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Quartier Saint-Laurent-Saint-Marcellin

Le faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – IV

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, …ou le gîte et le couvert.

En 1905, selon une carte postale affranchie cette année-là, la devanture de l’hôtel n’a pas changée, par contre l’auvent de toile protégeant la terrasse a été supprimé, les arbustes sont toujours dans les mêmes bacs de bois et le cheval, de blanc, est devenu sombre.

Carte affranchie en 1905

En 1906 (Archives Municipales 1F14), Jules Pierre, patron maître d’hôtel, et Léonie sont recensés, ainsi que René, leur fils, Marguerite Magnan et Marie Mayet, femmes de chambre, et Jean Vicat, cuisinier.

Le 19 mars 1907, Jules Guttin propose un menu toujours fidèle à son savoir-faire. Le carton ne précise pas quelle en est l’occasion, mais … Bouchées à la Reine, Truite du Lac sauce Mousseline, Filet de Bœuf aux Morilles, Poularde de Bresse Périgueux, Cuissot de Chevreuil St-Hubert, Pâté de Lièvre à la Gelée, Asperges en branche, Faisans rôtis à la Broche, Jambon d’York, Glace vanillée, Pièce montée, Dessert varié, le tout accompagné de Chablis, Hermitage, Champagne, Café et Fine Champagne font appel à votre gourmandise. En 1910, le papier à en-tête est au nom de l’Hôtel de France (nouveauté!). Il vante la situation de l’hôtel en face des Postes et Télégraphes et de la station du Tramway. Chauffage central, éclairage électrique, garage, voitures à volonté, omnibus à tous les trains, complètent la description de l’hôtel. Pour réserver ? Téléphone 38 !

Menu du 19 mars 1907

Dans son numéro daté du 1er octobre 1908, la revue bi-mensuelle « Les Alpes Pittoresques » consacre sa couverture et près de six pages à l’inauguration de la section Roybon-Saint-Marcellin du tramway enfin achevé et en service depuis six mois. Est-ce souci d’équilibre, est-ce publicité déguisé, toujours est-il que le journaliste à l’œuvre fait la promotion du restaurant de l’« Hôtel du Petit Paris » ! « Or, voilà l’heure du banquet.(…) Quelques apéritifs à travers les principaux cafés de Saint-Marcellin – au Café Teste (vin blanc supérieur), au Café de la Terrasse, par exemple, etc, etc. – nous ont insensiblement conduits à la salle du banquet, – au rez-de-chaussée de la nouvelle mairie en construction -, où sont dressés plus de 400 couverts. Pendant que les convives souscripteurs prennent place aux longues tables, les autres, les promeneurs, les musiciens, etc, se répandent dans les nombreux restaurants de la ville. Il est certain que ceux qui déjeunent à l’« Hôtel du Petit Paris », entre autres, seront les mieux hébergés, à cause de la réputation culinaire bien justifiée, dont le nom de M. Bonnet, vatel émérite, jouit dans toute la contrée. » Ce n’est que plus d’une page plus loin que nous apprenons, au sujet du banquet officiel, que « Le menu, irréprochable, était servi par l’« Hôtel de France », Guttin propriétaire, et tous les appétits n’ont eu qu’à s’en féliciter. » Le menu était à la hauteur de la réputation de Jules Guttin, et c’est avec satisfaction que l’on note (ce qui est très rare dans ces menus) la présence du fromage de Saint-Marcellin, ainsi que l’offre d’un verre d’Alpine (après le café et le cognac !) par les distilleries Romain Dutruc.

Au cours des années suivantes, après 1908 puisque le Tramway y est suggéré pour se rendre à Saint-Antoine, le Syndicat d’Initiative de Saint-Marcellin édite un livret-guide qui propose au touriste quelques promenades vers les ruines de Beauvoir, les gorges du Nan, les Ecouges, les Grands Goulets et Saint-Antoine. En ce qui concerne l’hébergement hôtelier à Saint-Marcellin, deux hôtels sont recommandés : l’« Hôtel de France » et l’« Hôtel du Petit-Paris ».

