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Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin -II

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

II – Absinthe ou thé au mandarin ?

Le recensement de 1841 (Archives Municipales 1F1) relève l’existence d’un Etienne Dutruc, domicilié dans la Grande-Rue. Il est avoué de profession, son épouse Eugénie Boissieux, sa fille Céline, deux clercs, Hypolite Bourdillon et Francisque Francon, ainsi que deux domestiques, Victor Perret et Louise Martin vivent sous son toit. Etienne Dutruc est né à Tullins, le 15 février 1793, où son père exerçe le métier d’huissier public, mais la famille est originaire de Saint-Chef et Viriville. Par ailleurs, les cartes Cassini et d’Etat-Major signalent une propriété Dutruc aux environs des Ouillères, à l’emplacement possible de l’actuelle gendarmerie. Les recensements ultérieurs, de 1846 à 1861, ne signalent plus aucun Dutruc dans la Grande-Rue. Sauf que le plan d’alignement des voiries établi en 1848, indique un Dutruc propriétaire d’un logement rue des Remparts. Le nom de Dutruc est donc déjà présent à Saint-Marcellin, mais ce n’est pas d’eux dont nous allons parler.

En 1828, Joseph Dutruc, épicier en gros, crée au Grand-Lemps une distillerie qui devient rapidement une entreprise novatrice gérée par une dynastie qui éprouve le besoin de s’étendre. Les bâtiments existent encore, transformés en espace culturel. Après son décès en 1851, l’entreprise revient à son fils Auguste qui fonde la « Société Auguste Dutruc fils et Cie« . Il est marié avec Joséphine Dutruc, née en 1812, d’une autre lignée puisque son père est Claude André Dutruc (1783-1858) et sa mère Eugénie Euphrosine Micoud. Le frère de Joséphine, Lucien Romain, travaille dans l’entreprise depuis de longues années. En 1863, Auguste Dutruc décède, il n’est âgé que de 55 ans, et c’est Joséphine Dutruc, sa veuve, qui prend le relais et assoie le succès de l’entreprise sur le commerce de l’absinthe. Mais Lucien Romain s’en éloigne et vient à Saint-Marcellin où il crée la distillerie Romain Dutruc, place Lacombe-Maloc. Il est assez aisé de confirmer cette date. En effet, il se marie le 14 mars 1861, à Renage, avec Julie Victoire Chapel/Chappel, mariage qui donnera deux garçons : Pierre André Jules, né le 14 avril 1862 au Grand Lemps, et Romain Marius, né le 6 avril 1864 à Saint-Marcellin.

Ainsi que nous l’avons déjà vu à, l’occasion de la vente manquée des locaux de l’hôtel du Palais Royal à la gendarmerie en 1863, la distillerie Romain Dutruc est bien née entre 1862 et 1864, tout d’abord avec la complicité d’un associé, Marius Grillat, qui laissera sa place après quelques années.

Facture Dutruc et Grillat de 1867

Romain Dutruc dispose d’un bon relais publicitaire, puisque l’on retrouve sa marque et ses productions dès 1867 (Le Journal de Montélimar, 16 novembre 1876), 1878 (Le Journal de Tournon, 24 février 1878), 1882 (Le Journal de Montélimar, 14 janvier 1882), 1891 dans « La France Chevaline » (!), avec la liste suivante des productions de Romain Dutruc et Fils : « Spécialité d’Absinthe, Ratafia de cerises, Thé au Mandarin, China-china, Peppermint, … », dans « Le Panthéon de l’Industrie » du 22 avril 1888, sous la forme d’un bel article sous deux colonnes reprenant les fabrications de la distillerie, vantant leurs qualités et affirmant que la distillerie Romain Dutruc serait installée à Saint-Marcellin depuis 1852. Affirmation contestable car, à ce jour et comme on l’a déjà vu, les recensements de 1851, 1856 et 1861 ne permettent pas de mettre en évidence un Dutruc parmi les citoyens saint-marcellinois. D’autres références à l’activité de la distillerie se trouvent encore dans la « Revue des Vins et Liqueurs » en 1895 et 1899, puis dans « Le Caviste » en 1907, …

Outre son engagement patronal, il s’engage dans la vie publique de Saint-Marcellin au point d’être nommé Officier d’Académie par décret du 24 décembre 1892, ce qui honore son action de conseiller municipal, de membre du bureau d’administration du collège depuis 19 ans et de délégué cantonal depuis 15 ans (JO du 30 juillet 1892). Né en 1819, Lucien Romain décède à Saint-Marcellin en 1901. Le Conseil Municipal prononce un hommage en son honneur pour ses « plus de trente années de fermeté républicaine et de dévouement à la chose publique ».

