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Enquête autour d’une photographie de Barbara

LA photo de l’adolescence de Barbara (au coeur de l’image, en blanc), Collège de Saint-Marcellin, année scolaire 1943-1944.
Détail de Barbara

D’une part, il y a ce que Barbara a écrit dans ses Mémoires ;« Il était un piano noir … Récit inachevé»: « Nous quittons Saint-Marcellin en 1945. Je suis triste, j’éprouve une drôle de sensation ; j’ai beau savoir que c’est pour retrouver Paris, pour moi, c’est partir vers l’inconnu.

Quand je reviendrai à Saint-Marcellin, vingt-trois ans plus tard, dans ma « belle Mercedes grise à toit ouvrant », c’est « Peter » qui conduira. Marie Chaix sera près de moi. Bouleversée, je traverserai la grande rue, puis la place d’armes qui mène au chemin bordé de mûres. Je retrouverai le coteau, la villa qui, en fait, n’est qu’une modeste maison ; les dahlias fauves seront toujours là.

Du retour en octobre 1945 : rien.

Je ne me souviens de rien.

Ni comment nous avons quitté Saint-Marcellin, ni comment nous sommes arrivés à Paris. »

Vingt-trois ans plus tard, c’est en fait en 1968, l’année au cours de laquelle Barbara crée « Mon enfance », cette chanson mélancolique qui lui permet de revenir sur son cadre de vie pendant la guerre de 1939-1945 : « Pourquoi suis-je revenue/Et seule au détour de ces rues/J’ai froid j’ai peur/Le soir se penche/Pourquoi suis-je venue ici/Où mon passé me crucifie/Elle dort à jamais mon enfance … ».

D’autre part, un jour, on tombe comme par inadvertance sur une photographie dont on vous dit qu’elle est exceptionnelle, qu’elle est datée du 3 août 1947 et qu’elle représente Monique Serf, aux cotés de la femme du maire, Claudine Brun, Duport de son nom de jeune fille, lors des Fêtes de Couronnement de la Rosière, à Saint-Marcellin.

Photo du défilé de la Rosière -3 août 1947 – Barbara est à gauche, vêtue de noir. (Photo Faurie)
Détail de la photo ci-dessus

Inévitablement, se pose la question, se posent plus exactement les questions.

– Si elle est revenue à Saint-Marcellin en 1947, pourquoi Barbara écrit-elle que son retour ne s’est fait que vingt-trois ans plus tard ? Si son histoire saint-marcellinoise l’a « crucifiée », pourquoi est-elle revenue sur les lieux de sa douleur ? Et pour quelle raison serait-elle revenue dans le cadre d’un fête populaire ? D’autre part, en 1947, Monique est encore mineure, est-il aisé de voyager et de trouver un logement dans ces conditions si l’on est seule ?

– Si ce n’est pas elle qui se trouve sur cette image, qui cela peut-il être ? La mémoire des Saint-Marcellinois a fait souvent défaut et les passés de Monique Serf (Barbara) et de Françoise Quoirez (Sagan) se sont souvent mélangés dans les souvenirs ; peut-il s’agir de Suzanne, la sœur aînée de Françoise, laquelle s’est mariée à Saint-Marcellin en 1946 et va bientôt accoucher de son premier enfant à Bourgoin ?

Ecartons rapidement cette dernière hypothèse. Les Saint-Marcellinois qui sont à l’origine de l’identification de Monique Serf sur la photographie sont formels. Le fils de Françoise Sagan et la fille de sa sœur Suzanne ne reconnaissent pas leur mère et tante sur cette image. Et l’association des « Amis de Barbara » affirme que cette photo la concerne bien et relate une anecdote selon laquelle Monique serait venue à Saint-Marcellin pour accompagner son frère Jean, lequel voulait rejoindre une fille qu’il avait connue. L’association nous joint une photographie du début des années cinquante sur laquelle Monique Serf, entourée de deux personnages, ressemble fortement à la jeune fille de la photo du défilé de la Rosière : même visage, même silhouette un peu ronde, même coiffure…

Barbara – Détail d’une photographie années 1950 à Bruxelles
D.R Photo Vynckier

Pour couronner le tout, la dite association nous confie que Bernard Serf est l’actuel représentant des ayant-droits sur la patrimoine de Barbara. Auparavant, c’était son père, Jean Serf, frère aîné de Barbara, qui assumait ce rôle. Or, Bernard Serf a ajouté depuis peu le nom de Bouveret à son patronyme : Bernard Serf-Bouveret. Est-ce le nom de sa mère ?