1911, peu de changements dans l’aspect de l’hôtel, sinon celui du retour d’un store de terrasse, sur une photographie qui montre les clients et le personnel faisant la pose. Le cheval attend ses passagers et deux voyageurs exhibent leur décapotable. Nombreuses sont les photographies mettant en évidence la présence d’un cheval tirant une berline en vue du transport des clients de l’hôtel vers ou venant de la gare. L’« Hôtel de France » n’a jamais eu de chevaux ; un certain Gratien Marmier était le loueur des voitures à cheval et son écurie se trouvait sur la place Déagent, le recensement de 1901 en fait foi. Lorsque les clients étaient attendus en gare ou devaient s’y rendre, c’est un cocher indépendant qui enfilait la tenue, se coiffait de la casquette « Guttin – Hôtel de France » et se munissait du fouet.

Carte affranchie en 1911

En cette même année 1911, Jules et Léonie sont à nouveau recensés en compagnie de leur fils René, aux cotés de Joseph Thomé, cuisinier, de Marie Chabert et Marie Bérard, femmes de chambre, et de Laurent Pascal, garçon d’hôtel. Joseph Thomé a donc fait ses classes de cuisinier à l’« Hôtel de France » avant d’ouvrir son propre hôtel, à quelques pas, 12 rue Saint-Laurent.

Et puis survient le drame, le 17 février 1913, Jules Pierre Guttin décède de maladie. Il n’a pas 46 ans, il laisse seule son épouse Léonie. Leur fils, René Joseph, vient tout juste d’avoir 13 ans ; il n’est donc pas question qu’il puisse aider sa mère dans l’exploitation de l’hôtel : elle est seule. Et reste seule à diriger l’hôtel pendant près de dix ans, attendant que son fils prenne de l’âge, remplisse ses obligations militaires et lui revienne. Pendant ces dix années de gestion de l’hôtel, Joseph Thomé ne peut guère participer longtemps en cuisine puisqu’il est rappelé au front entre 1914 et 1919. Le temps manque à Léonie pour assurer une promotion de l’hôtel dans les médias de l’époque, d’autant plus que la guerre ne s’y prête pas trop.

Le personnel en novembre 1913 – Joseph Thomé 3° à partir de la gauche – DR

Le recensement de 1921 (Archives Municipales 1F21) note la présence de Léonie, hôtelière patronne, de Léa Fayard et Louise Borgy, domestiques, de Régis Convert, cocher, de Gaston Bagriot, apprenti cuisinier et de deux pensionnaires, Léa Vicat et Jean Scince, receveur des finances. René est absent de l’inventaire, car sous les drapeaux. Son matricule (1165, centre de Bourgoin) précise qu’il est en campagne en Allemagne d’avril 1918 à octobre 1919, puis en Algérie jusqu’en février 1921. En mars, René ne revient pas immédiatement à Saint-Marcellin. On le note à Paris en mai-juin 1922 où il fait un stage au Ritz, puis à Saint-Brice, en Ille et Vilaine, en septembre 1922, et n’est pointé à Saint-Marcellin que le 26 novembre 1922.

Dès son retour à Saint-Marcellin, René Joseph prend la place qui lui revient dans l’exploitation de l’hôtel et en défend l’excellence gastronomique. Le 25 février 1925 est créée une Société en nom collectif par Léonie Michel, veuve de Jules Pierre Guttin, et Joseph René Guttin. A la lecture de l’acte de constitution, il apparaît que René apporte le fonds d’hôtel-restaurant, la clientèle et l’achalandage, le nom commercial et le droit au bail. Quant à sa mère, elle est porteuse des marchandises garnissant le dit fonds. Il est raisonnable de penser que, depuis le décès de son père, René était héritier du fonds tandis que sa mère en était demeurée gérante, bénéficiant de l’usufruit. En 1926 (Archives Municipales 1F21), le recensement note Léonie, patronne, et René, son fils, ainsi que Louise Borgy, Irma Ceyte et Joseph Cohet, employés, tandis que sont mentionnés deux pensionnaires, Louis Olivier et Jean Chatelain. La Société initiée l’année précédente n’est pas prise en compte dans le descriptif des fonctions respectives de Léonie et de René.

