Le texte qui suit a été publié dans « La décroissance, le journal de la joie de vivre » (?). Conrad Schmidt est le fondateur d’un parti canadien: le »Workless Party » (Parti pour moins de travail) et l’auteur d’un livre intitulé « Workers of the World, Relax ».
« Çà a commencé par la voiture. Je me suis dit que si je m’en débarrassais, et que je me rendais en vélo au boulot, j’allègerais mon empreinte sur l’environnement. Résultat, outre le fait que j’étais plus en forme, je me suis retrouvé avec un surplus de 400 dollars par mois, parce qu’une bagnole ça coûte cher. Et la question s’est posée de ce que j’allais faire avec cet argent en plus. Si j’achète un plus gros ordinateur, ou que je me paye un voyage en Europe, ça revient au même, je continue de nuire. La consommation est donc exclue. De la même façon, si je m’offre des massages ou des cours d’espagnol, comment est-ce que, eux, mon masseur et mon prof vont-ils dépenser cet excédent de revenu ? Sans doute qu’ils seront moins scrupuleux que moi et qu’ils vont accumuler des biens inutiles qui viendront aggraver la situation. Conclusion, soit je détruis ce fric, je le brûle, sois je m’offre du temps. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à travailler quatre jours par semaine, puis j’y ai pris goût, je me suis investi dans la communauté, j’ai quitté mon job, j’ai enquêté sur les politiques, j’ai fait des films, écrit des bouquins … »
C’est pas parce que c’est l’époque du bac, mais on va faire un peu d’analyse de contenu de texte.
Voilà un homme, bien sous tout rapport, sans doute honorablement connu dans son quartier et apprécié par ses collègues, qui décide de se séparer de son automobile afin d’améliorer son empreinte environnementale. Cela lui rapporte quelques 400 $ mensuels, soit environ 320 euros, soit une quinzaine d’euros par jour de travail. A moins que la voiture soit très gourmande, ou que les péages urbains soient très élevés, cela représente tout de même plusieurs dizaines de kilomètres quotidiens … à faire en vélo. Passons.
En renonçant à sa voiture, Conrad a privé son garagiste et ses salariés (pour les révisions), son carrossier et ses salariés (pour les retouches en cas de petite rayure), son pompiste et ses salariés, et d’autres encore, de sa petite contribution personnelle à leur niveau de vie (et quel que soit le niveau de celui-ci). Je ne pense pas que pour eux, la solution se trouve dans la pratique du vélo.
En renonçant à sa voiture, Conrad a également renoncé à ses vacances que rien ne l’obligeait à prendre en même temps que tout le monde. Il a mis un terme aux escapades vers les montagnes de Banff où ses amis font encore de l’escalade. Il a ainsi privé son hôtelier et ses salariés, son restaurateur et ses salariés de sa petite contribution individuelle à leur niveau de vie. Pour eux, la solution ne se trouve pas dans la pratique du vélo. Il a aussi privé ses anciens amis de l’Université des visites qu’ils leur faisait une ou deux fois l’an: ils habitent trop loin et le Greyhound ne passe pas jusqu’au fond de leur vallée.
Conrad ne le dit pas ici (on peut supposer qu’il le dit ailleurs), mais il est probable que depuis sa découverte des économies possibles, il a du renoncer aussi à s’acheter de la viande, des fruits exotiques (et comme à part la pomme, la poire, la framboise, la cerise, le bleuet ou myrtille, il ne pousse pas beaucoup de fruits au Canada, ils sont presque tous exotiques), voire supprimer le café au bénéfice d’une camomille sucrée au sirop d’érable. Depuis, il élève trois poules, cultive ses salades et fait son pain. Il a ainsi privé son épicier et ses salariés, son boucher et ses salariés, son boulanger et ses salariés de sa petite contribution individuelle à leur niveau de vie.Pour eux la solution ne se trouve pas dans la pratique du vélo.
Poussant le raisonnement à fond, Conrad (puisqu’il ne bouge plus de chez lui) a simplifié son habillement au plus sobre: des socques, un pantalon de denim, une chemise à carreaux. Pour l’esthétique, la coupe de cheveux se fera à la maison … (et, à l’occasion, ce sera nu sur un vélo …)
Conrad est content de lui. Il a singulièrement réduit son empreinte écologique. Mais l’a fait tout seul, en indépendant, sans penser aux conséquences de ses actes, en égoïste …
Et puis Conrad s’est posé la question de l’usage auquel il pouvait consacrer tout cet argent. Ne lui sont venues à l’esprit que trois hypothèses: le consommer, ou le brûler, ou moins travailler.
Le brûler ? Il devait rester en Conrad un fond de morale qui l’en a empêché en dernière extrémité.
Le consommer ? Cette hypothèse est rejetée pour deux motifs. Le premier vise à dire que si Conrad s’offre un matériel informatique dernier cri ou s’il décide de partir à la découverte du Monde, il ne fera que déplacer les causes de son hyperproduction de CO2. Donc, les fabricants d’ordinateurs et les compagnies aériennes n’auront pas sa petite contribution individuelle au niveau de vie de leurs salariés. Le second motif relève d’un comportement plus totalitaire: je ne me ferai pas faire de massages, ni n’apprendrai l’espagnol, car ces gens vivent déjà assez bien comme ça et n’ont pas besoin de mon argent qu’ils vont accumuler. Conrad s’est réservé le libre choix de l’usage de son argent, mais il est hors de question qu’il reconnaisse ce libre choix à un autre, de surcroît si cet autre est un industriel, un commerçant, un artisan, un libéral, un travailleur indépendant, bref un capitaliste.
Curieusement, il est une idée qui n’a même pas traversé l’esprit de Conrad: celle de faire profiter d’autres de cet argent économisé, les plus pauvres que lui par exemple, ou les immigrés en son pays, ou les habitants de pays en développement. Il n’est pas seul dans ce cas. Lors d’un reportage sur les décroissants, “Envoyé Spécial” avait filmé un couple de cadres qui fabriquait son lombricompost dans l’appartement et glanait sur les marchés. La question de l’usage de leurs économies n’avait pas été abordée et eux s’étaient bien gardé d’en parler. Le nombril de Conrad se trouve en occident et, honnêtement, il n’a rien à faire du développement des autres pays qui n’ont qu’à choisir le même modèle que lui.
Parvenu à ce niveau de réflexion, Conrad aurait du aller se coucher et attendre la fin. Pas d’auto, pas de tourisme, pas de découvertes intellectuelles, que fait-il de la musique, de la lecture, de la peinture, ? Non, Conrad est un intellectuel écologiste radical. Il a donc pris la plume, pris la caméra et développé le concept de la société qu’il préconise. Vend-t’il ses productions ? Le succès aidant, n’a t’il pas peur de se retrouver avec trop d’argent ? Ou distribue t’il ses écrits sur le net ? En ce cas, il existe encore une catégorie de travailleurs dont Conrad a besoin: les communicants, ceux qui (hard ou soft) permettent à la communication, aux idées, aux images, aux vidéos, de parvenir à nos écrans, nos téléphones, nos ordinateurs, nos tablettes.
L’écologie radicale, un combat ?