C’est l’INSEE qui nous aidera. Il existe trois femmes du nom de jeune fille Bouveret qui sont nées à Saint-Marcellin. Le service d’Etat-Civil de la ville fera le reste.

– Madeleine, née le 23 août 1921, décédée le 13 novembre 2008 à Lyon. Elle avait épousé Gilbert Charles Paul BOURREL, à Saint-Marcellin, le 5 août 1946.

– Jacqueline, née le 31 janvier 1925, décédée le 17 août 1988 à Voiron. Elle avait épousé René CHARBOTEL le 27 novembre 1954.

– Huguette, née le 6 juillet 1926, décédée le 24 février 1992 à Briare, dans le Loiret. Elle avait épousé ….. Jean SERF, le 29 octobre 1953 à Paris 20° !

Acte de naissance d’Huguette Bouveret – Archives Municipales de Saint-Marcellin

Par une rapide recherche généalogique (Archives Départementales de Saône-et-Loire), nous apprendrons que le père de ces trois filles, Camille Clément BOUVERET est né le 21 juillet 1892 à Louhans, et décédé le 28 septembre 1943 à Saint-Marcellin. Son épouse, Matilde (1), Anastasie GOUX est née le 21 juin 1894 à Sagy, dans la Saône-et-Loire, et décédée le 3 février 1979 à La-Tour-du-Pin dans l’Isère. Le couple s’est marié le 5 août 1920.

Il est possible de suivre l’itinéraire de Camille Clément au travers de sa fiche matricule (classe 1912). Employé de commerce lors de son conseil de révision, il est engagé volontaire, pour trois ans, le 25 mars 1913, au 5ème Régiment de Chasseurs d’Afrique, pour un court séjour en Algérie, avant d’être muté au 1er Régiment de Zouaves le 6 décembre 1913 . Déjà blessé au pouce de la main droite à Prunay (Marne), il sera grièvement blessé le 28 novembre 1916, au Pressoir (Somme), d’une fracture du fémur gauche par éclat d’obus. Cette « fracture vicieusement consolidée », selon les termes de sa fiche matricule, malgré une série de séjours en hôpital, lui vaudra d’être réformé en date du 25 septembre 1917, avec pension définitive à 65 %, selon la commission de réforme de Grenoble, le 13 mars 1922. « Modèle de courage et de dévouement », il est cité à l’ordre du Régiment et honoré de la Croix de Guerre.

Sitôt leur mariage le 5 août 1920, les époux Bouveret s’installent très rapidement à Saint-Marcellin, où naît leur première fille en 1921. Le recensement de 1926 les cite comme logés place Château Bayard. Camille Clément, le père, est mécanicien dentiste chez Germain. La mère et les deux premières filles, Madeleine et Jacqueline sont présentes au foyer.

Le recensement de 1931 indique qu’ils ont déménagé pour habiter le (quartier du) Mollard. A cette date, les rues de ce quartier n’ont pas de dénomination. La troisième fille, Huguette, est citée au recensement.

Les listes électorales, pour leur part, recensent Bouveret Camille en 1926, en 1931 et en 1939. Lors de ce dernier recensement, le domicile est précisé comme étant la rue Pasteur, la dénomination de cette rue étant intervenue en Conseil Municipal le 14 juin 1935. La révision de la liste électorale, faite en 1945, indique que Bouveret Camille est décédé en 1944 (il s’agit d’une erreur).

