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Droits de l'homme

Marmiton, racisme et soumission

La page Facebook de « Marmiton », le site bien connu de recettes de cuisine, vient de vivre un évènement peu commun et très significatif des temps qui courent. Le 18 juin, premier jour du Ramadan, à 12 :39, il a publié ce titre : « Aujourd’hui est le premier jour du Ramadan. Voici notre sélection de recettes pour l’occasion. Bon Ramadan à tous.

Pendant plusieurs heures, ce fut un déluge de critiques et d’insultes, allant du reproche de parler du Ramadan, alors que nous sommes en France, jusqu’au reproche de ne pas proposer de recettes pour les fêtes chrétiennes, en passant par quelques insanités du genre de celle-ci : « La phrase « Bon ramadan à tous » était de toute évidence l’expression de l’esprit le plus naïvement collabo, et le fait que vous ressentiez les protestations indignées qu’elle a suscitées comme des manifestations d’intolérance ou même de racisme ajoute l’imbécillité à l’abjection ». Bien entendu, toutes les déclarations racistes ont été expurgées de la page.

Face à cette manifestation d’intolérance, trois constatations sont à faire.

La première se trouve dans le comportement des Community Managers de « Marmiton », les fameux CM. Ils sont trois paraît-il, mais l’une d’entre eux a été particulièrement remarquable par sa ténacité à répondre à tous, par son humour, par sa finesse, par son esprit pédagogique.

La seconde est à rechercher dans les commentaires post-évènement, un évènement dont Rue 89, le Nouvel Obs et Le Figaro (d’autres ont suivi, un jour plus tard) ont publié quelques extraits. Cette publication a permis aux militants laïques les plus radicaux de s’élever contre le fait que les agressions relevées sur « Marmiton » étaient qualifiées d’islamophobes (cf. Caroline Fourest). Or, pour eux, l’islamophobie n’est que le nom donné par les islamistes au droit inaliénable que chacun a de critiquer la religion, de la caricaturer, voire de la blasphémer.

Quant à la troisième constatation, elle est à faire du côté des identitaires, ceux qui approuvent ce genre de manifestations parce qu’ils l’assimilent à une sourde protestation du peuple contre « le Grand Remplacement », ou « le Changement de peuple et de Civilisation » (cf. Renaud Camus).

Ipsos/Sopra Steria a présenté en mai dernier un sondage (http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2015-05-06-fractures-francaises-2015-point-sur-francais-et-leur-perception-societe) réalisé entre le 22 et le 27 avril 2015 auprès de 1000 personnes. Ce sondage, réalisé pour « Le Monde », porte sur la confiance dans les institutions, le déclin de la France, l’autorité, la vie politique, la justice et l’économie, l’Europe, les valeurs du passé, la perception de l’avenir, l’attitude à l’égard du Front National, le racisme et la xénophobie, le fait religieux et la laïcité, les clivages au sein de la société et enfin les sujets de société comme le mariage gay ou les mères porteuses. C’est, bien entendu, dans les chapitres consacrés à la xénophobie et au fait religieux que nous allons aller chercher quelques infos.
A commencer par les affirmations suivantes : « Il y a trop d’étrangers en France », approuvé par 67% des français interrogés, « On ne se sent plus chez soi comme avant » (61%).

« La façon dont les religions sont pratiquées en France est-elle compatible avec les valeurs de la société française ? » Pour la religion catholique, seuls 6% des interrogés répondent négativement. Ils sont 15% pour la religion juive. Et 54% pour la religion musulmane. « Ces religions veulent-elles imposer leur mode de fonctionnement aux autres ? » 20% des français répondent oui pour la religion catholique, 17% pour la religion juive et 72% pour la religion musulmane.

Enfin 81% des interrogés considèrent que l’intégrisme religieux (il ne peut guère s’agir que de celui qui est imputé aux musulmans) est un problème préoccupant, et 74% à dire que la laïcité est en danger aujourd’hui en France.