Depuis plusieurs années déjà, vers 1887-1888, ses fils ont pris la succession dans la gestion de l’entreprise.

Pierre André, l’aîné, s’est engagé volontaire pour 5 ans, le 5 mars 1883, à Saint-Marcellin, au 4° Régiment de Dragons. Il a 21 ans. Il est nommé brigadier en septembre, brigadier-fourrier en octobre, maréchal des logis en mai 1885. Il est mis en congé le 20 septembre 1887 et définitivement libéré de ses obligations militaires le 1er octobre 1908.

Romain Marius est initialement dispensé du service (Art 17) en raison de la présence de son frère sous les drapeaux, il est ensuite réformé le 8 avril 1891 pour chevauchement d’orteils. Ce qui ne l’empêche pas de faire une « période » de trois semaines, en avril 1888, dans le 3° de Ligne.

Etiquette du Thé au mandarin

Etiquette du Quinquina Romain Dutruc, à Saint-Marcellin

Grace aux divers recensements, la vie de la distillerie est aisée à comprendre. C’est ainsi que le recensement de 1896 (Archives Municipales 1F12) note que vivent plusieurs ménages dans la même maison sur la place Lacombe-Maloc : Pierre André Dutruc, 34 ans, distillateur, Marie-Joséphine Thomas, 26 ans, son épouse, Denise, une fille de 3 ans et Georges Joseph, un garçon de 37 jours. S’ajoutent une domestique (Marie-Charlotte Achard) et une cuisinière (Marie Massier).

Dans le logement voisin, habitent le frère de Pierre André, Romain Marius Dutruc, 31 ans, distillateur également, Françoise Thomas, 23 ans, son épouse, une domestique (Marie Rodon) et une cuisinière (Marie Sarlet). A coté, c’est un couple d’ouvriers distillateurs ayant une fille de 11 ans, les Debourg. Enfin, vit le couple d’Amédée Dye, négociant, et de Maria Morand, son épouse. Sont-ils les représentants en titre de la Maison Dutruc ?

Dans le cadre de ce recensement de 1896, nous trouvons également les parents Dutruc, domiciliés à quelques pas de là, rue Saint-Laurent : Romain, âgé de 76 ans, Julie Chappel, son épouse, âgée de 69 ans, une fille, Marguerite, 20 ans et un domestique. Autre confirmation que nous permet ce recensement : les deux frères Dutruc, Pierre André et Romain Marius, ont épousé deux sœurs ; Marie-Joséphine et Françoise Thomas.

En 1901 (Archives Municipales 1F13), la place Lacombe-Maloc abrite la famille de Pierre André ; les enfants ont grandi et la femme de chambre et la cuisinière ne sont plus les mêmes. Du coté de Romain Marius, tout a évolué aussi puisque le couple a désormais une fille de 4 ans, Odette, et une autre fille de 9 mois, Madeleine. En 1906 (Archives Municipales 1F14), le recensement ressemble fortement au précédent, mis à part que les deux frères sont devenus liquoristes et non distillateurs !

En 1911 (Archives Municipales 1F21), il n’y a plus de Dutruc sur la Place Lacombe-Maloc, mais un limonadier ; Louis Picot, qui sera présent jusqu’en 1926. Par contre, sur la liste électorale, existe encore Pierre André ; il a 49 ans.

Fondée entre 1862 et 1864, la distillerie Dutruc s’est éteinte entre fin 1908 et 1911, soit une existence de 45 à 47 ans. Quelles en sont les raisons ? Il en reste deux initiales, « RD », sur la porte d’entrée de ce qui fut la distillerie Romain Dutruc.

Portail des anciennes distilleries Romain Dutruc (DR)

A suivre !


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Le Faubourg Saint-Laurent, à Saint-Marcellin – I

CROZEL, DUTRUC, GUTTIN, THOME, … ou le gîte et le couvert.

Saint-Marcellin a deux faubourgs. Le Faubourg de Vinay est situé au nord-est de la ville lorsque l’on arrive de Grenoble. Le Faubourg de Romans est situé au sud-ouest de la ville lorsqu’on la quitte pour Valence. Il est également dénommé Faubourg Saint-Laurent, en référence à une chapelle dédiée au saint éponyme, chapelle dont il n’existe guère de traces historiques, cadastrales ou ruiniformes.

