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Quartier Saint-Laurent-Saint-Marcellin

Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin -II

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

II – Absinthe ou thé au mandarin ?

Le recensement de 1841 (Archives Municipales 1F1) relève l’existence d’un Etienne Dutruc, domicilié dans la Grande-Rue. Il est avoué de profession, son épouse Eugénie Boissieux, sa fille Céline, deux clercs, Hypolite Bourdillon et Francisque Francon, ainsi que deux domestiques, Victor Perret et Louise Martin vivent sous son toit. Etienne Dutruc est né à Tullins, le 15 février 1793, où son père exerçe le métier d’huissier public, mais la famille est originaire de Saint-Chef et Viriville. Par ailleurs, les cartes Cassini et d’Etat-Major signalent une propriété Dutruc aux environs des Ouillères, à l’emplacement possible de l’actuelle gendarmerie. Les recensements ultérieurs, de 1846 à 1861, ne signalent plus aucun Dutruc dans la Grande-Rue. Sauf que le plan d’alignement des voiries établi en 1848, indique un Dutruc propriétaire d’un logement rue des Remparts. Le nom de Dutruc est donc déjà présent à Saint-Marcellin, mais ce n’est pas d’eux dont nous allons parler.

En 1828, Joseph Dutruc, épicier en gros, crée au Grand-Lemps une distillerie qui devient rapidement une entreprise novatrice gérée par une dynastie qui éprouve le besoin de s’étendre. Les bâtiments existent encore, transformés en espace culturel. Après son décès en 1851, l’entreprise revient à son fils Auguste qui fonde la « Société Auguste Dutruc fils et Cie« . Il est marié avec Joséphine Dutruc, née en 1812, d’une autre lignée puisque son père est Claude André Dutruc (1783-1858) et sa mère Eugénie Euphrosine Micoud. Le frère de Joséphine, Lucien Romain, travaille dans l’entreprise depuis de longues années. En 1863, Auguste Dutruc décède, il n’est âgé que de 55 ans, et c’est Joséphine Dutruc, sa veuve, qui prend le relais et assoie le succès de l’entreprise sur le commerce de l’absinthe. Mais Lucien Romain s’en éloigne et vient à Saint-Marcellin où il crée la distillerie Romain Dutruc, place Lacombe-Maloc. Il est assez aisé de confirmer cette date. En effet, il se marie le 14 mars 1861, à Renage, avec Julie Victoire Chapel/Chappel, mariage qui donnera deux garçons : Pierre André Jules, né le 14 avril 1862 au Grand Lemps, et Romain Marius, né le 6 avril 1864 à Saint-Marcellin.

Ainsi que nous l’avons déjà vu à, l’occasion de la vente manquée des locaux de l’hôtel du Palais Royal à la gendarmerie en 1863, la distillerie Romain Dutruc est bien née entre 1862 et 1864, tout d’abord avec la complicité d’un associé, Marius Grillat, qui laissera sa place après quelques années.

Facture Dutruc et Grillat de 1867

Romain Dutruc dispose d’un bon relais publicitaire, puisque l’on retrouve sa marque et ses productions dès 1867 (Le Journal de Montélimar, 16 novembre 1876), 1878 (Le Journal de Tournon, 24 février 1878), 1882 (Le Journal de Montélimar, 14 janvier 1882), 1891 dans « La France Chevaline » (!), avec la liste suivante des productions de Romain Dutruc et Fils : « Spécialité d’Absinthe, Ratafia de cerises, Thé au Mandarin, China-china, Peppermint, … », dans « Le Panthéon de l’Industrie » du 22 avril 1888, sous la forme d’un bel article sous deux colonnes reprenant les fabrications de la distillerie, vantant leurs qualités et affirmant que la distillerie Romain Dutruc serait installée à Saint-Marcellin depuis 1852. Affirmation contestable car, à ce jour et comme on l’a déjà vu, les recensements de 1851, 1856 et 1861 ne permettent pas de mettre en évidence un Dutruc parmi les citoyens saint-marcellinois. D’autres références à l’activité de la distillerie se trouvent encore dans la « Revue des Vins et Liqueurs » en 1895 et 1899, puis dans « Le Caviste » en 1907, …

Outre son engagement patronal, il s’engage dans la vie publique de Saint-Marcellin au point d’être nommé Officier d’Académie par décret du 24 décembre 1892, ce qui honore son action de conseiller municipal, de membre du bureau d’administration du collège depuis 19 ans et de délégué cantonal depuis 15 ans (JO du 30 juillet 1892). Né en 1819, Lucien Romain décède à Saint-Marcellin en 1901. Le Conseil Municipal prononce un hommage en son honneur pour ses « plus de trente années de fermeté républicaine et de dévouement à la chose publique ».