Face à ces chiffres, il est bien évident que la laïcité n’a pas la même signification pour tout le monde. Entre les laïques irréductibles et les identitaires, il y a tout un échiquier d’opinions et de comportements, mais tous deux se retrouvent sur une critique de l’islam qui entretient bien souvent le rejet d’une population.

Mais l’islam peut-il être critiqué ? Et que veut dire « critiquer l’islam » ? Critiquer une religion, quelle qu’elle soit, c’est inventorier ce qui, dans sa conception et dans sa pratique, s’oppose à la liberté de l’homme. La pratique de l’islam est globalement critiquable par le fait que celui-ci maintient les femmes dans un état de sujétion. La pratique de l’islam est généralement critiquable par le fait qu’il (l’islam) n’a aucun recul par rapport aux textes qui le fondent. La pratique de l’islam est souvent critiquable pour son opposition à la curiosité intellectuelle. La pratique de l’islam peut être soumise à critique pour sa fusion étroite avec le pouvoir politique, une fusion qui en fait la religion d’Etat et qui condamne toute critique assimilée à l’apostasie ou au blasphème.

Mais est-ce une critique de l’islam que de refuser que des enfants chantent en arabe lors d’une kermesse scolaire, alors que cette langue fait partie des idiomes parlés dans la commune ?

Est-ce une critique de l’islam que de remplir les colonnes de la page Facebook de « Marmiton » d’insultes racistes ?

Est-ce une critique de l’islam que de profaner des cimetières musulmans ?

Est-ce une critique de l’islam que d’accuser les arabes de vouloir remplacer population et culture européennes ?

Est-ce une critique de l’islam que de menacer de mort les élus qui signent un permis de construire, en toute légalité, pour un projet de salle de prière musulmane ?

(DR)

On rejoint alors « Charlie » et la critique qu’en fait Emmanuel Todd (« Qui est Charlie ? » – Seuil). Lequel estime qu’il existe une confusion voulue entre critique de l’islam, (islamophobie pour certains) et racisme anti-arabe, anti-maghrébin. Et ce racisme, caché derrière la critique de l’islam, est porté par une partie des intellectuels et par certains médias. L’auteur élabore une théorie complexe prenant en compte la déchristianisation de notre pays et l’adhésion à la monnaie unique européenne comme les deux facteurs ayant conduit non seulement à la crise que nous connaissons, mais aussi à la perte du sentiment égalitaire dans de nombreuses régions autrefois catholiques ou communistes. La perte de ce sentiment égalitaire est une explication du rejet de l’autre et donc du rejet des populations qui ont migré, soit après les trente glorieuses, soit aujourd’hui encore. « Qui est Charlie ? » est un livre critiquable (lui aussi !), mais un livre salutaire.

Après avoir lu « Qui est Charlie ? », rien n’interdit de lire « Soumission » de Michel Houellebecq (Flammarion) et de faire ainsi le grand écart entre l’extrême-gauche radicale et ce que l’on peut considérer comme un comportement très réactionnaire, à défaut d’être vraiment de droite. « Soumission » n’est ni plus ni moins que la traduction française (une des traductions !) du mot Coran. Et c’est pour cela qu’il faut, aussi, lire ce livre et non pour les séquences de cul toutes plus tristes les unes que les autres, qui le rythment comme un pendule. Dans une France gagnée par les islamistes, celle du Grand Remplacement, lors d’une élection présidentielle, celle de 2022, la Fraternité Musulmane accède au pouvoir grâce à une alliance anti-FN avec la droite, le centre et les socialistes.Les pays voisins succombent également aux Partis Musulmans. Du jour au lendemain, les femmes abandonnent shorts et mini-jupes, épaules dénudées et tenues sexy, sans que rien ni personne ne le leur ait demandé. Elles se soumettent. Tout comme elles se soumettent à la polygamie qui permet de disposer de deux, trois épouses, l’une pour la famille et les autres, jeunes et fraiches, pour les jeux sexuels. Tout comme elles acceptent sans sourciller leur exclusion du marché du travail, solution radicale au problème du chômage. Le narrateur lui-même, François, universitaire littéraire (spécialiste de Huysmans), se soumettra après de bien timides hésitations et se convertira à l’islam afin de bénéficier de quelques avantages que la nouvelle Nomenklatura lui accordera, notamment un retour dans l’université islamique, avec un salaire triple du précédent et, bien entendu, la polygamie …