Recensement 1931 – Archives Municipales de Saint-Marcellin

Le témoignage (avril 2023) de Marguerite Tomasi, épouse Giraud-Rochon, nous apprend qu’elle était dans la même classe que Huguette Bouveret, à l’école privée catholique de la rue du Dauphin, à Saint-Marcellin. Leur institutrice était Marie-Thérèse Grillet (2). Celle-ci ayant enseigné les filles des CP et CE, cet épisode pourrait se situer entre 1932 et 1935.

Revenons aux amours de Huguette Bouveret et de Jean Serf. Celui-ci était donc à Saint-Marcellin ce 3 août 1947, afin de rejoindre celle qu’il considérait peut-être déjà comme sa fiancée.

Dans la famille Serf, le père est Jacques Serf, né le 25 novembre 1904 à Paris 18°, décédé le 20 décembre 1959 à Nantes. Son épouse est Esther Brodsky, née le 12 septembre 1905 à Tiraspol, en Moldavie, décédée le 6 novembre 1967 à Paris 8°. Leur mariage a donné naissance à quatre enfants.

– Jean, né le 20 septembre 1928 à Paris 9°, décédé le 25 avril 2014 à Saint-Fargeau (Yonne).

– Monique Andrée, alias Barbara, née le 9 juin 1930 à Paris 17°, décédé le 24 novembre 1997 à Neuilly-sur-Seine.

– Régine, née en août 1938 à Roanne.

– et Claude Eric, né le 27 mars 1942 à Tarbes, décédé le 5 juin 2017 à Draveil (Essonne).

Quand Jean rejoint Huguette, en août 1947, il va avoir 19 ans; il est donc encore mineur et l’on ne connaît pas son statut envers les obligations militaires. De son coté, Huguette a 21 ans, oh ! pas depuis longtemps, elle est majeure depuis exactement un mois. Une photo, une seule, à priori, immortalise ce retour de Monique Serf-Barbara dans la ville-refuge de sa famille lors de la guerre. L’a-t-elle oublié ? A-t-elle voulu l’oublier ? Ou encore, ses Mémoires font-ils preuve d’une licence d’auteure qui ne veut retenir que l’essentiel ? Voilà un rappel des questions à l’origine de cette enquête …

Huguette et Jean ; laissons-les rêver, laissons-nous rêver … dans six ans, c’est long, ils se marieront, ils auront un garçon qui, non content de porter le nom de son père, y ajoutera celui de sa mère, une Saint-Marcellinoise.

Une référence si puissante qu’Huguette reviendra à Saint-Marcellin, après son décès, pour y être inhumée, Allée des Myosotis. Une belle dalle d’un noir profond et d’une pureté exemplaire, rappelle simplement son nom et les bornes de sa vie : « Huguette SERF, née BOUVERET – 1926-1992 ».

Sépulture d’Huguette Serf, née Bouveret, à Saint-Marcellin – Photo JB (DR)

1 – Orthographe de l’acte de naissance.

2 -Marie-Thérèse Grillet est la mère de l’auteur de ces lignes.

Remerciements et sources

  • Archives Départementales Saône-et-Loire
  • Archives Municipales Saint-Marcellin
  • INSEE, répertoire des décès depuis 1970
  • « Il était un piano noir … récit inachevé » – Barbara – 1998
  • Archives des photos Faurie – Saint-Marcellin
  • Bernard Giroud in « Le Pays de Saint-Marcellin » – N° 17 – mai 2006
  • Denis Westhoff, fils de Françoise Sagan
  • Cécile Defforey, nièce de Françoise Sagan
  • Association « Les Amis de Barbara »
  • François Faurant – www.passion-barbara.net
  • Liliane Brun-Austruy
  • Marguerite Tomasi-Giraud
  • Marc Ellenberger
  • Association Groupe Rempart
  • https://thermopyles.info/2021/11/17/en-novembre-barbara/
  • https://thermopyles.info/category/francoise-sagan/

Reproduction interdite sans accord préalable avec l’auteur.