Enfin, en 1931, dernier recensement consultable (Archives Municipales 1F20), Léonie est référencée comme hôtelière patronne et son fils René, hôtelier patron. Suivent neuf (!) employés, Georges Guillot, Eugénie Guillot, Louise Borgy, Irma Ceyte, fille de salle, Pierre Beau, garçon de courses, Marie-Louise Martin, lingère, Paul Borel, cuisinier, Jean Luthaud et Jean Genthon, apprentis cuisiniers.

René se marie, en secondes noces, le 11 avril 1931, à Colombes (Seine) avec Hortense Joséphine Guttin, une lointaine cousine, née le 17 juin 1899. Les grand-pères de René et Hortense sont deux frères (Antoine et Pierre, nés en 1820 et 1821). Ils sont nés de Pierre Guttin et Thérèse Guttin, déjà issus de deux branches différentes des Guttin, l’une de La Batie-Divisin et l’autre des Abrets.

En 1934, deux ou trois cartes postales reprennent le thème de l’hôtel devenu officiellement « Hôtel de France » en lieu et place de « Grand Hôtel de France ». Le store a été changé, la graphie du nom est assez originale et audacieuse, les plantes de la terrasse sont regroupées dans de grands bacs qui semblent être de ciment moulé. Une autre carte postale nous permet de découvrir la grande salle du restaurant, héritée du couvent des Carmes. Ce sont de vastes travaux engagés en 1932 qui ont permis la réalisation de la cheminée monumentale succédant à l’ancienne cheminée des moines.

Le personnel, après 1913, avant 1934

Carte ayant circulé en 1934

La salle à manger en 1934


A suivre !


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Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – III

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

III – Quelques mots à propos des Carmes et de la place Lacombe-Maloc.

Face à l’hôtel du « Palais Royal » (ou « National »), face à la distillerie Dutruc, se trouvent les bâtiments du couvent des Carmes. Il est particulièrement intéressant de connaître les modalités de leur installation, laquelle date de 1453, décidée et favorisée par le Dauphin Louis II.

« Pour la construction d’un couvent parfait, d’église, de dortoirs et réfectoire, clôture et autres édifices nécessaires pour servir notre Seigneur, y faire le divin service et prier dieu pour la prospérité du monde et pour les âmes des trépassés et déjà pour la faire ont acquis toutes les maisons et possessions qui sont assises en notre dite ville de Saint-Marcellin, depuis leur dit couvent jusque à la porte de notre ville, appelée la porte de Romans, en l’assiette desquelles maisons et possessions, ils ont intention de faire leurs édifices et faire leur dit couvent parfait, ce qu’ils ne peuvent bonnement faire, ni le tenir clos, comme il appartient, sans eux aider des murailles et vingtains de notre dite ville a prendre depuis une tour carré qui est assise icelles murailles derrière leur dit couvent et presque en leur endroit de l’hôtel de Claude Luxe, bourgeois de notre dite ville, et venir jusque à la porte appelée la porte de Romans …… ….. …….. toutes fois qu’ils tiendront ladite muraille en défense convenable contre ennemis, si guerre y étoit et n’y fairont nuls fenestrages préjudiciables à la force et défense d’icelle ville et fairont faire du long d’icelles murailles au dessus de leurs édifices, allées convenables, créneaux et défenses par où les habitants de la ville pourront passer et eux tenir pour la garde et défense d’icelle ville, et fairont faire deux degrés et montées de pierre pour aller sur lesdites murailles et un auprès de ladite tour carrée, et l’autre auprès de ladite porte appelée de Romans, ces lieux qui seront plus convenables et chacune d’icelles montées, fairont une huisserie telle qu’il appartiendra, dont lesdits habitants de la dite ville auront une clef, et lesdits prieurs et convents une autre, excepté en temps de guerre que lesdits prieurs et religieux n’en auront point et seront aussi tenus de faire un chemin convenable à passer charriots, charrettes et mulets chargés au droit de la dite tour carrée pour passer entre leur dit couvent et la maison dudit Claude Luxe pour venir dudit chemin qui va au long desdites murailles en la grande rue qui passe par devant ledit Couvent et hostellerie du faucon……« . (Archives de l’Isère – 3 H 121). De cet acte, nous retiendrons que les Carmes sont autorisés à construire à l’intérieur de la muraille des remparts ; de toute la continuité des remparts de Saint-Marcellin, c’est le seul exemple puisque, partout ailleurs, les habitations se sont édifiées contre la face extérieure du rempart, sur le fossé comblé à la force du temps. Encore aujourd’hui, ce fait est parfaitement lisible sur la cartographie de la ville et il n’est qu’à examiner l’épaisseur des murs donnant sur les places Déagent et Lacombe-Maloc pour en être convaincu. Nous retiendrons également que ce quartier abritait au XV° siècle au moins une hôtellerie, celle dite du Faucon.