(DR)

« Soumission » est une douloureuse fable politique, qui donne raison aux identitaires. De plus, les femmes y sont méprisées…. Houellebecq dit qu’il ne prend pas partie.

Pour notre part, il nous faudra bien prendre partie.

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Ecriture

Atelier d’écriture VI

Calligramme

18 mai 2015

Sous les platanes du jardin de bière, la foule s’agite et son brouhaha domine presque le son des accordéons et les chants « Prosit, Prosit » de l’orchestre. Les couples amoureux tournent sur la piste de la guinguette, elles en robes à parements brodés et chemises à dentelles, eux en culottes de cuir et chaussettes montantes et chaussures noires.

Les serveuses, à la poitrine débordante, chargées de dix à douze bocks de bière, chacun d’un litre, distribuent une boisson gouleyante, blonde comme les blés, légèrement amère, houblonnée, douce et à la mousse débordante. La bière, fraîchement brassée, coule à flots, jusqu’à plus soif et jusqu’au cœur de la nuit.

Calligramme


Ratatouille

7 juin 2015

Descendre au potager tôt le matin, à l’heure où persiste encore la rosée.
Cueillir les feuilles de menthe, et le romarin, et le basilic, et la sauge.
Prendre deux ou trois grappes de tomates, quelques courgettes et une belle aubergine, pas davantage.
Laver les herbes et les légumes à l’eau fraîche.
Ciseler les premières à rapides coups de ciseaux et couper les seconds en petits cubes. Faire de même avec deux gousses d’ail.
Jeter les aromates et les fruits du potager dans une cocotte en fonte, saler juste, poivrer un peu, et faire mijoter, mijoter, mijoter, mijoter …
Pendant ce temps, préparer la feuille de chêne et la roquette en mélange en les lavant soigneusement et en douceur afin de préserver leur texture.
Elaborer une sauce basique, avec vinaigre balsamique, huile d’olive, sel de Camargue et pointes d’herbes fines.
Convier vos invités à se retrouver en terrasse, à l’ombre du peuplier d’Italie ou du bouleau blanc.
Laisser le plumbago, le jasmin et les géraniums diffuser leurs fragrances avant de servir l’apéritif, anis ou absinthe.
Placer un CD dans le lecteur, Ludovico Einaudi pourquoi pas, et commencer de servir le repas. Attention, n’ouvrir la bouteille de rosé bien frais qu’après la salade apéritive, juste au moment de servir la ratatouille, pas trop chaude, juste tiède afin que les fumets s’épanchent librement.
Compléter le repas par un morceau de fromage de brebis (un verre de rouge, de Valréas ou du Mont Ventoux par exemple, sera le bienvenu).
Et, pour bien digérer, terminer sur une boule de sorbet à la verveine, dont l’odeur habite mon esprit depuis le début de cette recette du jardin méditerranéen.

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Mali

Je suis triste (lettre à J…)