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en novembre, Barbara

Novembre n’est pas le meilleur des mois pour Barbara, ne serait-ce que parce que c’est en novembre, le 24, l’an 1997, qu’elle nous a quittés. Entre juillet 1943 et octobre 1945, Barbara a vécu à Saint-Marcellin, dans des conditions difficiles puisqu’elle et sa famille y étaient réfugiées afin d’échapper aux atrocités nazies et aux dénonciations.

Depuis 2019, la ville l’honore d’un Festival à son nom, Festival consacré à la chanson française et/ou francophone. Et depuis 2019, chaque édition de ce Festival est motif à ressortir LA chanson de Barbara dont il est évident qu’elle concerne Saint-Marcellin. Elle-même, d’ailleurs, a raconté qu’elle s’était arrêtée dans cette ville, de retour d’un concert dans le midi, afin de rechercher les traces de son enfance.

« Mon enfance », tel est le titre de cette chanson. Elle en a écrit les paroles. C’est, pour le moins, une chanson un peu triste. Elle y raconte qu’elle retrouve le coteau, l’arbre, la maison fleurie, les dahlias fauves dans l’allée, le puits … et les cris d’enfants en compagnie de Jean (frère ainé né en 1928), Régine, (sœur née en 1938) et Claude (frère né en 1942). Reste, dans l’énumération des enfants, un autre Jean. Qui est-il ?

Tout lui revient de ces années perdues de ses treize-quinze ans, les jeux et les noix fraîches de septembre, mais aussi le souvenir douloureux de sa mère Esther, qui vient de décéder alors qu’elle écrit cette chanson. Esther est décédée en 1967, la chanson date de 1968. La conclusion est mélancolique, qui affirme qu’il ne faut jamais revenir au temps caché des souvenirs, là où son passé la crucifie.

Barbara, 1965

Il est une autre chanson qui parle également de Saint-Marcellin, chanson dont elle n’est pas la seule auteure des paroles, paroles qu’elle a très certainement inspirées. Il s’agit de « Il me revient », dont le texte a été écrit en collaboration avec Frédéric Botton, en 1996.

Il me revient en mémoire
Il me revient en mémoire
Il me revient des images
Un village, mon village
Il me revient en mémoire
Je sais pas comme un songe cette histoire
Et voilà qu’au loin s’avance
Mon enfance, mon enfance
C’était, je crois, un Dimanche
C’était, je crois, en Novembre

Qu’importe, mais je revois l’usine
Oui, l’usine se dessine
Surgit du livre d’images
Un ciel gris d’acier, une angoisse
Et des pas lourds qui se traînent
Et les ombres qui s’avancent
C’était, j’en suis sûre, un Dimanche
C’était, j’en suis sûre, en Novembre

Et se détache une image
Un visage, ton visage
Où allais-tu sur cette route
Comme une armée en déroute
Et tout devient transparence
Et tu deviens une absence
Tout me revient en mémoire
Le ciel et Novembre et l’histoire
Et les pas qui se rapprochent
Et s’avancent en cadence
Toi, où es-tu, je te cherche
Où es-tu, je te cherche
Toi, mon passé, ma mémoire
Toi, ressorti de l’histoire
Qui était, j’en suis sûre un Dimanche
En Novembre

Ton visage
Toi, sur cette route
Figé
Et les ombres qui se rapprochent
Et les ombres qui te frappent
Et t’emportent
Il me revient des images
Ce village, ton visage
Toi, seul sur cette route
Et les pas qui s’approchent
En cadence, en cadence

En cadence (en cadence…)
En cadence (en cadence…)

L’histoire est simple: il s’agit de l’arrestation d’un résistant ou sympathisant de la Résistance par des miliciens, plus probablement que par l’armée allemande. Le lieu est signifié, l’usine se dessine, donc à proximité de la Laiterie Brun et de la Fabrique d’Appareillages Electriques de la CGE. La date est celle de novembre, donc exclusivement novembre 1943 ou novembre 1944, les seuls novembre pendant lesquels Barbara vivait à Saint-Marcellin. Or, Saint-Marcellin ayant été libérée en août 1944, il ne peut s’agir que de novembre 1943.