Porte de Romans – Dessin d’artiste – 1829
Porte de Romans – Dessin d’artiste -Valentine Michon

Après la Révolution, de 1789 à 1793, lorsque les couvents sont saisis comme biens nationaux et revendus, bien des choses évoluent. En ce qui concerne les Carmes, les bâtiments sont vendus le 9 février 1791 au bailliage de Saint-Marcellin et divisés en maisons de ville, le mobilier est dispersé, l’église est détruite, le rempart est percé et la place des Carmes est créée. De nombreux éléments d’architecture, sur les deux faces de cette place, témoignent encore de la présence de cette église.

Dans une délibération en date du 19 mai 1853, les édiles municipaux se proposent de nommer la « place publique »  sur laquelle donnent les bâtiments des anciens Carmes: « … en face du l’Hôtel du Palais Royal, il s’en trouve une que nous vous proposons d’appeler place Maloc. Lorsque les guerres de religion éclatèrent en France, le baron des Adrets, s’étant mis à la tête des protestants, avait soulevé toute la province et s’avançait rapidement vers Saint-Marcellin occupée par les catholiques, pour en faire le siège. Effrayée d’abord, une partie de la population s’était réfugiée à Chevrières, mais le reste, électrisé par le Prieur des Carmes et par Charles de la Combe Maloc, procureur du Roi au bailliage, résolut de défendre la place. La résistance fut énergique, mais la ville fut prise d’assaut le 24 juin 1562, livrée au pillage et aux sanglantes vengeances d’un vainqueur impitoyable et irrité. Lacombe Maloc expira traîné dans la rue, la corde au cou, et le Prieur des Carmes fut pendu, à la Porte de Romans ». Pourtant, le recensement de 1856 (Archives Municipales 1F4) dresse un relevé des habitants de cette place en lui donnant encore le nom de « Place de la Porte de Romans ».

Ce n’est que le 30 septembre 1860 que cette désignation de Place Lacombe-Maloc, ainsi que d’autres, fut effectivement décidée. Le texte de la délibération ne fait aucune référence à un nom antérieur attribué cette place : «  … que la place située à la suite du Boulevard Grassot (de nos jours boulevard Gambetta), sur laquelle se trouve la bascule, prendra le nom de Place Déagent (…) que la place à la suite de celle-ci s’appellera Place Lacombe-Maloc… ».

Paradoxalement, en 1862, soit six ans plus tard, un projet de percement visant à relier la gare à la place d’Armes est dressé sur un plan reprenant, cette fois, le nom de … place du Palais Royal ! Enfin, le plan de la ville, établi en 1887, permet d’établir la répartition de l’ancien bâtiment des Carmes entre divers propriétaires.

IV – Hôtel de France, Guttin

C’est une famille originaire du nord du département de l’Isère, de la Batie-Divisin et des Abrets, qui vient s’installer à Saint-Marcellin au cours des derniers mois du XIX° siècle : les Guttin. Pierre Guttin, né en 1821, cafetier et cultivateur, et Olympe Belmont, son épouse en secondes noces, ont un fils, né aux Abrets le 17 août 1867, qu’ils nomment Jules Pierre.

Trente deux ans plus tard, le 7 janvier 1899, Jules Pierre épouse à Puy-Saint-Martin, dans la Drôme, Léonie Isabelle Michel. A cette date, il habite Saint-Marcellin depuis quelques temps. Tout simplement parce que le couple
ambitionne de créer un hôtel-restaurant, sous le nom de « Grand Hôtel de France », là où se tient peut-être déjà une simple auberge, tout à fait en face de ce qui fut l’Hôtel du « Palais Royal » ou du « Palais National ». En effet, les recensements successifs dévoilent la présence d’un aubergiste installé sur la place Lacombe-Maloc ; Xavier Glénat en 1866, puis Barthélémy Bonnet à partir de 1872 et jusqu’en 1891. La date d’ouverture inaugurale de ce nouvel hôtel a été fixée au 26 février 1899, soit dans moins de deux mois après le mariage.

