CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, …ou le gîte et le couvert.
En 1905, selon une carte postale affranchie cette année-là, la devanture de l’hôtel n’a pas changée, par contre l’auvent de toile protégeant la terrasse a été supprimé, les arbustes sont toujours dans les mêmes bacs de bois et le cheval, de blanc, est devenu sombre.
En 1906 (Archives Municipales 1F14), Jules Pierre, patron maître d’hôtel, et Léonie sont recensés, ainsi que René, leur fils, Marguerite Magnan et Marie Mayet, femmes de chambre, et Jean Vicat, cuisinier.
Le 19 mars 1907, Jules Guttin propose un menu toujours fidèle à son savoir-faire. Le carton ne précise pas quelle en est l’occasion, mais … Bouchées à la Reine, Truite du Lac sauce Mousseline, Filet de Bœuf aux Morilles, Poularde de Bresse Périgueux, Cuissot de Chevreuil St-Hubert, Pâté de Lièvre à la Gelée, Asperges en branche, Faisans rôtis à la Broche, Jambon d’York, Glace vanillée, Pièce montée, Dessert varié, le tout accompagné de Chablis, Hermitage, Champagne, Café et Fine Champagne font appel à votre gourmandise. En 1910, le papier à en-tête est au nom de l’Hôtel de France (nouveauté!). Il vante la situation de l’hôtel en face des Postes et Télégraphes et de la station du Tramway. Chauffage central, éclairage électrique, garage, voitures à volonté, omnibus à tous les trains, complètent la description de l’hôtel. Pour réserver ? Téléphone 38 !
Dans son numéro daté du 1er octobre 1908, la revue bi-mensuelle « Les Alpes Pittoresques » consacre sa couverture et près de six pages à l’inauguration de la section Roybon-Saint-Marcellin du tramway enfin achevé et en service depuis six mois. Est-ce souci d’équilibre, est-ce publicité déguisé, toujours est-il que le journaliste à l’œuvre fait la promotion du restaurant de l’« Hôtel du Petit Paris » ! « Or, voilà l’heure du banquet.(…) Quelques apéritifs à travers les principaux cafés de Saint-Marcellin – au Café Teste (vin blanc supérieur), au Café de la Terrasse, par exemple, etc, etc. – nous ont insensiblement conduits à la salle du banquet, – au rez-de-chaussée de la nouvelle mairie en construction -, où sont dressés plus de 400 couverts. Pendant que les convives souscripteurs prennent place aux longues tables, les autres, les promeneurs, les musiciens, etc, se répandent dans les nombreux restaurants de la ville. Il est certain que ceux qui déjeunent à l’« Hôtel du Petit Paris », entre autres, seront les mieux hébergés, à cause de la réputation culinaire bien justifiée, dont le nom de M. Bonnet, vatel émérite, jouit dans toute la contrée. » Ce n’est que plus d’une page plus loin que nous apprenons, au sujet du banquet officiel, que « Le menu, irréprochable, était servi par l’« Hôtel de France », Guttin propriétaire, et tous les appétits n’ont eu qu’à s’en féliciter. » Le menu était à la hauteur de la réputation de Jules Guttin, et c’est avec satisfaction que l’on note (ce qui est très rare dans ces menus) la présence du fromage de Saint-Marcellin, ainsi que l’offre d’un verre d’Alpine (après le café et le cognac !) par les distilleries Romain Dutruc.
Au cours des années suivantes, après 1908 puisque le Tramway y est suggéré pour se rendre à Saint-Antoine, le Syndicat d’Initiative de Saint-Marcellin édite un livret-guide qui propose au touriste quelques promenades vers les ruines de Beauvoir, les gorges du Nan, les Ecouges, les Grands Goulets et Saint-Antoine. En ce qui concerne l’hébergement hôtelier à Saint-Marcellin, deux hôtels sont recommandés : l’« Hôtel de France » et l’« Hôtel du Petit-Paris ».
1911, peu de changements dans l’aspect de l’hôtel, sinon celui du retour d’un store de terrasse, sur une photographie qui montre les clients et le personnel faisant la pose. Le cheval attend ses passagers et deux voyageurs exhibent leur décapotable. Nombreuses sont les photographies mettant en évidence la présence d’un cheval tirant une berline en vue du transport des clients de l’hôtel vers ou venant de la gare. L’« Hôtel de France » n’a jamais eu de chevaux ; un certain Gratien Marmier était le loueur des voitures à cheval et son écurie se trouvait sur la place Déagent, le recensement de 1901 en fait foi. Lorsque les clients étaient attendus en gare ou devaient s’y rendre, c’est un cocher indépendant qui enfilait la tenue, se coiffait de la casquette « Guttin – Hôtel de France » et se munissait du fouet.
