à 100 ou 200 mètres en arrière d’une manifestation beaucoup plus nombreuse. On les voit entrer et sortir du bâtiment, certains d’ailleurs pour le piller et en repartir avec les ordinateurs, les lampadaires halogènes ou des fauteuils. Et puis soudain le feu qui part d’une pièce à l’étage, puis du rez-de-chaussée. Les choses se font dans un tel « calme », en l’absence totale de tout policier ou de tout militaire, en l’absence des fonctionnaires du Gouvernorat, qu’on n’imagine pas qu’elles puissent être autrement !
Par sensibilité, Robert Solé accompagne son récit de plusieurs références aux coptes. Il fait mention, en cours d’ouvrage, de l’attentat d’Alexandrie qui a fait plusieurs morts. La fin du livre lui permet de citer les attaques du Caire, en date du 9 mars, dans le quartier de Moquattam. (Le livre étant publié, il n’a pas pu parler des nouvelles victimes du 7 mai). Entre les deux, l’auteur semble faire preuve d’un certain angélisme (celui que les journalistes du Monde ont mis en musique à plusieurs reprises): les choses vont mieux, les choses vont bien entre musulmans et coptes. Des preuves: certaines banderoles, certains logos affichent la croix et le croissant l’un à coté de l’autre, à l’occasion de la prière, les chrétiens protègent les musulmans, … Tout cela est vrai, mais tout cela ne constitue pas une avancée démocratique. La seule avancée démocratique est celle qui consisterait à déclarer que la foi des uns et des autres n’a strictement rien à voir avec la conduite des affaires de la nation. Il ne reste rien aujourd’hui de ces attitudes tout au plus généreuses. Qu’en est-il de la place accordée aux coptes dans les projets de Constitution ?
Les propos d’Hani Shukrallah, journaliste égyptien, écrits le 1er janvier 2011 et cités par Robert Solé, n’ont strictement rien perdu de leur véracité à l’issue des dix-huit jours de soulèvement, ni au cours des cinq derniers mois; « J’accuse ces administrations qui sont persuadées qu’en soutenant la mouvance salafiste elles luttent efficacement contre les Frères Musulmans égyptiens et qui, à l’occasion, ne dédaignent pas d’attiser le sentiment anti-copte afin de détourner l’opinion publique de sujets politiques autrement plus préoccupants. Mais, surtout, j’accuse les millions de musulmans dits modérés qui vivent parmi nous, ceux qui se montrent chaque année plus méfiants, plus repliés sur eux-mêmes et plus veules … » Les coptes ont actuellement la crainte que l’armée et les Frères Musulmans et les salafistes s’entendent « sur leur dos » et que leur statut devienne encore plus précaire.
Robert Solé se livre a deux critiques pertinentes et bien vues. Tout d’abord à l’égard des étrangers, français parfois, qui ont cru pouvoir s’investir sans modestie et sans prudence dans cette révolte. D’aucuns sont allés jusqu’à invoquer le précédent de la guerre d’Espagne et des Brigades Internationales !! S’il est possible de s’attacher à un mouvement libérateur dans un autre pays que le sien, il paraît indispensable que ce soit en se mettant « au service de .. ». L’autre critique concerne la façon désinvolte et ultra-rapide avec laquelle certains journalistes et leurs organes de presse ont su tourner la veste …
Ajout du 8 août 2011
Concernant le rôle joué par l’internet, la blogosphère et les réseaux sociaux, la mémoire des commentateurs est très sélective ! Ce blog a pris partie, voici presque trois ans, pour Kareem Amer (Kareem-Amer), blogueur égyptien longtemps emprisonné pour ses écrits. Cet homme avait la particularité de se réclamer de l’islam et de souhaiter que les femmes de son pays puissent exprimer leur totale autonomie, sans être soumises aux hommes. Il a été un précurseur. Mais qui parle de lui, à l’heure actuelle ?
Depuis la création de ce blog, un lien vous propose de soutenir Kareem Amer emprisonné en Egypte pour s’être exprimé dans son blog sur les droits de l’homme et plus particulièrement les droits de la femme.
Les choses ne vont pas très bien pour lui: privation de liberté, privation de lumière, …
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