[ L’étude patrimoniale conduite en 2019 par les Architectes du Patrimoine (Catherine Pichat, Maxime Boyer et Jérémy Dupanloup) nous affirme que le bâtiment des Carmes bordant la place, celui qui fut auberge et qui devint hôtel-restaurant, était le réfectoire des moines.]

Ce 26 février 1899, jour d’inauguration, Jules Pierre Guttin propose un menu de fête. Qu’on en juge. Entrées saucissons, beurre, olives, Bouchées à la Montglas, Brochets du Rhône en sauce Gribiche, Filets de bœuf Renaissance, Poulardes de Bresse Demidoff, Cèpes à la crème, Grives rôties sur croustade, Bombe Nesselrod, Gaufrettes, Dessert assorti, Vins fins et Champagne. Ce menu d’abondance et la liste des spécialités qui le composent vont devenir l’image de marque du chef Guttin.

26 février 1899 – Menu inaugural

Sept mois plus tard par exemple, le 18 septembre 1899, le menu affiché, dont on ignore la raison d’être, est aussi riche et alléchant. Après les entrées classiques et les Bouchées à la Reine, viendront Saumon en sauce Hollandaise, Filet de bœuf Madère et champignons, Poulardes braisées Victoria, Haricots verts maître d’Hôtel, Cèpes bordelaise, Perdreaux rôtis sur croustade, Jambon d’York à la gelée, Glace pralinée, Pièce montée, Brioches, Dessert, Mercurol, Morgon et Saint-Peray.

Le 7 décembre 1899, à Saint-Marcellin, naît un fils, qui restera unique, et qui porte les prénoms de René Joseph. Dans le recensement de l’année 1901 (Archives Municipales 1F13), Jules Pierre, noté comme chef, et Léonie, son épouse, sont accompagnés de Céline Didier, femme de chambre, Sylvain Avenier, employé et Antoine Philibert, cuisinier. Par contre, le petit René, âgé à peine d’un an, est répertorié dans la famille Pellat, à Chavozan. L’enfant a été placé auprès d’une nourrice compte tenu des charges liées à la gestion de l’hôtel.

Découvrir la vie, les changements, de l’ »Hôtel de France » par le biais des cartes postales anciennes est une méthode assez passionnante parce que celles-ci ont été nombreuses au cours des années. La plus ancienne dont nous ayons connaissance a été publiée dans les toutes premières années du XX° siècle puisque la correspondance est signée de 1902. Cela n’empêche pas que cette image soit anachronique en ce sens qu’elle met en évidence, au coin de la Grande Rue, un café nommé « Café du Tramway» alors que la voie ferrée n’est manifestement pas construite et que la mise en service de la section Roybon-Saint-Marcellin du dit tramway se fera solennellement en septembre 1908. L’explication est donnée par le fait que les plans d’expropriation des terrains permettant la construction du segment de cette section de voie ferrée ont été établis en 1900, mais que les chantiers ont été retardés par la faillite de l’exploitant du tramway, des grèves et la reprise du dossier par le Département de l’Isère.

La terrasse de l’hôtel, donnant sur la place Lacombe-Maloc est décorée d’arbustes plantés dans des demi-tonneaux de bois. Un cheval blanc, attelé à une calèche, attend l’heure d’aller en gare, celle du réseau PLM, déposer quelques voyageurs dont les valises sont déjà sur le toit. Au centre de la place, une femme se tient appuyée sur un chariot, sorte de brouette à grandes roues, peut-être une blanchisseuse venue livrer les draps et serviettes de l’hôtel après en avoir effectué le lavage. En effet, un lavoir fermé et couvert existe à l’angle du Champ de Mars, à 200 m de là. De l’autre coté de la place, face à l’hôtel tout neuf, rien ne signale l’ancien « Hôtel du Palais … National ».

Carte postale ayant circulé en 1902

A suivre !