Ces deux faubourgs n’ont pas la même histoire, ni démographique, ni économique. Le plus ancien plan de Saint-Marcellin, le plan Peyret, réalisé en février 1746 par l’arpenteur royal des eaux et forêts, soit environ deux générations avant la Révolution française, ne représente pas ces deux faubourgs. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’existent pas, seulement un seul d’entre eux est cité, « Le fauxbourg », et il s’agit du faubourg Vinay. A l’opposé, au-delà de la Porte de Romans, la route de Romans est suggérée avec, coté ouest « La Blache », propriété du comte du même nom, et coté est, un bâtiment non désigné.

Plan Peyret (détail) – 1746

L’objet de cet article étant, entre autres, de traiter de l’hôtellerie dans ce faubourg de Saint-Marcellin, signalons qu’en 1768, le hôtels étaient, dans la ville, au nombre de quatre, connus sous les noms suivants : « Hôtel du Petit Paris », « Hôtel du Faucon », « Hôtel du Chapeau-Rouge », « Hôtel de l’Hermite », outre cinq cabarets et deux ou trois tavernes, selon Reymond Bonnat, auteur d’une « Histoire de Saint-Marcellin, depuis les origines jusqu’à 1800 », ouvrage publié en 1888.

I – Hôtel du Palais Royal du sieur Crozel

En première partie du XVIII° siècle, une famille s’installe à Saint-Marcellin et à Chatte : les Crozel. L’ancêtre en est Marc Crozel, originaire du viennois où il possède des terres, né en 1694, marié en 1721 à Saint-Marcellin avec Jeanne Joannais. L’un des enfants qui naît en 1738, Joseph, épouse à Saint-Nazaire-en-Royans Françoise Chalvet. Celle-ci aura une identité fluctuante au cours des années. Née Charvet, en 1739, elle sera Chalvet, domiciliée à La Plaine de Saint-Marcellin, en 1820, lors de son décès. Il en sera d’ailleurs de même pour le nom de Crozel qui sera parfois formulé comme Crozet. Tous deux, Joseph et Françoise, décèdent en 1824 et 1820 après avoir donné naissance à Joseph (Melchior) Aimé en 1768, Anne Appolinie en 1774, Jean Romain en 1775, Marc Louis en 1777 et Marc Laurent en 1781.

Que peut-on dire de chacun ?

– Joseph (Melchior) Aimé, né en 1768 à Chatte, épouse Suzanne Chevallier en 1792. Il meurt en 1853. Son acte de décès le qualifie de rentier et précise que son domicile se trouve à la Porte de Romans, à Saint-Marcellin.

– Anne Appolinie, surnommée Pauline, née en 1774, décède à 98 ans en 1872, à Saint-Marcellin. Elle est alors qualifiée de rentière, célibataire et domiciliée place Lacombe-Maloc à Saint-Marcellin. Célibataire, sans doute, elle a une fille prénommée Marie, née le 20 juin 1799, dont la naissance n’est déclarée que le 25 avril 1802, soit presque 3 années plus tard, qui porte son nom de Crozel et qu’elle adopte, probablement pour des raisons de succession, par un acte du 9 janvier 1836, transcris à Saint-Marcellin le 13 avril 1836. Marie a 37 ans !

– Jean Romain, né en 1775 à Chatte, épouse Anne Elisabeth Robert dont il a deux enfants jumeaux ; Anne Julie et Jean Romain (fils), nés en 1803. Devenu veuf, il épouse en secondes noces Louise Chevallier. Désigné comme « fermier du Domaine de Manne, à Saint-Just-de-Claix » lors de son mariage, il est qualifié de rentier, domicilié Porte de Chevrières à Saint-Marcellin lors de son décès.

– Marc Louis, né en 1777, toujours à Chatte, épouse à Vourey, en 1809, Joséphine Marie Blandine Suzanne Raymonde Martinon la Batie. Le couple devient « fermier des héritiers Béranger au Molard » à Saint-Marcellin. Il a trois enfants ; Louis Joseph, né en 1810, propriétaire rentier à son décès, domicilié Porte de Romans à Saint-Marcellin, Joseph, né en 1812 et clerc d’avoué, et François, né en 1815. L’aîné des trois, Louis Joseph, épousera sa cousine Adèle, la fille de Marc Laurent.