Depuis plusieurs années déjà, vers 1887-1888, ses fils ont pris la succession dans la gestion de l’entreprise.

Pierre André, l’aîné, s’est engagé volontaire pour 5 ans, le 5 mars 1883, à Saint-Marcellin, au 4° Régiment de Dragons. Il a 21 ans. Il est nommé brigadier en septembre, brigadier-fourrier en octobre, maréchal des logis en mai 1885. Il est mis en congé le 20 septembre 1887 et définitivement libéré de ses obligations militaires le 1er octobre 1908.

Romain Marius est initialement dispensé du service (Art 17) en raison de la présence de son frère sous les drapeaux, il est ensuite réformé le 8 avril 1891 pour chevauchement d’orteils. Ce qui ne l’empêche pas de faire une « période » de trois semaines, en avril 1888, dans le 3° de Ligne.

Etiquette du Thé au mandarin

Etiquette du Quinquina Romain Dutruc, à Saint-Marcellin

Grace aux divers recensements, la vie de la distillerie est aisée à comprendre. C’est ainsi que le recensement de 1896 (Archives Municipales 1F12) note que vivent plusieurs ménages dans la même maison sur la place Lacombe-Maloc : Pierre André Dutruc, 34 ans, distillateur, Marie-Joséphine Thomas, 26 ans, son épouse, Denise, une fille de 3 ans et Georges Joseph, un garçon de 37 jours. S’ajoutent une domestique (Marie-Charlotte Achard) et une cuisinière (Marie Massier).

Dans le logement voisin, habitent le frère de Pierre André, Romain Marius Dutruc, 31 ans, distillateur également, Françoise Thomas, 23 ans, son épouse, une domestique (Marie Rodon) et une cuisinière (Marie Sarlet). A coté, c’est un couple d’ouvriers distillateurs ayant une fille de 11 ans, les Debourg. Enfin, vit le couple d’Amédée Dye, négociant, et de Maria Morand, son épouse. Sont-ils les représentants en titre de la Maison Dutruc ?

Dans le cadre de ce recensement de 1896, nous trouvons également les parents Dutruc, domiciliés à quelques pas de là, rue Saint-Laurent : Romain, âgé de 76 ans, Julie Chappel, son épouse, âgée de 69 ans, une fille, Marguerite, 20 ans et un domestique. Autre confirmation que nous permet ce recensement : les deux frères Dutruc, Pierre André et Romain Marius, ont épousé deux sœurs ; Marie-Joséphine et Françoise Thomas.

En 1901 (Archives Municipales 1F13), la place Lacombe-Maloc abrite la famille de Pierre André ; les enfants ont grandi et la femme de chambre et la cuisinière ne sont plus les mêmes. Du coté de Romain Marius, tout a évolué aussi puisque le couple a désormais une fille de 4 ans, Odette, et une autre fille de 9 mois, Madeleine. En 1906 (Archives Municipales 1F14), le recensement ressemble fortement au précédent, mis à part que les deux frères sont devenus liquoristes et non distillateurs !

En 1911 (Archives Municipales 1F21), il n’y a plus de Dutruc sur la Place Lacombe-Maloc, mais un limonadier ; Louis Picot, qui sera présent jusqu’en 1926. Par contre, sur la liste électorale, existe encore Pierre André ; il a 49 ans.

Fondée entre 1862 et 1864, la distillerie Dutruc s’est éteinte entre fin 1908 et 1911, soit une existence de 45 à 47 ans. Quelles en sont les raisons ? Il en reste deux initiales, « RD », sur la porte d’entrée de ce qui fut la distillerie Romain Dutruc.

Portail des anciennes distilleries Romain Dutruc (DR)

A suivre !