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Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin -II

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

II – Absinthe ou thé au mandarin ?

Le recensement de 1841 (Archives Municipales 1F1) relève l’existence d’un Etienne Dutruc, domicilié dans la Grande-Rue. Il est avoué de profession, son épouse Eugénie Boissieux, sa fille Céline, deux clercs, Hypolite Bourdillon et Francisque Francon, ainsi que deux domestiques, Victor Perret et Louise Martin vivent sous son toit. Etienne Dutruc est né à Tullins, le 15 février 1793, où son père exerçe le métier d’huissier public, mais la famille est originaire de Saint-Chef et Viriville. Par ailleurs, les cartes Cassini et d’Etat-Major signalent une propriété Dutruc aux environs des Ouillères, à l’emplacement possible de l’actuelle gendarmerie. Les recensements ultérieurs, de 1846 à 1861, ne signalent plus aucun Dutruc dans la Grande-Rue. Sauf que le plan d’alignement des voiries établi en 1848, indique un Dutruc propriétaire d’un logement rue des Remparts. Le nom de Dutruc est donc déjà présent à Saint-Marcellin, mais ce n’est pas d’eux dont nous allons parler.

En 1828, Joseph Dutruc, épicier en gros, crée au Grand-Lemps une distillerie qui devient rapidement une entreprise novatrice gérée par une dynastie qui éprouve le besoin de s’étendre. Les bâtiments existent encore, transformés en espace culturel. Après son décès en 1851, l’entreprise revient à son fils Auguste qui fonde la « Société Auguste Dutruc fils et Cie« . Il est marié avec Joséphine Dutruc, née en 1812, d’une autre lignée puisque son père est Claude André Dutruc (1783-1858) et sa mère Eugénie Euphrosine Micoud. Le frère de Joséphine, Lucien Romain, travaille dans l’entreprise depuis de longues années. En 1863, Auguste Dutruc décède, il n’est âgé que de 55 ans, et c’est Joséphine Dutruc, sa veuve, qui prend le relais et assoie le succès de l’entreprise sur le commerce de l’absinthe. Mais Lucien Romain s’en éloigne et vient à Saint-Marcellin où il crée la distillerie Romain Dutruc, place Lacombe-Maloc. Il est assez aisé de confirmer cette date. En effet, il se marie le 14 mars 1861, à Renage, avec Julie Victoire Chapel/Chappel, mariage qui donnera deux garçons : Pierre André Jules, né le 14 avril 1862 au Grand Lemps, et Romain Marius, né le 6 avril 1864 à Saint-Marcellin.

Ainsi que nous l’avons déjà vu à, l’occasion de la vente manquée des locaux de l’hôtel du Palais Royal à la gendarmerie en 1863, la distillerie Romain Dutruc est bien née entre 1862 et 1864, tout d’abord avec la complicité d’un associé, Marius Grillat, qui laissera sa place après quelques années.

Facture Dutruc et Grillat de 1867

Romain Dutruc dispose d’un bon relais publicitaire, puisque l’on retrouve sa marque et ses productions dès 1867 (Le Journal de Montélimar, 16 novembre 1876), 1878 (Le Journal de Tournon, 24 février 1878), 1882 (Le Journal de Montélimar, 14 janvier 1882), 1891 dans « La France Chevaline » (!), avec la liste suivante des productions de Romain Dutruc et Fils : « Spécialité d’Absinthe, Ratafia de cerises, Thé au Mandarin, China-china, Peppermint, … », dans « Le Panthéon de l’Industrie » du 22 avril 1888, sous la forme d’un bel article sous deux colonnes reprenant les fabrications de la distillerie, vantant leurs qualités et affirmant que la distillerie Romain Dutruc serait installée à Saint-Marcellin depuis 1852. Affirmation contestable car, à ce jour et comme on l’a déjà vu, les recensements de 1851, 1856 et 1861 ne permettent pas de mettre en évidence un Dutruc parmi les citoyens saint-marcellinois. D’autres références à l’activité de la distillerie se trouvent encore dans la « Revue des Vins et Liqueurs » en 1895 et 1899, puis dans « Le Caviste » en 1907, …

Outre son engagement patronal, il s’engage dans la vie publique de Saint-Marcellin au point d’être nommé Officier d’Académie par décret du 24 décembre 1892, ce qui honore son action de conseiller municipal, de membre du bureau d’administration du collège depuis 19 ans et de délégué cantonal depuis 15 ans (JO du 30 juillet 1892). Né en 1819, Lucien Romain décède à Saint-Marcellin en 1901. Le Conseil Municipal prononce un hommage en son honneur pour ses « plus de trente années de fermeté républicaine et de dévouement à la chose publique ».