– Marc Laurent, enfin, né en 1781. Il se marie avec Sophie Bruyas dont il a une fille, Adèle, née en 1815 à Vienne. C’est elle qui épouse son cousin Louis Joseph, le fils de Marc Louis. Adèle meurt en 1880, qualifiée sur l’acte de décès de « rentière, domiciliée Grande-Rue » à Saint-Marcellin.

Les Crozel se font plus rares lors d’une cinquième génération. Le mariage de Louis Joseph, fils de Marc Louis, et d’Adèle, ( la fille de Marc Laurent ), donne naissance à Marc Louis Joseph, Grande Rue à Saint-Marcellin, en 1837 et à Marie Louise en 1842. Malheureusement Marie-Louise décède à 17 ans, en 1858, Porte de Romans à Saint-Marcellin.

Marc Louis Joseph, épouse en 1861 Jenny Cuchet, native de Saint-Antoine. Le couple a trois enfants : Francisque, né en 1862, marié à Joséphine Reboud, tous deux parents de Anne-Marie Crozel, née en 1897, Romain, né en 1864, devenu chanoine, directeur du Petit Séminaire de Saint-Antoine et bien connu à La Galicière, filature de soie à Chatte, et Marie, née en 1875, restée sans postérité.

Cette généalogie met en évidence le fait qu’une lignée « Crozel » a fréquemment été citée comme résidant dans le quartier de la place Lacombe-Maloc, du faubourg ou de la Porte de Romans, ainsi qu’en témoignent les actes (naissance, mariage et décès) de 1792, 1811, 1858, 1872 …

Dans le même laps de temps, la cartographie nous précise qu’un hôtel était installé en ce lieu, très exactement à l’angle des voiries actuelles de la rue Saint-Laurent et de la place Lacombe-Maloc. Le Cadastre Napoléonien de 1830 ne nous renseigne pas sur la nature des propriétés, mais il démontre clairement que le Faubourg Saint-Laurent est infiniment moins peuplé et moins construit que le Faubourg de Vinay.

Cadastre Napoléonien -1830

Cadastre Napoléonien (détail) -1830


Le prochain relevé dont nous disposons date de 1834, soit 88 ans après le plan Peyret. Il concerne un projet d’alignement de la Grande Rue afin de lui donner une largeur à peu près constante sur toute sa longueur et faire en sorte qu’elle soit plus rectiligne. Cette carte signale un « Hôtel du Palais Royal » à l’angle d’une « place publique » extérieure au rempart et d’une rue Saint-Laurent, coté sud-est, hôtel dont le propriétaire est le Sieur Crozel.
De l’autre coté de la rue Saint-Laurent, la carte mentionne la propriété du comte de La Blache, alors qu’il s’agit déjà, depuis 1816, du second couvent des Visitandines.

Treize ans plus tard, en 1847, dans le volumineux « Annuaire Général du Commerce et de l’Industrie », édité par la Librairie de Firmin Didot Frères (1900 pages!), se trouve un descriptif des responsables administratifs, commerciaux et industriels de l’arrondissement de Saint-Marcellin. Au chapitre des hôtels de la ville, sont cités l’« Hôtel du Petit Paris », l’« Hôtel du Palais Royal »,  l’« Hôtel (des) Assurances », l’« Hôtel des  Courriers » et l’« Hôtel du Midi ». Entre 1857 et 1863, l’« Hôtel du Palais Royal » n’apparaît plus dans cet almanach et l’on peut penser, compte tenu des autres citations, qu’il est devenu « Hôtel du Palais National », probable concession au « politiquement correct » ! Cela ne porte pas chance à cet hôtel puisqu’en 1864 et années suivantes, il disparaît de la liste où ne subsistent que l’« Hôtel du Petit Paris », l’« Hôtel des Courriers », l’« Hôtel du Midi » et l’« Hôtel du Nord ». Cette liste hôtelière demeure cependant impressionnante par le nombre d’établissements qu’elle cite.

Les Archives Départementales de l’Isère (Série IV-N-N° 7/29) nous offre la connaissance de la date de vente des bâtiments Crozel afin d’y installer une distillerie au nom des « Messieurs Dutruc« ; il s’agit de septembre-octobre 1863, vente qui met un terme à une éventuelle installation de la gendarmerie dans ces locaux. Il est donc possible d’attester qu’entre 1834 et 1863, un hôtel dénommé « Hôtel du Palais Royal », puis « Hôtel du Palais National » a exercé son activité sur cette place.