Pour mémoire, le 29 novembre 1943, à Saint-Marcellin, le Docteur Victor Carrier est sommairement exécuté par la Milice, dans le contexte de ce qui a été désigné comme la « Saint-Barthélémy grenobloise ». Il était, avec son ami le Docteur Valois, le créateur du Secteur 3 de l’armée secrète de l’Isère et du Bataillon de Chambaran. (1)

1 – https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article183667

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Neuvième chapitre: Françoise Sagan et Barbara

PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE ET DE L’ADOLESCENCE DE FRANÇOISE SAGAN A SAINT-MARCELLIN

Ce qui est une évidence pour certains, ne l’est pas pour d’autres ! Entre 1940 et 1945, la ville de Saint-Marcellin a accueilli deux familles dont les filles sont devenues célèbres. La famille Quoirez, ce qui nous a permis de parler longuement de Françoise Sagan, et la famille SERF, dont est issue la chanteuse BARBARA.

Françoise Sagan est arrivée à Saint-Marcellin à l’été 1940. Elle y a passé toutes ses vacances et nombre de congés de fin de semaine. Elle a quitté cette ville en octobre 1945, mais y est souvent revenue, en 1946 lors du mariage de sa sœur, en 1949 lorsqu’elle était interne à Grenoble ou Villard-de-Lans, plus tard encore afin de rejoindre ses amis et faire étape sur la route du midi.

Vers 1939 – Françoise Sagan – Collection privée -Tous droits réservés

Monique Serf, Barbara, née le 9 juin 1930, est arrivée à Saint-Marcellin en juin 1943. Elle a quitté la ville en octobre 1945. C’est alors que se posent deux questions. La première: Françoise Sagan et Barbara se sont-elles rencontrées à Saint-Marcellin? Et la seconde: pourquoi la ville de Saint-Marcellin et ses habitants accordent-t-ils une reconnaissance à Barbara qu’ils n’accordent pas à Françoise Sagan ?

Afin de répondre à la première question, précisons qu’en 1943, quand arrive Barbara, elle a treize ans, tandis que Françoise Sagan n’a que huit ans. L’une est une pré-adolescente, l’autre n’est encore qu’une fillette. Le temps pendant lequel elles vivront à proximité l’une de l’autre se limite à deux années et trois mois, uniquement pendant les vacances, petites ou grandes. L’une est juive, elle et sa famille, réfugiée, doivent redoubler de prudence, d’autant que les évènements brutaux se profilent. Elle est scolarisée en établissement public à Saint-Marcellin. L’autre est catholique et sa famille veille à ne placer ses enfants que dans des écoles privées et catholiques. L’une ne vit, économiquement et socialement, qu’avec d’infinies précautions, tandis que l’autre vit dans une famille d’industriels qui ont les moyens de leur autonomie, quand bien même les temps de guerre rendraient cette autonomie plus fragile.

Il est largement improbable qu’une vraie rencontre ait pu se produire. Peut-être se sont-elles croisées, entre La Fusilière et le quartier du Mollard, près du logement de la famille Serf, ou sur la Place d’Armes, dans un commerce … et encore … ce ne pouvait qu’être simplement le hasard, un moment fortuit … Elles racontent qu’elles ne se sont connues qu’après leur accès à la célébrité et c’est alors qu’elles ont découvert qu’une partie de leur enfance s’était déroulée dans la même petite ville du Dauphiné.

1946 – Françoise Sagan à Cajarc – Collection privée – Droits réservés

La réponse à la seconde question est beaucoup plus difficile et plus délicate. En 1945, quand l’une et l’autre quittent Saint-Marcellin, il n’est personne qui fasse attention à leur départ et formule des hypothèses sur leur avenir. Barbara est bien allée chanter une fois ou deux dans les salons d’un hôtel local et Françoise Sagan était bien une cliente assidue de la librairie locale, ce n’est pas pour cela que l’on devinait en elles une future chanteuse et une future auteure. La guerre était finie et chacun repartait chez soi.

