Dans son supplément magazine du 17 juillet, Le Monde publie un court dossier consacré, sous la rubrique “La tendance”, aux décroissants. A vrai dire, en février 2009, l’émission “Envoyé Spécial » (Envoyé-Spécial-chez-les-décroissants) avait déjà abordé ce sujet et le changement de média tout comme le changement de support n’ont pas modifié grand chose à la superficialité de l’approche. Aujourd’hui comme hier, on nous fait la description d’individus qui sont convaincus de faire changer les choses parce qu’ils ont, à titre personnel et strictement individuel, décidé de changer de style de vie. Tout comme Conrad Schmidt (Le-monde-de-Conrad-Schmidt), leur réflexion s’arrête à la porte de leur foyer, dès lors qu’ont été supprimés la viande, les automobiles et l’avion. Seul reste l’internet, ce nouveau média censé permettre une connaissance satisfaisante du monde et autorisant surtout une prise de parole largement démultipliée.
On pourrait noter, pour s’en amuser, une forte tendance de ces décroissants à vouloir vivre au chaud et au soleil: Marseille, Forcalquier, la Drôme, l’Ardèche, l’Ariège, … mais la chose n’est pas nouvelle puisque les décroissants de 68 avaient déjà choisi le Larzac. Plus gravement on notera à nouveau l’absence totale de référence à ce que leur comportement peut apporter au reste du monde, celui qui est en développement (comme on dit pudiquement), celui qui a faim et soif, celui qui veut accéder aux richesses que notre Occident étale et que certains dénoncent. Que l’on se rassure, Yves Cochet nous explique que « la décroissance ne s’applique qu’aux pays de l’OCDE » mais que les pays en développement doivent savoir qu’ils n’atteindront jamais le niveau de vie occidental. Mais quelle croissance doivent-ils appliquer ? A quoi doivent-ils dès à présent renoncer en termes d’espoirs et d’objectifs ? Et qui, et comment, choisira le seuil de développement ? Par exemple, s’équiper en électricité doit-il s’accompagner du renoncement à la climatisation ? Développer les communications doit-il s’accompagner d’une forte restriction de l’usage de la voiture individuelle ?
En fait, le dossier dont il est question fait un peu l’amalgame entre deux tendances très distinctes des décroissants, et ne s’en cache pas. Mais ces deux tendances sont strictement incompatibles et il est cocasse de voir s’exprimer Yves Cochet, Serge Latouche ou Vincent Cheynet (tiens, il manque Paccalet !) à propos de ces adeptes de l’An 01. Eux sont plutôt partisans d’une révolution (Niqab-automobile-et-société-social-écologiste), non seulement culturelle, mais aussi matérielle, dont les attendus sont parfois fort peu démocratiques quoi qu’ils en disent à longueur de colonnes et de blogs.
Quant aux autres, on les retrouve malheureusement trop souvent porte-paroles d’une idéologie passéiste, du retour vers des années qui étaient meilleures, plus saines, plus conviviales, plus ceci ou plus cela. Ils oublient simplement de dire que ces année-là étaient également les années sans l’eau sur l’évier, sans l’électricité le soir à la maison et sans beaucoup d’espoir pour les enfants s’ils ne pouvaient aller à la ville pour étudier au-delà du certificat d’études.
Je reviens d’Italie, Région du Trentin-Haut-Adige, zone du massif de la Brenta (une merveille !). La promotion touristique de la région s’articule autour de la nature, des sports (rafting, escalade, randonnée, …), de l’art, de la culture, de la gastronomie et c’est très bien fait. Pour être dans l’air du temps, alors que d’autres maisons de l’environnement sont abandonnées par faute de crédits dans cette même région, il a été ouvert par le Parc Naturel Adamello Brenta (PNAB) une Maison de la Nature (http://www.pnab.it/vivere_il_parco/proposte_vacanza.html) qui s’est donné pour objectif de faire découvrir la nature, le ciel, les plantes utilisables en médecine douce, les vieilles recettes de cuisine, les randonnées avec un âne, la découverte des activités rurales traditionnelles (fenaison) ou la connaissance des animaux (bovins, ovins, poules, etc …) le tout pour plus de 400 € par personne et par semaine !
J’arrive à la maison pour découvrir dans le journal local qu’une association écologiste vient de réaliser le fauchage de 3400 m² avec deux percherons, dans le but de promouvoir le retour à une agriculture économe en énergie !
Tant que l’on en restera à l’une ou l’autre de ces deux expressions de l’écologie contemporaine, la “radicale” et la “passéiste”, il y a peu de chances que l’idée même de vivre autrement puisse trouver matière à se développer.