Cependant, le recensement de 1896 signale un Emile Couturier, comme maître d’hôtel dans la rue Saint-Laurent, que l’on retrouve en 1901 en tant que restaurateur et en 1906, en tant que … banquier ! Quant au propriétaire des lieux, tout au moins partiellement, il reste bien Crozel ainsi que le stipule le plan établi en 1887.

Plan 1887


Signalons aussi que d’autres Crozel ont eu l’occasion de s’exprimer dans l’hôtellerie en un autre quartier de Saint-Marcellin. Antoine Crozel (sur son acte de mariage), originaire de Marsaz (Drôme), fils légitime de Charles Crozet et de Madeleine Marat, a épousé à Saint-Marcellin Magdeleine Barberoux le 22 février 1773. Cet Antoine Crozet (sur son acte de décès) était aubergiste en la ville de Saint-Marcellin, il y est d’ailleurs décédé le 10 janvier 1813 dans l’auberge du « Petit Paris ». Antoine Crozel(t), « hobergiste », et Magdeleine Barberoux ont eu une fille Magdeleine, née le 2 décembre 1773 à Saint-Marcellin. Celle-ci (Crozel) se marie avec François Thomasset, maître d’hôtel dans la Grande Rue. Elle décède (Crozet) le 24 novembre 1837. Doit-on en conclure que les Crozel-Crozet ont tenu successivement et/ou simultanément les hôtels du « Petit Paris » et du « Palais Royal » ?

A suivre !

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Françoise Sagan et les bulldozers de Bergen-Belsen


Dans « Françoise Sagan, une légende » (Ed. Mercure de France), Jean-Claude Lamy cite un souvenir saint-marcellinois de Françoise, souvenir que nous avons d’ailleurs repris dans notre histoire de l’enfance et de l’adolescence de Françoise Sagan.
La scène se passe au cinéma l’« Eden ». « On jouait « L’Incendie de Chicago » avec Tyrone Power, mais avant le film, il y avait les actualités. En 1946, on montrait les images des camps de concentration : des chasse-neiges repoussant des monceaux de cadavres. C’est mon pire souvenir de guerre. J’ai demandé à ma mère : « C’est vrai ? ». Elle m’a dit : »Oui, hélas ! C’est vrai ! ». De là, date ma phobie totale du racisme. »

Cette affirmation, que l’on trouve chez d’autres biographes, sous différentes versions, interroge beaucoup et pour de multiples raisons.

« L’Incendie de Chicago » est un film du réalisateur américain Henry King, sorti sur les écrans en 1938. Un examen détaillé de la programmation cinématographique à Saint-Marcellin, où existaient deux salles, l’« Eden » et « Le Foyer », nous renseigne sur la date de projection de ce film dans la salle de l’« Eden » : la fin de semaine du 15 juin 1946. Cela correspond à l’affirmation de Françoise Sagan, laquelle précise qu’« en 1946, on montrait les images des camps de concentration ». Que peut bien signifier cette phrase alors que la libération des camps nazis avait eu lieu plus d’un an auparavant : le 27 janvier 1945 à Auschwitz par les Soviétiques, le 11 avril 1945 à Buchenwald par les Américains, le 15 avril 1945 à Bergen-Belsen par les Anglais, le 29 avril à Dachau par les Américains, ainsi de suite, mettant en évidence la « solution finale » telle que l’Allemagne la pratiquait ?

Que savait-on alors de l’élimination de centaines de milliers de personnes dans ces camps de travail, camps de concentration (Dachau, Bergen-Belsen,…), camps d’extermination (Treblinka, Auschwitz, …), qu’il s’agissent de Juifs, de prisonniers de guerre, de « roms », d’handicapés, d‘« asociaux », d’homosexuels, de noirs, … ? Peu de choses en 1945, après la découverte des camps, parce que les pouvoirs et, souvent, les médias n’ont pas eu le courage de dire ce qu’ils savaient ! La presse, en 1945, n’a guère parlé des camps de concentration et, à plus forte raison, des camps d’extermination. Le motif non avoué était qu’il ne fallait pas entraver la libération des peuples et la nécessaire reconstruction.

« Le Monde », créé le 18 décembre 1944, ne parle guère des camps, à l’exception notoire d’un article daté du 23 avril 1945, signé de André Pierre, dans lequel sont reprises les déclarations de Thomas Mann dénonçant, aux USA, l’existence de « camps à Auschwitz et Birkenau, dans lesquels furent massacrés et incinérés en deux ans 1.715.000 juifs …Il ne doit y avoir qu’une haine : la haine envers les misérables qui ont rendu odieux le nom allemand devant Dieu et le monde entier ! ».