La première à connaître la célébrité fut Françoise Sagan, lors de la publication de « Bonjour tristesse », sorti en mars 1954, soit quatorze ans après son arrivée à Saint-Marcellin et neuf après son départ. « Bonjour tristesse » fut un véritable scandale. Comment une jeune fille mineure peut-elle faire l’amour avec un garçon, en être heureuse et ne pas subir le châtiment de la grossesse ? Comment une jeune fille de dix-huit ans peut-elle écrire des horreurs pareilles et oser les présenter à un éditeur ? Rappelons-nous que l’âge légal de la majorité était celui de 21 ans, que les femmes françaises ne disposaient du droit de vote que depuis le 21 avril 1944. Et souvenons-nous qu’elles ne pourront acquérir leur indépendance économique, disposer d’un compte bancaire qu’en 1965. Quant à leur autonomie sentimentale, il faudra encore attendre …

Un autre aspect de la vie de Françoise Sagan a compté également dans cette méfiance: c’était la « fille du patron de la Cégé », la plus grande entreprise de la région, et ce que les habitants de Saint-Marcellin savaient d’elle se résumait à un caractère bien trempé, un esprit libre et aventurier, des sorties à cheval et des visites au château de La Sône, bref, une vie de fille un peu gâtée par son milieu social. Mauriac venait de la qualifier de « charmant petit monstre », certains n’étaient pas loin de penser que c’était un monstre, tout court.

Barbara, pour sa part, a connu le succès entre 1958 et 1960. Ce que l’on savait alors de sa vie a constitué autant d’éléments en sa faveur et elle a été acceptée bien plus rapidement.

Michel Jarrié (†), un passionné de culture, de lecture, de cinéma, de peinture, de photographie, arrivé à Saint-Marcellin en 1958, n’a pas connu Françoise Sagan. Il l’a cependant bien aimée et cela l’autorise à faire ce reproche à ses concitoyens: « Si je vous disais que ce pays, par pudibonderie, n’a jamais honoré sa mémoire contrairement à Barbara qui passa également une partie de sa jeunesse dans les mêmes lieux ! » Tout est résumé là … Ce qui est certain, c’est qu’à l’issue de l’épreuve de la guerre, toutes deux gagneront un grand désir de vivre et une soif d’indépendance.

Afin de conclure cette « histoire », laissons la parole à Françoise Sagan elle-même. Dans « Chroniques 1954-2003 », elle raconte sa passion pour le cheval. Mais elle raconte également le Dauphiné, Saint-Marcellin, La Fusilière, son cheval Poulou, son enfance … Elle était alors une petite fille un peu survoltée, toujours en mouvement, parfois autoritaire et surtout sensible à l’amitié des garçons et à leur compagnie (témoignage).

 » Et moi aussi, cette passion me vient de loin. Quand j’avais huit ans, nous habitions, l’été, en famille, une maison perdue, à la campagne. Mon père y ramena un jour un cheval, qu’il venait d’arracher à la boucherie, sans doute, qui s’appelait Poulou et que j’aimai aussitôt passionnément. Poulou était vieux, grand et blond. Il était aussi maigre et fainéant. Je le menais par le licol, sans selle ni mors, et nous nous promenions dans les prés des jours entiers. Pour l’enfourcher, vu sa taille et la mienne – je devais, en plus, peser vingt-cinq kilos , j’avais mis au point une technique qui consistait à m’asseoir sur ses oreilles pendant qu’il broutait – et il ne faisait que ça – et à m’agiter jusqu’au moment où, excédé, il relevait le cou et me faisait glisser tout au long, jusqu’à son dos, où je me retrouvais assise dans le mauvais sens. Une fois perchée, je me retournais, je prenais le licol, je lui donnais des coups de talon et poussais des cris de paon jusqu’à ce que, par gentillesse, il partît dans la direction qui lui plaisait. Nous en avons parcouru des kilomètres dans le Dauphiné, Poulou et moi, baguenaudant, errant – parfois trottant quand il voyait un champ de trèfle qui lui plaisait ou un ruisseau. Il était, autant que moi, insensible au soleil. Tête nue, nous montions et descendions les collines, traversions des prés, en biais, interminablement. Et puis des bois. Des bois qui avaient une odeur d’acacia et où il écrasait des champignons de ses gros fers, cliquetant sur les cailloux. A la fin du jour, souvent, je n’avais plus de force. Le soir baissait. L’herbe prenait une couleur gris fer, inquiétante, qui le faisait galoper tout à coup vers son fourrage, vers la maison, à l’abri. Il galopait et, penchée à l’avant, je sentais son rythme dans mes jambes, dans mon dos. J’étais au comble de l’enfance, du bonheur, de l’exultation. Je revois la maison au bout du chemin, la grille au bout, le peuplier ondoyant à gauche. Je sens les odeurs de là-bas, je revois la lumière du soir. Arrivée, je me laissais glisser de côté, je tapotais la tête de Poulou avec la condescendance, l’assurance, que me donnait la terre ferme sous mon pied, je le menais dans sa remise ; et là, tout affligée, je le laissais devant son fameux fourrage, plus attentif à son menu qu’à mes baisers. »