Depuis plusieurs années déjà, vers 1887-1888, ses fils ont pris la succession dans la gestion de l’entreprise.

Pierre André, l’aîné, s’est engagé volontaire pour 5 ans, le 5 mars 1883, à Saint-Marcellin, au 4° Régiment de Dragons. Il a 21 ans. Il est nommé brigadier en septembre, brigadier-fourrier en octobre, maréchal des logis en mai 1885. Il est mis en congé le 20 septembre 1887 et définitivement libéré de ses obligations militaires le 1er octobre 1908.

Romain Marius est initialement dispensé du service (Art 17) en raison de la présence de son frère sous les drapeaux, il est ensuite réformé le 8 avril 1891 pour chevauchement d’orteils. Ce qui ne l’empêche pas de faire une « période » de trois semaines, en avril 1888, dans le 3° de Ligne.

Etiquette du Thé au mandarin

Etiquette du Quinquina Romain Dutruc, à Saint-Marcellin

Grace aux divers recensements, la vie de la distillerie est aisée à comprendre. C’est ainsi que le recensement de 1896 (Archives Municipales 1F12) note que vivent plusieurs ménages dans la même maison sur la place Lacombe-Maloc : Pierre André Dutruc, 34 ans, distillateur, Marie-Joséphine Thomas, 26 ans, son épouse, Denise, une fille de 3 ans et Georges Joseph, un garçon de 37 jours. S’ajoutent une domestique (Marie-Charlotte Achard) et une cuisinière (Marie Massier).

Dans le logement voisin, habitent le frère de Pierre André, Romain Marius Dutruc, 31 ans, distillateur également, Françoise Thomas, 23 ans, son épouse, une domestique (Marie Rodon) et une cuisinière (Marie Sarlet). A coté, c’est un couple d’ouvriers distillateurs ayant une fille de 11 ans, les Debourg. Enfin, vit le couple d’Amédée Dye, négociant, et de Maria Morand, son épouse. Sont-ils les représentants en titre de la Maison Dutruc ?

Dans le cadre de ce recensement de 1896, nous trouvons également les parents Dutruc, domiciliés à quelques pas de là, rue Saint-Laurent : Romain, âgé de 76 ans, Julie Chappel, son épouse, âgée de 69 ans, une fille, Marguerite, 20 ans et un domestique. Autre confirmation que nous permet ce recensement : les deux frères Dutruc, Pierre André et Romain Marius, ont épousé deux sœurs ; Marie-Joséphine et Françoise Thomas.

En 1901 (Archives Municipales 1F13), la place Lacombe-Maloc abrite la famille de Pierre André ; les enfants ont grandi et la femme de chambre et la cuisinière ne sont plus les mêmes. Du coté de Romain Marius, tout a évolué aussi puisque le couple a désormais une fille de 4 ans, Odette, et une autre fille de 9 mois, Madeleine. En 1906 (Archives Municipales 1F14), le recensement ressemble fortement au précédent, mis à part que les deux frères sont devenus liquoristes et non distillateurs !

En 1911 (Archives Municipales 1F21), il n’y a plus de Dutruc sur la Place Lacombe-Maloc, mais un limonadier ; Louis Picot, qui sera présent jusqu’en 1926. Par contre, sur la liste électorale, existe encore Pierre André ; il a 49 ans.

Fondée entre 1862 et 1864, la distillerie Dutruc s’est éteinte entre fin 1908 et 1911, soit une existence de 45 à 47 ans. Quelles en sont les raisons ? Il en reste deux initiales, « RD », sur la porte d’entrée de ce qui fut la distillerie Romain Dutruc.

Portail des anciennes distilleries Romain Dutruc (DR)

A suivre !