« Le Figaro », pour sa part, publie le 1er mai 1945 un article-témoignage où l’on explique « Comment on vivait au camp de Dachau », en résumant la vie des « résistants ou otages emprisonnés là et soumis à des tortures sadiques et individuelles démontrant que le génie allemand a su combiner son goût de l’ordre et sa folie sadique » . Le 5 juin 1945, il est question de « nos frères déportés, revenant de l’enfer, proches de la chambre à gaz et du four crématoire » et les classant tous dans la catégorie des « Résistants ».

Un autre quotidien issu de la Résistance, « Franc-Tireur », publie une suite d’articles les 29, 30 et 31 mai 1945, écrits par Georges Altmann et abordant les « revenants de la Résistance, surgis de Buchenwald, Dachau, Auschwitz, Ravensbruck, Mauthausen, .. ». Il est question, là encore, uniquement de « Résistants » qui, tous, auraient été enlevés et déportés à cause de leur engagement en faveur de la liberté en France, ce qui tend à démontrer « qu’il fallait tout de même que ça existe (cette résistance quasi généralisée) pour qu’il y ait tant de bagnes où venait se conclure la chasse à l’homme ». Ce quotidien publie le 9 juin 1945 un article intitulé « Ces gosses reviennent de l’enfer », en l’occurrence de Mauthausen et de Ravensbruck.

L’« Humanité », pour sa part, aura su parler des camps nazis dès le 24 août 1944, puis le 13 septembre 1944, puis deux articles en décembre 1944, publiant des « témoignages », bien entendu sans images. Et plus rien avant avril 1945.

Les constantes de toutes ces publications sont les suivantes : a)- Il n’est pas fait état de crimes de masse ; les assassinats sont nombreux, très nombreux, mais ils relèvent de la cruauté, du sadisme, de la persécution individuelle. Les chambres à gaz, les fours crématoire, les injections de typhus, s’ils sont évoqués, n’ont pas de caractère collectif. b)- Il n’y a jamais de photos des sites de concentration ou d’extermination tels que les ont découverts les armées soviétique, américaine et anglaise. Les images réalisées parfois le jour même de la libération de ces camps ont, peut-être, été publiées en Angleterre ou aux Etats-Unis, mais pas en France, au cours de l’année 1945. Et les photos publiées s’attardent davantage sur les corps décharnés et misérables des « revenants ». c)- Enfin, les revenants sont généralement regroupés dans la catégorie des « résistants » et servent l’idéologie dominante qui consiste à croire que la France entière était résistante. Jamais, il n’est question des Juifs, des minorités comme les noirs, les gitans, les homosexuels, les handicapés…

Et la télévision ? La première diffusion officielle d’une image télévisée date, en France, du 26 avril 1935. Le 3 septembre 1939, la télévision cesse d’émettre en raison de la déclaration de guerre. De toutes façons, il n’y a pas plus de 300 postes récepteurs sur le territoire. En 1943, les Allemands créent « Fernsehsender Paris », une télévision locale qui sert leur propagande sur Paris et la petite couronne par le biais de récepteurs Telefunkun distribués dans les hôpitaux et foyers militaires. Le 12 août 1944, cette chaîne cesse d’émettre.
La Radio Diffusion Française est créée le 23 mars 1945 et la portée de l’émetteur reste limitée à la région parisienne. Au début des années « cinquante », seuls 3700 téléviseurs sont installés en France. Le premier « Journal Télévisé » est diffusé le 29 juin 1949.

Outre la volonté non déclarée de libérer l’esprit de la nation des drames noués par cette guerre afin de préparer une relève démocratique et économique, il est une raison technique qui explique la non-diffusion des images, notamment par le cinéma.

Françoise Sagan déclare elle-même qu’elle découvre les images des camps dans le cadre des « Actualités Françaises ». De quoi s’agit-il ? Dès avant la guerre, Havas diffusait un journal d’actualités dans les cinémas, en ouverture de chaque séance, journal qui avait un large public. Pendant l’occupation, les Allemands exigent que le titre « France Actualités » leur soit dévolu. Gaumont et Pathé, sous la pression des pouvoirs publics (Pétain), souscrivent chacun 30 % et constituent ainsi la participation française. Les projections de ce journal, en zone occupée, entraînent souvent des manifestations violentes, lesquelles obligent les exploitants de salles à laisser la lumière. En zone libre la Société Nouvelle des Etablissements Gaumont édite avec Pathé un autre journal, le « Pathé Journal Marseille » (ou Journal de Vichy) entre 1940 et 1942. De 1942 à 1944, un seul journal est diffusé sur l’ensemble du territoire : « France Actualités » sous le monopole de diffusion de l’occupant qui en assure le contrôle intégral.