Tu avais à peine plus de huit ans lorsque je t’ai connue. Petite fille joueuse, gaie, toujours à parler, nous avons passé un mois complet sans cesser de nous retrouver tous les jours. Mon travail, en fin d’après-midi, à peine fini, je passai chez toi, dans le concession où vivaient ta tante, tes oncles, tes cousins, ta grand-mère. Je voyais peu ta mère qui ne s’était guère attachée à toi.
Et nous partions à la découverte de ton quartier de la Commune V, des berges du marigot qui le traverse, des rares marchands de bière pour étancher ma soif, voire même d’un maquis, un dancing, qui la journée faisait bien sagement office de café où l’on pouvait se détendre.
Avec toi, j’apprenais le bambara, oh juste quelques mots que j’ai déjà oubliés mais qui sont restés notés dans un coin de mes papiers et de mon ordinateur.
Puis, ce fut la découverte, toujours avec toi, de Bamako elle-même; de longues marches à pied le long des rues en terre battue et des avenues, le « goudron ». Quand nous étions fatigués, ou que le trajet était vraiment trop long, alors nous prenions le taxi collectif. Bien des passagers qui nous laissaient difficilement une petite place, se sont souvent interrogés sur ce couple inattendu, celui d’un blanc, un toubab de soixante ans et d’une fillette noire de huit ans. Ces longues promenades se terminaient parfois au café, devant un soda, parfois même au restaurant où j’ai eu l’occasion de t’inviter à manger.
Tu étais intarissable, tu parlais sans cesse, tu voulais tout savoir, tu voulais toujours en savoir davantage: mon mode de vie, celui des Français, qu’est-ce que l’Europe ? Quels sont les pays qui la composent ? Quel temps y fait-il ? Tout était prétexte à question ou à commentaire. Et ces commentaires témoignaient d’une immense curiosité, d’une grande volonté de découverte.
En échange, outre l’apprentissage limité de ton langage, je t’interrogeais sur les structures de ton quartier, la nature des habitations, les occupations des habitants, les commerces, le marché permanent que nous avons si souvent visité. Tu faisais déjà des projets d’avenir. Encore à l’école primaire, tu envisageais de poursuivre au lycée, puis de venir en France, tu parlais de devenir médecin. A huit ans …
Comme je participais un peu au financement de ta scolarité, j’imaginais déjà me retrouver à soixante dix ans et davantage à te recevoir en France et, qui sait, t’apporter un peu d’aide soit pour les études, soit pour le logement.

Fin décembre, juste avant Noël, j’ai quitté le Mali, espérant bien un jour y revenir, ne serait-ce que pour quelques jours. Cela ne s’est pas encore produit.
En te quittant, c’est fou le nombre de promesses que j’ai pu te faire, à commencer par celle de t’écrire, celle de rester ton « parrain », de t’apporter l’aide et l’appui dont tu pouvais avoir besoin dans tous les moments de ta vie, que ce soit pour l’école, pour les loisirs, tes relations, ta vie de tous les jours, tes projets. J’ai poursuivi longtemps le financement de ta scolarité, auquel j’ajoutais parfois un petit supplément, notamment à l’occasion de ton anniversaire. En échange de ces promesses, j’avais exprimé le souhait que tu correspondes avec moi de façon un peu régulière et que tu me fasses partager ton existence. Cela ne s’est guère produit. Combien de fois avons-nous eu l’occasion d’échanger par mail, texto ou par Skype ? très peu, et pour dire quoi ? Des banalités qui tournaient souvent autour de ta vie scolaire. Pour le reste, plus le temps passait et moins j’en savais à ton propos. Ah si, parfois tu savais bien me relancer afin que je t’aide à financer un vélo ou un ordinateur, ce que je n’ai jamais fait que de façon très partielle.
Mon seul et unique lien avec toi était et reste encore ta page Facebook. Je dois dire tes pages, parce que j’en connais au moins trois, mais il n’en est qu’une que tu utilises actuellement.

En septembre, tu es rentrée au lycée puisque tu avais quatorze ans.

En fait, je ne sais pas bien dans quoi tu es rentrée, mais ce que tu es devenue aujourd’hui me désole, me bouleverse et me fait peur.
En quelques mois, en quelques semaines, tu as rencontré un garçon (des garçons) que tu appelles ton (tes) ami(s). L’un d’entre eux est peut-être ton premier amoureux. Il est beau, mince, élancé, il porte une grosse montre au poignet, des lunettes de soleil bien sombres et des tee-shirts siglés. Je ne pense pas, je ne veux pas me mettre à ta place afin d’apprécier ses éventuelles qualités. Cependant, je crois qu’il exerce, lui et les autres, une désastreuse influence sur toi.