REMERCIEMENTS

  • Mention très spéciale à Denis Westhoff, le fils de Françoise Sagan, et à son Association Françoise Sagan – https://www.francoisesagan.fr/
  • Mention très spéciale à Cécile Defforey, la fille de Suzanne, sœur aînée de Françoise, et donc sa nièce
  • R.E.M.P.A.R.T., Groupe Patrimonial de Saint-Marcellin, dont Henri Inard (†), Denise Hebert, Marina Bertrand, Maurice Hendboëg et Marc Ellenberger, archiviste honoraire et remarquable initiateur en matière de recherches généalogiques dans les Archives Départementales
  • Mairie de Saint-Marcellin, service état-civil et service technique
  • Archives Départementales de l’Isère, de la Drôme, du Lot, du Nord, du Pas-de-Calais, de Paris, …
  • Gilles Meeus, association « Si Pont m’était conté … »
  • Michel Jolland, association « Saint-Vérand hier et aujourd’hui »
  • Gérard Micoud, Gérard Rousseau, Amicale des Anciens d’Arnoud, AAA
  • Jean Petinot, ancien directeur de Legrand, ex FAE
  • Clotilde Vermont, propriétaire du Château de La Sône
  • Jean-Luc Graven, association « Ensemble pour l’Hors du Temps »
  • Jean-Michel Revol, ancien maire de Saint-Marcellin
  • Dominique Odoit, préfacier de « Souvenirs d’un chattois », mémoires de son père
  • Daniel Benacchio
  • Patrick Morel, fils de Charles Morel et frère de Bruno Morel
  • Bernard Giroud, historiographe, pour ses contributions relatives à la FAE et aux Ets Morel dans « Fabriques », ouvrage réalisé par l’AISG
  • Jacques-André Clerc, de l’historique famille des Clerc …
  • Gérard Ducoeur, président de la SHAAP
  • Jean Sorrel (†), auteur de l' »Histoire de Saint-Marcellin » en deux volumes
  • Ville d’Argenteuil, Services Archives
  • Ecoles Polytechniques de Lausanne et de Zurich
  • Mairie de Cajarc, Service état-civil
  • Liliane Austruy, fille de Ferdinand Brun, ancien maire de Saint-Marcellin
  • Charlotte Carra
  • Michel Jarrié (†)
  • Madame Dachis-Chapoutier
  • Henri Perret
  • Madame Da Fonseca et Monsieur Amblard
  • Docteur Jean-Jacques Mathieu
  • Michel Laurent
  • Ville de Villard-de-Lans (38), Service Archives Etat-Civil
  • Maison du Patrimoine de Villard-de-Lans
  • Ville de Lagnieu (01), Service Archives Etat-Civil
  • Mr Malbos
  • ainsi qu’à toutes celles et tous ceux que j’ai pu oublier …

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