Ce n’est que début 1946 que renaissent les éditions Pathé et Gaumont. En date du 1er janvier 1946, les Archives de Gaumont-Pathé (GP) détiennent une fiche signalétique d’un montage d’une « Gaumont-gazette » intitulée « Rétrospective anglaise sur 1945 » (Ref 1946-2-n°15 NU) : « Rétrospective anglaise sur les principaux évènements de 1945, année qui vit l’effondrement de l’Allemagne nazie, l’entrée des alliés à Berlin, la découverte de l’horreur des camps de déportation. Le ministère Attlee succède au ministère Wiston Churchill. A Nuremberg, s’ouvre le procès des criminels de guerre nazis. Le Japon capitule et ses principaux chefs sont également jugés tandis qu’en France, le gouvernement de Gaulle fait juger et condamner le Mal Pétain à la détention à vie et exécuter Pierre Laval. » Suivent les détails plan par plan. On y lit  notamment: « Camps de déportation : cadavres de déportés en tas (affreux). Déporté squelettique assis, triant vêtements des morts. Cadavres de déportés réduits à l’état de squelettes, étendus à terre, dans camps de Buchenwald – Belsen ».

Ce sont très probablement ces images que Françoise Sagan a découvert le 15 juin 1946 dans les « Actualités », au cinéma l’« Eden » de Saint-Marcellin.

Encore une question. Françoise Sagan parle de chasse-neiges repoussant des monceaux de cadavres. Cette image « affreuse » a causé en 1946, lors de sa diffusion en France, une intense stupéfaction. Lorsque les Anglais sont arrivés au camp de Bergen-Belsen, celui-ci était en état de semi-abandon et des milliers de cadavres en jonchaient le sol. Il est estimé que 37 000 prisonniers sont décédés dans ce camp entre mai 1943 et mai 1945. Face à l’impossibilité humaine de prendre en charge ces corps de façon plus respectueuse, les Anglais décident de creuser des fosses communes et d’y conduire les cadavres à l’aide de bulldozers. Les morts étant principalement décédés de suite du typhus, l’armée a ensuite incendié totalement le camp de Bergen-Belsen, pour des motifs sanitaires. Il n’en reste que quelques photos anglaises, diffusées, en France, environ un an après les faits.

En 1946, Françoise Quoirez, future Sagan, a 11 ans. Ce n’est peut-être pas en 1946 qu’elle sera informée et convaincue de qui étaient les victimes des camps, mais sans doute un peu plus tard. Cependant, elle aura gardé le souvenir de ces images et forgé sa conviction que le racisme, l’antisémitisme, la haine des autres sont intolérables.

The Liberation of Bergen-Belsen Concentration Camp – April 1945

Références :

– Blog Thermopyles – https://thermopyles.info/category/francoise-sagan/

– Archives de Gaumont-Pathé – https://gparchives.com/index.php?html=4

– Actualités sous contrôle allemand, de 1940 à 1942 (28 sujets) et de 1942 à 1944 (20 sujets) – https://enseignants.lumni.fr/collections/620

https://www.lemonde.fr/shoah-les-derniers-temoins-racontent/article/2005/07/18/les-allies-savaient-ils_673523_641295.html

Ont cité cette histoire dans leurs biographies de Françoise Sagan :

– Jean-Claude Lamy – « Françoise Sagan, une légende »

– Sophie Delassein – « Aimez-vous Sagan … »

– Alain Vircondelet – « Sagan, un charmant petit monstre » et « Le Paris de Sagan »

– Geneviève Moll – « Madame Sagan, à tombeau ouvert » et « Françoise Sagan racontée par Geneviève Moll »

– Marie-Dominique Lelièvre – « Sagan à toute allure »

– Pascal Louvrier – « Sagan, un chagrin immobile »

– Bertrand Meyer-Stabley – « Françoise Sagan, le tourbillon d’une vie »

– Françoise Sagan – « Je ne renie rien » et Des bleus à l’âme »

Seules rares différences, parfois ; les dates (1945 au lieu de 1946 ?), le lieu de la séance de cinéma (Paris ?), le film qui suit les « Actualités » (« L’incendie de San-Francisco » ou un « Zorro »).