De catholique que tu étais, tu es devenue musulmane ! De minoritaire par l’engagement religieux de ta famille, tu t’es rapprochée de la majorité confessionnelle du Mali. Peut-être y a t-il dans cette rapide conversion une forme d’amalgame, d’intégration, à la culture dominante, une attitude bien fréquente chez les adolescents qui n’acceptent pas aisément les différences. Soyons très clair, cela n’est pas en soi un problème pour moi. Même si ce sont des causes dues à ton âge, ou des motifs sentimentaux, il n’y a rien d’anormal à changer de conviction. A la condition que ce changement se fasse au bénéfice d’une plus grande liberté de penser, d’une meilleure capacité à s’exprimer. A quatorze ans, il est possible de faire ces analyses et de s’engager sur une autre voie que celle que vous a tracé l’hérédité. Mais est-ce bien le cas ?

Ta page Facebook devient sinistre, je n’hésite pas à te le dire. Plutôt que d’utiliser l’anglais, ou le français, ou l’un des langages de ton pays, voici que tu écris des Salam aleikoum et autres phrases coraniques en arabe phonétique, phrases dont je suis bien convaincu que tu n’en comprends ni la structure, ni même la signification.

Là où tu affichais quelques photos de toi, décontractée, en pantalon, en tee-shirt, épaules nues, voilà maintenant que tu t’exposes voilée de la tête au pied, un peu comme une jeune mariée, ton seul visage restant découvert. Mains jointes, tu invoques Allah. Si je te dis qu’en te pliant à ces règles que tu ignorais il y a encore six mois, tu fais le sacrifice de ta curiosité, de ta volonté de savoir, de ton libre arbitre, me croiras-tu ?

Tu partages des liens avec des sites que je ne peux pas comprendre. L’un, en particulier, est animé par un jeune imam dont le discours ne peut pas être qualifié de traditionaliste, tant il est rétrograde. Il y est question de l’obligation qu’à la femme de se voiler et d’obéir à son mari. On y apprend que celui-ci peux frapper sa femme pour la punir (mais il ne peut pas la battre !), à la condition que la sanction ne laisse pas de traces ! L’obsession à l’égard du comportement des femmes au travail, au foyer, dans la rue est permanente. Sais-tu seulement que l’Islam dont tu parles ainsi est celui-là même qui avait envahi le nord de ton pays et qui continue d’y faire des raids meurtriers ?

Université au Mali (DR)

Sincèrement, je ne crois pas que ces recommandations, ces consignes de comportement, soient porteuses d’un quelconque avenir pour toi.
Je ne crois pas davantage qu’elles soient porteuses d’avenir pour ton pays. Mais c’est là un autre problème.
Aujourd’hui, je suis triste de voir que la petite fille que j’aimais comme ma fille, en laquelle je croyais (je savais !) avoir discerné une intelligence particulière, est tombée sous la coupe d’une idéologie à la fois conservatrice et destructrice.
Aujourd’hui, je suis triste de découvrir que la jeune fille, la jeune femme que j’espérais voir grandir en indépendance et en fierté, prendre sa place auprès de ses sœurs et participer au développement de son pays ou lutter pour les droits des femmes, a renoncé à tout cela.
Aujourd’hui, je suis triste …. parce que l’Islam que tu sembles avoir choisi n’est porteur que d’ignorance et de repli sur soi, alors que, crois-moi, il existe une autre version de l’Islam.
Aujourd’hui, je suis triste …