Carte affranchie en 1911
En cette même année 1911, Jules et Léonie sont à nouveau recensés en compagnie de leur fils René, aux cotés de Joseph Thomé, cuisinier, de Marie Chabert et Marie Bérard, femmes de chambre, et de Laurent Pascal, garçon d’hôtel. Joseph Thomé a donc fait ses classes de cuisinier à l’« Hôtel de France » avant d’ouvrir son propre hôtel, à quelques pas, 12 rue Saint-Laurent.
Et puis survient le drame, le 17 février 1913, Jules Pierre Guttin décède de maladie. Il n’a pas 46 ans, il laisse seule son épouse Léonie. Leur fils, René Joseph, vient tout juste d’avoir 13 ans ; il n’est donc pas question qu’il puisse aider sa mère dans l’exploitation de l’hôtel : elle est seule. Et reste seule à diriger l’hôtel pendant près de dix ans, attendant que son fils prenne de l’âge, remplisse ses obligations militaires et lui revienne. Pendant ces dix années de gestion de l’hôtel, Joseph Thomé ne peut guère participer longtemps en cuisine puisqu’il est rappelé au front entre 1914 et 1919. Le temps manque à Léonie pour assurer une promotion de l’hôtel dans les médias de l’époque, d’autant plus que la guerre ne s’y prête pas trop.
Le personnel en novembre 1913 – Joseph Thomé 3° à partir de la gauche – DR
Le recensement de 1921 (Archives Municipales 1F21) note la présence de Léonie, hôtelière patronne, de Léa Fayard et Louise Borgy, domestiques, de Régis Convert, cocher, de Gaston Bagriot, apprenti cuisinier et de deux pensionnaires, Léa Vicat et Jean Scince, receveur des finances. René est absent de l’inventaire, car sous les drapeaux. Son matricule (1165, centre de Bourgoin) précise qu’il est en campagne en Allemagne d’avril 1918 à octobre 1919, puis en Algérie jusqu’en février 1921. En mars, René ne revient pas immédiatement à Saint-Marcellin. On le note à Paris en mai-juin 1922 où il fait un stage au Ritz, puis à Saint-Brice, en Ille et Vilaine, en septembre 1922, et n’est pointé à Saint-Marcellin que le 26 novembre 1922.
Dès son retour à Saint-Marcellin, René Joseph prend la place qui lui revient dans l’exploitation de l’hôtel et en défend l’excellence gastronomique. Le 25 février 1925 est créée une Société en nom collectif par Léonie Michel, veuve de Jules Pierre Guttin, et Joseph René Guttin. A la lecture de l’acte de constitution, il apparaît que René apporte le fonds d’hôtel-restaurant, la clientèle et l’achalandage, le nom commercial et le droit au bail. Quant à sa mère, elle est porteuse des marchandises garnissant le dit fonds. Il est raisonnable de penser que, depuis le décès de son père, René était héritier du fonds tandis que sa mère en était demeurée gérante, bénéficiant de l’usufruit. En 1926 (Archives Municipales 1F21), le recensement note Léonie, patronne, et René, son fils, ainsi que Louise Borgy, Irma Ceyte et Joseph Cohet, employés, tandis que sont mentionnés deux pensionnaires, Louis Olivier et Jean Chatelain. La Société initiée l’année précédente n’est pas prise en compte dans le descriptif des fonctions respectives de Léonie et de René.
Enfin, en 1931, dernier recensement consultable (Archives Municipales 1F20), Léonie est référencée comme hôtelière patronne et son fils René, hôtelier patron. Suivent neuf (!) employés, Georges Guillot, Eugénie Guillot, Louise Borgy, Irma Ceyte, fille de salle, Pierre Beau, garçon de courses, Marie-Louise Martin, lingère, Paul Borel, cuisinier, Jean Luthaud et Jean Genthon, apprentis cuisiniers.
René se marie, en secondes noces, le 11 avril 1931, à Colombes (Seine) avec Hortense Joséphine Guttin, une lointaine cousine, née le 17 juin 1899. Les grand-pères de René et Hortense sont deux frères (Antoine et Pierre, nés en 1820 et 1821). Ils sont nés de Pierre Guttin et Thérèse Guttin, déjà issus de deux branches différentes des Guttin, l’une de La Batie-Divisin et l’autre des Abrets.
En 1934, deux ou trois cartes postales reprennent le thème de l’hôtel devenu officiellement « Hôtel de France » en lieu et place de « Grand Hôtel de France ». Le store a été changé, la graphie du nom est assez originale et audacieuse, les plantes de la terrasse sont regroupées dans de grands bacs qui semblent être de ciment moulé. Une autre carte postale nous permet de découvrir la grande salle du restaurant, héritée du couvent des Carmes. Ce sont de vastes travaux engagés en 1932 qui ont permis la réalisation de la cheminée monumentale succédant à l’ancienne cheminée des moines.
Le personnel, après 1913, avant 1934
Carte ayant circulé en 1934
La salle à manger en 1934
A suivre !