Le choix de retenir Saint-Marcellin, 1946 et le film de Tyrone Power s’appuie sur des éléments probants relatifs au contexte de l’actualité de la presse, de la télévision et du cinéma au cours de ces années et sur le constat que la quasi totalité des biographes citent ces trois constantes.

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Ephéméride des années de guerre 1939-1946 à Saint-Marcellin et environs

Vingt ans, trente ans, un peu plus, un peu moins, en 1940 et dans les années qui suivent … De quelles informations disposez-vous ? Comment étayer votre jugement, votre prise de position, votre comportement ? Cette question, vous l’êtes-vous déjà posée ? Si j’avais eu vingt ans en 39, qu’est-ce que j’aurai fait ?

Le début de la guerre

Le travail qui vous est proposé par le biais de cet article est original car il consiste à livrer un recueil, au jour le jour, de tous les faits auxquels n’importe quel citoyen de Saint-Marcellin (Isère), ou des environs proches, pouvait théoriquement avoir accès entre 1939 et 1946.

Sont ainsi rassemblés

  • les évènements internationaux, nationaux ou locaux ayant joué un rôle dans l’actualité,
  • les informations fournies par les organes de presse: « Le Journal de Saint-Marcellin« , « Le Cri de la Vallée« , « Le Petit Dauphinois« ,
  • les informations collectées par le « Groupe Rempart« , dont une sélection a été publiée dans le magazine municipal de Saint-Marcellin, « Trait d’Union« , entre décembre 2011 et décembre 2015,
  • les faits et évènements relatés par les ouvrages de référence ayant abordé la période de la Résistance en Isère,
  • les Archives Départementales de l’Isère,
  • les compte-rendus des séances du Conseil Municipal des villes de Saint-Marcellin et de Vinay.

Il manque à ce travail les documents, journaux ou affiches clandestins qui ont pu être diffusés au cours de cette période. De même que sont absents les tracts, consignes, affiches distribués ou affichés par les organes collaborant ouvertement avec les forces d’occupation.

Parmi les spécificités de ce travail, se trouve une série de notes explicatives permettant de mieux comprendre la signification de certains évènements. Cela se traduit par la découverte de quelques précisions concernant des personnages parfois un peu oubliés dans notre histoire locale, entre autres:

  • Wilhelm Münzenberg, militant communiste radicalement opposé à Staline, probablement assassiné dans un bois de la commune de Montagne,
  • Le docteur Léon Dupré, organisateur de la Résistance dans notre région, aux cotés de Victor Carrier et Gaston Valois. Maire de Vinay, il subit une tentative d’assassinat en novembre 1943.
  • Julien Sagot, antonin d’adoption, qui déclare avoir éliminé le dénonciateur du maire de Saint-Antoine: Ferdinand Gilibert. Interné à Buchenwald, il devient le bras droit de Pierre Sudreau, organisateur de la Résistance au sein de ce camp et futur ministre en 1962.
  • Serge Felix-Griat, originaire de Presles, responsable du Groupe Franc de Saint-Marcellin, notamment après l’assassinat de Victor Carrier.
  • Charles Monnard, assureur à Saint-Marcellin, présenté comme ayant trahi la Résistance et étant à l’origine de l’arrestation, suivie de son décès, de Jean Rony. Jugé à la Libération, il est acquitté et s’engage dans l’Armée d’Orient. Il meurt sur la navire le ramenant en France et est reconnu comme Mort pour la France.

Ce texte de plus de 100 pages ne peut, évidemment, pas être publié dans le cadre de ce blog. Cependant, vous pouvez le télécharger ici. Les très nombreuses références et les contributeurs ayant participé à sa rédaction sont cités en fin de document.

Le travail de rédaction de cet éphéméride a débuté voici deux années pleines, en 2022. Plusieurs versions se sont suivies, chacune visant à compléter la précédente. Il est donc inutile de conserver les versions antérieures, ce blog étant régulièrement mis à jour. La copie, voire la diffusion de ce document, totale ou partielle, est autorisée. Cependant, l’auteur désire que les références en soient précisées systématiquement, à savoir:

Titre: Les années de guerre 1939-1946 à Saint-Marcellin et environs (Isère)Ephéméride

Auteur: Jean BRISELET

Adresse du fichier: https://thermopyles.info/wp-content/uploads/2024/09/Les-annees-de-guerre-1939-1946-a-Saint-Marcellin-et-environs-Ephemeride.pdf

Presque la fin de la guerre