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Ecriture

Atelier d’écriture V

12 janvier 2015

Nuit d’été

Les rayons du soleil tombaient sur le village perché tout en haut de la colline, presqu’en surplomb de la falaise. Il faisait chaud, très chaud. Nous n’avions aucun désir de nous lancer à pied dans la longue ascension de cette paroi blanchie et fumante de chaleur. Alors, nous prîmes un fiacre en espérant que la vitesse du déplacement impulsé par les deux chevaux nous aère quelque peu. Peine perdue, car les voiles de toile écrue qui fermaient la cabine de l’attelage empêchaient l’air de circuler. Et pour compléter notre déception, nous eûmes à constater que la rue du village n’était qu’une longue coursive commerçante vide, dans laquelle ne circulait aucun chaland. Sur notre ordre, le cocher prit la route du retour en direction de notre hôtel où nous attendait la piscine. C’est de nuit que nous irons visiter le village.

En fin d’après-midi, allongés sur nos transats, nous attendions que, peu à peu, la fournaise se dissipe et la fraîcheur s’installe. Au-dessus de nos têtes, les oiseaux, mouettes ou goélands, escaladaient le ciel, puis redescendaient, puis remontaient, comme si leurs ailes avaient pu l’effacer. Nous nous habillâmes silencieusement, robe de soirée, smoking et nœud papillon, en vue du repas qui nous était offert dans la salle de bal du Casino. C’est alors que nous la vîmes, accompagnée du même chevalier servant qu’il y a quelques années. Accompagnée, c’est beaucoup dire, car il était quelques pas en arrière, l’air triste, perplexe, incertain, hésitant.

A table, l’atmosphère se détendit rapidement et, au moment du dessert et du champagne, les plaisanteries fusaient autour de la salle. Elle, elle semblait ne manquer aucune occasion de rire, de s’amuser, de partager une joie assez exubérante. Elle riait aux éclats. Les cascades de rire s’écroulaient les unes sur les autres ; un rire fort, généreux, de ceux que l’on dit à gorge déployée. Dans le fracas de ces explosions, elle pencha la tête de côté jusqu’à effleurer l’épaule de son voisin de table, voire presque s’y appuyer. Il y avait dans cette attitude une forme de légèreté décontractée qui faisait que l’on pouvait aussi bien la comprendre comme un geste de camaraderie toute nouvelle ou comme une invitation à davantage de complicité. Quant à son voisin de table, un chauve dont les cheveux se limitaient à un poil dressé au milieu du crâne, il était totalement paralysé de stupeur et se raidissait progressivement. C’est alors qu’un coup de feu traversa les conversations et les rires. Un silence total s’installa quelques secondes avant que les convives ne se lèvent et partent en courant et en hurlant.

Elle seule était encore à table, la face dans son assiette.


23 février 2015

Rencontre

Je me souviens. C’était en 1960. Oh, je n’étais pas encore très vieux, mais l’échange, la rencontre, auxquels j’avais eu l’occasion d’assister me laissa songeur pendant de longues semaines.
C’était au café où les conscrits avaient leur point d’attache et la scène se déroula dans le poulailler, au fond du jardin. Il y avait là un gros canard de Barbarie que nous appelions Filosof parce qu’il passait sa journée en solitaire, secouant la tête, dodelinante au bout de son long cou. La compagnie des autres habitants de la basse-cour lui faisait visiblement peu d’effets, comme si tous n’étaient que des étrangers, des inconnus. Filosof se comportait un peu comme Diogène dans son tonneau, à la nuance près que son habitat à lui était un rouleau de cordages relié à une poulie grinçante.
Ce jour-là, après une froide pluie d’orage, le sol était détrempé. Une poule s’acharnait sur un ver de terre qu’elle ne parvenait pas à extraire de la glèbe boueuse. Et Filosof la regardait faire, penchant la tête tantôt à gauche, tantôt à droite, semblant lui prodiguer des conseils :
 »Tire donc un peu plus fort ! »
 »Coince bien le ver dans ton bec ! »
 »Fais attention à ne pas le casser ! »
 »Ne cherche pas à tout avoir, contente toi d’un morceau ! »
Pour sa part, la poule ne semblait guère l’écouter, toute à son affaire. Tant il est vrai que les conseils des autres, leurs expériences, ne valent rien tant que l’on n’a pas fait sa propre expérience. Alors, elle tirait, toutes plumes exacerbées, dressée sur ses ergots et ce qui devait arriver se produisit bientôt. Etiré et long de presque dix centimètres, le ver de terre cassa. Une partie, la plus petite, resta coincée dans le bec de la poule tandis que l’autre partie, libérée de toute contrainte, s’enfonça rapidement dans le sol.
Comme stupéfaite du tour que prenaient les choses, la poule lâcha le morceau. Et Filosof agita sa crête et lui tint un commentaire acerbe du genre
 »Je t’avais prévenue ! Je te l’avais bien dit ! »
Sans s’en laisser conter, la poule lui répondit de façon méchante et le menaça de quelques coups de bec et autres piailleries. Croyez-le ou non, une poule qui fait l’œuf, on le voit souvent, mais une poule qui philosophe, ça on ne l’a jamais vu !

Et pendant qu’elle s’époumonait, une colombe de la palombière voisine se précipita et ramassa prestement le petit vermisseau ou ce qu’il en restait.
L’histoire n’était pas finie. La colombe, fière de sa victoire, s’en alla parader, en triomphe, sur une vieille toupie déglinguée qui traînait dans un coin du poulailler. A peine posée, tapant du bec sur le morceau de ver afin de l’attendrir, un renard surgi d’on ne sait où emporta le tout, ver et colombe, et disparut rapidement dans le caniveau.
Interloqué, je rentrais au bistrot où les plus diserts s’étaient tus devant la cheminée. Et je cherchais morale à cette histoire. Il y a toujours plus rusé, qui n’écoute pas les discours et se satisfait de dérober ce dont il a envie.
Après avoir descendu une bonne bière pour la route, je repris le chemin sur le dos de mon âne dont les naseaux étaient blanchis par le gel.

Eclipse solaire du 20 mars 2015 (DR)


23 mars 2015

L’insurrection poétique

Allégresse, rêve, élan, création, liberté, éolien, évasion, indépendance, créativité, musicalité, liesse et beauté, diables et démons, lumière et vent, … légèreté, vérité … vous tous, les mots du poème, sortez des livres et des dictionnaires, levez-vous et marchez en troupe, abandonnez vos rimes et vos rythmes, partez à l’aventure, désarticulez vos slogans et vos mots d’ordre, entonnez les chants fédérateurs, laissez souffler le vent de l’évasion, proclamez l’insurrection, faites du monde un veste terreau d’anarchie et de fantaisie, déclarez la révolution poétique.

Sans cesse à mes côtés, elle est une femme belle dont la chevelure est irréelle. Noyé dans les fumées du vin et les vertiges des spiritueux, en moi s’agite le démon des débauchés et je fantasme de recréer à mon envie universelle sa coiffure faite de tresses et d’ondulations qui tombent sur sa riche encolure.

Comédien, sculpteur, metteur en scène, cinéaste, poète, philosophe, plasticien, photographe, dessinateur, architecte, graphiste, illustrateur, modiste, bijoutier, musicien, peintre, écrivain, décorateur, au masculin comme au féminin, toi qui écris ou traces des signes, des lettres, des coups de pinceau, toi qui inventes, organises et reconstruis, toi qui commentes et argumentes, oui, toi qui crées tous les jours … révolte-toi, prône l’insoumission, distribue le fruit défendu, partage les étoiles et les drogues divines, ose l’impertinence, reconstruis le monde, porte le sur tes ailes ! Telle est l’injonction.

Dans l’aube vermeille, je la retrouve et m’envole vers le soleil au risque de me brûler les ailes, d’oublier l’humanité et de retomber sans mes plumes. Mais auparavant, je veux en voir tous les feux et tous les panaches d’éruptions solaires.

Ils disent que je vais devenir aveugle ? Qu’importe, la poésie est intérieure.